Quinze jours plus tard. Jack met pied à terre à Cuba avec la détermination inébranlable d’atteindre le but qu’il s’est fixé en partant de Tortuga ; trouver la Fontaine de Jouvence. Le seul problème qui reste à résoudre dorénavant est de savoir où elle se trouve exactement. Et, n’ayant aucune idée à l’heure actuelle de ce qu’il faut chercher vraiment, il ne sait par quel bout commencer. Son compas indiquait jusque-là une direction générale. Mais, en s’approchant du but, une sorte de flou artistique s’installe en lieu et place de ses certitudes. D’ailleurs, en ouvrant de nouveau son compas, l’aiguille se met à tourner très vite sans arriver à se fixer. Affichant une mine contrariée, il se maudit intérieurement de manquer ainsi de résolution. Ou ne serait-ce pas plutôt d’information ? Ou des deux ? En tous cas, il est temps de faire une pose et de trouver des idées claires. D’abord, une taverne et du rhum. Conditions indispensables à une bonne détente. Il a donné quartier libre à ses matelots à condition que son cher Black Pearl soit gardé. Se le faire piquer deux fois c’est plus qu’il ne peut en supporter.
La taverne s’appelle “La caña de azucar”. Jack entre et s’avance directement au bar. Il s’installe sur un tabouret haut, le tricorne sur les yeux et fait signe au barman.
- Une bouteille de rhum, l’ami ! commande-t-il.
Le barman s’exécute sans dire un mot. Il fait glisser une bouteille jusqu’à lui sur le zinc, puis un verre de la même manière. Jack, les rattrape en bout de course. Un moment méfiant, il toise le serveur d’un œil par-dessous son chapeau. En sueur, le maillot de corps crasseux, le mégot au coin des lèvres, le cheveu hirsute, la culotte flasque, il a tout l’air d’un vieux bougre qui n’a jamais mis le nez dehors. Autant dire qu’il connaît son coin, mais ailleurs...
- Dis-moi, l’ami, risque Jack tout de même, en s’adressant au dos du barman, est-ce que tu connais quelqu’un ici qui connaît les légendes du coin ? .... de .... la région, je veux dire... par ici, quoi ...
Le barman se retourne, s’approche de lui, la bouche tombante et tordue par le mégot et lui répond :
- Il n’y a qu’une seule légende qui court par ici, gars. Et elle est tellement légendaire que jamais personne n’a pu vérifier une once de vérité là-dedans !
- Ah ? Et c’est la légende de quoi ?
Le vieux approche sa face sale et malodorante près de Jack.
- La Fontaine de Jouvence !! lui grimace-t-il à la figure. Tu as déjà vu une face de pet comme moi devenir un apollon ? Moi, jamais ! Tout ça n’est que balivernes et sornettes de petites pucelles, si tu veux mon avis.
Le pirate retient une grimace de dégoût.
- Mais, pour qu’une légende naisse, il faut bien quelqu’un qui en ait vécu un morceau... se hasarde-t-il en le regardant.
- Tout ça n’est que racontars, je te dis ! Rien n’est vrai, là-dedans, grommelle le barman en mâchouillant son mégot éteint.
- Pourtant.... se risque Jack, un sourire sous son tricorne, j’aurais bien voulu savoir...
- Qu’est-ce que tu veux savoir, bonhomme ? s’agace-t-il en le toisant, ce qu’on devient quand on boit à la fontaine ? Tout le monde le sait, ça ! On rajeunit et on a la vie éternelle. Je n’ai encore jamais croisé un seul péquin dans mon bar qui puisse prétendre être immortel et être beau comme un dieu. Jamais ! Et dieu sait que j’en ai croisés, des types comme toi ! .... Pas un qui est foutu, même de rester debout après un coup de poing bien placé. Non ! Moi, je dis que ça n’existe pas. Pas plus que la fontaine elle-même que ses foutus pouvoirs à la noix.
- Et, par hasard, sais-tu où est née cette légende ? lui demande Jack en le regardant dans les yeux.
S’approchant tout près, presque nez à nez, il lui soulève un peu son tricorne et lui répond en le fixant et en lui soufflant son haleine de cheval dans les naseaux.
- Je te dis qu’elle n’existe pas, cette légende !
Jack marque une nouvelle fois une grimace de dégoût en reculant un peu.
