Chapitre 62 : Elian – Indépendance

Elian s’écarta de Ceïlan, léchant ses lèvres encore pleines du baiser délicieux.

- Je souhaite que Tharsis vienne me voir, annonça-t-elle.

Ceïlan se raidit. Il s’était visiblement attendu à bien plus qu’un simple baiser.

- Il y a plus urgent, précisa Elian. Nous ferons cela après.

- Tu as le droit de fêter l’évènement, répliqua Ceïlan, un peu boudeur.

- Non. Le temps presse.

Ceïlan ne cacha pas son incompréhension. Dolandar ayant passé l’appel, l’elfe noir arriva rapidement, l’intégralité des habitants d’Adesis se trouvant là.

- J’ai besoin que le corps de Narhem se conserve quelques temps. Fais le nécessaire, ordonna Elian à celui qu’elle savait faire partie de la caste des embaumeurs.

- Pourquoi prendre soin de son cadavre ? interrogea Ceïlan.

- Parce qu’il est censé être immortel. Les humains doivent voir son cadavre sans quoi ils l’attendront. Il lui est souvent arrivé de partir pendant très longtemps avant de réapparaître sans crier gare. Sa mort doit être annoncée officiellement et ils ne le croiront que s’ils le voient. Falathon s’en remettra. Katherine a les capacités pour être une bonne reine. Elle a eu de nombreux enfants. La succession est assurée. Quant à Eoxit, il se passe de Narhem depuis bien longtemps. Ils savent faire sans lui. Je ne pense pas que sa mort va changer grand-chose. Je veux juste qu’ils sachent. Saelim ?

L’elfe noir apparut. Elian se doutait qu’il n’était pas loin.

- Dès que le corps de Narhem sera prêt pour être transporté, je partirai pour Tur-Anion. Je veux être escortée d’elfes de toutes origines et de tous sexes. Je veux en mettre plein la vue aux falathens. Je veux des Tewagi armés affichant le métal noir à leur ceinture. Je veux des archers elfes des bois aux arcs montés et prêts à l’emploi – même si c’est une hérésie.

Saelim sourit.

- Je veux des vêtements parfaits, un ensemble harmonieux qui avance comme une seule entité.

- Tu veux leur faire peur, comprit Dolandar.

Elian hocha la tête en souriant.

- Nous n’entrerons pas dans Tur-Anion. Katherine va devoir bouger son cul, pour une fois. Nous camperons le temps qu’elle arrive. Chaque elfe des bois portera à sa ceinture plusieurs bâtonnets de lyma qu’ils consommeront de manière visible dès l’attente commencée sous les murailles de Tur-Anion, juste hors de portée des flèches.

- Tu veux leur rappeler ce qu’ils perdent, sourit Dolandar.

- Les elfes noirs emporteront de la viande séchée : canard, porc, poulet, peu m’importe. Je veux qu’ils constatent que nous avons à manger et que nous nous portons à merveille.

- À tes ordres, Majesté.

Saelim attendit un instant, sourit pleinement puis disparut derrière un arbre.

- Quel bonheur de ne plus t’entendre lui rétorquer que tu n’es pas sa reine, fit remarquer Dolandar.

Elian sourit.

- Ton sourire est également de retour, lança Dolandar.

Elian resta silencieuse. Elle se sentait mieux. Le poids sur ses épaules venait de s’alléger. Il disparaîtrait totalement après sa visite à Tur-Anion.

- C’est Kry’yl qui va être contente de retrouver Theorlingas, lança Ceïlan et Elian rit.

La reine lança un appel sourd et quelques instants plus tard, l’elfe noir requis apparaissait.

- Majesté ? lança Vlad’R.

- Tu ne feras pas partie de l’escorte qui m’accompagnera à Tur-Anion.

- Ah bon ? répondit Vlad’R visiblement très surpris.

Le connaissant, il avait probablement déjà indiqué sa volonté d’en être à Saelim.

- Tous les yeux humains seront tournés vers la plaine. Les soldats viendront protéger leur reine. Le palais y perdra en surveillance.

- Probablement, soutint Vlad’R.

- Tu en profiteras pour te rendre au sanctuaire de Narhem. La priorité est de voler les trois cartes : d’Eoxit, de Falathon et d’Adesis. La mission secondaire est de chercher les cartes de la Trolie et de L’Jor. Je suis certaine qu’il les a dessinées également. Vole-les. Prends en soin. Ce sont des véritables trésors.

Vlad’R hocha la tête.

- Les falathens ne vont pas apprécier, fit remarquer Dolandar.

- J’ai dans l’idée que personne d’autre que Narhem n’est jamais entré dans cette pièce. Nul ne connaît son contenu. Quelques objets en moins ne se verront pas. De plus, je m’en fous de me les mettre à dos. Leur montrer qu’ils ne sont pas intouchables me convient parfaitement.

- Je préférerais qu’ils ne remarquent rien, insista Dolandar.

- Je ferai en sorte de masquer notre passage, de ne pas laisser de trou visible, indiqua Vlad’R.

- Une fois les missions prioritaires et secondaires achevées, continua Elian, prends tout ce que tu peux, n’importe quoi où tu as pu te dire ces dernières années « ce truc est super mais trop long à recopier » ou n’importe quelle autre raison.

- Je vais devoir amener énormément de gens !

- Autant que tu veux… en discrétion, précisa Elian.

Vlad’R sourit, s’inclina puis s’éloigna en courant. Il allait devoir faire vite.

- Je peux t’accompagner ? interrogea Kry’yl en apparaissant.

- Bien sûr ! approuva Elian.

- Moi aussi ? demanda Theïlia.

- Oui, évidemment ! Plus nous serons nombreux, mieux ce sera, acquiesça Elian.

- Je viens avec toi, annonça Yaya et elle ne parlait pas à Elian.

Dolandar soupira en souriant. Ce voyage promettait d’être tumultueux.

- Ceïlan, Theorlingas ?

Les deux elfes se présentèrent devant elle.

- Vous restez là, annonça-t-elle et ils hochèrent la tête. À mon retour, je veux qu’Adesis court jusqu’au fleuve Vehtë. Plus de bande de terre sombre entre Falathon et nous. Au crépuscule, le désert noir. À l’aube, des arbres immenses. Ne lésinez pas sur les moyens, quitte à mettre en pause le sud le temps de faire ça. Saelim ?

