Chapitre 7 - Un passe pour un trésor hors du commun

Par vefree
Notes de l’auteur : Ce chapitre-là pourrait commencer à rebuter les puristes de la piraterie. Qu'à cela ne tienne ; ce pirate-là ne fait rien comme les autres. Et donc, il rencontre des gens pas comme les autres. Logique ! Ici, nous entrons donc dans l'étrange et dans l'ésotérique... Bonne lecture !
 
 

  

        Lorsqu’ils arrivent à la forge, les bruits assourdissants des coups de marteau sur le métal les accueillent. Un homme de haute stature, les épaules larges, le cheveu court, le torse en sueur, un grand tablier de cuir lui ceignant la taille, est en train d’œuvrer près du foyer. Un peu plus loin, sous un appentis, deux chevaux attendent d’être ferrés. L’homme adresse un simple signe de tête aux deux arrivants et poursuit son travail. Anna entre par une porte toute proche et invite Jack à la suivre. C’est l’intérieur de l’habitation. Elle dépose le panier de langoustes près de l’évier et se tourne vers le pirate en posant les mains sur les hanches et en le regardant droit dans les yeux.

- Maintenant, à nous, capitaine ! s’exclame-t-elle.

N’ayant absolument aucune idée de ce qui l’attend, Jack reste sur la défensive et attend. Elle se dirige alors au fond de la pièce vers un épais rideau sombre et le soulève.- Venez, suivez-moi, lui dit-elle, l’invitant d’un signe de la main.

- Qu’allons-nous faire, réellement ? demande Jack sans bouger du milieu de la pièce.

- Nous allons voir au fond de vos yeux ce que vous valez, répond-t-elle d’un sourire énigmatique.

- Quel rapport avec la Fontaine de Jouvence ?

- Ne rencontrent l’esprit et la richesse de la Fontaine que ceux qui sont prêts et qui la méritent, cher capitaine... répond-t-elle. C’est ce que nous allons voir tout de suite.

Les sourcils en accents circonflexes, Jack s’avance quand même et passe le lourd rideau sombre que tient Anna. A l’intérieur, c’est une pièce très sombre, elle aussi, et pas très grande. Seules deux petites fenêtres minuscules de part et d’autre l’illuminent et quelques bougies que la femme sans âge s’emploie à allumer.

- Voyez, les deux coussins, au centre, dit-elle à Jack, planté à l’entrée de la pièce, silencieux. Prenez-en un et asseyez-vous.

Il s’exécute, toujours sans rien dire, pas rassuré le moins du monde. Pendant qu’Anna allume de l’encens, le met dans une petite boule de métal percée de trous et accrochée à une chaîne, Jack l’observe ainsi que ses gestes. Ils semblent emprunts de rituels venus du fond des âges. Avec sa boule fumante, elle fait le tour de Jack et des deux coussins au centre de la pièce et la fait tournoyer en faisant des grands huit. Son visage, dans cette lumière, semble bizarrement plus jeune et surtout d’une extrême luminosité. Eclairé par je-ne-sais quelle extraordinaire sérénité ou quelque chose de ressemblant...

- Heu... je dois faire quoi, là ? demande Jack, mal à l’aise.

- Rien, Jack, répond-t-elle en reposant l’encens sur un petit socle prévu à cet effet. Justement, vous n’avez rien à faire.

- Alors, là, se dit-il intérieurement, c’est quand je ne fais rien qu’il m’arrive les pires tuiles. Non, non, ce n’est pas bon, ça... Je ne le sens pas, son truc. Si ce n’est pas moi qui mène la danse... Mais, avant qu’il n’ait eu le temps de faire ou dire quoi que ce soit, la voilà assise en face de lui, sur l’autre coussin, toute proche. Leurs pieds se touchent presque. Elle tend les bras pour lui retirer son tricorne et le pose à côté d’elle.

- Hééé ! s’inquiète Jack en suivant son chapeau du regard et des doigts agités.

- Vous n’en aurez pas besoin pour la séance, lui dit-elle. Rassurez-vous, il est ici et il ne bougera pas. Je vous en prie, retirez aussi vos effets. Vous n’en aurez pas besoin, non plus.

Il s’exécute, un peu à regret, mais il ne discute pas. Après tout, elle n’a pas du tout l’air d’une Tia Dalma, ni même d’une amazone, encore moins une de ces mantes religieuses de Tortuga...

Puis, elle le regarde alors fixement, les chevilles croisées sur le sol, les mains sur ses genoux, le dos droit. Reprenant une position droite en face d’elle, il demande, méfiant :

- Et là, je ne dois toujours rien faire ?

