Chapitre 60 : Mariam – Sa Majesté

Une grande porte ouverte donna sur une immense salle à peine remplie. Une dizaine de Vampires y jouait avec des poupées vivantes, hommes ou femmes, jeunes ou vieux, africains ou asiatiques, la diversité ne manquait pas. Au fond de la pièce, un trône sur lequel un Vampire bailla ostensiblement. Dracula s’arrêta à quelques pas devant. Mariam fit de même. Elle ne comprenait pas. Dracula semblait sur le point de pleurer. De joie, de peine, de rage, de dégoût ? Mariam aurait été incapable de le dire.

- Vous désirez ? demanda l’homme sur le trône.

À ce moment-là, une dizaine de femmes en noir apparurent, encerclant les deux intrus.

- Intrusion, Majesté. Ils ne sont pas censés être là, indiqua une femme.

Mariam regarda la façon dont Dracula scrutait le roi et elle rit nerveusement.

- Putain, c’est bien joué, grogna-t-elle.

- Quoi donc ? dit une des femmes en noir.

- J’admets que le plan est bien monté. Il avait tout prévu. Je m’incline. Respect, dit-elle à l’attention du roi.

- Je m’en charge, dit une femme en noir qui venait d’apparaître. Excuse-moi du dérangement.

Alors que des femmes en noir attrapaient Dracula qui se laissait faire, Mariam lança :

- Chris, tu vas les laisser faire du mal à ton petit ?

Le roi hoqueta avant de transpercer Dracula des yeux.

- Tu es bien mal informée, grogna une femme en noir. Chris n’a pas eu de petit depuis…

- Toi ? supposa Mariam et à la moue de son interlocutrice, elle sut qu’elle avait eu raison de parier que la dernière arrivée était Malika. Raté. Il a engendré après toi, pas longtemps d’ailleurs. Dracula ! Il n’a jamais cherché à te faire du tort. Il voulait se protéger.

- Se protéger ? répéta Dracula, perdu. De qui ?

- D’elle ! s’écria Mariam en désignant Malika. Que se serait-il passé si l’un des Aars s’était rendu compte de ton existence et t’avait interrogé ? Qui aurais-tu désigné comme créateur ?

Dracula fronça les sourcils.

- Ses pouvoirs auraient été sans effet contre ça parce que tu aurais répondu sincèrement. Tu le croyais vraiment. Cela le dédouanait.

- Tu as engendré et tu ne me l’as pas dit ? s’étrangla Malika à l’adresse du roi.

- Voilà une critique fort malvenue, siffla Chris. T’ai-je fait le moindre reproche lorsque tes filles et toi êtes venues me trouver ? Tu as choisi de ne pas suivre les ordres de Paul. Je les ai ignorés une fois. Nous sommes quittes.

- Tu ne m’as pas fait assez confiance pour me le dire, sanglota Malika.

- Je n’ai pas de compte à te rendre, Mal, gronda Chris.

La prêtresse du mal se renfrogna, le dos voûté. Elle venait de se prendre un coup de poing virtuel en plein cœur. Mariam la jugea mal en point.

- Imhotep ! murmura Chris en se levant.

Mariam se poussa afin de libérer le chemin entre le roi et son petit. Les prêtresses du mal lâchèrent le prisonnier et se reculèrent d’un pas.

- Tu as survécu ! chuchota Chris. Je n’en reviens pas !

- Tu aurais pu me trouver n’importe quand via le lien ! Pourquoi m’avoir laissé seul ? critiqua Dracula.

- Il est en agapè avec Malika, rappela Mariam. Il ne peut pas se connecter avec ses émotions pour te trouver.

Dracula se tourna vers Mariam et valida d’un hochement de tête.

- Agapè ? dit Chris en fronçant les sourcils. Je ne connais pas ce mot. Que signifie-t-il ?

- C’est un terme grec, dit une des femmes en noir. C’est l’une des quatre formes d’amour. Agapè, c’est l’amour inconditionnel…

- Sine condicione ? s’étrangla Chris. Comment peux-tu en connaître l’existence ?

Mariam ne fut pas surprise que les Aars lui aient donné un nom. Latin ou grec, cela se valait.

- Il l’a vécu, encore, et encore, et encore, annonça Mariam alors que Dracula restait muet.

