Chapitre 63 - Prémisses

Chloé fit une pause dans la discussion. Visiblement, elle ne savait pas quelle information était censée dominer l’autre : qu’Éric m’ait trompée, ou que je sois attirée par ma rivale que j’avais embrassée.

 

Words like violence

Break the silence

Come crashing in

Into my little world

 

Je m’apprêtais à me confier à elle sur un sujet très sensible et très actuel. Le fait que Chloé fût homosexuelle rendait les choses à la fois plus pertinentes et plus compliquées. Elle aurait forcément un regard différent sur ce que je ressentais pour Inkeri. Mais son goût pour les femmes, et les espoirs qu’elle avait éprouvés vis-à-vis de moi au tout début de nos fréquentations, rendaient le terrain glissant. Toutefois, Chloé était intelligente, et j’avais une immense confiance non seulement en son jugement, mais aussi en sa capacité à prendre du recul. Je ne lui fis pas l’injure d’être précautionneuse au point d’expliquer ce que nous savions toutes les deux : j’avais besoin de lui parler, de son avis, d’un regard extérieur, et non d’une initiation au lesbianisme, dans laquelle elle aurait pu s’engouffrer.

 

-Qu’est-ce qui s’est passé ?

-Je t’avais parlé d’elle, je crois.

-Inkeri ?

-Voilà !

-Oui, tu avais même ironisé sur le fait qu’Éric vivait avec une bombasse nordique.

-Ouais, ouais …

-Bon, apparemment l’ironie s’est retournée contre toi.

-Oui, il a couché avec elle. Juste une fois, semble-t-il… Une sorte de truc accidentel. Le machin banal : les désirs réciproques, tout à coup, auxquels ni l'un ni l’autre ne résiste…

-Il te l’a avoué ou tu l’as deviné ?

-Il me l’a avoué.

-C’est plutôt bien, non ?

-En dehors du fait qu’il a sauté la fille du Père Noël, j’ai rien à lui reprocher, en effet.

-Vous … enfin, vous en êtes où, lui et toi ?

-Toujours ensemble.

-Tu as pardonné, donc ?

-Oui, disons ça comme ça. Je crois que je ne suis à la fois ni trop possessive ni trop rancunière. J’ai accepté son explication, ses excuses… et puis… ainsi soit-il.

-Ils continuent de vivre ensemble ?

-Oui, jusqu’en décembre. Elle a cherché à déménager, mais c’est juste pas possible, donc je me suis fait une raison.

-T’as été belle joueuse de ne pas mettre un ultimatum sur son départ.

-Ça aurait servi à quoi ? Si elle change de quartier, elle sera toujours à portée de sa …

-Oui, je vois.

-A un moment, si je décide que la vie continue, c’est que je continue aussi à faire confiance malgré tout. Sinon ça ne rime à rien de rester avec lui.

-D’accord. Mais alors… qu’est ce qui s’est passé avec elle ? Tu l’as embrassée dans quel contexte ? C’était avant de savoir, je suppose ?

-Ah non, c’était après ! Oui, je suis bizarre comme fille, je sais…

 

Chloé marqua un nouveau silence.

 

Painful to me

Pierce right through me

Can’t you understand

Oh my little girl

 

Il était 22h30, et la nuit était tombée. Seuls quelques réverbères nous éclairaient d’un halo orangé. Mon souffle avait survécu, retrouvant une allure moins pathologique. Le parc vivait une soirée d’été. Des familles trainaient des poussettes en dégustant des glaces, des adolescents se couraient après, avec ou sans ballon, des couples d’amoureux cherchaient un banc à l’écart des regards obliques, pour y rendre bien malgré eux hommage à Georges Brassens, et quelques fanatiques du running profitaient de la fraicheur toute relative de l’heure tardive, comme Chloé et moi venions de le faire.

 

-En fait, au lieu de péter une gueulante, je me suis barrée. J’avais besoin de respirer un peu, de me retrouver seule…

-Il t’a avoué ça comment ?

