Depuis son sac, Mathurin pouvait observer la rue à travers un petit trou. Il vit le chat renfrogné attendant près de la porte du magasin. Ouf ! Il ne pouvait pas savoir que le pingouin était dans le sac de la femme.
Il regarda vers la plaque d'égout. Pas de gecko. Il espérait que Enzo s'en sortait bien.
- Maman, on peut aller dans le magasin de poupées ? dit la petite fille.
- Non, nous avons assez fait les magasins pour ce soir, répondit celle-ci. Il faut rentrer, ce soir c'est Noël ! Il y a plein de choses à préparer !
Mathurin se vit déjà comme un trophée sous le sapin de Noël… Il ne voulait pas finir sa vie en faisant semblant d'être un jouet pour une petite fille surexcitée.
La famille dépassa la ruelle et s'engagea le long de la grand avenue. Parvenue au bout, dans une grande place, l'homme appela un taxi.
Une voiture s'arrêta alors. L'homme s'apprêta à ouvrir le coffre pour y installer les affaires, quand soudain un gros monsieur vint le bousculer.
- Il est pour moi, dit-il de sa grosse voix.
- Mais enfin voyons, nous étions là avant ! répondit le père de famille.
Mais le gros monsieur s'intercala entre lui et le coffre.
- Je suis prioritaire, je suis le plus gros ! rugit-il en se retournant vers le père de famille.
Ce dernier, décontenancé par cette réponse, recula d'un pas. Le gros monsieur en profita pour y déposer ses affaires : une valise et un sac en fourrure.
La mère de famille s'insurgea alors et alpaga le bonhomme.
- Monsieur, c'est scandaleux ! Nous l'avons appelé les premiers, et nous avons beaucoup de route pour aller dans le 7e arrondissement !
- Et alors ? Moi on m’attend au Moulin Rouge, je n’ai pas de temps à perdre avec vous !
Tandis qu'une dispute commençait à se dérouler, Mathurin le pingouin sortit sa carte : le 7e arrondissement n'était pas une bonne idée pour lui, il y aurait trop de marche. Au contraire, le Moulin Rouge semblait plus intéressant, c'était plus près de la Butte Montmartre. Le problème, c'est que le chien l'avait mis en garde contre cet endroit. Que faire ?
Pendant que Mathurin réfléchissait, le chauffeur sortit du taxi pour essayer de résoudre le différend entre le gros monsieur et la famille. Différend qui fut très vite résolu lorsque le gros monsieur sortit une liasse de billets. Le taxi irait donc au Moulin Rouge. Mathurin devait se décider.
- Tant pis, se dit-il, c'est ma meilleure chance. Il faut essayer de rentrer dans ce coffre !
Il s'évertua à déchirer le sac avec ses petites pattes pendant que la mère de famille était encore occupée à se plaindre auprès du chauffeur qui soudainement ne voulait plus rien savoir. Le sac déchiré, il sauta bien vite dans le coffre. Le chauffeur referma celui-ci, puis il fit entrer le gros monsieur dans le taxi avant de reprendre sa place à l’avant, laissant la petite famille tout à fait indignée.
- De vrais parisiens, pensa alors le pingouin.
La voiture démarra et s'élança à travers Paris. Depuis le coffre, notre pingouin observait les lumières de la ville défiler. Il traversa plusieurs grandes places et reconnut le Grand Palais, la pyramide du Louvre, l'Opéra. Des places qu'il n'avait vu qu'en photo ! Ces endroits étaient encore plus beaux en vrai. Il était émerveillé !
Au bout de 20 minutes, la voiture se gara. D'un instant à l'autre le conducteur allait ouvrir le coffre pour donner les affaires au gros monsieur. Il ne fallait pas qu'il découvre le pingouin. Le sac en fourrure ferait une bonne cachette. Il s'engouffra à l'intérieur. Il eut alors un haut le cœur, le sac sentait horriblement fort le chat. Il voulut sortir, mais le coffre s'ouvrit.
- Voici vos affaires monsieur, dit le conducteur du taxi.
- Merci, répondit l'homme.
Il prit les sacs et se mit à marcher.
Depuis son sac à l'horrible odeur de chat, Mathurin put avoir un aperçu de la rue. Il y avait beaucoup moins d'enfants et beaucoup plus de messieurs avec de grands manteaux. Mathurin vit également une grande silhouette rouge surplombée d’ailes immenses. C'était le Moulin Rouge.
