Erzic :
Que faisait donc Rhazek sur un Taurgorn, chevauchant vers les portes de Lordal ? Allait-il tuer Elira ? Comment une telle créature pouvait-elle accorder sa confiance à cet homme ? Il n’avait ni la grandeur de cœur, ni la valeur nécessaire.
Pourtant, Erzic dut admettre que le roi de Drazyl guidait la bête légendaire avec une aisance déconcertante.
Se peut-il ? Serait-il un élu ?
La bataille contre les Taurgorn et leurs cavaliers faisait rage. Une brèche s’ouvrit devant lui. Il appela une poignée de Dralkhar et de Zarktys, laissant les autres poursuivre le combat. Ensemble, ils prirent la direction de Lordal. Ils durent abattre quelques hommes et bêtes sur leur passage, mais rien n’entrava leur avancée.
La porte principale était grande ouverte. Aucun garde ne les attendait. Étrange.
La population et le reste de l’armée n’avaient pas pu disparaître ainsi. Une colonne de fuyards aurait été repérée. Non… cela ne pouvait signifier qu’une chose : Elira.
Dans les rues pavées de pierre noire, ils ne croisèrent que quelques soldats isolés, vite réduits en cendres ou mutilés. Leur chemin de mort les mena jusqu’au sommet de la cité, où se dressait le château.
Là encore, les portes n’étaient pas closes mais enfoncées. Des empreintes gigantesques creusaient le sol de la grande salle, menant à une seconde entrée dont les battants gisaient à terre.
Erzic ordonna à ses troupes de se disperser dans le château et d’abattre quiconque croiserait leur route. Puis il suivit seul les traces qui menaient à un jardin. Sous un grand arbre, une femme aux cheveux blonds l’attendait, assise sur un banc de pierre blanche.
Aucune trace de Rhazek. Ni du Taurgorn.
— C’est donc ainsi qu’Elira Vaelmont va mourir ? demanda Erzic, un sourire aux lèvres.
— Je suis arrivée au bout du chemin. Mais mes enfants vous empêcheront de plonger cette terre dans la mort, répondit-elle calmement.
— Tes enfants ? ricana Erzic. Ton fils est devenu fou, persuadé de voir Malkar. Quant à ta fille… elle est sans doute déjà morte à l’heure qu’il est.
— Si tu veux le croire, libre à toi. Ta chute n’en sera que plus amère.
Elle porta la main à son cou. Le collier qu’il avait tant cherché brillait à la lumière.
— Ce n’est pas ta fille qui le possédait ?! s’étrangla Erzic.
— Elle me l'a rendue, une nuit où tu n'as pas été assez rapide. Longtemps j’ai cru qu’il permettait de libérer Malkar… mais j’ai fini par comprendre son véritable usage.
Le ciel s’illumina soudain de jaune. Un vent chaud souffla du nord. Erzic sourit : son dieu venait d’être libéré.
— Tu y crois encore… J’espère que tu es prête à suivre un dieu que tu as toujours haï.
— C’est toi qui t’aveugles, Erzic. Tu as trahi les tiens depuis longtemps, préférant Talharr à ton propre sang.
Elira ferma les yeux, puis murmura une prière en langue ancienne :
— Malkar, draal Dalar, zhul’kaan vel’thar.
Karesh nax’ruul. Kravash sil’raan, arak’thar vel’ruun.
Zhaal’eth kor, zhaal’shyr ven’drak !
Le mage se pétrifia en entendant ces paroles.
— Elira, non ! s’écria-t-il.
— J’espère de tout cœur que Malkar t’ouvres les yeux, mon vieil ami. Adieu.
Mais elle lui sourit avec douceur, presque avec empathie. Pourquoi ?
Le collier se brisa et disparut dans le vent, qui s’éleva en tempête. Au-dessus d’eux, un trou sombre déchira le ciel jaune. Un éclair jaillit. Erzic leva un bouclier magique, tandis qu’Elira restait immobile, des larmes perlant sur ses joues fines.
— Protège-les. Ils sont notre seul salut, dit-elle avant que la foudre noire ne la frappe.
Aucun cri, aucune odeur de chair brûlée. Devant ses yeux, le corps d’Elira se désagrégea lentement, se transformant en une nuée d’hirondelles qui s’envolèrent vers le trou noir.
Ses yeux verts le fixèrent une dernière fois, mêlant tristesse et fierté. Puis les oiseaux disparurent dans l’obscurité, qui se referma sur elle-même. Le ciel jaune recouvrit de nouveau toute la voûte.
Erzic resta figé, les bras ballants. Elira venait d’appeler Malkar à renaître. Et c’est ainsi que cela s’était produit.
Avait-elle eu raison depuis le début ? Rhazek avait-il retrouvé la mémoire ? Était-il parti avec le Taurgorn pour rejoindre sa sœur ?
Pour la première fois depuis des années, Erzic ne comprenait plus. Il était perdu.
Alors une voix colossale, sombre et implacable, tonna à travers le ciel et fit trembler la terre :
— Soumettez-vous… ou mourrez !
Erzic baissa les yeux, l’esprit vacillant.
Que dois-je faire ? Ce monde doit changer.
La vérité me sera-t-elle montrée ?