Chapitre 7 : Bilan médical, poulet frit et exclusion.

[ 1 ]

Comme chaque année, les élèves étaient tous soumis à un bilan médical de routine. On mesurait leur taille, leur poids et on les soumettait à un ensemble d'exercices de mobilité, d'endurance et de force. Ces examens étaient répartis sur une semaine. Ils étaient supervisés par les professeurs d'E.P.S et, bien entendu, par le médecin scolaire. Tous les élèves devaient également renseigner un questionnaire sur leurs habitudes alimentaires, leur niveau d'activité physique et les éventuels problèmes de santé connus.

Ce matin, c'était au tour de la 7e3 de se présenter à l'infirmerie. Les garçons étaient préoccupés par leur manque de force et de virilité. Ils comparaient leurs biceps quasi inexistants pour la plupart d'entre eux, tandis que les filles redoutaient de monter sur la balance et parlaient déjà de régime en pinçant leurs bourrelets, inexistants pour la plupart d'entre elles.

Si les élèves étaient aussi complexés et angoissés à l'idée d'être mesurés et pesés, c'était parce que les résultats étaient annoncés à haute voix devant toute la classe. La confidentialité n'existait pas dans ce contexte. Pour le gouvernement coréen, la santé de la population était une affaire publique et une affaire de réputation. Comme tous les domaines, il fallait encourager l'esprit de compétition, quitte à utiliser l'humiliation publique comme un moteur de motivation. Dans les faits, cela menait souvent au harcèlement et à plus d'humiliation.

C'était au tour de Min-ji. Avec ses 1m53 et 42 kg, elle était une des plus petites de la classe et une des plus fragiles. Mais c'était aussi une des plus rapides et des plus endurantes. Elle avait obtenu sa bourse grâce à ses dons en littérature coréenne et aux prix de rédaction qu'elle avait remportés, mais aussi grâce à ses résultats de coureuse. Pratiquante de demi-fond, elle faisait partie de l'équipe d'athlétisme de l'école.

Elle courait pour le plaisir, parce que ça lui permettait de se vider la tête, mais elle savait que sa place dans cette école dépendait de son investissement dans les activités extracurriculaires. Tout comme Yerin, elle comptait participer aux championnats régionaux. De ce fait, elle devait veiller à maintenir une forme physique optimale. Plus elle était légère, plus elle pouvait courir vite et économiser son énergie.

Yerin n'était pas différente des autres filles, mais ce n'était pas – que – pour une question d'esthétique. Tout comme Min-ji, elle avait des objectifs de performance sportive à atteindre. En tant que gymnaste, si elle voulait prétendre aux sélections régionales, elle devait surveiller ses mensurations de près. Elle savait déjà qu'elle était un peu trop grande pour son âge et que sa taille était un handicap dans cette discipline. Elle devait compenser ce défaut en maintenant un poids acceptable. Une silhouette fine, élégante et athlétique.

— Kim Yerin, 13 ans, 1m59, 45 kg, annonça l'infirmière en notant les données sur sa fiche.

Yerin poussa un soupir de soulagement. Elle n'avait rien mangé la veille en espérant perdre quelques grammes sur la balance. Son sacrifice avait payé. Ce fut au tour de Jong-goo. 1m72, 65 kg et une forme olympique. C'était un des plus grands garçons de la classe et l'un des plus forts. L'infirmière l'avait félicité en lui disant qu'il devait avoir hérité d'une génétique exceptionnelle pour avoir une silhouette aussi athlétique à son âge. Jong-goo n'était pas touché par ces flatteries, mais il ne faisait aucun doute qu'il suscitait aussi bien l'admiration que la jalousie de ses camarades.

Song Hye-ji se rongeait nerveusement les ongles. Elle ne pouvait pas peser plus que Yerin. Elle ne pouvait pas perdre contre elle. Elle monta sur la balance en priant tous les dieux pour ne pas faire plus de 45 kg. Si elle pouvait faire un peu moins, ce serait encore mieux.

— Song Hye-ji, 13 ans, 1m62, 52kg.

Son visage se décomposa. Elle était plus grande, ce qui était une petite victoire, mais... Comment pouvait-elle peser aussi lourd ?! Elle s'effondra en éclatant en sanglots. Accroupie, son visage enfoui dans ses bras, elle était inconsolable.