- Là, vous devrez vous contenter de me regarder dans les yeux et uniquement dans les yeux. Ne rien faire d’autre que de me regarder dans les yeux, sans détourner le regard un seul instant. Compris ?

Pour toute réponse, il déglutit bruyamment.

- Vous ne devez bouger sous aucun prétexte, ajoute-t-elle, tant que je ne vous l’aurais pas dit et quoi qu’il arrive. Détendez-vous sans chercher quoi que ce soit...

- D’accord, répond-t-il, d’une voix incertaine. Qu’est-ce qu’il ne faut pas faire pour mériter son trésor ! se dit-il pour lui-même.

- Commençons, dit-elle.

Le silence s’installe entre eux et dans la pièce, leurs regards fixés l’un dans l’autre. Appliqué, Jack regarde les yeux bruns d’Anna pendant quelques minutes. Ce n’est pas si désagréable. Ses iris sont pailletés d’or. C’est très joli. La fumée d’encens envahit le lieu et parfume l’air apportant douceur et âpreté. Tous les sens en éveil, il tente de percevoir ce qui lui échappe dans cette situation. Il est là, dans une pièce sombre à fixer les yeux d’une inconnue, tout ça pour obtenir son trésor le plus précieux du moment. C’est ridicule ! Ses yeux deviennent secs et il doit les fermer un moment, pour les rouvrir ensuite sur le regard toujours fixe et intense d’Anna.

- Comment fait-elle pour rester ainsi immobile ? se demande Jack, comptant les minutes qui défilent. Je ne vais pas pouvoir tenir bien longtemps, moi. Soit, je prends la trique et je lui saute dessus dans cinq minutes, soit je m’endors tout bonnement. C’est simple ! Si je raconte à Gibbs que j’ai passé des heures à regarder une fille dans le blanc des yeux, il ne me croira jamais. En plus, franchement, elle est baisable... ah oui, mais son mari est à deux pas... risqué, ça... laisse tomber, va. Mon gars, tu t’es fait pigeonner par une douce hystérique qui te fait perdre ton temps !... si, si ! Oui, mais.... rappelle-toi, Jack, tous les trésors ne sont pas d’or et d’argent... Et c’est pour ça que tu te retrouves dans ce traquenard. Donc, soit, ça s’avère vrai et attends-toi à une grosse surprise, soit l’adage est une enflure de plus et, tôt ou tard, les yeux de la donzelle finiront par parler. Donc, je dis patience. Reluque-la bien, mon gars, et tu verras bien ce qu’il en sortira.

Il s’applique donc. Il fixe les yeux d’Anna qui n’a toujours pas bougé. En fait, elle ne le regarde pas. Elle regarde au-delà. Bien au-delà. Etonnant. C’est comme une fenêtre qui s’agrandit. Plus il regarde ses yeux, moins il les voit. Il tente de maîtriser son cœur et sa respiration qui, soudain, s’accélèrent. Il plonge dans son regard, comme dans un bain de velours brun. Quelle étrange sensation. Plus avant, dans l’expérience, il persévère à regarder, observer. Alors qu’il se laisse porter vers des lieux inconnus à travers les yeux d’Anna, son visage à elle semble soudain changer, un peu comme à travers les ondulations sur la surface d’une mer transparente. Il change de forme, d’expression. Tantôt, il est doux et divin, tantôt, il grimace et s’effraye. L’ange et le diable. Tiens, tiens... Ses pensées s’épuisent. Il a la cervelle dans le coton. Impossible de réfléchir de manière rationnelle. Il se laisse emporter. C’est l’inconnu. Il ne sait plus ce qu’il voit, ni ce qu’il sent, ni ce qu’il ressent. Tout devient vide. Ne plus penser. C’est inutile. Alors, tout s’éclaircit, plus léger. Il n’y a plus de peur, plus de lutte, plus d’échec, plus de réussite non plus. Pas plus, non plus, que de chagrin, ni de regret, ni d’incertitude, ni même de volonté, ni d’envie, ni de désir. Rien. C’est la place de tous les possibles. A travers ses yeux, il a trouvé le vide, la paix de l’âme. Là, à cet endroit, plus de tourments. Comment est-ce possible ? Soudain, les yeux d’Anna se ferment. Et, brusquement, Jack est ramené à la réalité, ici, dans la pièce, toujours assis sur son coussin. Il ne comprend pas ce qui arrive. Ses pensées sont revenues, mais comme lavées. Il ne voit plus Anna de la même façon. C’est comme si elle était baignée d’une aura de ....

- Dis-le, Jack ! parle-t-elle, soudain en le regardant encore. Dis-le ! ... une aura de quoi ?

