Palais de la mer éternelle - Citée d'Ys
Morgane inspira un grand coup en passant la grande arche de la salle d'audience. Bryn l'attendait statique, adossé sur le mur d'en face, la foudroyant du regard. Elle savait qu'il était furieux, car elle était allée voir la Reine sans lui et s'approcha doucement prête à recevoir son courroux.
Il la fixa un instant, puis soupira à son tour la tirant vers lui pour l'embrasser avant de la relâcher la mine pincée.
— Je sais que tu es fâché... dit-elle timidement.
— Je suis furieux ma chérie, pas fâché. Tu ne peux pas laisser passer ce qui t'es arrivé. Jamais je ne serais allé les aider en mer si j'avais su que tu te retrouverais sans garde, seule avec la délégation étrangère. Je ne sais pas à quoi pense la Reine, mais tu n'es pas son pion et moi non plus d'ailleurs, merde !
Elle le tira un peu à l'écart pour être certaine qu'aucun œil indiscret ne les surprennent, puis se blottis contre lui.
— Merci de me défendre comme ça, tu as raison d'être en colère, mais je vais bien, je vais mieux, essaye de garder les idées claires, je vais te dire ce je pense de tout ça.
— Que c'est une manipulatrice !
— Bryn... S'il te plait.
Il soupira encore, frottant sa nuque et la rapprocha de lui d'une main ferme.
— Vas-y ! Je sais que tu n'es pas allée la voir en douce sans raison.
Elle lui sourit.
— J'ai tout de suite compris que l'absence de garde de la Reine n'était pas normale et j'ai au départ pensé que c'était un test pour moi, pour que j'ai la liberté d'aller à la pêche aux infos. Mais j'ai compris que c'était plus que ça. Sous le prétexte de confiance, elle voulait qu'il arrive quelque chose avec les émissaires pour garder la main haute dans des négociations. Par exemple, J’aurai fait un parfait témoin, politiquement neutre.
— Qu'est-ce qui te fais penser ça ?
— Niall et Ciaran étaient justement dans la même zone que nous et avaient une potion pour contrer le pouvoir de Delphine. Puis j'ai fouiné près du laboratoire où ils développent le prototype de portail et j'ai vu un dispositif qui semblait portable. Ça ne faisait pas parti des discussions de départ donc potentiellement négociable à couvert, surtout si un des émissaires faisait une bourde.
— Ce n'est pas suffisant pour risquer un incident diplomatique avec un citoyen d’Avalorn...
— Nous ne sommes pas encore officiellement unis, mais oui, ce n'est pas suffisant ! (Elle ne pouvait s'empêcher de sourire en déballant le courant de ses pensées, il y avait quelque chose de jubilatoire à découvrir les engrenages des mystères qui l'entourait) Les frontières sont un bien plus gros sujet. Tu m'avais parlé de la situation avant qu'on vienne ici.
— Elle a annoncée qu'elle ouvrirait le royaume. Il n'y a rien d'assez critique pour remettre en question le projet.
— Elle n'a pas dit que l'ouverture serait totale. D'ailleurs ce serait catastrophique que ça le soit. Économiquement parlant et niveau sécurité. Elle le sait.
— La nouvelle génération qui n'a pas connue le royaume avant la fermeture est pour cette ouverture. Et prédomine au palais, répliqua Bryn.
— Mais l'ancienne génération est bien plus puissante et a d'avantage d'influence auprès de la Reine. Je garde le reste pour moi, puisque j'ai donné ma parole de ne pas creuser plus loin... Dans tous les cas, des incidents sur la sécurité sont le parfait prétexte pour freiner le projet ou le réaliser partiellement.
— Logique... Mais pourquoi m'empêcher de réclamer justice pour ce qui t’es arrivé ?
— Parce que la Reine sait que si elle me donne un avantage incontestable que seul elle peut m’accorder, je pourrais te convaincre de ne pas remuer la vase tout en utilisant ce prétexte auprès des émissaires.
— Leur faire croire qu'elle devra assumer les conséquences de leur attaque tout en sachant qu'elle pourra résoudre ça pacifiquement avec toi et avoir des meilleures conditions de négociation avec eux...
— Yep ! C'est pour ça qu'elle s'est arrangée pour que tu frappes Niall, pour prouver que tu irais jusqu'au bout pour me défendre. Elle peut communiquer par télépathie avec lui et j’ai vu le visage de Niall changer à l'approche du palais, il savait que tu serai là pour l’accueillir.
— Tu n'arriveras pas à me faire culpabiliser de l'avoir fait. J'aurai été à sa place, tu aurais aussi réagi violemment.
Elle ne s'attendait pas à ce qu'il fasse la comparaison et pris un instant pour répondre.
— Si c'était toi, j'aurai fait bien pire pour te venger, sans avoir à le frapper.
Il sourit et se pencha pour l'embrasser.
— J'ai le droit de te trouver adorable quand tu défends mon honneur ?
Roulant des yeux, elle se détourna pour voir qui approchait de leur planque : Une grande harpie aux cheveux d'un rouge flamboyant, Aeronwy, une chercheuse dont elle avait déjà visité le laboratoire.
— Ah ! Je vois cherchais ! Vous n'étiez pas dans votre chambre.
Morgane repris sa posture professionnelle, droite tout en ayant l'air détendue, un sourire poli qui semblait naturel, mais elle ne prit pas « sa voix » car elle voulait avoir l'air inoffensive.