Elle n'était pas la seule à avoir perdu contre sa rivale. Min-jun, du haut de ses 1m67 et 55 kg, contemplait le fossé abyssal qui le séparait de son ennemi juré. Il s'entraînait sans relâche, il ne ratait pas un seul entraînement de taekwondo, alors pourquoi ? Pourquoi n'arrivait-il pas à surpasser Jong-goo ? Non. Il ne voulait même pas le surpasser. S'il pouvait seulement l'égaler, ce serait une victoire pour lui.

[ 2 ]

Hye-ji vérifiait son maquillage dans son petit miroir de poche. Peu importe l'angle sous lequel elle se regardait, elle détestait son visage. Son nez trop plat, ses yeux trop petits, sa mâchoire trop épaisse. Sa mère refusait qu'elle ait recours à la chirurgie esthétique. Elle était encore trop jeune, elle avait le temps de s'embellir naturellement. Hye-ji n'était pas de cet avis. À quoi bon attendre ? C'était maintenant que son apparence comptait le plus. Chez les adultes, la beauté était un critère important, mais il passait après l'argent et le statut. Pour Hye-ji qui n'avait pas de très bonnes notes et qui n'avait aucun talent particulier, son apparence était la seule chose sur laquelle elle pouvait capitaliser pour se faire une place dans la hiérarchie de l'école.

Elle était de mauvaise humeur. Tout la saoulait. Quand c'était comme ça, il lui fallait quelqu'un sur qui passer ses nerfs. Sa voisine de table, par exemple. Hye-ji leva la main alors que le professeur d'anglais allait commencer son cours.

— Monsieur, je peux changer de place s'il vous plaît ? Il y a une drôle d'odeur ici. Ça sent l'huile de friture usée. J'ai l'estomac sensible, ça me donne la nausée.

Quelques élèves avaient rigolé à la remarque désobligeante de Hye-ji. Elle jeta un coup d'œil en direction de Min-ji, un sourire moqueur aux lèvres. Sa voisine n'avait pas réagi. Les yeux rivés sur son bureau, elle endurait les moqueries de ses camarades en silence. Hye-ji se tourna vers le fond de la classe.

— Yerin, tu veux bien échanger avec moi, s'il te plaît ? Min-ji est ton amie non ? Tu peux t'asseoir à côté d'elle.

Yerin n'avait aucune raison de refuser. De plus, peu importe ce que Hye-ji manigançait, ce n'était pas une si mauvaise idée.

— Si tu veux, dit-elle en rassemblant ses affaires.

— Yes ! se réjouit Hye-ji.

Elle allait pouvoir s'asseoir à côté de son Jong-goo chéri. Elle bouscula Yerin alors qu'elles échangaient de place. Un petit coup de sac gratuit. Yerin lui jeta un regard noir. Hye-ji lui répondit par un regard hautain en rejetant ses cheveux en arrière. C'était vraiment la reine des pestes. Tout sourire, Hye-ji prit place à côté de son crush.

— Je suis ta voisine maintenant ! Je compte sur toi pour être gentil avec moi.

Jong-goo leva aussitôt la main.

— Monsieur, ça sent le thon par ici. Je peux changer de place ? J'ai l'estomac sensible, ça me donne envie de vomir. Seori, tu peux échanger avec moi ? Hye-ji est ton amie, non ? Tu pourras être assise à côté d'elle comme ça.

Leur professeur commençait à perdre patience. Il les pressa de la main, afin de pouvoir commencer son cours. L'horloge tournait, il n'avait pas que ça à faire. Ces enfants étaient vraiment épuisants. Sans adresser un regard à Hye-ji, Jong-goo quitta sa place pour prendre celle de Seori qui, toute confuse, avait été obligée de céder à la demande de son camarade. Hye-ji était vraiment de mauvaise humeur et, quand elle était en colère, même ses amies marchaient sur des œufs de peur de s'attirer ses foudres. Seori évita donc soigneusement de croiser son regard ou de faire le moindre commentaire lorsqu'elle s'assit à côté d'elle.

