Chapitre 63

Notes de l’auteur : nouveau chapitre 16 juillet

Salle Koad Diank, Palais de la Mer Éternelle – Brocéliande

Lirion et Sikaes se tenaient face à face devant la fenêtre où le jeune Hoper venait d'arriver en volant. Une nuée de Tylwyth Teg avait pénétré avec lui, piaillant gaiement dans le bureau improvisé d'Elara.

— Tu peux me dire ce que tu fais là, Sik ?

— J'aide Elara depuis un moment avec mon réseau, et il était temps que je t'en parle, même si j'aurais préféré m'en passer.

— Tu comptes arrêter de me faire la guerre, ça serait une nouveauté, répondit Lirion, le regard hautain.

— Je te propose une trêve. La situation est assez dangereuse, et ma belle-sœur n'a pas à subir les conséquences de ton manque d'ambition.

— Je ne sais pas comment Elara fait pour te supporter, dit Lirion, contrarié.

— Elle aime les gens compétents et me trouve adorable. Elle a même complimenté mes cheveux, répliqua Sikaes, un sourire fier aux lèvres.

Lirion soupira en le fusillant du regard. Son frère cherchait toujours à le provoquer, même s'il savait qu'il avait un bon fond.

— Donne-moi ton info si importante, que tu puisses repartir au domaine Drindod.

Sikaes resta muet jusqu'à ce qu'un de ses oiseaux lui sifflote à l'oreille. Il se tourna vers la porte, ravi, et Elara entra dans la pièce juste après.

— Sik ! Y a-t-il un souci ? Tu es venu parler à ton frère ? demanda-t-elle posant sur un coin de son bureau un plateau contenant un plat fumant et deux paires de couverts.

— Je voulais parler à vous deux, c’est important, répliqua-t-il en se radoucissant, prenant presque une attitude timide sous le regard incrédule de Lirion.

— Qu'est-ce qui s'est passé ? demanda-t-elle, inquiète.

— Je faisais surveiller Léa suite à ta demande. Aujourd'hui, sur le domaine Drindod, un Sylvestre a été tué par le pouvoir des dryades. Il serait, avec sa famille, responsable du drame de la clairière.

Elara se laissa tomber sur son canapé pour essayer de réfléchir à ce qu'il venait de lui annoncer.

— Quelle est la famille en question ? demanda Lirion.

— Les Awyr, la famille du conseiller Ivinus.

— Ce serait lui la taupe ? questionna Elara. Pourtant, il a beaucoup aidé à améliorer la situation actuelle… J'ai du mal à y croire.

— L'apparition des plus gros corrompus est liée à une exposition importante à la magie des failles, expliqua Lirion.

— Et Ivinus est spécialiste des flux d'énergie, c'est un mystique, reprit Elara. Mais je ne comprends pas, il a l'air si pacifique. Est-ce qu'il serait responsable de l'enlèvement de Léa aussi ?

— Ils sont tout un clan. L'un des membres a été éradiqué tout à l'heure. Mais tu as raison, je n'avais pas identifié ce Sylvestre comme dangereux, dit Sikaes.

— J'aurais plus pensé à une Harpie ou un Dragwydd, qui semblaient plus hostiles envers les humains et obsédés par cette idée de puissance d'antan, répondit Elara.

— Il faut voir la Reine et le confronter, demanda Lirion, qui se leva, suivi par sa femme et son frère.

Arrivés en salle du trône, l'agitation régnait et un groupe de Brocéliandins fut évacué. Un garde Teirionnour les jaugea avant de les laisser entrer alors qu'un groupe de fées sortait avec des cris d'indignation. Qu'est-ce qui se passait ici ?

Ils traversèrent les deux premiers halls vides avant d'entrer dans le cœur de la salle du trône. La Reine, en son centre, était entourée de Niall et de ses gardes elfiques aux cheveux blond pâle. D'autres Teirionnours, plus petits, aux cheveux argentés et habillés de tuniques brodées étaient présents ainsi que certains conseillers, dont Ivinus.

— Ah, mon gardien Drindod ! s'exclama la Reine en souriant face au groupe sérieux qui n'osait rien dire. Un petit oiseau m'a porté un message surprenant.

Un Tylwyth Teg écarlate s'envola pour se poser sur l'épaule de Sikaes, élargissant le sourire grenat de la Reine. Le Hoper s'approcha en silence et remit un anneau métallique dans les mains du conseiller Ivinus.