-Oh tu sais, la forme importe peu. Il n’était pas bien, tout coincé, j’ai senti venir le truc et voilà, il m’a dit qu’il avait couché avec elle.

-Des détails ?

-Je n’en ai pas demandé, et il ne m’en a pas donné.

-C’était au début de ton séjour ?

-Oui, le dimanche, deux jours après mon arrivée. Il m’a dit ça à la fin de la journée. Et donc je suis partie, j’ai erré dans Londres, en fait non j’ai pas erré comme une âme en peine, j’ai même plutôt passé une bonne soirée à vrai dire. J’ai descendu des bières, j’ai fumé un pétard avec un jamaïcain… c’était le soir du cent mètres, tu sais ?

-Ah oui, j’étais devant ma télé.

-Ouais, et moi devant un écran géant avec une chope à la main et un grand black hystérique à mes côtés.

-Ensuite ?

-Ensuite je suis rentrée, mais disons … en mode vengeresse.

-Aïe.

-J’étais dans un état second, j’avais marché toute la soirée et tout le début de la nuit, j’étais un peu anesthésiée par l’alcool et la beuh, et j’ai commencé à faire ma conne.

-C’est-à-dire ?

-Je crois que je m’étais mis dans l’idée qu’en me les tapant tous les deux, je reprendrais le dessus.

-T’es une sacrée orgueilleuse, toi.

-Tu peux dire une sacrée conne, hein, je ne me vexerai pas.

-Non, mais l’orgueil peut faire faire des conneries.

-Oui... Et donc, quand je suis rentrée on s’est retrouvé à trois, j’ai commencé à allumer Éric, et une fois qu’il était bien chaud, je me suis retournée vers Blanche-Neige.

-Et c’est là que tu l’as embrassée.

-Voilà.

-Mais elle s’est laissé faire ?

-Oui. Je ne sais pas trop si elle m’aurait laissée continuer, mais pour le baiser, elle ne m’a pas stoppée.

-Avec la langue ?

-Oui.

-Ok… ensuite ?

-Après, je me suis rendu compte que je déconnais à pleins tubes, je me suis excusée, et je suis repartie dans ma chambre. Voilà, c’est tout.

-C’est bien que tu aies su t’arrêter à temps. Je ne crois pas que dans ces conditions, ça aurait été la partie à trois la plus saine…

-En effet.

-Éric t’a rejointe, et vous vous êtes expliqués, c’est ça ?

-Voilà, t’as tout compris. Et puis le lendemain, ma relation avec Inkeri s’est apaisée. Elle m’avait déjà elle aussi présenté ses excuses, elle l’a refait, bon bref … on est passé à autre chose.

-Tu as ressenti quoi en l’embrassant ?

-Un désir incroyable. Je crois même que c’est ça qui m’a fait reculer, et renoncer à ma connerie. J’ai eu une putain d’envie d’elle, mais un truc de fou. Ça m’a fait peur. J’ai eu le sentiment d’être dépassée par ma propre colère, ça m’a aidé à ouvrir les yeux sur ce que je faisais et pourquoi je le faisais.

-Le contexte y est pour beaucoup, dans ce désir.

-Oui, sauf que depuis…

-Tu penses à elle !

-Oui.

-Ok, je crois que j’ai à peu près pigé le décor.

 

Deux mecs en short et baskets s’arrêtèrent sur le chemin gravillonné, à la hauteur de la pelouse sur laquelle Chloé et moi étions allongées.

 

-Hé les filles, on s’apprêtait à courir. Vous voulez venir avec nous ?

-On a déjà couru, répondit Chloé.

-Ah bon ?

-Non mais tu crois que j’aurais la tronche de Cruella qu’on aurait oubliée dans un sauna, si je n’avais pas DEJA couru, intervins-je ?

-Oh ben moi je te trouve toute jolie, pourtant.

-C’est très aimable à toi, mais si je cours ne serait-ce que cent mètres de plus, je te vomis dessus.

-Bon, on va vous laisser papoter, alors.

-Bonne séance.

-A plus les filles.

 

Chloé me regarda.

 

-Au moins toi t’es claire, avec les mecs qui draguent.