À la récré, Ga-eul avait demandé à Min-jun d'échanger sa place avec elle pour que le trio puisse être réuni après cet échec cuisant, mais il avait fermement rejeté sa proposition. Il était bien, là, loin de Yerin et Jong-goo.

— C'est bizarre, fit remarquer Hye-ji avec curiosité. Vous êtes toujours fourrés ensemble d'habitude. Qu'est-ce qui s'est passé ? Vous vous êtes disputés ?

— Occupe-toi de tes affaires, répliqua Min-jun sèchement. Tu te fais assez remarquer comme ça.

[ 3 ]

Hye-ji n'avait pas fini de se faire remarquer. Elle comptait bien se venger pour l'humiliation qu'elle avait subi pendant le cours d'anglais. C'était Jong-goo qui l'avait insultée, mais ce n'était pas lui sa cible. Son Jong-goo n'avait rien fait de mal. C'était ces deux mégères qui lui collaient aux basques le problème. Si elle se débarrassait de la concurrence, elle pourrait l'avoir rien que pour elle.

Deux jours plus tard, pendant le cours d'E.P.S, Hye-ji avait une nouvelle fois frappé. Le professeur les avait fait jouer au foot, et elle en avait profité pour tacler Min-ji et lui écraser violemment la cheville. Bien entendu, elle avait fait cela assez sournoisement pour que le professeur ne se doute de rien. Dès que Min-ji était tombée, elle s'était confondue en excuses en affectant d'être bouleversée par ce malheureux accident. Elle avait même proposé de l'accompagner à l'infirmerie, mais c'était Yerin qui s'en était chargée.

Sans Yerin et Min-ji dans les parages, elle était passée à la suite de son plan. À la fin du cours de sport, elle avait innocemment offert une bouteille d'eau minérale à Jong-goo.

— Tiens, tu dois avoir soif. Je l'ai achetée au distributeur, elle est bien fraîche.

Jong-goo prit la bouteille. Il la déboucha et en but une gorgée. Son regard s'attarda sur Hye-ji. Un regard indéchiffrable, énigmatique, charismatique. Sa camarade, elle, était aux anges. Son Jong-goo avait accepté son cadeau. C'était le début d'une belle histoire d'amour.

— T'as de la chance que je frappe pas les filles.

— Hein ? Pour... pourquoi tu dis ça ? fit-elle avec un rire nerveux.

— Je ne frappe pas les filles, mais ça ne veut pas dire que je les traite comme des princesses non plus. Surtout les connasses dans ton genre.

Il retourna la bouteille au-dessus de la tête de Hye-ji. Elle poussa un cri de surprise lorsque l'eau glacée coula en cascade sur ses cheveux. Après quelques secondes de choc, elle se mit à hurler.

— Aaargh ! Mais ça va pas la tête ?! Pourquoi t'as fait ça ?! T'es malade !

— Oui. Je suis un grand malade. Je te plais toujours autant ? Eh, tu sais quoi ? Si tu me payes, je veux bien faire semblant de sortir avec toi, mais je coûte cher. Un million de l'heure. T'en dis quoi ?

Hye-ji avait les larmes aux yeux. Elle était mortifiée. Comment pouvait-il être aussi cruel ? Qu'avait-elle fait pour mériter ça ? Qu'est-ce qu'elle avait de moins que Yerin et Min-ji ? Alors que ces questions lui traversaient l'esprit et qu'elle blâmait le monde entier, à aucun moment, elle ne se remettait en question. Ce n'était jamais sa faute. Elle n'avait jamais tort. Elle n'apprenait jamais de ses erreurs.

Les filles comme elle étaient une cause perdue. Et quand une fille comme elle était contrariée, quand elle était poussée à bout, elle atteignait un point de non retour. Jong-goo ne l'avait pas remise à sa place comme il le pensait. Il avait lancé le compte-à-rebours de la bombe à retardement nommée Hye-ji. Et ce n'était pas lui qui allait en payer le prix. Ce n'était pas sa vie qu'elle allait ruiner. C'était celle de la cible la plus facile.

[ 4 ]

Le Dr Ahn avait examiné la cheville de Min-ji. Il l'avait massée avec un gel anti-inflammatoire, puis avait bandé son pied. C'était une entorse bénigne, mais il fallait bien compter trois semaines pour qu'elle soit totalement remise. En attendant, elle devait s'abstenir de toute activité physique. Alors qu'il lui rédigeait une dispense de sport, Min-ji était au bord des larmes.