L’elfe noir qui était revenu près de la reine après être allé donner ses ordres, s’avança.

- Tu m’accompagneras à Tur-Anion mais avant que nous partions, tu donneras tes ordres. Je veux que la rive sud du fleuve Vehtë soit surveillée. Tout humain qui pose un pied sur Adesis devra être exécuté sans sommation et son corps exhibé pour l’exemple.

- Bien, Majesté, répondit Saelim.

Maintenant, Elian pouvait partir pour Falathon.

 

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- Je tiens à faire une précision, lança Elian alors que Tur-Anion se dessinait à l’horizon.

La centaine d’elfes de toutes origines et de tous sexes s’arrêta.

- Je m’adresse aux elfes des bois : les humains ne sont pas nos alliés. Je ne veux pas voir un sourire, un clin d’œil ou un seul geste aguicheur.

Les elfes des bois grimacèrent.

- Je sais que les humains sont sympas et agréables mais ce n’est ni l’heure, ni le lieu. Contenez-vous.

Les elfes des bois firent la moue tout en hochant la tête, boudant comme des gamins à qui leur mère venait de refuser un sorbet à la fraise.

- Les elfes noirs maintenant : les humains ne sont pas nos ennemis. On ne les agresse pas. On ne dégaine pas en premier. On n’insulte pas. On se montre digne, fier et c’est tout.

Les elfes noirs grimacèrent. Ils avaient envie de prendre leur revanche mais hochèrent la tête en soupirant.

- Le groupe entier maintenant : je veux leur en mettre plein la vue alors je veux un groupe cohérent, avançant d’un seul pas, parlant d’une même voix. Dès que j’ordonnerai l’arrêt à distance raisonnable des murailles, vous garderez vos positions. Vous pourrez discuter avec vos voisins, manger, boire, mais en restant debout. Vous cesserez toutes ces activités à l’instant où les humains s’approcheront. Est-ce clair ?

L’escorte hocha la tête.

- Je ne le sens pas, murmura Elian.

- Ils y arriveront, la rassura Dolandar.

- Une telle union est nouvelle, rappela Elian.

- Ils y arriveront, répéta Dolandar confiant.

De fait, le résultat fut plutôt bon. Les soldats humains sortirent de Tur-Anion et se placèrent entre les elfes et la capitale de Falathon en ordre et en discipline mais également en nombre.

- Il semblerait que tu aies réussi à leur faire peur, annonça Dolandar.

- Nous ne sommes qu’une centaine, répliqua Elian. Ils surréagissent.

- Nous les agressons. Logique qu’ils se montrent prudents.

Elian resta concentrée. La rencontre avec Katherine ne tarderait plus. Plusieurs voitures apparurent desquelles descendirent de nombreux nobles, la reine de Falathon se montrant en dernier.

- Que la lune et le soleil guident tes pas, Elian, salua froidement Katherine.

Elle observa partout autour d’elle.

- Je ne comprends pas. Narhem est parti te rejoindre. Il t’a ratée ?

- Non, indiqua Elian en ruyem, omettant volontairement de la saluer. Narhem m’a trouvée. Nous avons enfin terminé le duel qui nous liait. Je suis maintenant reine des elfes noirs.

Elian fit un geste et des elfes non armés s’avancèrent. Les gardes humains se crispèrent mais se calmèrent en constatant l’absence de menace.

Les elfes déposèrent devant Katherine une civière recouverte d’un linge de soie elfique teint en noir. La reine humaine observa le cadeau, refusant clairement d’y croire. Elle avait compris, bien sûr, mais son esprit ne pouvait l’envisager. Narhem était immortel. Une telle chose était impossible.

Katherine souleva le linceul. Dès qu’elle vit le visage grave et sans vie de Narhem, elle lâcha le drap, resta un instant tétanisée puis toucha le corps en tremblant.

- Narhem Ibn Saïd est mort, annonça Elian en ruyem d’une voix forte.

Katherine leva sur Elian des yeux mouillés de larmes.

- Plus aucun elfe ne demeure à Irin. Nous rendons leurs terres aux falathens, nous libérant ainsi de toute obligation à leur égard. Nous les remercions pour ce prêt ayant permis notre survie à un moment où nous en avions grand besoin. Nous réclamons nôtres les terres au sud du fleuve Vehtë. Si un seul humain venait à y poser un pied, il serait abattu sans sommation.

Des murmures parcoururent l’assemblée.

- Que ton règne soit long, Katherine Eldwen de Baladon, dit Elian avant de prendre le chemin du retour, son escorte lui emboîtant le pas sous les regards ahuris des quelques nobles témoins.

- Je crois que tu as réussi à leur en mettre plein la vue, lança Dolandar en souriant.

- Je crois aussi. Maintenant, nous pouvons faire la fête.

Dolandar hocha la tête, le visage rayonnant de joie. Adesis rayonna de chants et de danses, Elian retrouvant enfin sa joie de vivre. Theorlingas reprit vie en même temps qu’elle, ravissant toutes les femmes d’Irin ou de Dalak.

 

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- Que tes nuits soient sombres, Majesté.

- Que tes nuits soient sombres, chef de la caste des sauveteurs.

Shaïmar sourit.

- Tu es en avance pour ton rapport, remarqua Elian.

- Tous les sauveteurs sont revenus à Adesis, annonça-t-il.

- Pourquoi ?

- Les traqueurs se sont faits attaquer, tous, dans tout le pays, violemment, par tout le monde. La plupart des msumbis sont morts. Les kwanzas se sont fait exterminer. Les eoxans détestent la magie.

- Quelles pertes de notre côté ?

- Aucune, la rassura Shaïmar. Nous n’étions que tolérés. Aucun sauveteur ne mangeait, ne dormait, ne vivait avec les traqueurs. À part, invisibles, ils n’ont pas été inquiétés. La plupart s’en veulent d’avoir fui sans même avoir tenté de sauver les humains. Vu leurs rapports, je trouve qu’ils ont bien fait. Le soulèvement a été brutal, imprévisible et d’une violence inouïe.

- Je vais aller les trouver, annonça Elian. Réunis-les sous la hutte principale de Dalak. Comment va ma fille ?