- Quoi ? s’exclama Chris. Mais non ! Cela prend des centaines de milliers d’années avant de se produire !

- Sauf quand on pense avoir été crée par un dieu, apparemment, siffla Mariam qui n’appréciait pas du tout de voir son créateur aussi torturé.

- Tu dois devenir créateur ! s’écria Chris. Cela le fera partir.

- Si tu connais la solution, c’est que tu l’as mise en œuvre, accusa Dracula.

- Les prêtresses du mal sont mes petites depuis bien longtemps ! assura Chris en souriant.

- Tu aurais pu me chercher, insista Dracula.

- Je te croyais mort. Je n’ai pas imaginé un seul instant que tu me reviendrais ! Je suis tellement heureux !

- Tu l’aimes plus que moi, s’étrangla Malika.

Mariam ricana. Encore une qui confondait Eros et Storgé.

- Avec toi, c’est différent. Je ne ressens pas ce lien, gronda Chris. Imhotep, je veux rattraper le temps perdu et tout te montrer. Deviens créateur fera partir ta peine. Ensuite, nous pourrons…

- Je suis déjà devenu créateur. Mariam est ma petite, précisa Dracula en désignant la jeune femme de la main.

- Excellent ! assura Chris. Je suis rassuré de te savoir libéré de cette horreur. Vous êtes les bienvenus au palais. Viens, suis-moi et laisse ta petite découvrir la joie de vivre ici.

- Je préfère autant ne pas la laisser seule. Je veux la former.

- La former ?

Chris se tourna vers Mariam.

- Elle n’est pas au contrôle ?

- Difficile en moins d’une journée, répliqua Dracula.

Le visage de Chris se fit dur. Toute ride de sourire disparut.

- Ce boulet t’empêchera d’avancer correctement. Mieux vaut t’en séparer pour en faire un autre quand notre relation se sera renforcée.

Mariam vit le roi bouger mais il fut si rapide. Elle sentit la main se poser entre les poumons sans pouvoir esquiver. Elle se sut morte. Le roi venait de la condamner à mort, juste parce qu’elle encombrait.

- Non ! cria Dracula.

La main s’arrêta se bouger. Les doigts du roi effleuraient sa peau. Mariam tremblait, les lèvres chevrotant, le cœur palpitant, la respiration coupée.

- Je tiens à elle. Je l’ai choisie et elle m’a choisi. S’il te plaît, ne la tue pas, supplia Dracula, les mains en avant, paumes vers le roi.

Mariam observait la main du roi sur sa poitrine et gémit. Mariam plongea son regard dans celui de son créateur et son visage se couvrit de larmes.

- Elle m’a libérée de ma douleur. C’est grâce à elle que je suis devant toi maintenant. Sans elle, je serais toujours plongé en pleine détresse au fond d’un château paumé au bout du monde, la défendit Dracula. Permets-lui de vivre. Je l’aime comme ma fille. C’était déjà le cas avant sa transformation mais maintenant, c’est encore pire.

Pour toute réponse, Chris grogna. Le bruit rauque résonna dans l’immense salle presque vide de meuble. En temps normal, Mariam aurait sautillé de joie en entendant Dracula prononcer ces mots. Elle ne put que pleurer, les doigts du roi toujours en contact avec son épiderme. La mort allait frapper et elle n’était pas en mesure de la contrer.

Le miracle se fit. Le roi s’écarta.

- À genoux, ordonna-t-il et Mariam obtempéra sans attendre. Tu iras à l’école.

- L’école ? répéta Mariam. Celle créée par Stiny et dans laquelle il n’enverrait pas ses propres petits ?

- Ne te mets pas entre mon petit et moi ! gronda Chris.

Mariam ferma la bouche mais continua à envoyer un regard noir à Chris. Cette école, elle n’en voulait pas. Les professeurs n’étaient que des baby-sitter attendant que les élèves se lassent et réclament la mort comme libération.

- Elle ne peut pas y aller, intervint Malika.

- Vous avez tous décidé de me faire chier ? s’énerva Chris.

- Elle sait que tu existes. Elle sait ce que tu es. Elle a constaté la présence d’avertis au palais. Elle en sait trop, en conclut Malika. Je suis en charge de la sécurité et cette Vampire est une menace bien trop grande.

- Je ne veux pas aller à l’école. Je veux rester auprès de mon créateur, indiqua Mariam.