— Vous êtes sûr que ça ne peut pas guérir plus vite ? Je ne peux pas... je ne peux pas me permettre d'être blessée maintenant. Les sélections pour les championnats d'athlétisme sont prévues la semaine prochaine. Si je ne peux pas courir, je serai disqualifiée pour la saison.

— Tu seras peut-être capable de courir la semaine prochaine, mais ta cheville sera encore fragile. Tu pourrais avoir des douleurs et te la retordre plus gravement. Si tu te reblesses, la guérison sera encore plus longue et les dégâts risquent d'être irréversibles. Et dans cet état, même si tu participes aux sélections, tes performances vont en pâtir. Je ne peux pas t'empêcher de courir si c'est ce que tu veux, mais je te le déconseille fortement. Mais si tu y tiens vraiment, alors viens me voir après les cours. Je t'aiderai avec la rééducation. Je préfère superviser ta guérison et limiter les risques.

— Vraiment ? fit Min-ji avec espoir. Vous feriez ça ?

Le médecin hocha la tête avec un sourire compatissant.

— Bien sûr. C'est mon travail d'assurer votre santé et votre épanouissement scolaire. Je ferai de mon mieux pour que tu guérisses le plus vite possible.

Min-ji était soulagée. Elle devait à tout prix participer à ces sélections.

— Vous êtes encore en tenue de sport, vous devriez vous changer avant de retourner en cours, dit alors le Dr Ahn. Vous pouvez vous changer dans la pièce d'à côté. Yerin, tu peux aider ton amie ? Il faut qu'elle ménage sa cheville au maximum.

Elle acquiesça et soutint Min-ji jusqu'à la pièce voisine. C'était un petit cagibi où l'équipe médicale entreposait le linge pour les lits de l'infirmerie et le matériel de soin. Il y avait également une armoire à pharmacie fermée à clé.

— Le Dr Ahn est vraiment gentil, dit Min-ji. J'espère vraiment qu'il va pouvoir m'aider.

— J'espère aussi. Tu as mal ?

— Hm, mais ça va un peu mieux là.

— Hye-ji, cette sorcière. Je suis sûre qu'elle l'a fait exprès. On devrait le dire au Dr Ahn, tu ne crois pas ?

Min-ji secoua la tête.

— Si on la dénonce, ce sera pire. Elle ne va jamais arrêter...

— Alors quoi ? Tu vas continuer à subir son harcèlement ?

— Elle finira bien par se lasser...

— Mais quand ? Quand elle aura fait de ta vie un enfer ? Les filles comme Hye-ji n'ont pas de limites. Regarde ce qu'elle a fait. Elle n'a pas hésité à te blesser et elle savait très bien qu'en faisant ça, elle ruinerait tes chances d'être sélectionnée aux championnats d'athlétisme.

— Je sais, mais je vais trouver un moyen de régler ça toute seule. J'essayerai de l'éviter. Ne dis rien s'il te plaît.

— Pourquoi tu ne veux pas en parler ?

— Je ne veux pas inquiéter mes parents et leur causer des problèmes. Ils sont très occupés et ils ont beaucoup de choses à gérer. Alors ne dis rien s'il te plaît. Promets-moi que tu ne diras rien.

— D'accord, soupira tristement Yerin en cédant face à l'air désespéré de son amie. Je ne dirai rien, promis. Mais promets-moi que si Hye-ji tente encore quelque chose, tu m'en parleras au moins à moi.

— Oui. Ne t'inquiète pas.

[ 5 ]

Le Dr Ahn avait donné une paire de béquilles à Min-ji pour qu'elle évite de s'appuyer sur sa mauvaise cheville, puis les deux amies étaient retournées en classe. Yerin avait pris sur elle pour ne pas confronter Hye-ji. Celle-ci broyait du noir au fond de la classe. Et elle avait les cheveux humides.

Yerin ne tarda pas à apprendre ce qu'il s'était passé avec Jong-goo. Tous les élèves de la classe ne parlaient que de ça. Certains trouvaient qu'il était allé trop loin, d'autres que c'était mérité. Ce n'était pas le genre d'attention que Hye-ji voulait. Elle avait fini par craquer.