-J’étais à moitié sérieuse, hein, j’ai la tête qui tourne…

-T’as mangé, aujourd’hui ?

-Euh… depuis ce matin, pas vraiment.

-Faut vraiment que je te coache au quotidien, si tu veux finir une course officielle dignement !

-Oui, maman.

 

Chloé sortit un petit sachet plat d’une des poches zippées de son pantalon de running hideux. Elle me tendit trois abricots secs. Je crus que le premier ne passerait jamais ma glotte. Le deuxième proposa au premier de refaire le trajet dans l’autre sens, mais ils optèrent heureusement pour le statu quo. Le troisième me fit un bien fou.

Chloé reprit son analyse circonstanciée de ma sexualité.

 

-C’est la première fois que tu ressens ça pour une fille ?

-Que je ressens et que je fais quoi que ce soit, oui.

-En dehors de cette forte pulsion, au moment où tu l’as embrassée pour t’imposer entre eux, tu as ressenti de l’attirance pour elle, dans la semaine qui a suivi ?

-Je l’ai trouvée adorable et très sympa. Je me suis même fait la réflexion que ça aurait été plus pratique si elle avait été une grosse connasse. Mais avec elle, même en essayant, je peux pas en vouloir et haïr une nana aussi sympa que ça !

-D’accord mais là tu ne me parles pas de désir sexuel.

-Euh non, en effet. A part la trouver objectivement très jolie, j’ai pas eu envie de lui sauter au minou pendant le reste de mon séjour.

-C’est donc depuis que tu es partie de Londres que tu as cette attirance ?

-Oui, ça m’a pris dans l’avion et ça ne me lâche plus depuis.

-Je vois, je vois …

-Alors, doctoresse Freud ? Verdict ?

-T’es conne.

-Je croyais que j’étais seulement orgueilleuse.

 

Chloé se mit à rire et se redressa.

 

-Je vais nous chercher un truc à boire, le marchand de glace doit être encore ouvert.

-Bonne idée.

 

All I ever wanted

All I ever needed

Is here in my arms

Words are very unnecessary

They can only do harm

 

Chloé disparut cinq minutes et revint avec une petite bouteille de Perrier et un cornet dans lequel trônaient deux boules monstrueuses de glace blanche incrustée de copeaux noirs.

 

-C’est ça que t’appelles nous chercher à boire ?

-Je pourrais tuer pour une boule de stracciatella.

-Oui, ben fais tourner, meuf.

-Tiens… Bon pour ton histoire, j’ai pas vraiment l’impression que tu sois en train de virer de bord.

-Tu m’en vois désolée.

-A qui le dis-tu… Moi, ce que ça m’évoque, c’est que tu réagis au fait que tu te retrouves seule, que tu les sais ensemble, enfin au sens où ils continuent de vivre tous les deux chez leur propriétaire, sans que tu ne sois là pour surveiller.

-Je ne surveillais pas, j’avais vraiment tiré un trait sur ce qui s’est passé.

-Oui, là c’est ta cervelle qui parle. Mais ne sois pas naïve. Tant que tu étais là-bas, même sans les fliquer volontairement, ta présence assurait un risque zéro qui rendaient faciles ton détachement et ton généreux pardon. C’est plus compliqué quand t’es de retour chez toi et que rien ne te prouve que ton Éric adoré n’est pas en train de se baigner dans la mer Baltique.

-Merci pour l’image.

-Tu vois ce que je veux dire. Je ne dis pas qu’il va recommencer. D’ailleurs ça m’étonnerait. Il a dû être vacciné, et le fait qu’il te l’ait avoué prouve qu’il tient à toi. S’il avait eu pour projet de la sauter deux fois par jour, il t’aurait caché son dérapage.

-Si je te suis, je suis repassée en mode vengeresse depuis que je les ai laissés seuls à Londres.

-Pas totalement. Tu es quelque part entre le fauve que tu devais être quand tu as failli te la taper, et la gentille Léa compréhensive qui se balade dans Londres avec la maîtresse de son petit ami.