- Oui, mais peut-être que tu connais quelqu’un qui connaît quelqu’un, qui connaît la légende. Tu vois ? C’est comme ça, que ça marche, normalement. Tiens, moi, par exemple, j’en connais une, de légende. Tu veux que je te la raconte ? Elle n’est pas d’ici, je te rassure.
Le barman ne répond pas et attend la suite en se redressant pour attaquer l’essuyage d’un verre avec son torchon sale, le visage fermé.
- ... C’est la légende du Black Pearl....
A ce nom, l’homme bascule les sourcils accents en circonflexes.
- Tu veux dire.... le navire ? .... Ce navire avec des voiles noires et des pirates qu’on dit les plus sanguinaires des Caraïbes ?
Clignant d’un œil en signe d’approbation.
- Celui-là même, l’ami !
- Il n’existe pas ! C’est comme la Fontaine de Jouvence. Tout le monde en parle, mais personne ne l’a jamais vu.
- Ah oui ? Pourtant, je l’ai vu, moi. Là, dans le port, ici, tout près, apponté bien sagement parmi les autres bateaux du port...
Complètement étonné, l’homme ouvre la bouche si grande que son mégot tombe sur le comptoir.
- Il est pourtant bien légendaire, ce bateau, ajoute Jack, et il existe bel et bien ! Alors, pourquoi n’en serait-il pas de même pour la Fontaine de Jouvence ?
A ce moment, entrent dans la taverne, Marty, Pintel et Ragetti. Jack, en les voyant, s’empresse de les interpeller avec force gestes en s’avançant vers eux :
- Hey ! Qu’est-ce que je disais ! Voilà les hommes que j’ai vu descendre tout à l’heure du légendaire Black Pearl, dit Jack pour que tout le monde entende et force un énorme clin d’œil à l’attention des arrivants signifiant d’affirmer ce qu’il dit et de faire comme s’ils ne le connaissaient pas. Vous voyez, ajoute-t-il pour le barman, ces hommes vont pouvoir vous dire qu’une légende ne se construit que sur une vérité. Et ils sont là pour le prouver. Le Black Pearl existe bel et bien. Et son capitaine est tellement maléfique qu’il mange un matelot à chaque abordage. N’est-ce pas ???
Les trois pirates, un peu pris au dépourvu ne comprennent pas exactement ce qu’on leur demande et ne savent quoi répondre.
- Et bien... heu... c’est... heu... bredouille Pintel qui tente une réponse qui pourrait satisfaire son capitaine. Oui, le Black Pearl existe puisqu’on l’a amarré au port, là-bas...
- Vous voyez !! enchaîne Jack en s’avançant de nouveau vers le comptoir, l’air satisfait. Et estimez vous heureux que son capitaine ne soit pas venu vous voir, sinon, il vous aurait embroché de son sabre en vous fendant du haut en bas.
- Oh, oui, ça, pour ça, le capitaine n’est pas commode, renchérit Ragetti avec son œil masqué qui comprend enfin ce qu’on lui demande. Il faut toujours qu’on lui garde le petit mousse du bateau que nous avons rapiné pour le manger, ajoute-t-il dans une jolie grimace bien sentie.
- Et le Black Pearl est le navire le plus rapide de tous les navires de tous les océans ! ajoute Marty, du haut de ses trois pommes. Il a même battu à lui tout seul toute l’armada de la Compagnie des Indes !
- Avec le Hollandais Volant, quand même ! complète Pintel le ventre en avant et un doigt en l’air.
Sourire bonhomme, Jack regarde le barman qui hésite à répondre.
- Vous.... vous êtes des pirates !?!?! demande-t-il aux trois hommes, la voix mal assurée.
- Il semblerait, en effet, répond Jack à leur place. Et c’est ma tournée ! Servez à ces légendaires messieurs de quoi se sustenter, se désaltérer et trouver bonne compagnie pour la nuit.
Il dépose alors sur le comptoir une énorme bague de prix en guise de paiement, puis se dirige vers la sortie et lance :
- Sur ce, profitez bien de votre escale, messieurs. Pour ma part, je vais en quête de l’autre légende qui m’intéresse, et chercher tout seul, puisqu’ici, on ne croit pas à la légende locale....
Encore soufflé par ce qu’il vient d’entendre, regardant la bague qui se trouve sur le comptoir, le barman met du temps à réagir. Mais, lorsqu’il voit l’homme au tricorne s’en aller, pris d’un remords il le rappelle.
- Attendez ! dit-il en levant un bras, la bague entre les doigts. Attendez. Revenez.