— Fermez-là ! hurla-t-elle en jetant ses livres à travers la classe. Vous êtes tous horribles ! Je vous déteste !

Elle quitta la salle comme une furie.

— Vous abusez ! dit Seori avant de se lancer à la poursuite de son amie. Pourquoi vous vous acharnez contre elle ? C'était un accident. Elle n'a pas fait exprès.

— Tu crois qu'on va croire ça ? fit un de ses camarades. T'étais dans le coup, non ? Tu la défends, mais t'es qu'une menteuse. T'étais en train de rigoler quand Min-ji est partie à l'infirmerie. T'as même dit que c'était bien fait pour elle.

— Ta gueule ! répliqua Seori avec colère. J'ai jamais dit ça ! C'est toi qui mens !

— Qui sème le vent récolte la tempête, lança un autre élève, fier de sa citation savante. Jong-goo l'a un peu refroidie, ça lui fera pas de mal.

— Vous perdez rien pour attendre, menaça Seori en levant le poing. Vous tous, là. Vous allez voir !

Elle avait quitté la salle sous les rires moqueurs de ses camarades. C'était un juste retour des choses. L'arroseur arrosé. C'est ce qu'ils pensaient tous. Personne ne se doutait que le vent ne faisait que se lever et que la véritable tempête n'avait pas encore éclaté.

[ 6 ]

C'était le week-end. Jong-goo et Yerin avaient rendu visite à Min-ji. Le restaurant de ses parents se trouvait à quelques pâtés de maison de l'école, dans le quartier de Gaepo-dong. De l'autre côté se trouvait le collège public de Joongdong. De ce fait, la majorité de leurs clients réguliers étaient des collégiens et des lycéens. Ses parents louaient un local au rez-de-chaussée ainsi qu'un appartement juste au-dessus. Le restaurant tournant plutôt bien, ils avaient récemment engagé un étudiant qui travaillait à temps partiel. Il prenait son service le soir, du lundi au vendredi. Le samedi, c'était Min-ji qui s'occupait du service. Son frère aîné aidait parfois aussi, mais il était étudiant en première année de médecine, il avait donc beaucoup de travail.

— C'est quoi le Hallyu* Set ? demanda Yerin en parcourant le menu.

— Ah, ça... C'est une création de ma mère. Elle dit que c'est sa façon de montrer son patriotisme. C'est une grande fan de K-pop et d'idoles coréennes. Elle a créé quatres types de panure et de sauces différentes pour représenter ses quatre groupes préférés. Vous avez le détail sur le menu.

— On va prendre ça alors, ça a l'air bon ! Ça te va ?

Jong-goo acquiesça. Il n'était pas difficile pour la nourriture. Tant que c'était comestible, il le mangeait.

— Vous êtes sûrs ? dit Min-ji. Ça fait beaucoup pour deux. En général, on le propose pour trois ou quatre personnes.

— Jong-goo peut manger pour deux ou trois. Et si on finit pas, on pourra toujours emporter ce qui reste.

— D'accord. C'est noté alors. Vous voulez boire quoi avec ça ?

— Un coca pour moi, s'il te plaît. Jong-goo, tu veux quoi ?

— Un sprite.

— OK. Je lance la commande. Ça devrait être prêt dans une dizaine de minutes.

En attendant leur plat, Yerin observait les alentours. Min-ji n'exagérait pas quand elle disait que sa mère était une fan de pop culture coréenne. Les murs étaient couverts de posters d'idoles de K-pop et d'acteurs célèbres. Un écran flanqué de deux enceintes jouait des clips de K-pop en continu. La décoration était assez flashy, même les sets de table représentaient des célébrités de l'industrie musicale. Pas étonnant que cet endroit soit aussi populaire auprès des jeunes. C'était même le lieu de rendez-vous privilégié de certains fanclub et la patronne était très appréciée par cette communauté on ne peut plus passionnée.

[ 7 ]

Le service était continu de 10h à 23h, mais ils avaient moins de clients dans l'après-midi. Min-ji avait donc pris une pause pour passer un peu de temps avec ses amis après leur repas. Elle leur avait fait visiter son appartement qui ressemblait plus à un musée consacré à la K-pop qu'à un lieu de vie ordinaire. Ils s'étaient installés autour de la table du salon pour discuter en buvant du thé d'orge, une boisson réputée pour ses vertus digestives.