- Tu iras à l’école, intervint Dracula.

- C’est ce que tu veux ? demanda Mariam.

- Non, précisa-t-il en s’avançant vers elle.

Il s’accroupit devant elle et lui prit le visage dans les mains. Elle savoura le contact chaud sur ses joues trempées.

- C’est ce que les circonstances exigent. Je reviendrai vers toi, promit-il. J’ai besoin de découvrir mes origines pour t’offrir le meilleur de moi-même. Mon monde vient de s’écrouler, brisé en mille morceaux. Comprends-moi, ma fille, je t’en prie. Je ne t’abandonne pas.

Mariam gémit, les lèvres tremblantes, les larmes perlant de nouveau.

- Je vais me trouver et je reviendrai te chercher. En attendant, essaye d’en apprendre le plus possible mais je te promets de terminer ton apprentissage moi-même.

- Tu veux que j’aille dans cette école ? insista Mariam.

- Oui, dit Dracula.

- Alors j’irai, se résigna Mariam.

- C’est trop dangereux, répéta Malika tandis que Dracula se relevait et se reculait d’un pas.

- Je ne dirai rien à Gilles. Je ne dévoilerai rien, promit Mariam.

- Elle dit la vérité, indiqua une prêtresse du mal.

- Elle souhaite honnêtement ne pas nous trahir, en effet, grogna Malika. Cela ne prouve rien quant à ses actes futurs. On ne la connaît pas. Elle pourrait tout aussi bien retourner sa veste demain.

- Comment puis-je vous prouver ma loyauté ? demanda Mariam en regardant Chris dans les yeux.

- Pourquoi me serais-tu loyal ? répliqua Chris.

- Nous étions venus pour vous délivrer de Malika. Je pensais qu’elle vous tenait prisonnier et nous comptions lutter contre les prêtresses du mal pour vous ! aboya Mariam avant de tipper.

Elle secoua la tête en grimaçant. Elle vit Chris lever la tête vers une prêtresse du mal.

- Elle dit la vérité, confirma-t-elle entre les dents.

- À deux contre des centaines, c’était vraiment très con, lança Chris avant de rire.

Cela n’amusa que lui. Il n’en eut cure. Avec un grand sourire, il lança :

- Shaël ! Amène-moi de la nourriture !

- Bien, père, répondit la prêtresse du mal concernée.

Elle disparut pour revenir avec une humaine, une brune banale. Lorsqu’elle vit Chris, ses yeux s’illuminèrent.

- Que puis-je pour vous, Majesté ? dit-elle d’une voix humble.

- Ferme ta gueule, répondit méchamment Chris et la femme se tut en souriant, apparemment ravie d’avoir reçu un ordre à suivre.

Mariam secoua la tête avant de décider de laisser tomber.

- Les mots s’envolent, dit Chris. Seuls les actes comptent. Tu vas me prouver ta loyauté.

Mariam hocha la tête. Quelque soit l’épreuve, elle comptait bien la réussir. Chris était le premier Vampire. Il était le créateur de son créateur. Il contrôlait les prêtresses du mal. Il dirigeait le cercle des Aars, en douceur, sans s’opposer à Paul qui pensait diriger. Il échangeait avec les avertis à travers Malika afin d’éviter une guerre qui ne ferait que du mal à tout le monde. Mariam le respectait énormément. Jamais elle ne suivrait Gilles. Chris représentait à ses yeux le dirigeant idéal.

Chris se déplaça pour se mettre dans le dos de Mariam. Elle garda le regard fixé devant elle, sur Dracula. Quoi qu’il veuille faire, il le ferait. Mariam ne comptait pas l’en empêcher.

- Malika, bulle de sécurité, ordonna Chris.

La femme en noire sortit un appareil de sa poche et appuya sur un bouton avant de hocher la tête.

- Je vais faire quelque chose puis te donner un ordre, indiqua Chris. Ce quelque chose, tu peux t’y opposer, je m’en fous. L’ordre suivant n’acceptera aucune discussion, aucun refus. C’est en obéissant à cet ordre que tu me prouveras ta loyauté. Est-ce clair ?

- Oui, Majesté, dit Mariam.