Jack fait un demi-tour savant, le buste et les épaules en arrière, les avant-bras en ouverture, coudes au corps et les paumes des mains ingénieusement mises en interrogation, comme son sourcil gauche. Il revient vers lui de sa démarche chaloupée, à l’écoute.
- Vous pouvez aller voir quelqu’un de ma part qui peut vous en dire plus sur cette légende, lui dit l’homme crasseux en se penchant vers lui au-dessus du comptoir.
- Qui est-ce ?
- Vous la trouverez sur les contreforts de la ville, en allant à l’Ouest. C’est une maison isolée. Une forge. Vous ne pouvez pas vous tromper, tous les gens d’ici y mènent leurs chevaux à ferrer. C’est la femme du forgeron.
Là, Jack fronçe le nez.
-... Une très belle femme, continue le barman. Elle dit connaître parfaitement la légende de la Fontaine de Jouvence. Allez-y de ma part.
- Merci, l’ami, répond Jack en soulevant légèrement son tricorne en signe de salut.
Puis, il se saisit de sa bouteille de rhum, fait demi-tour et sort très vite de la taverne sous les saluts silencieux des trois pirates attablés.
Jack se rend alors à la forge imaginant tout et son contraire. Evidemment, la description que le barman en a fait lui a immédiatement fait penser à Elizabeth et Will. Mais, c’est impossible ! William est devenu désormais le capitaine maudit du Hollandais Volant et Elizabeth, veuve éplorée, vivant quelque part vers Molokaï. ... Enfin, le croit-il. Pourquoi serait-elle venue ici se perdre alors que rien ne la prédestine à vivre à Cuba ? Non, non... Il s’est passé tout au plus six mois depuis la bataille du maelström contre la Compagnie des Indes. C’est parfaitement impossible. A moins que Lizzie, nostalgique de son forgeron de mari, ait trouvé un remplaçant qui la consolerait de son lamentable mariage. Non, impossible aussi. Comment aurait-elle su pour la Fontaine de Jouvence ? Ce n’est pas elle, c’est sûr. Mais, en route, prit d’un ridicule sentiment de se fourvoyer dans sa démarche, Jack préfère ne pas aller trouver cette femme directement. Le doute s’est immiscé dans son esprit. Non seulement à cause d’Elizabeth mais aussi à cause d’un trouble plus profond. Inavouable. Indéfinissable.
Il se retrouve alors à errer dans les rues de la ville sans but, les pensées ailleurs, le regard fuyant. Marchant ainsi, sans but précis, perdu, n’arrivant plus à ordonner ses pensées, il atteint le bout de la grève, de l’autre côté de la ville, sur le couchant. Il n’y a personne, ici. Seul le bruit du ressac sur les rochers vient bercer son trouble.
C’est alors qu’une femme, un panier de pêche sur la hanche, surgit du bout de la grève, avançant vers lui tranquillement les pieds nus dans le ressac. En fait, l’endroit n’est pas si désert. Il la regarde venir sans vraiment saisir sa présence. Elle s’arrête à sa hauteur en le regardant.
- Que faites-vous ici, monsieur ? demande-t-elle d’une voix étonnamment grave. Vous semblez perdu...
Il la regarde, alors, vraiment, hésitant sur le comportement à adopter. C’est une femme sans âge, pourtant pas si vieille, vêtue d’une simple jupe de lin écru et d’un corsage décolleté assorti. La peau mate, mince et grande, elle porte les épaules droites et souples, des longs cheveux bruns flottant au vent. Il émane d’elle quelque chose de serein et une présence singulièrement puissante et douce à la fois.
- Vous semblez vraiment perdu, insiste-t-elle en se rapprochant un peu.
- Je ne suis pas perdu du tout, répond le pirate, piqué dans sa fierté de marin.
- Pourtant... peu de gens viennent jusqu’ici se perdre au bout de la grève...
- Je ne suis pas perdu, je vous dis. Je suis juste venu ici réfléchir en paix, réplique-t-il, légèrement contrarié sans pour autant l’éconduire.
- C’est vrai que vous avez l’air tourmenté, vous savez, s’engage-t-elle en posant son panier rempli de langoustes à terre et se rapprochant encore un peu. Et quelque chose me dit que vous n’êtes pas perdu pour rien. Perdu dans votre tête, je veux dire...
Il la regarde alors un peu plus attentivement. Qui est cette femme qui sait sonder dans les esprits ainsi ?