— Franchement, t'es impressionnante, la complimenta Yerin avec sincérité. Tu arrives à étudier, à t'entraîner pour la course et à aider tes parents au restaurant. Tu ne vas même pas aux cours du soir et t'as de meilleurs résultats que les autres élèves de la classe. Tu dois être un génie.

— Haha, merci ! Mais je ne sais pas si je suis un génie, je ne suis pas très douée en maths et en sciences, mais je compense avec le reste. Toi aussi tu as de bonnes notes. Tu vas aux cours du soir ?

— Non, mes parents ont engagé des professeurs particuliers qui viennent nous donner des cours trois fois par semaine.

— Nous ? Tu as des frères et soeurs ? Je ne savais pas. Ils sont plus jeunes ou plus vieux que toi ?

Yerin se mordit la lèvre. Sa langue avait fourché. Elle jeta un coup rapide à Jong-goo. Il fallait qu'elle rattrape le coup.

— Euh... c'est-à-dire que...

Elle ne savait pas quelle excuse inventer. Elle n'était pas douée pour les mensonges. Peut-être qu'elle ferait mieux de dire la vérité. Min-ji était son amie. Elle pouvait lui faire confiance.

— En fait, Jong-goo est mon frère adoptif. Il a été adopté dans la famille quand il avait six ans. Mais on n'était pas dans la même école au primaire et personne ne le sait à part Min-jun.

— C'est vrai ? fit Min-ji avec étonnement en se tournant vers Jong-goo.

ll aquiesça en soupirant. Il savait que ça finirait par arriver, mais il s'en fichait. C'était Yerin qui tenait absolument à cacher leur relation.

— On veut que ça reste secret, parce qu'on ne veut pas que les autres embêtent Jong-goo à cause de ça, expliqua Yerin. Tu sais ce qu'on dit des orphelins qui ont été adoptés... Surtout dans une famille riche comme la mienne.

— Je vois. Je ne dirai rien. Ne vous inquiétez pas.

— Merci ! La prochaine fois, on t'invitera chez nous.

— Vous habitez où ?

— À Cheongdam.

Min-ji était restée bouche bée. Situé dans le nord du district, sur la berge sud de la rivière Han, Cheongdam était le deuxième quartier le plus huppé de Gangnam, qui était lui-même le district le plus huppé de Séoul. Elle vivait aussi à Gangnam, mais dans le sud du district, et Gaepo était un quartier beaucoup plus modeste. Ce n'était pas tout. Cheongdam était le quartier où se trouvait la plupart des agences de divertissement coréennes qui formaient les idoles de K-pop. De nombreuses célébrités vivaient là-bas. On y trouvait que des immeubles de luxes qui donnaient sur la rivière Han.

— Oh la la, si ma mère savait ça, elle serait folle de joie. Son rêve était d'ouvrir un restaurant à Cheongdam, mais c'était trop cher.

— Elle aime bien DG ?

— DG ? Kang Da-gyum ? La star de K-pop qui a fait ses débuts avec PTJ Entertainment ? Celui qui a remporté l'émission de survie Korean Rising Star ?

— Oui ! C'est mon voisin. Il habite l'étage d'en-dessus. Je le croise parfois dans l'ascenseur. Je pourrai lui demander un autographe pour ta mère la prochaine fois que je le vois, si tu veux.

Yerin avait dit cela le plus naturellement du monde. Pour beaucoup, croiser une célébrité était l'événement d'une vie. Pour elle, c'était quelque chose de tout à fait banal.

— Sérieux ?! Ce serait trop cool ! Avec ma mère on a regardé l'émission et c'était notre candidat préféré. On était trop contentes qu'il gagne la compétition et qu'il puisse faire ses débuts. Il est trop beau et trop cool aussi !

— Y a pas que ta mère qui est une fangirl, plaisanta Yerin en riant. Si tu viens chez moi, t'auras peut-être une chance de le croiser, toi aussi.

Min-ji était toute excitée à la perspective de pouvoir voir une de ses idoles préférées, même quelques secondes. C'est donc avec joie qu'elle avait accepté l'invitation de son amie.