- Elle est de retour à Adesis, la rassura Shaïmar. Elle réclame sans cesse la date de retour à l’action.

Elian sourit. Telle mère, telle fille.

À Dalak, Elian remercia les sauveteurs pour leur excellent travail, s’enthousiasma que malgré les circonstances, ils soient tous revenus vivants et leur renouvela toute sa confiance et son admiration. Ils repartirent gonflés à bloc et Shaïmar la remercia.

- Ils sont prêts à repartir, annonça Shaïmar.

- Qu’ils prennent un peu de repos avant, proposa Elian. Laissons la violence se tasser dans le nord.

- Je pensais envoyer des espions, pas des combattants, indiqua Shaïmar, afin d’essayer de comprendre.

- De comprendre quoi ? interrogea Elian.

- La raison de ce soulèvement brutal et généralisé contre les traqueurs !

- C’était malheureusement prévisible et je m’en veux de ne pas l’avoir anticipé, maugréa Elian tandis que Dolandar et Shaïmar ouvraient de grands yeux ronds. Vous ne pouvez pas comprendre. Narhem ne gouvernait pas à Eoxit. Il l’avait fait, par le passé, mais les années passant, une fois les lois en place, il s’est éloigné du pouvoir, ne s’en approchant que rarement et par petites touches. Le fait qu’il ait fait appel aux msumbis pour libérer les elfes prouve qu’il était en désaccord avec les dirigeants d’Eoxit sans quoi il aurait pris les milices régulières.

- Sa mort a libéré les dirigeants du poids du démon, comprit Dolandar.

- Seule sa présence lointaine mais au combien inquiétante les tenait en respect. Nous venons de permettre à des millions d’eoxans de s’en donner à cœur joie. Cela aura au moins un côté positif.

Les deux elfes levèrent des sourcils surpris.

- Les activités d’esclavage vont devenir visibles et se tenir au grand jour, rendant nos recherches plus faciles.

- Ils se protégeront encore davantage, maugréa Shaïmar.

- Sans nul doute, confirma Elian. J’ai dit un côté positif. Des côtés négatifs, j’en vois des tonnes.

Les deux elfes devant la reine hochèrent lourdement la tête.

- Je vais monter des équipes solides, indiqua Shaïmar.

- Qu’ils soient prudents. Les règles risquent d’être très différentes à Eoxit concernant les elfes maintenant.

Shaïmar hocha la tête, s’inclina respectueusement puis s’éloigna. Elian discuta un peu avec Yarayé avant de la laisser repartir vers le danger, la boule au ventre.

 

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Un chant sourd prévint Elian que sa présence était requise à Origine. Bintou souhaitait lui parler. Que la magicienne ait pris soin de rester en dehors d’Adesis plut énormément à Elian. Elle avait choisi le village sur le fleuve, endroit neutre s’il en était. Venait-elle l’informer que de nombreux kwanzas étaient morts alors qu’ils aidaient les traqueurs à sauver des elfes des bois ? Si elle voulait une contrepartie, elle pouvait toujours courir. Elian ne lui avait rien demandé, après tout.

Elian s’y rendit pour découvrir la magicienne flanquée d’un elfe noir que la reine ne connaissait pas. Son attitude hautaine et supérieure lui déplut immédiatement. Il portait des vêtements étranges. Elian n’avait jamais vu aucun elfe noir porter de tels atours. D’excellente qualité, sans trou ni déchirement, ils semblaient neufs sans être elfiques. Du cuir et du tissu, rien de plus. Où Bintou l’avait-elle déniché ? Avait-elle trouvé d’autres survivants, là haut, dans le nord ? Était-ce cela dont elle venait s’entretenir avec elle ?

- Bonjour, Bintou, lança Elian en ruyem.

- Que la lune et le soleil guident tes pas, Elian, reine des elfes des bois.

Depuis quand Bintou maniait-elle le lambë ? Elian avait eu raison de se méfier. La magicienne cachait de fantastiques ressources.

- Reine des elfes, la corrigea Dolandar.

- Super, tu viens de l’insulter dès ta première phrase, maugréa l’elfe noir en amhric, parlant à Bintou d’un ton sec et amer sans même prendre la peine de saluer la reine devant lui.

Elian en fut sans voix. Une telle incorrection la dépassait. Bintou ignora l’intervention, son visage se couvrant d’un immense sourire en comprenant les implications des mots prononcés par Dolandar.

- Reine des elfes ? s’écria Bintou qui sautillait comme une gamine. Tu veux dire que… Tu as réussi ? Tu l’as tué ?

Elian acquiesça. Elle aurait pu sourire si l’elfe noir ne fusillait pas Bintou des yeux.

- Quel bonheur ! continua Bintou. Comment as-tu fait ?

- Que la lune et le soleil guident tes pas, Elian, reine des elfes, lança l’elfe noir.

« Trop tard et il intervient en pleine discussion » pensa Elian, abasourdie par une telle impolitesse.

- Que tes nuits soient sombres, répondit froidement Elian en amhric.

Elle ne pouvait même pas l’appeler par son nom, ce dernier n’ayant même pas pris la peine de se présenter. Elian n’avait aucune envie de lui adresser davantage la parole. Elle se tourna donc vers Bintou.

- Mes sauveteurs sont venus me prévenir des évènements en cours là-haut. Ils n’ont en revanche pas su estimer les pertes tant du côté des traqueurs que des kwanzas venus leur prêter main forte ces derniers temps.

- Quelques uns ont survécu, annonça Bintou. J’ai perdu une vingtaine des miens. Les eoxans n’aiment pas la magie.

- J’en suis désolée. Vous avez sauvé tellement des miens en quelques lunes seulement et voilà ce que je vous offre en retour.

- Ce n’est pas ta faute, répliqua Bintou.

- Si, totalement, la contra Elian.

Bintou ne cachait pas son incompréhension.

- J’ai crée ce désastre en tuant Narhem. Soyez certains que je ne m’attendais pas à une telle conséquence, sans quoi je vous aurais prévenu avant de le faire.

- En quoi sa mort… ?

- Son aura imprégnait Eoxit. Ses volontés étaient respectées parce qu’il était craint, démon pouvant sortir de l’ombre à tout instant pour frapper et il était impitoyable. Il tenait à bout de bras le décret contre l’esclavage des elfes. À sa mort, les eoxans ont brisé leurs chaînes.