- Vous savez ce que je pense, là ? s’exclame Jack complètement surpris.

- Dis-le !

- ... Le cœur battant la chamade, il hésite franchement, les yeux courant partout sans se fixer nulle part.

- Dis-le ! répète-t-elle, insistante.

- Non, je ne peux pas, dit-il, d’une grimace gênée.

- Il faut que tu le dises, Jack !

- ...

Une foule d’images défilent devant ses yeux. Des images représentants pour lui ses instants où il a déjà éprouvé ce... cette chose, là, ce mot qui est coincée au fond de son gosier. Anna prend une posture de patience amusée.

- Alors ? lui sourit-elle largement.

D’une grimace qui vire à la honte, il bloque ainsi sur ... oh, et puis zut ...- ......... D’Amour (1) ?Le sourire d’Anna s’illumine vraiment.- Oui, Jack. C’est bien l’Amour que tu as vu. Et cet amour-là, c’est le tien. Ne crois pas que ce soit le mien. Non. Je ne suis qu’un miroir pour ton âme.

Abasourdi, il ne sait quoi répondre. Il s’attendait à tout, mais alors, celle-là ! Il ne l’a pas vue venir du tout. Préférant glisser sur le fond pour saisir la forme, plus facile à appréhender, il demande :

- Pourquoi vous me tutoyez, soudain ? ... Nous n’avons quand même pas fait l’amour...

- D’une certaine manière, si.

- Quoi ?!

- Pas au sens physique du terme, c’est certain, ajoute-t-elle, mais j’ai vu ton âme, comme tu as entrevu la mienne. Spirituellement, ça s’appelle faire l’amour.

Il reste coit sans trouver à répliquer.

- Et là, tu devrais me demander quel est le rapport avec la Fontaine, continue-t-elle, amusée par son étonnement.

- Ou... Oui !? ...

- L’esprit de la Fontaine est pur, il est Amour. Comme je te l’ai dit sur la grève, seuls ceux qui le méritent peuvent l’atteindre. Il ne peut être souillé par une âme pervertie, encore moins une âme noire... Ceux qui ont essayé de me berner avant toi en venant, guidés par la carte nautique, se sont vu tués par un sort plus grand qu’eux...

- Vous... vous voulez dire que ... certains se sont déjà servis de ma carte pour trouver la fontaine ? demande Jack, intrigué.

- Oui... c’est cela. Mais, elle était dans de mauvaises mains. Il était pourtant bien décidé à tout faire pour la mériter. Mais son âme était trop noire... pervertie par la soif de possession et le mépris de la complémentarité.

Elle marque une pose pour se lever et se diriger derrière son coussin, sur l’étagère où brûlent l’encens et une bougie. Elle retire de l’ombre un verre et une bouteille remplie d’une liqueur sombre.

- Viens près de moi, Jack, lui dit-elle en se retournant vers lui, versant un peu de liqueur dans le verre.

Jack ne comprend pas vraiment ce que signifient ses paroles, bien qu’il ait une petite idée sur la personne dont il est question. Mais, peu importe. Il s’exécute, heureux de pouvoir enfin déplier son corps resté en place pendant une bonne heure, mine de rien. Elle lui tend le verre rempli et lui dit :

- Bois. Ceci est l’essence de l’esprit de la Fontaine. Ton âme est apte à poursuivre le chemin vers la jouvence éternelle.

- C’est vrai ? s’écrie alors Jack, les yeux pleins d’espoirs. Si je bois ça, je vais être jeune éternellement ?

- Non, Jack, le corrige-t-elle. Ceci n’est que le symbole de ton aptitude spirituelle à atteindre l’éternité. Le chemin est long pour y parvenir. Tu devras passer des épreuves, vivre certaines expériences indispensables pour enfin toucher du doigt ton trésor tant convoité.

- Si long que ça ? s’inquiète-t-il.

- Tout dépend de ta capacité à aimer, Jack. Ça peut aller très vite, comme tu peux ne jamais y arriver.

- Et si je ne bois pas ?

- Tout s’arrête là, entre nous et la Fontaine, alors, lui dit-elle. Tu t’en retourneras comme tu es venu, avec tes doutes et tes certitudes. Tu resteras comme tu es ; un pirate sans âme et sans cœur, voguant sur les mers du monde.

- Et ma légende, alors ?

- C’est à toi de l’entretenir comme tu le souhaites. Toi seul, saura ce que vaut ton esprit en définitive. Moi, je le sais déjà, mais ce que je connais de toi importe peu. C’est à toi de décider de vivre pour ton âme, telle qu’elle est ou l’ignorer complètement et faire comme si tu n’étais jamais venu jusqu’ici. Tu es libre, Jack. Bois ou ne bois pas. C’est comme tu veux.