[ 8 ]

Le calme du week-end avait laissé place à une nouvelle semaine tumultueuse. Après une semaine d'absence, Tae-jun et Kang-ho étaient revenus à l'école, mais ils n'étaient pas seuls. Ils étaient accompagnés par leurs parents. Des parents sacrément remontés qui avaient exigé que l'élève qui avait défiguré leur précieuse progéniture soient sévèrement puni. Comment avait-on pu faire ça à ces deux garçons aussi doux que des agneaux ? C'était inadmissible.

Le principal avait organisé un conseil de discipline dès le lendemain, mais la nouvelle avait déjà fait le tour de l'établissement. Kang-ho et Tae-jun racontaient à qui voulait bien les écouter que Jong-goo était un sadique sauvage qui s'en prenait aux innocents. Personne ne pensait vraiment que ces deux-là étaient innocents. Et personne n'était étonné que Jong-goo soit mêlé à cette histoire et qu'il leur ait refait le portrait. Les racailles finissaient toujours par se battre entre elles. Les paris étaient donc ouverts. Chacun y allait de sa petite analyse pour savoir de quelle sanction Jong-goo allait écoper. Renvoi définitif ? Exclusion temporaire ?

— S'il se fait renvoyer, c'est Hye-ji qui va être contente. Elle ne peut plus le saquer depuis qu'il l'a humiliée devant tout le monde.

— De l'amour à la haine, il n'y a qu'un pas, philosopha son camarade adepte de proverbes.

Pour les élèves de la classe, ce n'était qu'une histoire divertissante. Ils pouvaient prendre cela à la légère, car ils n'étaient pas concernés. Yerin, elle, n'était pas amusée. Elle savait pourquoi Jong-goo avait été convoqué et elle avait vraiment peur qu'il se fasse punir injustement.

— Arrêtez de parler sur son dos ! lança-t-elle avec irritation. Vous dites tous qu'il va se faire punir, mais ne savez même pas ce qu'il s'est passé.

— Ben faut dire qu'il a quand même l'air du genre à chercher la bagarre pour rien. Puis t'as vu la tête des dixième année qu'il a tabassé ? Il paraît que Kang-ho a perdu trois dents. Et Tae-jun a dû se faire opérer pour son nez cassé. Jong-goo est le seul qui n'avait aucune blessure. Il est revenu à l'école comme si de rien n'était. Ça veut dire qu'il les a massacrés sans qu'ils puissent riposter.

— C'est eux qu'ont commencé ! protesta Yerin. Min-jun, t'étais là ! Dis-leur toi !

— Je ne vois pas de quoi tu parles, répondit son camarade. Tu ne devrais pas prendre sa défense tout le temps comme ça. Y a qu'avec toi qu'il est sympa, mais en vrai, c'est qu'un gros connard, lui aussi.

— Min-jun !

Yerin serra les poings. Elle bouillonnait de colère. Qu'il refuse de leur parler était une chose, même si elle ne savait pas ce qu'ils avaient fait pour qu'il les déteste comme ça tout à coup, mais elle ne pouvait pas accepter qu'il les poignarde dans le dos comme ça. Elle lui aurait sauté à la gorge si le professeur principal n'avait pas fait irruption dans la salle de classe pour les interpeller tous les deux. Ils étaient convoqués dans le bureau du principal.

[ 9 ]

Autour de la table, les parents de Tae-jun et Kang-ho et leur fils respectif faisaient face à Mme Kim et Jong-goo. Le conseil de discipline était présidé par le principal, la principale-adjointe et les deux professeurs principaux en charge des élèves concernés.

Min-jun et Yerin avaient été convoqués pour témoigner suite à une vidéo que leur avait montrée Jong-goo. Une vidéo dans laquelle on les voyait clairement se faire harceler par Tae-jun, Kang-ho et trois autres de leurs camarades. Le vent avait tourné et les victimes s'étaient retrouvées sur le banc des accusés. C'était au tour de Mme Kim d'être remontée.

— Vous osez nous menacer, moi et cet établissement, de porter plainte et de nous traîner en justice, alors que ces deux élèves s'en sont clairement pris à ma fille et à son ami. Jong-goo est intervenu pour prendre leur défense. Il a tenu tête seul à cinq adolescents plus grands que lui pour défendre ses camarades. Il ne devrait pas être puni, il devrait être récompensé pour cet acte de bravoure.