- Ils sont venus chercher leur bien là où ils pensent qu’il se trouve : auprès des msumbis venus les libérer, intervint l’elfe noir. C’est pour ça qu’ils les torturent sauvagement avant de les tuer. Ils veulent des réponses.

- De quoi parlez-vous ? demanda Elian.

- Les gens morts dans les oasis se sont d’abord fait torturer ? s’étrangla Bintou.

- Les eoxans sont hypnotisés par les elfes. Ils pensent que les msumbis les ont gardées près d’eux après les avoir libérées. Ils ne s’imaginent pas une seule seconde qu’ils les ont laissées partir. Leur esprit ne peut pas le concevoir, indiqua l’elfe noir.

Il semblait bien au courant, davantage que Bintou. Qui était-ce ?

- Ils les traqueront sans relâche, comprit Bintou. Ils veulent retrouver leur trésor.

- Les eoxans s’en prennent à votre peuple ? interrogea Elian.

- Ils ont attaqués les oasis de manière brutale et sanglante, narra Bintou, égorgeant hommes, femmes, enfants.

Elian en fut triste pour cette femme.

- Fort heureusement, les msumbis ont une option, un lieu de repli où ils seront en sécurité… chez eux, termina l’elfe noir.

Venait-il vraiment de proposer que les msumbis rejoignent la zone protégée, celle contenant un trésor inestimable ? Comment se permettait-il de s’immiscer ainsi dans les affaires des grands ?

- Pour y parvenir, ce côté-ci du fleuve est beaucoup plus accueillant que la rive en face, tu en conviendras aisément, lança l’elfe noir en désignant les marécages d’un mouvement de tête.

Elian avait envie de le gifler. Il ne lui revenait vraiment pas. Qui était-il pour oser réclamer que des centaines de milliers d’humains viennent fouler Adesis ? Pourquoi soutenait-il les msumbis ? Pourquoi se trouvait-il de ce côté de la conversation et non de l’autre ? Était-il un traître à la solde de Narhem ? Même mort, il pouvait conserver des alliés actifs.

Elian sentit Dolandar se crisper à côté d’elle. Son père, encore plus conservateur qu’elle, ne supporterait pas de voir des humains saccager le travail minutieux des elfes. Chaque bout de terre arrachée aux terres sombres réclamait peine, souffrance, énergie, temps. Ces deux-là comptaient vraiment obtenir une dérogation ? C’était peine perdue.

Si cela n’avait tenu qu’à elle, Elian aurait accepté. Un simple visa de passage rapide pour sauver un peuple entier, cela n’était pas cher payé. De plus, ils leur seraient redevables ensuite. Enfin, les msumbis sortaient des elfes de l’esclavage depuis tant de temps ! Ils méritaient bien un retour de faveur.

- Les msumbis ne toucheront à rien, ne consommeront pas vos plantes ou vos animaux, ne boiront pas votre eau, ne feront pas de feu et ne monteront aucun camp, promit Bintou.

- Aucun humain ne peut réaliser une telle marche d’une seule traite, la contra Dolandar.

- La magie les soutiendra, assura Bintou.

- Il te reste assez de magiciens ? demanda Elian.

- Oui, largement, répondit Bintou. Grâce à toi et lui.

Lui ? Elian se tourna vers l’elfe noir. Quel était son lien avec cette affaire ?

- C’est un eoshen, un magicien elfe noir, si tu préfères, précisa Bintou.

Les eoshen étaient des magiciens ? Illya’M lui avait dit que les eoshen, sachant lire et écrire, maintenaient l’ordre et la justice à L’Jor. Il n’avait à aucun moment mentionné une compétence surnaturelle. À la connaissance de la reine, aucun elfe ne pouvait manipuler une force invisible.

- Parce qu’il existe des elfes magiciens ? s’exclama Elian.

- Évidemment ! s’écria Bintou fortement.

- Nous avons réussi à survivre au massacre, oui, annonça calmement l’eoshen. Nous aidons les msumbis à avancer.

- Pourquoi ? demanda Elian qui ne comprenait décidément pas pourquoi cet elfe noir soutenait les humains et non les siens à Adesis.

- Lorsqu’ils arriveront, ils seront suivis de près par les eoxans, continua l’eoshen.

Elian grimaça. Son interlocuteur avait sciemment décidé d’ignorer sa question. Elle le trouvait décidément bien trop imbu de lui-même.

- Tu veux dire que les eoxans vont venir… à Adesis ? s’étrangla Dolandar. Notre protection est notre discrétion.

- Plus maintenant, rétorqua Elian. Nous ne devons plus nous cacher. Nous devons montrer notre force. En nous terrant, nous montrons notre faiblesse.

- Nous ne sommes pas prêts… commença Dolandar.

- Ils ignorent notre nombre, notre force, notre puissance. L’ignorance les rend aveugles.

- Sommes-nous capables de repousser les eoxans ? Combien sont-ils ? demanda Dolandar.

- Les eoxans sont portés par un fanatisme hors du commun, expliqua l’elfe noir. La perte des elfes touche l’intégralité de la population d’Eoxit, rompant les codes habituels. Tout le monde, paysan, noble, pauvre, riche, artisan, bourgeois, jeune, vieux, s’est fait retirer une elfe. Faisant fi de leurs différences, ils se sont alliés contre leur ennemi commun : les msumbis.

- Ils sont nombreux, en conclut Dolandar.

- Mais peu entraînés et mal armés, termina Elian.

- S’ils nous trouvent maintenant, insista l’elfe noir à côté de Bintou, nous sommes en position dominante en choisissant le lieu et le moment exact. Ils pensent suivre des faibles opprimés. Tomber sur des elfes armés jusqu’aux dents et prêts à défendre leur territoire risque de les surprendre.

« Nous » répéta Elian. Il se considérait comme un membre à part entière d’Adesis. Pourtant, ils aidaient ces humains. Où donc allait sa loyauté ?

- Ils se contenteront de revenir plus tard, mieux préparés et mieux armés, répliqua Elian.

