Chapitre 7 - Saori

Par AxelleC

7. 

 

Ian eut un sourire malin.

— Heureusement que tu es là pour nous remettre sur le bon chemin, chérie.

Je levai les yeux au ciel et m’extirpai de la couverture de survie.

— Il faut qu’on s’éloigne du Labo, c’est le plus urgent, intervint Yuutô en se mâchonnant l’ongle de son pouce.

Nous approuvions en chœur. Mes méninges tournaient à toute vitesse.

— Et après ? Qu’est-ce que vous voulez faire ?

Ian sifflotait en croisant les bras derrière sa tête.

— Rien à battre. Tant que je ne suis plus enfermé, j’irai où le vent me portera.

— Je te signale qu’on est des prisonniers, lui rappelai-je. Tu ne peux pas te balader comme ça.

Il me fixa de son regard rieur. Ok… je me tournai vers Mato.

— Et toi ?

— J’ai plusieurs choses à faire. Je retournerai aux États-Unis.

J’avais envie de les secouer dans tous les sens. Ils pensaient vraiment qu’avec nos condamnations et nos animaux, on pouvait simplement se balader tranquille ou passer la frontière les doigts dans le nez. Yuutô fit craquer ses phalanges. Je haussai un sourcil dans sa direction, il sourit. Je laissai tomber.

— Pendant qu’on discute, les militaires du Labo doivent nous chercher, s’exclama Yuu-kun. Et le ciel s’est couvert, ça sent la pluie.

Les nuages avaient bien grossi et leur teinte grise me parut menaçante. Je me mordis la lèvre.

— La priorité est donc de trouver un abri.

— On ne peut pas marcher n’importe comment, observa Yuutô. Saori n’est pas encore en grande forme. La carte n'est pas assez précise au niveau du relief.

— On n’a pas le matériel pour en construire un, ajouta Mato.

Un silence gêné s’installa, aucune idée révolutionnaire ne traversait nos cerveaux fatigués. Ian commença soudain à se déshabiller sous nos regards ébahis.

— Ça va, les petits choux ? Le spectacle vous plait ? nous alpaga-t-il en se déhanchant.

Je me retournai aussitôt.

— Qu’est-ce qui te prend ?! grommela Mato qui scrutait un arbre au loin d’un air absorbé.

— Mon cher Winnie, je n’ai qu’à survoler la zone et nous trouver un coin à l’abri pour qu’on puisse continuer à se prendre la tête tranquille sans être trempés comme des soupes.

— Bonne idée, approuva mon frère.

Yuutô ne s’était pas retourné, et en le surveillant du coin de l’œil, je remarquai l’expression intéressée sur son visage de profil. Oh oh. Je connaissais cette mimique. Proche de lui, je lui envoyai un léger coup de coude. Il me lança son regard le plus innocent. Je soupirai discrètement. Il croyait vraiment que je n’allais pas voir ça ? La lueur dans ses yeux en disait long.

— Tu risques de t’y brûler Mame-chan, lui soufflai-je le plus bas possible.

Mato se crispa à mon côté. Merde, il m’avait entendue. Et Ian ? Il se transformait, la douleur devait le rendre sourd. Yuutô se coula contre moi et me chuchota :

— Pas de contrôle là-dessus, Onee-chan. Je suis un grand garçon.

Je retins un grognement agacé. Un cri d’oiseau nous fit nous retourner et l’aigle nous contempla de son regard moqueur avant de s’envoler.

— Je crois que je l’envie, soupirai-je tout à coup.

Un silence tendu me répondit. Mato et Yuu-kun se jaugeaient, j’entendais presque une musique de western dans ma tête. Mes dents s’accrochèrent à ma lèvre inférieure que je mordillai allègrement. Mon estomac gargouilla et les deux chiens de faïence me fixèrent. Yuutô alla fouiller le sac de Ian et en extirpa une autre barre ainsi qu’une bouteille d’eau que nous nous partagèrent. Il en restait assez pour Ian à son retour.

Le temps s’étira et je discutai de tout et de rien à voix basse avec Yuu-kun, pendant que Mato étudiait la carte sans mot dire. La pluie finit par tomber. Les trombes d’eau nous trempèrent rapidement et nous nous collèrent les uns aux autres sous la couverture de survie.

— Il est bien long à revenir, marmonnai-je entre deux claquements de dents.

— Il ne va pas tarder.

Yuu-kun me paraissait confiant. Mato eut un reniflement dédaigneux.

— Je ne lui fais pas confiance.

— Et pourquoi ? m’étonnai-je. On est tous dans la même galère.