— Bonjour Aeronwy ! Nous prenons l'air. Est-ce que c'est déjà l'heure de la réception ?
— Tout est prêt, nous regroupons tout le monde.
Bryn la remercia, l'air plus détendu et Morgane retint un rire ce qui ne lui échappa pas.
— Qu'est-ce qu'il y a ma chérie ?
— De toutes les personnes d'ici, Aeronwy est le meilleur choix pour interagir avec toi.
— Parce que c'est une femme ?
— En partie, mais surtout parce qu’elle a un statut suffisamment haut pour montrer que nous avons de l'importance et c'est une pro humains modérée.
— Parfois j'aimerai bien que tu n'analyse pas tout.
Elle le prit pour un compliment et l'embrassa en souriant.
— Soit reconnaissant que je le fasse tant que nous sommes ici.
— Vivement que tout ça soit terminé. Je n'ai pas quitté Avalorn pour me retrouver mêlé à des complots dans un royaume étranger.
— Allons-y, mais surtout garde ton calme si tu vois quelque chose de surprenant. Je sens que la Reine n'en a pas terminé. Dis-toi juste qu'il y aura un grand prix à la clef.
— Je ne te promets rien....
Ils entrèrent dans la grande salle Kestell Coed toujours aussi impressionnante avec son grand dôme éclairant un arbre monumental en son centre.
Tout le gratin du palais était là et Morgane repéra même deux Dragwydd qui discutaient à l'écart. Si elle devait choisir, c'est eux qui représentaient la plus grande menace dans cette pièce et pas uniquement parce qu’ils étaient les créatures les plus terrifiantes de l'histoire : des dragons.
C'est certainement eux qui avaient le plus d'influence ici.
Aeronwy discutait avec Léa, Alice et le couple Drindod croisé plus tôt, mais Noémie était absente. Les conseillers de la Reine Dahut annoncèrent son arrivée et la réunion de crise débuta.
Elle annonça l'avancée des travaux, l'installation des portails en Brocéliande ; il ne manquait plus que passer de l'autre côté de la barrière et s'occuper des portails sur Terre. Une cérémonie au domaine Drindod prendrait place, permettant de mettre en fonctionnement ces derniers. Rien de foncièrement nouveau et Morgane était presque déçue du discours très plat, neutre, politiquement correct alors que la situation était clairement tendue. La Reine s’éclipsa juste après, laissant les convives profiter de la réception.
Bryn et Morgane grignotèrent un morceau et cette dernière compris que ce n'était pas le moment d'aller parler à Elara Drindod malgré sa proximité et sa curiosité. C’est alors qu’un grand silence se fit :
Là, près de la porte, une grande créature encapuchonnée à l'apparence de ma mort surveillait stoïquement le groupe d'émissaires, dont Delphine. Bryn se figea en la voyant et elle vit ses muscles se bander, comme s'il était prêt à bondir.
Morgane ne savait pas ce qu'était la créature de noir vêtue, mais comprenait que la situation était sous contrôle. Alors qu'elle voulait en profiter pour embarquer Bryn qui était à fleur de peau, Megumi et son groupe s'approchèrent d'eux.
Elle s'inclina à la japonaise en signe d'excuse.
— Nous sommes vraiment désolé de ce qui est arrivé, jamais ça n'aurait dû se produire.
Delphine affichait une mine défaite et des cernes creusaient son visage de poupée.
— Je suis profondément désolée Morgane, j'ai perdu le contrôle, j'étais gravement blessée et je n'avais pas conscience que tu étais là.
Bryn serait les dents alors que les invités restants observaient la scène en silence.
— Merci d'être venue me voir, mais ça n'excuse pas tout. Si je n'avais pas été soignée en urgence, je ne serais plus là pour en parler. Et je ne pense pas que la responsabilité revienne uniquement à Delphine. Megumi, en tant qu'émissaire c'est à vous que reviens de gérer ça. (Elle regarda Bryn qui était à bout et le tira.) Partons.
Megumi se redressa et elle vit brièvement de la colère dans ses yeux. Morgane savait bien qu'elle espérait minimiser l'incident mais elle avait besoin d'enfoncer le couteau, jouant son rôle de pion de la Reine à la perfection. La compassion ne lui rapporterait rien.
Une fois dans leur chambre, Bryn explosa, attrapant Morgane pour l'embrasser comme un procédé. Pétrissant son dos à travers ses vêtements, comme pour s'assurer qu'elle était là avec lui. Elle se laissa aller à sa furieuse étreinte, rendant ses baisés passionnés. Essoufflés, à fleur de peau, enlacés dans leurs draps, il se décida enfin à parler.
— Elle devrait être enfermée.
— Je sais...
— Je la haï pour ce qu'elle t’a fait. Je ne sais pas comment tu fais pour garder ton calme.
— Je suis loin d'être calme, je suis déterminée. Je savais que venir en Brocéliande serait dangereux, j'ai déjà vécu des situations extrêmes et j'ai l'habitude de devoir serrer les dents pour pouvoir obtenir ce que je veux... Le journalisme quand on est une jeune femme n'est pas facile et dès qu'on touche à la politique ou l'économie, c'est très machisme. Mais là je sens que je dois arrêter un temps. Éviter ce qui sent le risque.
— Oui, sinon je vais vraiment t'enfermer sur mon bateau, très loin au large...
— Ça va vraiment devenir notre phrase fétiche, répondit-elle en éclatant de rire.
Il lui rendit son sourire.
La seconde partie du plan avait déjà commencé.