- J’en doute, répliqua l’eoshen. Narhem se vengeait. Son immense rage l’amenait à réaliser des actes ahurissants. Les eoxans n’ont pas cette colère. Ils ne veulent pas détruire Adesis. Ils veulent posséder des elfes. Pendant que vos sauveteurs libéreront des elfes à Eoxit, il y a fort à parier que des groupes d’humains viendront jusqu’à Adesis pour y subtiliser des elfes. La question est : y parviendront-ils ?

- Ils viendront de toute façon, c’est que tu dis, comprit Elian et l’eoshen hocha la tête. Leur venue est pour nous l’occasion de sortir les crocs.

- Exactement, confirma l’eoshen.

Elian comprenait très bien la situation. Il allait falloir leur faire peur et ce afin de limiter le nombre d’incursions futures sur leurs terres, même si rien ne les empêcherait jamais de venir chercher leurs trésors.

- Des archers, des Tewagi, quelques ours, des loups, des lynx, des pumas… peut-être même des lions en provenance de M'Sumbiji… Voilà de quoi effrayer les eoxans, proposa l’eoshen. Vous savez faire, sans aucun doute.

Elian ne fut en rien flattée par les propos. Elle tiqua au contraire. Il ne proposait pas son aide. Il ne lui offrait pas sa loyauté, ni ses pouvoirs. Il restait de l’autre côté. Il informait, il conseillait, se tenant à l’écart, de côté. Méfiant, il restait très prudent. Que craignait-il donc à ce point ?

Dolandar, via le canal sourd, prévint Saelim, Theorlingas, Ceïlan et Shaïmar du danger sur le point de se déverser et de la volonté de la reine de répondre par une démonstration de force inégalée. Elian se tourna vers Dolandar, souriant pour indiquer sa satisfaction.

- Lorsque les anciens passeront sur Adesis, je te les présenterai, proposa l’eoshen. Il y a fort à parier qu’ils reviendront bientôt vers toi pour négocier des traités de voisinage.

Pourquoi se permettait-il de croire que lui, un elfe noir, se ferait le relais entre les anciens de M'Sumbiji et elle ?

- Bintou me les présentera, le contra Elian d’un ton mordant. C’est normal que la Mtawala s’en charge.

Elle transperça l’eoshen des yeux, son regard le brûlant. Comment osait-il se considérer comme l’égal d’une reine ?

- Acceptes-tu le passage des msumbis sur Adesis ? insista-t-il.

Qu’il ne lui offre pas sa loyauté lui passait déjà en travers de la gorge mais qu’il s’exprime au nom des humains en lieu et place de Bintou, cela la révoltait carrément. Son irrespect lui donnait la nausée. Elian choisit donc de l’ignorer avant de se tourner ostensiblement vers Bintou.

- Acceptes-tu le passage des msumbis sur Adesis ? demanda la Mtawala.

- Oui, selon les conditions énoncées précédemment, à savoir aucun arrêt et pas de contact avec la faune et la flore d’Adesis.

- Je te remercie profondément, annonça Bintou. Je te présenterai les anciens dès qu’ils seront là et nous reviendrons vers toi dès que nous serons suffisamment installés.

- C’est avec grand plaisir que je discuterai avec vous, assura Elian avant de saluer d’un simple hochement de tête Bintou et de s’en aller, sans accorder à l’eoshen ne serait-ce qu’un regard.

 

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- Saelim ? Rapport ! ordonna Elian sur la rive sud du lac Lynia.

- Nous sommes prêts, lui assura le chef des Tewagi. Ils peuvent venir.

Les msumbis apparurent en premier, accompagnés d’elfes noirs pauvrement vêtus et de kwanzas reconnaissables à leurs médaillons en forme de croix. Ils passaient d’une personne à l’autre, posant leurs mains sur les épaules des exilés dont le pas s’allégeait visiblement à ce contact.

Elian observa avec attention l’arrivée des msumbis sur Adesis. Dolandar grimaça. Que des humains puissent marcher sur les jeunes pousses et les abîment le révoltait. Dolandar resta mal à l’aise. Pourtant, les humains tinrent parole. Aucun d’eux ne s’arrêta, ni ne but ni ne mangea durant la longue marche jusqu’au lac Tanga.

Bientôt, Bintou fut visible, l’eoshen allant de personne en personne à ses côtés. Elle-même se contentait de marcher, n’entrant pas en contact avec quiconque. Parvenait-elle à le faire à distance, au contraire des autres magiciens ?

Elian descendit de la canopée afin d’aller à sa rencontre sur les terres nouvellement soignées au sud du fleuve Vehtë, simple pelouse herbeuse sur laquelle de jeunes arbres tentaient de pousser, aidés par les chants des herboristes.

- Bonjour, Bintou, lança Elian en ignorant volontairement l’elfe noir.

- Que la lune et le soleil guident tes pas, Elian, reine des elfes, la salua Bintou en lambë. Je te présente Hamed, Abdelmajid, Smaël et Cherouan, anciens de M'Sumbiji.

Ce disant, elle avait désigné de sa main quatre vieux hommes ridés à l’air fatigué. Abdelmajid s’avança tandis que les trois autres ouvraient de grands yeux clignotants ahuris.

- Bonjour, Elian, reine des elfes. Pardonne mes compagnons. Nos traqueurs nous avaient dépeint les elfes fort différemment.

Elian ricana. Entre ceux du nord et Adesis, il n’y avait rien de commun en effet.

- Nous te sommes infiniment reconnaissants que tu permettes à notre peuple de marcher sur tes terres le temps de rejoindre notre pays. Une fois installés, nous reviendrons vers toi et puisse une alliance forte et durable naître.

- Je le souhaite, assura Elian. Bon voyage.

Le temps était compté. Les eoxans suivaient de près. Hors de question de palabrer trop longtemps. Le groupe reprit la route et Elian retourna en haut des arbres pour observer la suite des évènements.

Le nombre de msumbis diminua et finalement, il n’y eut plus personne.

- Combien de temps avant l’arrivée des suiveurs ? demanda Elian.

- Pas beaucoup, maugréa Saelim. Ils seront là en milieu de matinée.

- Malgré la magie, les msumbis ne les ont guère distancés…

- Les vieillards, les enfants, les femmes enceintes, les blessés… En face, il n’y a que des combattants. Si certains tombent en chemin, nul ne les relève. Ils peuvent se permettre d’en perdre, vu leur nombre. De plus, les eoxans sont fanatiques.

