Chapitre 6 - Saori

Par AxelleC

 6.

 

Je reculai en titubant, la main pressée contre mon flanc. De l’autre, je désignai le laboratoire à Ian.

— File chercher les affaires.

Il eut l’air de vouloir protester, mais mon regard insistant le poussa dans la bonne direction. En soudoyant Rachel et quelques gardiens avec ses charmes, Ian avait réussi à nous rassembler des choses indispensables à notre fuite. Il était temps de les récupérer, et vite.

La femme soldat se débarrassa de mon couteau et se redressa. Avant que je ne puisse réagir, le léopard s’interposa. Il lui sauta dessus, lui arracha son pistolet et l’attrapa à la gorge. Il l’acheva.

Je soupirai en me laissant glisser contre le mur derrière moi. Si j’avais bien compté, nous avions incapacité la totalité des militaires de garde ce soir-là et Rachel devait toujours se balancer d’avant en arrière dans la cellule des garçons.

Mato et Yuutô entamèrent leur transformation. Je respirai profondément, essayant d’oublier la douleur. Le sang coulait en filets entre mes doigts. J’appuyai plus fort et me concentrai pour ne pas bouger. Chaque inspiration me faisait souffrir, des petites étoiles apparurent dans mon champ de vision en même temps que mon frère tout nu. Mato n’était nulle part en vue.

— Yuu-kun…

— Change, m’ordonna-t-il. Ça accélère la régénération cellulaire.

— Que… ?

— Les derniers tests qu’ils ont faits sur moi.

Son air sombre me confirma les hypothèses qui me traversaient l’esprit. Je distinguai à grand-peine les estafilades d’une blessure sur son torse.

— Ils m’ont fait ça hier avant que je revienne vers vous. Je me suis changé et j’ai ensuite repris forme humaine. La plaie était cicatrisée comme si elle avait plusieurs jours.

J’entendais ses paroles au loin et me sentais partir. Non ! Je me mordis la lèvre au sang, la douleur me secoua. Yuu-kun m’aida à me déshabiller. La transformation fut plus longue et plus douloureuse que d’habitude. Yuutô m’encourageait à chaque étape, je m’accrochai à sa voix, à son odeur familière.

— Dans l’autre sens maintenant, Onee-chan.

Je grognai.

— Tu peux le faire, tu es la meilleure.

Mato et Ian s’approchèrent de nous avec des sacs bien remplis.

— Il faut qu’elle se dépêche, chuchota Ian. L’un des gardes a appelé des renforts, ils ne vont pas tarder.

Je feulai dans sa direction, et me concentrai de nouveau. La plaie me faisait moins mal, mais la transformation traîna quand même en longueur. Quand j’eus terminé, l’épuisement me gagnait et je ne réussis pas à me relever. Mon frère m’aida à me rhabiller, alors que les deux autres regardaient ailleurs. Je restai au sol, incapable de me mettre debout. J’ouvrai la bouche pour leur dire de partir sans moi, mais le regard de Yuutô m’arrêta.

Mato gronda, jeta ses deux sacs à mon frère et s’accroupit devant moi.

— Accroche-toi.

J’enroulai mes bras autour de son cou, alors qu’il glissait sa tresse sur son épaule. Je me collai à son dos en frissonnant, mes hormones choisirent ce moment-là pour se réveiller. Je serrai les dents et il attrapa mes jambes. Mato se redressa, je vis un peu plus d’étoiles et contractai les cuisses.

— Doucement, soufflai-je.

— On y va, s’exclama Ian. Donne-moi le pass, Saori.

Yuutô l’avait déjà récupéré pendant qu’il m’aidait à m’habiller, il le tendit à Ian. Mon estomac se serra, j’avais faim. J’étais épuisée. Je suivis vaguement les évènements. J’avais l’impression d’être spectatrice.

Lorsque nous passâmes les portes, j’inspirai l’air frais de l’extérieur, m’en délectant. Je n’eus pas la force d’ouvrir les yeux et je posais la tête dans la nuque de Mato. Son odeur supplanta celle de la nature, elle m’apaisa tant que je m’endormis, bercée par sa course dans la nuit.