Mato me lança un regard perçant.

— On a peut-être des intérêts communs, mais lui est beaucoup plus libre que nous de se barrer en nous laissant en plan. Et puis, vu son passé, ça ne m’étonnerait pas.

Mon frère se figea à mon côté, l’oreille tendue. Il toussota et l’interrogea :

— Qu’est-ce que tu veux dire ?

— Vous ne l’avez pas reconnu ?

Le ton surpris de Mato m’arracha un frisson d’appréhension. Ian était célèbre ?

— Pourtant, il est passé à la télévision et on a parlé de lui sur les réseaux sociaux pendant un bon moment il y a deux ans.

Yuutô me jeta un coup d’œil. Je pris la parole :

— On était déjà en prison à ce moment-là.

Mato gigota, était-il mal à l’aise ? Se demandait-il pourquoi nous avions été condamnés ? Aucun d’entre nous n’avait lâché le morceau. C’était comme un contrat tacite entre malfrats. Sauf qu’apparemment, nous n’avions pas tous respecté ledit contrat.

Mato bougea de nouveau, faisant rentrer une bourrasque humide et glaciale.

— Attention, grommelai-je.

Il grogna en retour et coupa court à la conversation en sortant de notre abri de fortune pour se déshabiller et changer.

Je ne perdis pas une miette du spectacle. Après tout, il était sacrément bien fichu  et ce n’était pas la première fois que je contemplai son corps nu. Bon, à travers l’averse, je n’y voyais pas grand-chose, mais la tentation était trop forte, je plissai les yeux. La chaleur de l’excitation repoussa un instant mes tremblements de froid qui reprirent de plus belle une seconde plus tard.

— Tu devrais changer aussi, Onee-chan, me suggéra Yuutô entre deux éternuements. Tu seras plus résistante avec ta fourrure.

— Et toi, Yuu-kun ?

— Il faudra bien quelqu’un pour aider Ian à porter les sacs.

J’approuvai et me dévêtis. Je sentis le regard de Mato sur moi, malgré sa forme d’ours. Je croisai ses yeux presque orange entre les gouttes de pluie. Je fis durer mon strip-tease un peu plus que nécessaire. Il n’était pas juste que je sois la seule à souffrir de mes pulsions.

Avec un sourire mutin, j’embrassai ma nouvelle nature féline. Douleurs, déchirements, cris. Mais au milieu, un sentiment de tendresse commençait à poindre. Malgré les inconvénients de cette condition, j’avais de l’affection pour la bête qui partageait mon corps.

Je me roulai aux pieds de Yuutô et tentai de le réchauffer un peu. Les minutes s’égrenèrent lentement, quand enfin, je perçus un bruit d’ailes. Le cri perçant qui retentit me rassura. Ian se posa à côté de Mato et se métamorphosa de nouveau. Il se rhabilla rapidement.

— J’ai trouvé une grotte pas trop loin, articula-t-il, le souffle court. J’ai fait plusieurs fois l’aller et retour histoire qu’on ne se paume pas.

— Bonne idée, approuva Yuutô. Avale une barre et bois un coup avant qu’on reparte.

Yuu-kun lui tendit les provisions, alors que Ian le scrutait. Le rouquin lui offrit un sourire sans équivoque. Je crachai dans sa direction. Ian mâchonna son encas et se pencha vers moi.

— Ne t’inquiète pas, chérie, je ne vais pas te voler ton mignon petit frère.

Son chuchotement ne me rassura pas un brin.

— Allons-y, intervint Yuutô.

Les gars sur deux pattes emportèrent nos sacs, Ian prit les devants et nous le suivîmes tous. Il marchait d’un bon pas, Yuutô courrait presque derrière lui, alors que Mato et moi nous nous baladions. J’entendais le souffle rauque de mon frère qui accompagnait la démarche balourde de l’ours dans mon dos.

Au bout de quelques minutes, Yuutô trébucha. Je me postai à ses côtés et il s’agrippa à ma fourrure pour se redresser. Son regard fiévreux m’inquiéta. Ses joues rougies m’affolèrent. Je feulai tout bas, il me fit un signe de la tête.

— En avant, Onee-chan.

Il toussa et se releva. Ian nous attendait, il fronça les sourcils devant le visage écarlate de mon frère.

— Dépêchons-nous.

J’approuvai d’un miaulement. La marche rapide reprit avec encore plus d'intensité, Ian sautait au-dessus des racines et Mato l’avait rejoint à l’avant. Quelques secondes plus tard, un bruit sourd stoppa notre course.

Yuutô gisait au sol.

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