Chapitre 6 : Week-end mouvementé et visage familier.

[ 1 ]

— Ça vous dit qu'on se fasse une sortie tous ensemble samedi ? proposa Yerin alors qu'ils rangeaient leurs affaires après la sonnerie.

— J'ai déjà quelque chose de prévu, dit Jong-goo.

— Ah bon ? T'as quoi de prévu ?

— T'as pas besoin de savoir.

Yerin esquissa une moue boudeuse. Il sortait souvent le week-end, mais il ne voulait jamais dire où il allait ni ce qu'il faisait. Dans la semaine, ils se voyaient pendant les cours et le midi pour manger, puis le soir à la maison. Le reste du temps, ils étaient chacun occupés avec leurs activités extra scolaires.

— Je ne peux pas non plus, s'excusa timidement Min-ji. J'aurais bien voulu pouvoir sortir, mais je dois aider mes parents au restaurant.

— Moi je suis libre ! dit Min-jun avec enthousiasme. On peut y aller tous les deux. Tu veux faire quoi ?

— Je sais pas... Il fait beau, je pensais qu'on aurait pu faire du vélo près du fleuve, puis se poser dans un parc pour manger des tteokbokki. Oh, sinon j'ai une idée ! Min-ji, le restaurant de tes parents il est où ? Tu peux nous donner l'adresse ? On ira manger là-bas.

— Je... je ne sais pas si c'est une bonne idée...

— Pourquoi ? fit Yerin avec étonnement.

Elle ne comprenait pas la réticence de son amie. En vérité, Min-ji avait honte. Elle avait honte d'être pauvre. Elle avait honte que ses parents triment à longueur de journée pour faire tourner un petit restaurant de poulet frit qui leur rapportait à peine de quoi vivre correctement. Elle faisait de son mieux pour s'intégrer dans ce milieu où elle n'avait pas sa place. Elle ne pouvait pas cacher le fait qu'elle était boursière, mais elle essayait de se faire tout petit. Elle ne voulait pas se faire remarquer, elle ne voulait pas qu'on lui rappelle qu'elle n'était comme tous ces enfants aux parents fortunés.

— C'est juste que...

— Si elle veut pas tant pis, fit Min-jun en haussant les épaules. On se fera un pique-nique tous les deux sur les bords du fleuve.

Il ne pensait qu'à une chose : pouvoir passer la journée seul en compagnie de Yerin. Pas de Jong-goo ni de Min-ji pour plomber l'ambiance. Parfait !

— Hm, fit Yerin avec déception. Si tu ne veux pas nous dire, tant pis. C'est pas grave. On ira ailleurs. Mais la prochaine fois, il faut vraiment qu'on se fasse un truc tous ensemble !

[ 2 ]

Min-jun et Yerin passaient un bon moment. Ils s'étaient retrouvés en début d'après-midi, puis ils avaient loué des vélos pour se promener le long du fleuve Han. Après une bonne heure de balade, ils s'étaient arrêtés au centre commercial pour acheter des glaces. Ils étaient ensuite redescendus vers le bord du fleuve.

L'endroit était calme, il n'y avait presque personne, les gens préférant la frénésie du centre commercial au silence de la nature. D'autant plus que le temps n'était pas terrible. Le ciel était couvert et il faisait assez frais.

Yerin et Min-jun n'étaient pas frileux. Ils préféraient profiter de l'air extérieur et de la vue sur le fleuve. Ils n'avaient eu aucune difficulté à trouver un banc libre, installé entre deux arbres. Après avoir attaché leurs vélos, ils s'étaient assis pour manger leur glace tout en regardant des vidéos TikTok sur leur téléphone.

Tae-jun et Kang-ho, accompagnés de trois autres de leurs amis, passaient par là lorsque l'un deux reconnus les deux adolescents.

— Hé ! C'est pas Min-jun la poule mouillée et Yerin la cafteuse là-bas ? Ils font quoi ? Ils sortent ensemble ?

— On dirait bien, fit Kang-ho, l'air intéressé. Min-jun, quel tocard. Quand il est venu me voir et m'a proposé deux cent mille wons pour qu'on pète la gueule de l'autre abruti, je savais que c'était vraiment un cas désespéré. Il a vraiment pas changé, c'est toujours qu'une grosse tafiole sans aucune dignité. Et après, il ose se la péter devant sa meuf. Regardez-moi ce con, à sourire comme un idiot.