- Il sera difficile de les faire renoncer, comprit Elian. La peur ne suffira pas. Il va falloir en tuer.

- Leurs corps nourriront les jeunes pousses, assura Saelim.

Elian sourit. Depuis quand le Tewagi se préoccupait-il de ce genre de choses ? La vie en communauté créait des interactions inédites entre les elfes des bois et les elfes noirs. La culture des uns commençait à infuser sur celle des autres. De nouvelles coutumes émergeraient, puisant un peu dans chaque peuple, créant un avenir unique et neuf.

Les eoxans apparurent à l’horizon au moment prédit par Saelim. Ils étaient nombreux, certes, mais seule une poignée ressemblait à des soldats. Les autres n’étaient que des paysans, des artisans ou des marchands, venus réclamer leur bien.

Elian, depuis la rive sud du fleuve Vehtë, bien visible en haut d’un rocher, attendit tranquillement qu’ils avancent. Depuis l’autre côté du fleuve, les eoxans purent l’observer à loisir et leurs regards brillants indiquaient une envie puissante et irrépressible.

Ils s’arrêtèrent devant le fleuve rapide et grondant. La traversée serait périlleuse. Les rochers glissaient et le courant emporterait au loin quiconque perdrait l’équilibre, noyant une bonne partie des infortunés.

- Ces terres sont les nôtres, annonça Elian en ruyem d’une voix forte. Vous n’y êtes pas les bienvenus. Repartez chez vous ou mourez.

Ils s’observèrent, clairement surpris qu’une elfe puisse parler, puis haussèrent les épaules et d’un commun accord, commencèrent à traverser, se disant sûrement que leur nombre effacerait l’obstacle.

Elian se contenta de prendre bonne note et recula pour se retrouver à quelques pas du fleuve, sur la rive sud. Les humains avaient le droit de se trouver sur ses rochers. Ils pouvaient y pêcher des truites, par exemple, ou y récupérer des crevettes, très nombreuses. Elian n’interviendrait que lorsque l’un d’eux foulerait le sol d’Adesis.

Le premier candidat, très agile, parvint de l’autre côté. Il mourut instantanément, fauché par une flèche elfique. Cela ne ralentit pas les autres. Ils visaient Elian, sa beauté les ayant comme ensorcelés.

Les archers n’avaient aucune difficulté à faire mouche. Si l’un d’eux esquivait la flèche, les Tewagi intervenaient. Jusque-là, Elian n’avait même pas eu à sortir sa dague.

- Peut-être devrais-tu t’éloigner, proposa Saelim au dixième mort qui ne refroidissait par les ardeurs des autres.

- Fuir ? Tu trouves qu’il y a le moindre danger ? s’étrangla Elian, la dague toujours propre.

- Non, mais ta présence les rend fou. Peut-être que si tu laissais Dolandar gérer la situation…

Elian soupira. Saelim n’avait peut-être pas tort. Dolandar hocha la tête. Il acceptait de se retrouver seul face à ce problème de taille. À contre cœur, Elian partit retrouver les arbres fantastiques d’Adesis. Elle écouta, via le canal sourd, la transmission des données importantes.

C’est ainsi qu’elle apprit que les eoxans avaient commencé à hésiter à peine eut-elle disparu dans la végétation. Ce fut comme s’ils voyaient enfin les morts et ils reculèrent, pour finalement s’en retourner vers leurs foyers. Fanatiques, ils ne l’étaient pas qu’un peu !

- Avez-vous des problèmes avec les falathens ? demanda Elian à Saelim dès qu’il fut de retour.

- Certains essayent de passer, oui, lui annonça le maître Tewagi. C’est plutôt normal. Les terres sombres ont laissé brusquement la place à un magnifique jardin fleuri. Ils sont curieux. Pour le moment, nos coups de semonce et nos interpellations sur le fleuve suffisent à les faire reculer.

- Il faut laisser le temps à Katherine de prévenir tout le monde et que l’information passe, dit Elian. Vous avez dû tuer des falathens ?

- Pour l’instant, non, indiqua Saelim. Ils reculent terrorisés sous la menace. Les pêcheurs de coquillages réclament quant à eux une surveillance rapprochée.

- Pourquoi ?

- Ils pêchent à l’embouchure du fleuve Vehtë depuis toujours, indiqua Saelim. Ils ont l’habitude de s’approcher très près des terres sombres. Le delta du fleuve est large. La frontière entre Falathon et Adesis est diffuse et change en fonction des marées. Les pêcheurs avaient l’habitude de profiter du recul de l’eau pour récupérer les crabes avant que les terres sombres n’avancent, lutte quotidienne demandant un timing précis. Ils continuent sauf que les terres sorties des eaux au nord sont, en théorie, Adesis. En pratique, ils pêchent ici depuis toujours.

- Ce n’est pas simple, comprit Elian.

- Certains de mes patrouilleurs ont adopté une solution… originale.

Elian leva sur lui en regard interrogateur.

- Les coquillages appartenant théoriquement à Adesis, ils n’empêchent pas les pêcheurs d’agir ni ne les agressent mais leur prennent leur marchandise. Les orcs en raffolent !

- Les falathens continuent à venir ? s’étonna Elian qui ne voyait pas bien pourquoi les pêcheurs s’entêtaient à ramasser des coquillages qu’ils ne pouvaient ni vendre, ni consommer.

Saelim sourit.

- Les pêcheurs sont tous des femmes. Mes patrouilleurs leur offrent quelque chose d’autre en échange des coquillages.

Elian rit carrément. Solution inédite fort surprenante, en effet.

- Vu qu’elles reviennent, les patrouilleurs en ont conclu que l’échange leur convenait.

Elian continua à rire avant de redevenir sérieuse.

- Il faudrait tout de même officialiser un peu plus tout ça. C’est une portée d’entrée intéressante pour un accord commercial avec Falathon.

- Tu comptes marchander avec eux ? s’étonna Dolandar.

- Bien sûr ! s’exclama Elian. Je préfère avoir de bonnes relations avec mes voisins, des relations cordiales et agréables, sans rapport de domination, plein de respect et d’écoute mutuelle.

Dolandar acquiesça.