- Seriez-vous une acolyte de Tia Dalma ? lui demande-t-il.
- Qui ?
- Tia Dalma, la sorcière du Bayou.
- Ah !... Elle !... Non. Du tout. Mes enseignements, je les tiens des initiés de la Fontaine ; je suis aussi médium...
Les yeux de Jack s’allument soudain et la regardent intensément.
- Les initiés de la Fontaine ??! ... Que voulez-vous dire ? demande Jack, soudain très intrigué.
- Oui, La Fontaine de Jouvence. C’est un lieu de culte universel. C’est de là que je tire mes enseignements et mes pouvoirs. Vous voulez essayer ? Je peux vous aider à trouver ce que vous cherchez tout au fond de vous...
- Hein ?! Essayer quoi ? ... Mais... ... je ne comprends pas. La légende sur la Fontaine de Jouvence dit que c’est une source où l’on obtient toutes les richesses du monde et la vie éternelle. Ce n’est pas un lieu de culte.
- La légende n’est rien qu’une légende, lui répond-t-elle, un petit sourire éclairant son visage. La réalité est tout autre et les secrets bien gardés, ajoute-t-elle, énigmatique.
- Moi, je voudrais connaître ces secrets, dit Jack en se rapprochant d’elle, le regard plein d’espoir.
- Alors, voulez-vous essayer mes pouvoirs ? Je peux déjà vous dire que votre avenir, votre richesse et vos espoirs dépendent entièrement de votre ouverture à l’esprit de la Fontaine.
- Je ne comprends pas, lui répète-t-il, le sourcil inquiet. Mon ouverture ?..... l’esprit de la Fontaine ?... Quel est ce charabia ?
- Venez avec moi, l’invite-t-elle d’un geste et s’apprêtant à reprendre son panier. Je vais rentrer à la forge et vous montrer certaines choses.
- Alors, c’est vous la femme du forgeron ?!
- Oui, répond-t-elle avec un sourire. Je m’appelle Anna. Anna Miguel Mayor, ajoute-t-elle en lui tendant la main. Et vous ?
- Jack Sparrow. Capitaine Jack Sparrow, répond-t-il en lui baisant la main avec un demi-sourire.
- Ainsi, c’est vous le capitaine Sparrow, dit-elle en reprenant son panier sur la hanche. Je me disais aussi que mes visions ne venaient pas de nulle part. Suivez-moi jusqu’à la forge. Nous avons des tas de choses à nous dire.
Jack, un instant interdit, le sourcil intrigué et le cerveau en ébullition, reste un moment sur place sans comprendre un traître mot de ses paroles énigmatiques. Elle reprend sa marche sans l’attendre, s’engageant sur le petit sentier bordé d’herbes folles qui grimpe vers la forge. Se disant que la providence a dû le pousser volontairement vers une rencontre aussi improbable, il décide de la suivre. Il n’y a pas meilleure aubaine, à l’heure actuelle, pour en savoir un peu plus sur cette fameuse Fontaine de Jouvence. En plus, elle ne lui a demandé aucune contrepartie, et, toute médium qu’elle dit être, ce n’est pas le genre de sorcière comme cette Calypso de malheur. S’il l’a mâtée, elle, pourquoi pas celle-ci, aussi ? Et c’est fort de son intuition mal maîtrisée qu’il suit les traces d’Anna, la femme au panier de langoustes.
--> petite répétition ^^
J'adore Jack, ce perso est vraient génial. En tout cas je vais me répéter mais tu te l'ais vraiment acaparé :)
Et puis y'a toujours une femme pas loin hein haha! Sacré Jack.
Je suis contente que ça te plaise, en tous cas, surtout Jack en fait... huhu ! Comme je te comprend !
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Après m'être lancée dans de nouvelles fictions, je me suis dit qu'il était temps de terminer celles dont j'avais débuté la lecture !
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J'ai donc retrouvé Jack avec un plaisir certain. Je me suis laissée porter par tes mots. Je n'ai eu aucun mal à l'imaginer en train de gesticuler sous mes yeux. La scène de la taverne m'a fait sourire que ce soit au niveau du dialogue ou des mouvements.
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Puis des doutes viennent le troubler avant que finalement le destin ne décide de lui donner un petit coup de pouce. Il finit par croiser la femme du forgeron, qui possède une certaine aura de mystère.
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L'ensemble donne envie de lire la suite !
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Joli chapitre vefree :)
Biz Vef'