Kang-ho avait été complice des mauvais traitements infligés à Min-jun au primaire. Il avait échappé au renvoi, car il n'avait fait que regarder - et encourager - ses camarades les plus cruels. C'était trop tentant. Une cible facile. Kang-ho aimait les cibles faciles. Il allait lui foutre la honte devant l'autre sainte-nitouche de Yerin. Ils allaient bien se marrer.

[ 3 ]

Sans prévenir, Kang-ho s'assit à côté de Min-jun. Il passa un bras autour de ses épaules. Ses gars étaient postés tout autour du banc et gardaient un œil sur les alentours, au cas où un adulte un peu trop fouineur passerait par là.

— Hey, Min-jun. Bien, ton rencard ? C'est ta copine ?

— Qu'est-ce que tu veux, Kang-ho ? répliqua Min-jun en dégageant son bras.

— C'est comme ça que tu parles à tes aînés, petit merdeux ? gronda le jeune lycéen en lui assénant une violente tape derrière la tête. C'est Kang-ho seonbae* pour toi. Et toi, ma chérie, tu peux m'appeler oppa*.

Il offrit un sourire goguenard à Yerin qui lui répondit par une grimace de dégoût.

— Vous avez perdu la tête ? cracha-t-elle avec mépris. On vous a rien fait. Laissez-nous tranquille.

— Nous aussi on veut manger des glaces. Min-jun, tu veux pas nous payer des glaces ?

— Non. Cassez-vous.

— C'est que t'as pris la confiance ! C'est parce que ta copine regarde ? T'essayes de l'impressionner ?

— Je ne veux pas me battre avec vous. Si vous voulez des glaces, allez vous les acheter vous-mêmes.

— Dans ce cas... fit Kang-ho en se penchant pour lui parler à l'oreille. Est-ce que tu préfères que je raconte à tout le monde que tu m'as payé pour je tabasse ton pote? Je suis curieux. Pourquoi vous traînez ensemble, maintenant ?

Min-jun serra les dents. Il n'aurait jamais dû lui demander de faire ça pour lui. Il savait que ça finirait par se retourner contre lui.

— Très bien, soupira-t-il en sortant quelques billets de son portefeuille. Tiens, Yerin. Va acheter des glaces.

— Quoi ?! Mais...

— C'est bon. Vas-y. S'il te plaît.

— Fais ce qu'on te dit, renchérit Kang-ho. Laisse les mecs s'amuser entre eux. Et prends ton temps surtout.

Yerin jeta un coup d'oeil inquiet en direction de Min-jun, mais il évita son regard. Elle avait fait mine de retourner au centre commercial, puis elle était revenue pour les observer de loin. Ils avaient l'air de se disputer, puis la dispute avait tourné à la bagarre, mais le combat était inégal. Il fallait qu'elle fasse quelque chose. Sur le moment, la première personne qu'elle avait pensé à appeler, c'était Jong-goo.

— Allô ? T'es où ?

— Pourquoi ? Qu'est-ce qu'il y a ?

— C'est Min-jun. Y a des grands qui sont venus nous embêter. Ils sont en train de se battre, mais ils sont plus nombreux, et...

La voix étranglée par les sanglots, elle n'avait pas pu finir sa phrase.

— Vous êtes où ?

— Au parc de Jamwon.

— Où exactement ?

Yerin regarda autour d'elle.

— Yerin ? Tu m'entends ?

— Oui, oui. On est près du fleuve. Y a un champ de coquelicots... Et on est pas loin du centre commercial.

— D'accord. Je ne suis pas très loin. J'arrive. Ne bouge p-

[ 4 ]

— Tu fais quoi, là ? fit Tae-jun en arrachant le téléphone des mains de Yerin.

Il raccrocha aussitôt, mais l'écran s'était verrouillé avant qu'il puisse lire le nom de l'interlocuteur.

— T'as pas appelé la police, j'espère ?

— N-non.

— Qui alors ? Tes parents ?

— Rends-moi mon téléphone.