— C'est tout ce qu'il reste de lui. Il serait temps de parler, Ivinus, lança Sikaes sans la moindre hésitation.

— Glaz, mon frère… Comment ? s'étonna le Sylvestre en manipulant la bague.

— Ivinus, l'interpella la Reine. Pourquoi ? Qu'avez-vous fait ?

— C'est pour le bien du royaume de Brocéliande, ma Reine.

— Dites-moi en quoi massacrer mon peuple ferait du bien au royaume ? répondit la Reine, contenant sa colère, le regard glacial contrastant avec son demi-sourire.

— Je ne peux rien vous dire de plus, il en va de mon honneur.

La Reine poussa un soupir agacé et fit signe à ses gardes.

— Ivinus, vous et le clan Awyr n'avez plus accès à la salle du conseil… Jusqu'à la résolution de la situation, je vous ordonne de continuer à seconder les opérations. Nous déterminerons votre sanction et l'avenir de votre famille selon les lois de Brocéliande après la cérémonie de Lamas.

— Qu'il en soit ainsi, répondit le Sylvestre en s'inclinant.

Il se laissa emmener par les gardes. Puis la Reine reporta son attention sur le groupe Drindod, l'expression sérieuse.

— Elara et Lirion Drindod, que désirez-vous en récompense de l'aide apportée ?

— Reine Dahut, commença Lirion, j'aimerais que la vallée Gwynnfaen soit gérée la moitié de l'année par quelqu'un d'autre que moi.

— Et pour quelle raison ? demanda la Reine, surprise.

— J'aimerais me consacrer à mes raisons de vivre.

La Reine éclata d'un rire clair sous le regard incrédule des gens présents.

— C'est accordé. (se tournant vers le jeune Hoper) Sikaes Drindod, as-tu quelque chose à dire ?

— Non… Je, non, répliqua-t-il en jetant un regard furieux en direction de son frère.

— Reine Dahut, si je peux me permettre, intervint Elara. J'aimerais recommander Sikaes comme remplaçant du domaine. Il prépare le concours pour travailler à Alenvel, ce qui lui permettrait d'être la moitié du temps dans la cité de la connaissance et gérer le domaine de Lirion le reste du temps.

— Il n'a pas encore passé le concours, s'exclama la Reine amusée.

— Je sais qu'il réussira, dit Elara en maintenant son regard.

— Sikaes, qu'en penses-tu ?

— Ça serait un honneur, répondit le Hoper en souriant timidement à sa belle-sœur.

— Dans ce cas, voilà une résolution rapide de situation. (Reprenant une expression plus neutre) Elara, que souhaiterais-tu ?

— J'aimerais pouvoir voyager librement entre Brocéliande et la Terre, avec Lirion.

La Reine sembla réfléchir un instant, plongée dans ses pensées, puis reprit.

— C'est accordé. Je vais vous laisser partir, j'ai une audience qui va commencer.

Les trois Drindod quittèrent la salle du trône, croisant dans l'autre sens une jeune femme très blonde aux yeux gris bleus. De toute évidence, l'invitée d'Avalorn, cette fameuse journaliste qui lui avait glissé entre les doigts depuis son arrivée, ne la croisant que de loin, sans jamais pouvoir discuter avec elle.

— Elara Drindod ! déclara-t-elle, confiante, un ordinateur portable sous le bras.

— Morgane Meyer, vous êtes remise, répondit Elara, scrutant son allure générale et remarquant que son compagnon Ceffyl Dwr n'était pas en vue.

— J'aimerais pouvoir discuter avec vous, au moment opportun, dit-elle en regardant en direction de la salle du trône.

— Oui, je vous enverrai un messager que vous ne risquez pas de rater, répondit Elara en grattant un Tylwyth Teg écarlate sous le menton.

Après un regard entendu de Morgane, ils poursuivirent leurs chemins respectifs. La femme avait une lueur de détermination froide dans le regard et cette pointe d'arrogance qu'Elara avait déjà observée chez de nombreux journalistes. Mais cette expression était-elle bon signe ? Elle n'en était pas sûre. L'accident dont Morgane avait été victime ne semblait pas avoir émoussé sa combativité et elle restait tout de même une inconnue, en lien avec un autre État.

Suite à ce bref échange, Lirion prit à part Elara un instant.

— Tu es certaine que Sik est une bonne idée ? Je suis loin d'être son frère préféré…

— Il t'aime plus que tu ne le penses, il n'arrive juste pas à garder sa langue dans sa poche.

Lirion soupira et l'embrassa.