Les trois camarades en question avaient comme une impression de déjà vu. Cette vidéo était l'atout caché dans la manche de Jong-goo. Il savait qu'à partir du moment où Yerin serait impliquée, la partie serait gagnée pour lui. Exposés devant le principal lui-même, à un moment aussi crucial, ses adversaires n'avaient rien à dire pour leur défense. Non seulement ils avaient les images, mais ils avaient également le son. Et on les entendait très clairement menacer Yerin et Min-jun pour leur extorquer de l'argent.

— C'est moi qui vais porter plainte, déclara Mme Kim en prenant un air courroucé. Le tribunal pour mineurs se chargera de leur cas.

— Allez-y ! répliqua la mère de Kang-ho. Mais ils ne seront pas les seuls à être jugés. S'ils doivent être punis, ce garçon le sera aussi !

Le principal se racla la gorge.

— Ce n'est peut-être pas la peine d'aller jusque-là...

Le pas de vague avait le vent en poupe. Impliquer la justice pour une affaire aussi triviale nuirait à la réputation de leur établissement. Il était préférable de convaincre les parents de trouver un accord à l'amiable.

— Nos élèves sont encore jeunes, ils font des erreurs, et ils doivent apprendre de ces erreurs. Et c'est à nous, corps enseignant, de nous en assurer. Les livrer à la justice est une sanction trop sévère. À la place, nous proposons une semaine d'exclusion-inclusion. Ils devront venir à l'école, mais ils feront des travaux d'intérêt général, tous les trois ensemble. Cela comprend le service à la cafétéria, le nettoyage des locaux et l'aide à l'infirmerie.

— Quoi ? protesta Tae-jun. Je ne veux pas faire un travail de pouilleux !

Son père lui asséna une violente tape derrière la tête.

— Tais-toi ! T'en as assez fait comme ça. Tu feras ce qu'on te dit.

Son fils gonfla les joues. C'était trop la honte. S'il avait su que ça finirait comme ça, il n'aurait pas dénoncé Jong-goo. Kang-ho ne semblait pas ravi non plus, mais c'était mieux que d'être expulsé et passer devant le juge. Jong-goo était le seul que cette situation arrangeait. S'il pouvait être assigné à l'infirmerie, ce serait l'occasion d'en savoir plus sur le Dr Ahn et découvrir ce qu'il cachait.

[ 10 ]

En sortant du bureau du principal, Yerin avait interpellé Min-jun.

— Je ne sais pas ce qui te prends en ce moment, mais j'aimerais bien que tu m'expliques. J'aimerais au moins savoir ce qu'on t'a fait pour que tu nous traites comme ça.

— Quand je suis avec toi et Jong-goo, j'ai toujours des emmerdes. Vous me portez la poisse. Maintenant, tout le monde va savoir que je me suis fait taper par Tae-jun et Kang-ho. Jong-goo va encore passer pour un héro, et moi pour une sous-merde incapable de me défendre. T'es contente ?

— Ce n'est pas de ta faute s'ils sont plus forts que toi.

— Tu crois que ça me fait plaisir d'être toujours celui qu'on prend en pitié ? Même toi t'as pitié de moi et tu penses que je suis faible. J'en ai marre d'être nul ! Et j'en ai marre de toi !

— Ce n'est pas vrai, je ne pense pas que tu es nul ! T'es mon ami, je ne penserais jamais ça de toi.

— Ben moi j'ai plus envie d'être ton ami. Tu me soûles.

Et comme ça, il lui avait tourné le dos. Yerin ne pouvait rien faire de plus. Que leur amitié se termine aussi bêtement lui brisait le cœur, mais elle ne pouvait pas contrôler ce qu'il ressentait. Elle espérait simplement qu'il finirait pas changer d'avis.

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Hallyu : terme d'origine chinoise signifiant « vague coréenne », qui désigne l'engouement envers les productions sud-coréennes dans plusieurs industries culturelles à partir des années 2000 : musique, bandes-dessinées, cinéma, séries télévisées, mais également cuisine, mode, etc.

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