- Les falathens ne peuvent pas venir à Adesis et aucun de nous ne voudra se rendre chez eux, fit remarquer Dolandar. Commercer ne va pas être aisé.

- Origine est un lieu neutre, repensa Elian. Il suffit de construire un édifice identique sur le fleuve Vehtë, proche de l’embouchure, devant leurs remparts. C’est le lieu de transit le plus aisé pour eux. Autant leur faciliter la tâche.

- J’approuve, indiqua Dolandar avant de requérir la venue de Ceïlan.

- D’autres rencontres hasardeuses à déplorer ? demanda Elian à Saelim.

- Sur la côte, parfois, indiqua Saelim. S’ils ne peuvent traverser à pied, certains falathens tentent par la mer, sur des embarcations souvent minuscules, n’hésitant à venir de nuit, pensant être plus discrets.

Elian ricana. Les elfes voyant dans le noir, cela dérangeait avant tout les humains.

- Vous arrivez à les faire partir ? interrogea Elian.

- Oui, mais combien passent sans que nous ne les voyions ? Adesis grandit chaque jour, à une vitesse incroyable, offrant une côte toujours plus grande. Nous sommes peu nombreux. La caste des Tewagi compte désormais deux pans. Le combat rapproché n’est plus le seul possible. Les archers y ont une place d’honneur. De nombreux patrouilleurs sont de ce fait des elfes des bois, nous offrant beaucoup d’yeux. Malgré cela, nous sommes incapables de surveiller en permanence l’intégralité de nos frontières et cela ira en empirant. Il va falloir accepter que des humains passent.

- Qu’ils nous prennent des coquillages n’est pas grave, indiqua Dolandar. Qu’ils volent nos femmes l’est bien davantage !

- Il suffit qu’elles se cachent, proposa Saelim.

Réflexion tellement typique d’un elfe noir.

- Les enfermer pour leur propre protection hein ! cingla Elian. C’est hors de question ! Elles resteront libres, d’aller où elles veulent, quand elles veulent, seules ou accompagnées. Si elles se cachent, alors ils ont gagné et nous admettons notre impuissance.

Saelim grimaça. Il ne l’avait pas vu ainsi.

- Fais de ton mieux pour protéger nos frontières, dit Elian à Saelim. Ça ne sera pas parfait. Quelques uns passeront, c’est certain. Le but est qu’il y en ait le moins possible. Quant aux femmes, bien sûr je préférerais qu’elles soient tranquilles et sereines mais la vérité est qu’elles sont prisées par des hommes sans scrupule dans un pays lointain. Alors voilà : je veux que toutes les femmes soient formées dans le domaine des armes.

- Pas d’arc, intervint Dolandar. C’est trop long à monter. En cas d’attaque, les ravisseurs seront probablement proches et la réaction devra être rapide.

- Combat rapproché, comprit Saelim.

- Pas forcément, le contra Elian. Des dagues de lancer bien maniées peuvent faire reculer l’adversaire, le blessant, le ralentissant, permettant une fuite, offrant le temps aux Tewagi d’intervenir. En revanche, cette formation n’est pas négociable. D’accord ou pas, elles doivent apprendre. Par contre, elles peuvent choisir leur arme et leur mode de défense. Le but étant bien sûr que les patrouilleurs fassent suffisamment bien leur travail pour qu’elles n’en aient jamais besoin.

Saelim hocha la tête en souriant.

- Je vais chercher des volontaires parmi les bons Tewagi pour effectuer cette formation qui nécessite tact et diplomatie.

- Je peux me charger d’une partie, annonça Elian. Cela sera sûrement plus facile si cela vient de moi.

Saelim et Dolandar acquiescèrent.

- Tu m’as appelé, ma reine ? lança Ceïlan en apparaissant.

Dolandar indiqua au maître herboriste les volontés de la reine et Ceïlan disparut pour créer le futur lien entre les falathens et les elfes.

- Tu es bien pensive, remarqua Dolandar tandis que Saelim s’éloignait.

- Qui me succédera ? interrogea Elian.

- Quoi ?

- Au trône de Dalak, normalement, c’est le premier qui arrivera à me mettre une dague entre les omoplates qui gagnera mon titre. Super… Quant à mon titre de reine des elfes des bois…

- Cette différence n’existe plus. Tu es reine des elfes, de tous les elfes. La personne qui prendra ta place régnera sur Adesis.

- Comment le pouvoir sera-t-il transmis ?

Dolandar fronça les sourcils. Il n’avait clairement pas la réponse.

- Falathon a choisi le sang. Honnêtement, je ne vois pas pourquoi mes enfants seraient plus à même de gouverner Adesis que n’importe quel autre elfe, que ça soit l’aîné, le cadet, le garçon, la fille, celui né d’un père elfe des bois ou elfe noir.

Dolandar hocha gravement la tête.

- En Trolie, le régicide devient roi. Je ne crois pas qu’être capable d’un meurtre soit une compétence à rechercher chez un suzerain même si elle n’est pas rédhibitoire, sans quoi je ne serais pas là.

Dolandar acquiesça en grimaçant. Il n’aimait pas qu’elle rappelle sa nature d’assassin.

- À Eoxit, un conseil d’experts désigne le roi, continua Elian.

- Nous avons aussi des experts. Ils pourraient se réunir et décider ensemble.

- Il y a tellement de castes ! Mettre d’accord autant de monde prendra un temps infini, le contra Elian.

- Il faudrait réunir les castes en groupe : faune, flore, minéral.

Elian sourit à ces catégories.

- À quel groupe appartient celui qui construit une machine à pluie ? interrogea-t-elle.

Dolandar grimaça. En bon elfe des bois, il n’avait pas pensé à inclure les savoirs et domaines des elfes noirs.

- Bon, d’accord, il va falloir y réfléchir mais franchement, ne te prends pas la tête non plus. Tu as tout le temps.

- J’ai failli mourir, rappela Elian.

- Tu es toujours là, la contra Dolandar. Le démon est mort. Tout va bien.

- Venons-nous d’entendre le même rapport ? s’exclama Elian. Des eoxans viendront et passeront nos défenses. Des femmes se feront enlever. Ne fermons pas les yeux sur une réalité, peut-être dure mais inéluctable. Mettre des œillères ne servira à rien.