La respiration calme, elle attendit sereinement, plissant les paupières, ses yeux bougeant en tout sens. L’instant d’après fut un déluge de terreur. Sentir les crocs du roi pénétrer sa gorge et boire son sang la plongea dans un torrent d’angoisse et d’horreur.

Elle était censée être le prédateur, pas la proie et pourtant, le roi venait de la réduire au rang d’une simple gazelle. Mariam se sentit humiliée, rabaissée, méprisée. Dans le regard de Dracula, elle lut sa stupéfaction mais également le même dégoût. Ceci n’aurait pas dû se produire. Il y avait quelque chose d’anormal, de décalé, d’insupportable dans cet acte.

Les dents se retirèrent, laissant Mariam chancelante. La minuscule blessure se referma mais la jeune Vampire, presque intégralement vidée de son sang, ressentit intensément la présence de l’humaine dans les bras de Shaël.

Elle leva les yeux sur la belle, avide de son sang. Comme elle sentait bon ! Une pure merveille à portée de main !

- Pas bouger, ordonna Chris.

Mariam se figea. Il avait dit d’obéir à cet ordre. C’était son test. Après l’avoir humiliée, il l’obligeait à se soumettre. Il vérifiait sa loyauté par des actes. Mariam resta immobile. Ses dents sorties, elle attendit, luttant contre la faim dévorante qui la consumait.

La brune portait une robe en chanvre ne dévoilant pas grand-chose de son corps. Elle porta son index à sa bouche, mâchouilla l’ongle avant de le laisser tomber. Elle entortilla ses cheveux, envoyant des odeurs de vanille vers Mariam.

Chris ne lâchait pas Mariam des yeux. La jeune Vampire respirait, comme si l’oxygène la nourrissait. Ce geste faisait venir à elle les flagrances de cette nourriture si proche et en même temps inaccessible. Mariam tremblait, luttant difficilement contre cette envie instinctive, bestiale, naturelle.

Quand cesserait cette torture ? Mariam constata que Dracula tremblait. Elle fut peinée de le voir ainsi. Elle détestait le voir malheureux. Malgré la souffrance de la faim qui la tenaillait, elle trouva la force de lui sourire. Dans son regard, elle lut sa supplique. « Survis ! » réclamait-il. Mariam sourit de plus belle avant de se plier en deux de douleur. Retenir sa soif intense devenait vraiment ardu. Une main au sol, elle haletait. La bouche ouverte, elle ne rêvait que de planter ses crocs dans la gorge de la belle offerte.

Elle observa le sol, plancher de chêne d’excellente qualité. Elle allait mourir ici, salissant ce parquet vernis de sa poussière. Elle ne lutta pas. Chris décidait. S’il la voulait morte, c’était son droit. Elle rentra ses dents, acceptant la sentence du roi. Elle ne se nourrirait pas. La belle n’était pas pour elle. Elle boirait la proie de sa propre chasse. Pourquoi aurait-elle droit à celle-ci ? Shaël avait chassé pour le roi, pas pour elle. Qui était-elle pour oser réclamer sa part ?

- Je te permets de te nourrir, indiqua Chris en désignant la femme de la main.

Mariam leva un regard apeuré vers le roi. Elle n’osa pas bouger. D’un sourire chaleureux accompagné d’un léger hochement de tête, il la convainquit. Très prudemment, Mariam s’approcha de l’humaine. Celle-ci n’en conclut rien. Elle resta neutre, sereine, stoïque.

Mariam enfonça ses dents dans la carotide offerte et but, ressentant une satisfaction jamais égalée. Ça ou le sexe ? C’était ça, carrément !

- Stop ! ordonna Chris.

Instantanément, Mariam retira ses dents de la gorge offerte en tremblant. Tout son être crevait d’envie de poursuivre, de finir ce qu’il avait commencé, de se repaître de cette vie fragile. Mariam rentra ses dents et se remit à genoux devant le roi.

- Merci, Majesté, dit Mariam, le corps secoué de tremblements.

- Amenez-la à l’école, lança Chris avant de sortir de la salle du trône, bras dessus dessous avec Dracula.

Mariam le regarda s’éloigner puis disparaître. Il avait retrouvé son créateur, option inespérée. Elle venait de perdre le sien. Elle se sentit vide. Elle suivit les prêtresses du mal. Le trajet resta dans sa mémoire parfaite mais sa conscience n’y porta aucune attention.

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