— Viens le récupérer, si tu le veux.

Yerin avait tenté de lui reprendre le téléphone, mais elle ne faisait pas le poids. Il l'attrapa par le bras et la força à descendre vers le fleuve, où se trouvait le reste du groupe.

— Hé, Kang-ho ! J'ai choppé la cafteuse ! Non seulement, elle nous a pas ramené de glace, mais en plus elle a appelé quelqu'un, mais elle ne veut pas nous dire qui. On ferait mieux de se tailler, non ?

— Yerin, sale pute ! T'as cru qu'on était à l'école ?! Tu vas nous dénoncer à qui, hein ?! Viens là. Viens là ! Je vais te donner une leçon !

Kang-ho avait attrapé Yerin par les cheveux, mais avant qu'il ne puisse la frapper, Min-jun l'avait attaqué par derrière, d'un coup de pied retourné dans la tête. Son maître de taekwondo aurait été fier. Le chef de la bande porta la main à l'arrière de son crâne. Il fit volte-face en poussant un juron furieux.

— Qu'est-ce que vous foutez ?! Pourquoi vous restez plantés là, comme des cons ?! Fracassez-le !

— Yerin, cours ! cria Min-jun. Je vais les retenir, alors va t-en. Vite, avant qu'ils t'attrapent !

Yerin se sentait parfaitement inutile. Si elle restait, elle allait juste se prendre des coups. Ils avaient toujours son téléphone... La seule chose qu'elle pouvait faire, c'était essayer de trouver un adulte.

— Hé ! Ne la laissez pas s'enfuir ! Chopez-là !

Yerin avait couru aussi vite que possible, mais elle n'était pas assez rapide. Elle avait été rattrapée quelques mètres plus loin. Elle avait beau se débattre, mordre et crier, son assaillant était bien plus fort. Ils s'y étaient mis à deux pour la ramener de force. Min-jun n'était pas en meilleure position.

— Pfiou, souffla Kang-ho en étirant son dos. Vous êtes vraiment obstinés, tous les deux. Ça vous plaît tant que ça de vous faire taper dessus ? Vous êtes méga riches, tous les deux, non ? Donnez-moi tout votre fric, et je vous laisse tranquille.

— J'ai que 50.000 won sur moi, dit Min-jun.

— Et moi j'ai pas de liquide, j'utilise une carte de crédit.

— La carte de crédit, ça c'est un truc de super riche ! siffla Tae-jun. Même moi, j'en ai pas. Mes darons me filent juste 100.000 won en liquide tous les mois. Ils sont totalement radins.

— Dans ce cas, on va aller faire un tour au distributeur, déclara Kang-ho avec un sourire méchant. On va voir ce que t'as sur ton compte et tu vas tout nous donner. Promis, on ne t'embêtera plus jamais, toi et ton copain. C'est le prix à payer pour notre protection.

— Vous vous prenez pour des yakuzas ? dit une voix derrière eux.

Kang-ho se retourna. La surprise laissa place à l'amusement.

— Mais qui voilà ? Le blondinet à binocles. Toi aussi t'es venu pour te faire tabasser ? La première fois ne t'a pas suffit ?

Jong-goo l'ignora complètement. Il interpella Min-jun.

— 400.000 wons et je m'occupe d'eux. Deal ?

Yerin était confuse. Qu'est-ce qu'il racontait encore ? Min-jun, lui, voyait exactement où il voulait en venir. Ils échangèrent un regard entendu.

— Deal, fit Min-jun en hochant la tête.

[ 5 ]

— C'est toi qui te prends pour un yakuza ! C'est quoi, ça ? Un sabre en bois ? Tu crois que tu nous fais peur avec ça ?

Kang-ho n'était pas impressionné. Il avait tort. Son sabre posé sur l'épaule, Jong-goo était parfaitement détendu.

— Si j'étais sympa, je vous aurais donné une chance de vous enfuir. Mais comme je ne suis pas sympa... vous êtes tous morts !

Le rire de Kang-ho se mua en exclamation de surprise lorsqu'il vit le sabre de bois fendre l'air et frapper Tae-jun en plein dans la tête. Le seul qui riait, maintenant, c'était Jong-goo.