- Bon courage à celui qui tentera de s’en prendre à toi, fit remarquer Dolandar.

- Aujourd’hui, peut-être, mais quand je serai vieille ? Ils n’arrêteront jamais, tu en es conscient, n’est-ce pas ? Et puis, je n’ai pas envie de tenir le trône jusqu’à la fin de ma vie. J’ai aussi le droit de m’arrêter, de passer le flambeau à une personne plus jeune. Réunir les experts de chaque caste me semble une bonne idée, dit Elian. Ça m’énerve de copier Narhem.

- Il copiait lui-même les elfes noirs de L’Jor, indiqua Dolandar.

- Non, le contra Elian. À L’Jor, on devenait roi en tuant le précédent, comme en Trolie !

- Et si l’empereur meurt en dehors d’un duel ? interrogea Dolandar. Dans un accident, lors d’un entraînement, empoisonné parce qu’il a mangé un truc mauvais, fauché par un hippopotame ? Bien sûr qu’ils ont prévu une échappatoire : les experts se réunissent et choisissent le nouvel empereur.

- Il n’y a pas d’expert en Trolie, rétorqua Elian. Ils n’ont pas conservé le système de niveau.

- Non, ils ont intégré un système de valeur très falathen : celui de la noblesse de sang. Le combat permet de devenir empereur mais si le précédent meurt accidentellement, les plus hauts nobles choisissent le suivant.

- Il a intérêt à être excellent combattant, grinça Elian.

- Ou de montrer qu’il est conscient de grâce à qui il est sur le trône et qu’il se montre très docile. Les nobles s’assurent alors qu’il gagne tous les combats, en droguant leurs adversaires ou en payant des mercenaires pour les rouer de coups juste avant le duel.

Elian frémit. Elle ignorait ce genre de détails.

- De ce fait, il n’est pas rare qu’un empereur meure en dehors de tout duel officiel, permettant aux nobles de choisir le suivant.

Elian n’en revint pas. Comment pervertir un système…

- Comment sais-tu tout ça ?

- J’ai écouté ma fille et j’admets qu’elle avait raison.

Elian lança un regard surpris à son père.

- Il faut connaître ses voisins, indiqua-t-il. Nous croire à l’abri en haut de nos arbres est une hérésie. Il faut s’informer afin de prévenir le danger.

Elian sourit.

- De ce fait, je m’informe, termina Dolandar.

- Et tu fais ça quand pour que je ne m’en aperçoive pas ?

- Tu passes pas mal de temps à baiser, annonça Dolandar.

- Toi aussi, la contra Elian.

- Et tu en profites aussi pour faire des trucs de ton côté, l’accusa Dolandar et Elian ne nia pas.

- Une chose m’effraie, annonça Elian, en changeant complètement de sujet.

- Quoi donc ? interrogea Dolandar, surpris.

- Le wiha…

Dolandar leva un sourcil interrogateur.

- Tout le monde en consomme quotidiennement, les elfes, les orcs, les hommes, les femmes, les enfants… Nous ne savons rien des effets de cette boisson sur nos organismes.

Dolandar pinça les lèvres et fronça les sourcils. Il réfléchissait intensément.

- Nous, les elfes, de toutes origines, avons toujours su nous régénérer naturellement. Nous n’avons pas besoin du wiha pour le faire.

- Tu as peur que cet élément extérieur ne vienne perturber nos savoirs faire ancestraux, comprit Dolandar et Elian hocha la tête.

- J’ai peur qu’il n’ait des effets secondaires à court, moyen ou long terme dont nous n’avons aucune idée. J’aimerais le réserver, d’une part à soigner les terres sombres évidemment, et d’autre part au soin à des blessures graves.

- Présent, mais utilisé avec parcimonie, résuma Dolandar et Elian acquiesça.

- Cela te semble stupide ?

- Non, bien au contraire ! Je trouve cela prudent. Mettre en place cette précaution risque d’être complexe. Comment empêcher les orcs de boire dans les ruisseaux ?

- L’eau qu’ils contiennent perd en énergie régénératrice, rappela Elian. À l’intérieur d’Adesis, l’eau n’a plus rien de miraculeuse. Seuls les ruisseaux, rivières et fossés en bordure sud sont puissants et les orcs travaillant là-bas ont bien besoin de soutien pour leur harassant labeur. Cependant, cela doit rester une récompense. Ils doivent boire de l’eau normale et se contenter d’un peu de wiha pour les jours de fête ou parce qu’ils ont bien travaillé.

- Le peuple peut faire de même : boisson réservée aux jours de fête et une outre à la ceinture en cas de problème, compléta Dolandar. Comment contrôler que chacun agit bien comme demandé ?

- Je ne veux pas les surveiller, précisa Elian. Je veux les convaincre du bien fondé de ma peur. Le wiha restera en libre disposition. Tout le monde pourra remplir sa gourde à loisir et en boire autant qu’il veut. Il n’y aura jamais aucune sanction. J’aimerais juste que la prudence soit de mise.

- Tu veux qu’on en parle, comprit enfin Dolandar, qu’on échange, qu’on convainque, que le mot se passe, que des débats naissent.

- Exactement, dit Elian, ravie d’être comprise. Je ne veux pas que quiconque ait peur du wiha mais si les femmes enceintes pouvaient s’abstenir et si les enfants pouvaient ne pas y toucher avant d’être capables de se régénérer eux-mêmes, cela serait vraiment super. Si tout le monde pouvait se souvenir que notre force vient de nous, sans qu’aucun apport extérieur ne soit nécessaire, je serais comblée. Que se passera-t-il si ce savoir disparaît et que les elfes deviennent dépendants du wiha ? Cette possibilité me terrifie.

Dolandar frissonna.

- J’en parlerai, promit-il, soudain anxieux.

- Je profiterai des cours de combats aux femmes pour enclencher la discussion sur ce sujet, indiqua Elian.

Aussitôt dit, aussitôt fait. Elian se rendit à Dalak, au quartier général des Tewagi pour une première leçon destinée aux femmes elfes noires, déjà sur place. Elles furent réceptives et rejoignirent Elian sur le besoin de prudence face au wiha. Elles se montrèrent très volontaires pour apprendre à se défendre. Elian fut comblée.

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