Il semblait à Mathurin qu'il y avait quelque chose de malsain dans ce lieu et notre pingouin n'avait pas très envie d'y entrer. Il fallait vite retrouver le chemin vers Montmartre.
Malheureusement, il sentit qu'on avait passé une porte. L'air se fit plus chaud. Une odeur de cigare commença à se faire sentir. Il y avait des murmures un peu partout. Il entendit des bruits de danses, de claquettes et de coups de fouet. Un groupe jouait de la musique et des applaudissements retentissaient de temps à autres.
Mathurin regarda par le trou du sac : des chaussures très bien cirées et des talons hauts se croisaient.
Le sac arrêta de bouger et se posa par-terre.
L'homme prit alors la parole :
- Alain, quel plaisir de te voir ! Comment vont les affaires ?
- Très bien ! L'immobilier est en bonne forme en ce moment à Paris, alors je fais de belles plus-values ! C'est Noël pour moi !
- Ne me parle pas de cette horrible fête, elle fait croire aux gens que les choses sont gratuite.
- Ah ah ah ! Toi et ta Noëlphobie ! Mais ton affaire de fourrure, comment cela se passe ?
- Et bien les sacs de peau de chat se sont bien vendus la saison passée, mais maintenant la clientèle recherche des sacs en peau d'animaux plus rares !
Tandis que les deux hommes continuaient de discuter, Mathurin réalisa que le sac dans lequel il se tenait était un ancien chat. D'où l'odeur ! Y aurait-il bientôt un sac en peau de pingouin ?
Mathurin décida qu'il fallait agir. Il déchira de ses petites pattes un bout du sac pour y passer le bout du nez et observer les alentours.
Les deux hommes étaient assis autour d'une table. Ils ne faisaient pas attention à lui. La voie était libre… à moins qu'un gros matou ne fasse irruption comme celui qui se tenait à dix mètres à peine. Un gros chat blanc avec un œil en moins et l'air sévère.
Il fallait passer devant lui sans se faire repérer par son flair. Le sac évidemment ! Mathurin fit deux autres petits trous pour y laisser passer ses petites pattes de pingouin et pouvoir marcher un peu.
Il devait avoir une drôle d'allure notre pingouin, dans son sac en peau de chat avec ses deux petites pattes qui sortaient et qui le faisaient avancer en dandinant.
Mathura se dirigea vers la sortie. Un dandinage, deux dandinages, sept dandinages… Tout allait bien, le chat blanc n'avait pas bronché. Mathurin longeait les différentes tables. La sortie n'était plus qu'à cinq mètres. Malheureusement, c'est à ce moment-là qu'un chat tout noir arriva alors par le côté droit.
- Suis-moi, le chef nous attend avec tous les autres ! miaula-t-il.
Il le prenait manifestement pour un autre chat. Mathurin se demande ce qu’il fallait faire. Il ne voulait pas griller sa couverture. Il décida de le suivre et de le semer à la première occasion. Malheureusement pour lui, un deuxième chat les rejoignit dans leur marche rapidement suivi d'un troisième. Bientôt, notre boule de poils, mi-chat mi-pingouin apeuré se retrouva dans une file d'une dizaine de félins se dirigeant tous vers une salle au fond du moulin rouge.
C'était trop tard, il valait mieux les suivre pour le moment en espérant qu'aucun félin ne devine la supercherie.
Il les suivit en faisant attention à ne pas trop dandiner. Il s'écarta lorsqu'un des serveurs passa devant eux. Celui-ci s'étonna du long cortège de chats qui avançait, mais il haussa bien vite les épaules et vida son plateau dans le tunnel à ordures qui était sur le mur.
Au bout de quelques minutes à marcher dans des petits couloirs obscurs que seuls les chats pouvaient emprunter, Mathurin se retrouva dans un immense amphithéâtre souterrain. Il y avait des chats partout, des centaines de chats partout. Ça miaulait à tue-tête ! Tous les chats de Paris semblaient s'être donné rendez-vous ici. Pas de doute, Mathurin était dans le repère des chats !
C'est alors qu'apparut sur la scène le célèbre Chat-Filou, le plus filou de tous les chats, grand manitou de tous les félins parisiens !
Je ne me rendais pas compte à quel point les chats dirigeaient Paris, dans leur repère secret!
Je trouve aussi pas mal ces courts paragraphes, ça donne de la dynamique au texte.
Voilà...