— En plein dans le pif ! Aïe, aïe, aïe. Ça doit faire mal !

Quoi ?! Il a lancé son sabre ?!

Kang-ho s'était tourné une fraction de seconde vers son camarade qui gémissait et saignait abondamment du nez. Quand il se retourna, Jong-goo était déjà sur lui. Il était rapide et il avait une sacré détente. Il avait bondit dans les airs en prenant appui sur les épaules de son adversaire. Avant que Kang-ho ne puisse comprendre ce qu'il se passait, il s'était pris un violent coup de genou dans le visage.

— Enfoiré ! Je vais t'éclater ! Qu'est-ce que vous foutez ?! Tabassez-le !

Tae-jun était toujours à terre à hurler que son nez était pété. Kang-ho, blessé à l'arcade, était aveuglé par le sang qui lui coulait dans les yeux. Voir leurs deux chefs se faire mettre K.O en un coup avait refroidi le reste de la bande.

— Oy ! rugit Kang-ho qui ne comptait pas en rester là. Occupez-vous de lui ou c'est moi qui vous tabasse !

Les trois sous-fifres échangèrent un regard confus et apeuré. Se mettre Kang-ho à dos était presque aussi effrayant que de se faire rétamer par ce fou furieux et son sabre en bois. Il fallait choisir le moindre mal. Ils prirent leur courage à deux mains et se jetèrent sur Jong-goo.

Kang-ho s'était également relevé. Il essuya son visage plein de sang d'un revers de manche puis attrapa le sabre en bois qui gisait près de Tae-jun. Il donna un coup de pied à son pote au passage.

— Tae-jun, sale tapette ! Relève-toi, bon sang !

Alors que Jong-goo étaient en prise avec les trois autres, Kang-ho était arrivé par derrière et lui avait donné un gros coup de sabre à l'arrière du crâne. Jong-goo s'immobilisa. Il vacilla, un bref instant.

— Le deuxième est pour Tae-jun ! Ça t'apprendra à faire le malin avec nous !

Le lycéen brandit une nouvelle fois le sabre. Il interrompit son geste. Le sabre en suspens, il était paralysé par une peur instinctive. Paralysé par le regard de Jong-goo qui venait de tourner la tête vers lui. Le regard d'une bête sauvage sur le point de lui sauter à la gorge. En une fraction de seconde, la sabre avait changé de mains. La seconde d'après, il frappait Kang-ho en plein dans la mâchoire. La bouche en sang, il cracha un morceau de dent dans la paume de sa main.

— Putain... mes dents... tu m'as pété les dents !

Cette fois, les trois autres avaient décidé de battre en retraite. Ils avaient également essuyé quelques coups, malgré le fait qu'ils étaient trois contre un. Kang-ho était têtu comme un âne, mais il ne faisait pas le poids contre Jong-goo. Pas quand il maniait un sabre, même en bois. Deux d'entre eux l'avaient attrapé sous les bras pour l'aider à se relever, puis avaient pris la fuite en le soutenant du mieux qu'ils pouvaient. Un autre faisait de même avec Tae-jun.

Kang-ho n'avait jamais été aussi humilié de sa vie. Ce n'est pas que ses dents qui avaient été brisées, c'était sa fierté. Ce salaud ne perdait rien pour attendre. Il en faisait la promesse. Sur l'honneur du KK Gang, il se vengerait !

[ 6 ]

Min-jun était bluffé par la performance de son camarade. Il réalisait qu'il l'avait grandement sous-estimé. Ce jour-là, quand ils s'étaient battus dans l'allée derrière l'école, Jong-goo l'avait vraiment ménagé. C'était rageant. Il croyait qu'il était fort, mais il était faible. Trop faible. Il n'avait pas été capable de protéger Yerin. Sans l'intervention de Jong-goo, ils n'auraient rien pu faire contre Kang-ho et sa bande.

— Min-jun ? appela Yerin en voyant son camarade se lever et leur tourner le dos. Où est-ce que tu vas ? Min-jun !

Il avait trop honte pour la regarder en face. Il n'avait rien à lui dire. Il avait juste envie de pleurer de frustration et d'humiliation. Il arrivait à peine à retenir ses larmes. Sans un mot, il était monté sur son vélo et avait pris la fuite.