— Je devrais pouvoir gérer ça et quelque part, je suis rassuré que le domaine reste géré par quelqu'un de la famille.

Elle lui sourit comme toute réponse et les deux frères s'isolèrent pour se mettre d'accord sur l'organisation future de la gestion de la vallée alors qu'Elara décida de retrouver l'autre délégation. Le cas d'Ivinus remettait en question les projets d'alliance et l'incident diplomatique avec la fameuse assassine n'arrangeait en rien les choses.

Le Sylvestre accusé n'était certainement pas l'acteur principal, et la famille Awyr restait une entité importante qui avait de l'influence dans le royaume. La discussion qu'elle avait surprise la fois passée indiquait bien qu'il n'y avait pas un « grand méchant » mais que certains estimaient différemment ce qui devait être bon pour le royaume. La vision unique et vraie n'existait nulle part, même si elle constatait tristement que des Brocéliandins avaient été sacrifiés au passage.

Elle se dirigea vers les quartiers utilisés par les Kokonoe, gardés par plusieurs Teirionnours. Ils la laissèrent entrer après quelques instants alors qu'elle observait la scène étrange : une enfant brune d'apparence asiatique, qui devait être Megumi Kokonoe, était assise sur un fauteuil, entourée de deux gardes aux caractéristiques physiques proches. En arrière-plan, devant une porte, se trouvait une créature humanoïde très grande, encapuchonnée d'un manteau brun foncé qui tombait au sol. Elle dégageait quelque chose de sinistre, et elle s'imaginait presque une main squelettique jaillir d'une manche et se pointer vers elle, lui annonçant sa mort prochaine.

Elle s'arracha à cette observation et s'installa face à la jeune Kokonoe.

— Megumi Kokonoe, cela fait un moment que je voulais vous parler.

— Les événements ne se passent pas toujours comme ils le devraient, répliqua-t-elle, l'air las. Une expression qui n'avait rien à faire sur un visage aussi jeune, trahissant un âge plus avancé.

— Avez-vous été en contact avec des Brocéliandins avant d'arriver dans le royaume ? Vous aviez peut-être un objectif différent de celui pour lequel vous avez été invitée.

Megumi se mit à rire, se cachant derrière sa main. Puis reprit une expression froide.

— Si vous croyez que je vais parler de mes intentions, vous êtes bien naïve. Je suis là pour vendre des portails, rien de plus.

— Et lui ? demanda Elara en montrant du menton la créature morbide derrière eux, ce qui arracha un tressaillement à l'émissaire.

— L'Ankou... surveille Delphine.

— Peut-être pourrions-nous envisager un échange de bons procédés pour améliorer la situation ? demanda Elara, croisant ses bras sous son buste.

Megumi lui jeta un regard froid, les lèvres pincées.

— Tout ça est une manipulation savamment orchestrée.

— Nous passons tous un jour ou l'autre du côté de ceux qui se font manipuler. Cette fois-ci, quelqu'un a été plus malin que vous. Alors, votre réponse ? demanda Elara.

— Entendu. Si vous pouvez éviter qu'elle soit sanctionnée, je vous communiquerai une information qui devrait vous intéresser.

Elara se leva, empêchant ses commissures de se relever en un sourire victorieux et s'approcha de la créature encapuchonnée malgré la peur qu'elle lui inspirait.

Quand elle se trouva face à elle, ou plutôt lui, car des traits masculins se cachaient derrière les pans de la robe, une lueur verte éclairait ses yeux noirs et il se pencha vers elle, comprenant qu'elle voulait lui chuchoter quelque chose.

— Avez-vous réellement la consigne de neutraliser Delphine Lemonnier ou êtes-vous là sur ordre de la Reine pour mettre la pression ? demanda Elara, devinant ce qui pouvait passer par la tête de sa « patronne ».

Pour toute réponse, il lui sourit en acquiesçant, ce qui rendit son visage beaucoup moins effrayant, voire même agréable à regarder si on occultait le style vestimentaire douteux et le teint exagérément blafard. Il se pencha à son tour vers son oreille pour prononcer quelques mots de sa voix lente et rocailleuse, comme celle d'un ancien fumeur.

— Son immunité dépendra de l'information obtenue. Message de la Reine, dit-il, économisant ses mots.

Puis l'Ankou sortit de la pièce, laissant Elara négocier seule à seule.

— Alors, cette information ?

Megumi Kokonoe parla, et Elara se permit de sourire cette fois-ci.

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