Il regarde alors le liquide dans le verre qu’il tient dans sa main, puis regarde Anna qui attend avec un demi-sourire, puis il retourne au verre. A quoi bon tergiverser ? Il boit cul-sec. Le liquide extrêmement sucré et très alcoolisé manque de l’étouffer. Rien à voir avec le rhum, c’est certain. Dieu que c’est fort !!

- Mais, c’est quoi, c’truc ? tousse-t-il en lui rendant le verre et agitant l’autre main dans tous les sens.

- C’est un secret de fabrication des initiés de la Fontaine. Ils seront d’ailleurs désormais la prochaine étape de ta quête.

Et en se retournant à nouveau vers la petite étagère, elle en retire un rouleau de parchemin cacheté. Elle le lui tend.

- Tiens, lui dit-elle. Ceci est ta feuille de route pour les trouver. Tu dois toujours le garder sur toi et ne jamais le montrer à qui que ce soit même à tes hommes de confiance. Toi seul, doit connaître la route et ce vers quoi tu vas. Si tu devais faillir à cette règle pour quelque raison que ce soit, tes voleurs seraient maudits à jamais et toi, tu serais coulé sans pitié avec ton navire. Toute chance ne te serait plus jamais accordée.

Il prend le précieux rouleau avec précaution en déglutissant avec peine et le glisse avec respect dans la poche interne de sa veste.

- Merci, dit-il, simplement.

- Nous avons terminé, captaine Sparrow, dit Anna, le contournant pour rejoindre le rideau. Je te dis « bonne chance » pour ta quête. Et adieu.

- Adieu ? Ne vous reverrais-je jamais, un jour ?

- Jamais.

- Qui sait ? ...

- Adieu, Jack. Et bon vent ! Je te souhaite le meilleur. Je n’avais encore jamais guidé un pirate vers une telle destinée. Tu es une exception, tu sais...

Un demi-sourire et les yeux pleins de reconnaissance, il lui prend la main et l’embrasse.

- Adieu, chère Anna. Je ne suis pas prêt de vous oublier. Merci.

- Tu m’oublieras, tu verras, lui répond-t-elle, énigmatique.

Il rassemble ses effets et sort de la pièce. Après les avoir tous enfilés, et mit son tricorne sur le crâne, un dernier regard sur Anna qui reste près du rideau rabattu et il reprend le sentier qui mène à la grève. Le soleil rougit à l’horizon. Il va se coucher. Jack rejoint sans attendre la cabine de son Black Pearl.

 

 

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dominosama
Posté le 19/12/2012
"Il rassemble ses effets et sort de la pièce. Après les avoir tous enfilés, et mit son tricorne sur le crâne, un dernier regard sur Anna qui reste près du rideau rabattu et il reprend le sentier qui mène à la grève. Le soleil rougit à l’horizon. Il va se coucher. Jack rejoint sans attendre la cabine de son Black Pearl."
--> petite ereur de temps pour le verbe "mettre" là je crois.
Et sinon j'ai rien a dire c'st super bien écrit. Je file vers lasuite ^^ (étrange cette nana quand même)
vefree
Posté le 19/12/2012
Ooooh, cette faute aussi est très vilaine. Merci de l'avoir soulevée. Bah vi, au présent, ce passé simple n'a rien à faire là, bien sûr.
Anna ? étrange ? ... mmhh, dans un certain sens, c'est vrai. Elle connait bien des choses mystérieuses en tous cas. 
Jupsy
Posté le 23/08/2013
Intéressant ce chapitre :)
J'ai beaucoup aimé cette confrontation entre Jack et Anna. Le récit prend une toute autre dimension et je dois avouer que cela me plaît beaucoup. J'ai hâte de savoir où cela va mener notre pirate, s'il va réussir à garder le secret.
Franchement je ne regrette pas d'avoir repris la lecture. Limite, je m'en veux d'avoir tardé à me remettre à la lecture du côté de Plume d'Argent ! 
Je reviendrai donc très bientôt, peut-être même plus tôt que prévu ! Et je te remercie pour cette lecture ! <3
 
vefree
Posté le 23/08/2013
c'est vrai ? tu ne dis pas ça juste pour me faire plaisir ?
Je suis contente que ça te plaise comme ça. Si je pouvais faire comme toi, vraiment... en fait, j'ai honte de manquer autant de temps pour continuer de lire les plumes. En plus, y'a plein de nouveaux que j'aimerais lire. arfff ! Merci en tous cas d'apprécier ta lecture et de me commenter, ça me fait très plaisir.
Biz Vef' 
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