On était le 24 septembre, soit vingt-six ans jour pour jour après ma naissance. Je reçus un appel de ma soeur, toujours très enthousiaste et enjouée à l’idée de me le souhaiter. Elle avait exprès attendu tard dans la nuit pour me le souhaiter à huit heures et quarante quatre minutes précises du matin, chez moi. Même si je ne fêtais plus mon anniversaire depuis des années maintenant, cela me faisait toujours un peu plaisir que certaines personnes s’en rappellent. En cette matinée de jeudi, les appels s'enchaînèrent : mes quelques amis d’adolescence et d’université n’avaient eux-aussi pas manqué à l’appel. Voyant que je m’éclipsais souvent du bureau, Mitchel me demanda pourquoi j’étais autant sollicité.
— C’est parce que c’est mon anniversaire, dis-je sur un ton timide et presque honteux.
Je détestais qu’on me prête autant d’attention. Evidemment, cela ne manqua pas d’éveiller une joie venue de nulle part chez Mitchel qui me prit dans ses bras pour me souhaiter mon arrivée chez les Humains il y a de cela vingt-six ans maintenant. En temps normal, j’aurais été très peu à l’aise à l’idée qu’on soit aussi tactile avec moi, mais là.
A son toucher, mon corps m’envoya une décharge électrique, ses mains contre mon dos me firent frissonner de peur, je retins un cri de stupeur et des larmes d’angoisse. La violence avec laquelle il m’avait enlacé alarma mon instinct de survie. J’aurais aimé qu’il m’ordonne de fuir, mais le mien était si défaillant, qu’il m’intimait de me laisser faire, comme dans l’arrière boutique. Se teindre les cheveux en noir ne suffisait donc pas à oublier les mauvais réflexes.
— On devrait fêter ça non ? Ce soir après le boulot ?
— Oh non ! Merci ! Je déteste fêter mon anniversaire.
Mitchel se faisait sans surprise très insistant, je haïssais ce genre de personnes qui vous pousse à renier vos valeurs et vos habitudes, pour satisfaire les leurs. William, notre dernier collègue Philippin lui fit comprendre qu’il n’était pas bon de forcer les gens. Et puis après tout, c’était mon anniversaire, c’était à moi de décider de ce que je voulais faire. Le Britannique ne cacha pas sa déception, mais cela ne me fit ni chaud ni froid. Ryu se contenta d’un sourire sincère envers moi, je préférais déjà cela.
Une fois la journée terminée, je m’acheta à manger, car je n’avais nulle envie de cuisiner à presque minuit. Je consultais l’historique de mon répertoire. Une personne n’avait pas cherché à me contacter : ma mère.
Ma mère
Ce mot m'écorchait les lèvres et me brûlait la langue, tant il était censé être synonyme d’amour, alors que pour mon cas, il n’en était qu’un antonyme, voire même un oxymore. Ma génitrice n’a jamais accepté que son fils porte son amour pour les hommes, au lieu de le dédier aux femmes. Je l’avais trahie selon ses mots. J’avais vingt deux ans quand j’ai avoué ma sexualité.
Avouer
Ce terme est si violent. On avoue un crime, pas une sexualité, quoique. Dans notre société, si certaines familles considèrent l’homosexualité comme un crime contre l’honneur, alors oui, le mot est bien choisi. Le coming out tel qu’on appelle, avait été pour moi une épreuve insoutenable. Cette sensation de passer une dizaine de minutes au tribunal, devant un Juge, ici ma génitrice, qui allait décider si “oui” ou “non” j’étais coupable de mon amour, avait été un supplice. Ma sentence ne s’était pas faite attendre.
Coupable !
Heureusement que je pouvais compter sur ma soeur, pro-LGBT et charismatique, car elle avait tenu tête à ma génitrice qui songeait à me renvoyer de la maison. Peut-être aurais-je préféré, car pendant un an, où je vivais encore à ses dépends, je recevais sans cesse des insultes et des sous-entendus ignobles. Un jour qu’on regardait la télévision, une pub pour couches de nourrisson était diffusée, et elle eut l’odieuse réflexion de me demander si je touchais des enfants. Espèce de conne ! Heureusement que papa était mort, car il n’aurait pas supporté les altercations entre moi et sa femme. En partant de la maison, je l’avais maudit comme jamais, souhaitant qu’elle meurt dans d’horribles souffrances, qu’elle était la putain du quartier, qu’elle aurait dû être avortée et que son embryon aurait dû finir dans une fosse sceptique.
Peut-être qu’aujourd’hui le karma s’était retourné contre moi. J’avais été si violent dans mes propos, que même Dieu ou toute entité supérieure m’avait giflé en retour. Pas étonnant donc, qu’elle ne me souhaite pas mon anniversaire, elle qui devait amèrement regretter ce jour. Aurais-je un jour le courage de lui pardonner ? Oui, j’espère. Elle n’était ni méchante ni cruelle, simplement enfermée dans un carcan religieux et conservateur qui avait corrompu son coeur d’amertume et de haine. J’aimerais pouvoir effacer nos messages, nos mots si durs, nos regards sataniques, nos hurlements, nos peines. Je voudrais qu’elle me regarde à nouveau dans les yeux, dans le fond du coeur et qu’elle me dise “je t’aime”. Je souhaiterais ardemment raviver la flamme de mon enfance, qui se consumait de rire et de joie.
Ce n’était pas d’une génitrice dont j’avais besoin, mais d’une mère. Et ma maman me manquait.