— Qu'est-ce qui lui arrive ? demanda-t-elle avec inquiétude alors que son ami filait à toute vitesse sur la piste cyclable.

— Il a mal à son égo, dit Jong-goo avec indifférence.

Il tapota la semelle de sa chaussure avec le bout de son sabre pour déloger les petites cailloux et la saleté qui s'y étaient logés.

— Toi, ça va ? demanda-t-il en tournant vers sa camarade.

— Ça va, je suis juste un peu décoiffée.

— Tu as la lèvre fendue, remarqua-t-il en prenant son visage entre ses doigts pour l'examiner de plus près.

Avec son pouce, il appuya légèrement sur la blessure. Yerin serra les dents en retenant un gémissement de douleur.

— Viens. On va faire un tour à la pharmacie.

Ils se rendirent dans le centre commercial pour acheter du désinfectant et du baume cicatrisant. À l'aide d'un coton tige, Jong-goo appliqua le produit aussi délicatement que possible.

— Ça pique, gémit Yerin en grimaçant.

— C'est presque fini. Ce sera pire si on fait rien. T'as une explication à donner à ta mère ?

— Je n'y ai pas pensé... je ne peux pas juste lui dire la vérité ?

— Tu peux. Mais tu connais tes parents. Ils vont en faire toute une histoire, tu vas encore finir au commissariat. Toute l'école va être au courant. Et ça, c'est si c'est ton père est de bonne humeur.

— Tu as raison... Qu'est-ce que je peux lui dire alors ?

— Dis-lui que tu t'es pris une branche en faisant du vélo. Ça me semble crédible.

— Mais on va vraiment les laisser s'en sortir comme ça ? Et s'ils décidaient de se venger ?

— Bien sûr que non, mais il nous faut des preuves.

— J'aurais dû filmer... Oh, non ! Mon téléphone ! Ils me l'ont pris !

—Tiens, fit Jong-goo en sortant le portable de Yerin de sa poche. Je l'ai ramassé toute à l'heure.

— Oh, merci ! J'ai vraiment cru qu'ils étaient partis avec.

— Ce n'est pas grave si tu n'as pas pu filmer. Y a une autre solution.

— Ah bon ? Laquelle ?

Jong-goo désigna le vélo accroché au banc.

— Ces vélos de location ont tous une caméra embarquée fixée sous la selle. Vu l'angle, je pense que la caméra a enregistré une bonne partie de ce qu'il s'est passé. Quand on rendra ton vélo, suffit de demander une copie de la vidéo.

— C'est vrai, maintenant que tu le dis, je crois que le loueur nous en a parlé...

De retour à la boutique de location, ils avaient récupéré la vidéo de la sortie moyennant vingt mille wons. Elle avait été transférée directement sur le téléphone de Yerin, qui l'avait ensuite envoyée à Jong-goo. Le loueur leur avait garanti que les vidéos étaient ensuite supprimées. Ils réinitialisaient la caméra avant chaque location.

— Tu vas en faire quoi ? demanda Yerin.

— Pour l'instant, rien. Je vais la garder. S'ils recommencent, on verra ce qu'on en fera.

C'était un bon moyen de pression. Et un bon moyen de les faire chanter pour leur soutirer de l'argent. D'ailleurs, cet enfoiré de Min-jun s'était barré sans payer. Il avait intérêt à respecter sa part du marché.

[ 7 ]

Lundi. Une journée comme les autres ou presque. Il y avait de la tension dans l'air. Min-jun n'avait toujours pas digéré l'humiliation du week-end. Sa fierté mise à mal, il évitait Jong-goo et Yerin. Il lui avait à peine répondu quand elle l'avait salué. Il était froid et distant. À la récré, il avait disparu dès la sonnerie pour ne revenir qu'à la reprise des cours. À midi, il avait mangé sur une autre table, en compagnie d'autres garçons de la classe.

— Qu'est-ce qu'il a ? demanda Min-ji. Il s'est passé quelque chose ? Vous vous êtes disputés ?

— Non, soupira Yerin. Je ne comprends pas pourquoi il se comporte comme ça.