 

 

Le pépiement des oiseaux perça la brume de mon sommeil. J’entrouvris les yeux, la lumière blafarde du petit matin m’agressa la rétine. Je clignai des paupières et inspirai l’air frais avec délice. La chaleur qui entourait mon corps me frappa soudain. Je réalisai enfin que Yuutô s’était enroulé contre moi d’un côté alors que Mato et Ian me collaient de l’autre. Nous étions ramassés les uns contre les autres.

Au vu de la vapeur qui sortait de ma bouche et de la fraîcheur de mon nez, la température de cette matinée paisible dans la forêt ne devait pas dépasser les cinq degrés. Je frissonnai à peine sous la couverture de survie. Un grognement répondit à mon sursaut.

— Saori ?

Mato souffla tout près de mon oreille qui s’embrasa, alors que mes abdominaux se serraient. Je me retins de me lever d’un bond pour courir, loin. Merde, satanées hormones.

— Qu’est-ce qu’il y a, Winnie ?

Je pus presque l’entendre grincer des dents.

— Bon, si tu arrives à dire des conneries, c’est que tu vas mieux.

Le rire de Ian appuya les propos de l’ours macho à ma droite. Yuutô bâilla et se redressa en premier. Je regardai autour de moi, savourant de la vue des arbres à peine feuillus et des conifères si hauts que je dus me tordre le cou pour les contempler. Le jour se levait à peine, mais les nuages émaillaient déjà le ciel à peine bleu. Ian s’extirpa de notre nid humain et farfouilla dans un des sacs, d’où il tira une carte.

— Est-ce qu’on a une idée de notre localisation ? lui demandai-je.

Il hocha la tête.

— Nous sommes en Ontario, dans le parc de Kesagami.

La géographie et moi, ça faisait douze. Je ne répondis rien, j’avais du mal à visualiser. Nous étions au Canada, sans papiers.

— Et maintenant, grogna Mato. C’est quoi le plan ?

Pour une fois, nous étions tous les deux sur la même longueur d’onde. Il se leva et sa chaleur me manqua. Son odeur épicée flotta jusqu’à mes narines, je frémis intérieurement. Je voulus me redresser, mais ma tête me tourna, j’émis un petit cri.

— Onee-chan ?

Yuutô posa la main sur mon épaule. Je tremblai sous ses doigts.

— Je me sens patraque.

— Ta blessure t’a bien affaiblie, et en plus, on a couru un bon moment après que tu te sois endormie sur Mato. Ian ?

Le rouquin plongea de nouveau dans sa besace et en sortit une barre de céréales ainsi qu’une boisson sportive.

— Avale ça, tu as besoin de nutriments.

J’attrapai les denrées et mâchonnai mon repas à petites bouchées tout en les écoutant.

— Nous n’avons pas beaucoup de provisions et nos habits ne sont pas adaptés, commença Yuutô. On est peut-être en juin, mais les nuits sont fraîches.

— Il nous faut donc de la nourriture et des vêtements de rechange, approuva Ian.

— Des vestes imperméables, grogna Mato.

Ils égrenèrent une liste longue comme le bras. Les trois mecs contemplaient la carte en se grattant la tête. Ils pestaient de voir que la ville la plus proche se situait à des kilomètres, qu’ils n’avaient décidément pas assez à bouffer, qu’ils allaient crever de froid.

Un rire me secoua et les trois se tournèrent vers moi. Ian souriait d’un air étonné, Mato levait les yeux au ciel et Yuutô fronçait les sourcils. Ouais, ils devaient me trouver complètement cinglée. Ils n’avaient encore rien vu. Je ris de plus belle, avant de m’éclaircir la gorge.

— Dites, les mecs. Vous n’oubliez pas un truc ?

— Éclaire donc notre lanterne, minette, ricana Mato.

J’eus une moue agacée. Je détestai ce surnom.

— Vous réfléchissez comme des humains. On n’a pas besoin de magasins, on a des crocs, des griffes, des plumes et de la fourrure. Ça devrait aller, non ?

Ils me regardèrent d’un air interdit. Je soupirai et leur expliquai lentement.

— Si on a la dalle, on peut chasser. Si on a soif, on trouve une rivière. Si on se les caille, on se transforme. S’il flotte, on se fait un abri ou on en dégote un.

Ils haussèrent les épaules, approuvant mes suggestions tacitement. Je secouai la tête, ils ne réalisaient pas, en fait. Nous échangions des regards et je finis par les interpeler.

— La vraie question qu’on doit se poser, c’est : qu’est-ce qu’on fait maintenant ?

 

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