— Me regardez pas comme ça, j'en sais rien non plus, dit Jong-goo en haussant les épaules. Et je m'en fous. S'il veut bouder, c'est son problème.

Tant qu'il me paye.

— Oh, sinon vous avez entendu la nouvelle ? fit Min-ji avec excitation .

— Non, quoi ?

— Le médecin scolaire est parti à la retraite. Y a un remplaçant. Il parait que c'est un jeune et qu'il est trop beau ! Toutes les filles qui l'ont vu n'arrêtent pas de parler de lui. Il doit venir se présenter dans notre classe cet aprem. Je crois que y en a beaucoup qui vont squatter l'infirmerie dans les prochains jours. D'ailleurs, en parlant de ça, il t'est arrivé quoi à la lèvre ?

— Ah, ça ? C'est rien, je me suis pris une branche, répondit-elle avec un rire nerveux. Mais ça va, c'est presque guéri.

— Je suis désolée de ne pas avoir pu venir avec vous ce week-end, dit Min-ji avec regret. Et... je voulais te donner ça.

— Qu'est-ce que c'est ?

— Un coupon de réduction, pour le restaurant de mes parents. Tu peux venir quand tu veux.

Min-ji lui offrit un sourire timide, mais chaleureux. Elle avait eu le temps de réfléchir. Elle aimait bien Yerin. Elle voulait vraiment être amie avec elle.

— Oh, merci ! s'exclama Yerin, sincèrement ravie par ce cadeau. C'est trop gentil ! Je viendrai avec Jong-goo. Et Min-jun, s'il arrête de faire sa tête de cochon...

[ 8 ]

Les rumeurs disaient vrai. Après la pause du midi, leur professeur principal leur avait présenté le nouveau médecin scolaire. Il s'appelait Dr. Ahn Gi-eun. Il était diplômé de l'école de médecine de Séoul et exerçait sur deux établissements différents. Il serait là le lundi, le mercredi et le jeudi. Il était assisté par l'infirmière Mlle Suk Min-ah. C'était un ex-champion de jiu jitsu et il était spécialisé en kinésithérapie et en médecine du sport. Il travaillerait donc en étroite collaboration avec les professeurs d'E.P.S et les coachs sportifs de l'établissement. Il était aussi chargé de superviser les cours d'éducation sexuelle en partenariat avec les professeurs de biologie et l'infirmière scolaire. Tout un programme.

Hormis quelques élèves insensibles aux charmes du médecin, les filles avaient toutes applaudi chaudement à la fin de sa présentation. Les garçons, eux, étaient agacés par les gloussements et les battements de cils de leurs camarades féminines.

— Hé, Jong-goo, chuchota Yerin en penchant vers son camarade. Il me dit quelque chose. On ne l'a pas déjà vu quelque part ?

— Si, fit son voisin de table. On l'a croisé dans le métro. C'était la semaine de la rentrée, quand on est allé à la banque.

— Ah, oui, c'est vrai ! J'ai failli lui marcher sur le pied. Il a l'air sympa. Il s'exprime bien et il est drôle. En plus il a fait du jiu jitsu. Toi qui adores les arts martiaux, tu pourrais en discuter avec lui.

— Ouais...

Tout le monde ne pensait que du bien du séduisant médecin, mais pas Jong-goo. Il y avait quelque chose chez cet homme qui lui déplaisait. Ce n'était pas de la jalousie mal placée, c'était son instinct qui parlait. Tout semblait faux chez lui. Jong-goo avait côtoyé suffisamment de personnes peu recommandables pour distinguer un potentiel criminel d'un honorable citoyen. Cet homme-là feignait l'innocence, mais il dégageait une aura malsaine. C'était un loup déguisé en agneau. Un loup qu'on avait lâché dans la bergerie.

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seonbae : terme honorifique utilisé pour s'adresser à une personne qui a plus d'ancienneté ou d'expérience dans une entreprise ou à l'école (équivalent du sempai japonais)

oppa : terme honorifique qui peut à la fois signifier grand frère ou petit ami, utilisé par les filles pour désigner un frère biologique plus âgé, un garçon plus âgé qu'elles considèrent comme un ami proche, ou leur petit ami (oui, le contexte est important !)

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