-Mais c’est pas le même désir, que je ressens. Quand je l’ai embrassée, j’étais vraiment en colère, aveuglée par un sentiment de prendre le pouvoir, de régler mes comptes. Le désir est venu pendant le baiser. Là je ne ressens pas de stress, pas d’angoisse, pas de colère, quand je pense à elle. D’ailleurs j’y pense machinalement, sans le vouloir.

-L’autre hypothèse, c’est tout bêtement que t’aurais ouvert la boite de Pandore.

-Et que j’aurais aimé ça ?

-Non. Justement, tu n’en sais rien. Tu as juste titillé ta curiosité.

-Mais dans ce cas je fantasmerais sur toutes les nanas…

-Non, parce que tu es hétéro. Ta curiosité se cristallise sur celle que tu as embrassée et pour qui tu as ressenti quelque chose de fort.

 

Je me rallongeai dans l’herbe après avoir rendu sa glace à Chloé. C’était un peu confus, mais pas mal vu néanmoins. Le plus probable, comme toujours, était que la vérité se situât quelque part entre les deux hypothèses.

 

-Et je fais quoi, maintenant ? Ça va passer ?

-Ou alors, tu te la tapes.

-Tu sais qu’elle m’a avoué qu’elle est bi ?

-Hein ?

-Oui, oui… le lendemain matin, quand on a un peu reparlé de tout ça juste elle et moi.

-Ah oui, donc je comprends mieux pourquoi elle ne t’a pas repoussée quand tu l’as bécotée. Mais elle t’a dit quoi sur cette initiative que tu as eue ?

-Elle m’a demandé pourquoi je l’avais embrassée.

-Et t’as répondu quoi ?

-Que j’en savais rien. C’était d’ailleurs vrai. Et je ne me voyais pas commencer une explication sur ma personnalité démesurément entière et mes névroses obsessionnelles de tout maîtriser y compris les gens et leurs sentiments…

-Jolie paraphrase pour le mot orgueil.

-Et donc elle m’a dit qu’elle avait apprécié.

-Quoi, votre baiser ?

-Oui.

-Ah oui ben alors d’accord !

-Quoi ?

-Bah t’es pas juste en face d’un truc un peu borderline que t’as tenté sur un coup de tête et qui te l’as mise à l’envers, la tête… T’es en face d’une vraie opportunité. C’est ça qui te travaille !

-Oui, enfin, elle m’a pas non plus fait des avances.

-Non elle s’est juste laissé embrasser et t’a dit ensuite qu’elle avait aimé. A part ça en effet, rien ne prouve qu’elle soit open.

-Bon…

-Après, te sens pas obligée non plus de céder à tes fantasmes. Ça peut très bien en rester là, ton histoire. Elle va t’obséder quelques temps, surtout si t’es seule sans Éric et que niveau cul c’est un peu la loose.

-Merci…

-Mais ça te passera quand tu redécouvriras les joies du pénis.

-Ça te met dans des états, en effet, la stracciatella…

 

Nous finîmes par nous lever et rentrer chacune chez soi. Après l’avoir quittée au pied de son immeuble, je parcourus les quelques pâtés de maison qui le séparaient de mon studio, plongée dans mes pensées. Quoi qu’il en fût, je n’allais pas résoudre le problème instantanément. Je verrais bien, déjà, si cette obsession soudaine passerait le cap des quelques jours, et finirait par s’éteindre d’elle-même, avec ou sans joies du pénis, ou bien si elle résisterait au temps en devenant un vrai désir concret.

Je pris ma douche et dînai, puis répondis à quelques sms que Charlotte m’avait adressés depuis l’île de Beauté. Mélanie et elle me manquaient. Je tentai d’appeler la matrone en Sicile mais elle avait coupé son portable ainsi que son répondeur. Elle m’avait prévenue qu’elle serait injoignable à certaines périodes.

Je pris un bouquin et m’endormis très tard.

 

La semaine fut calme.

Je profitai de ma solitude pour bosser sur mon mémoire, dont mon directeur avait fixé à la mi-septembre l’échéance d’un premier bilan. J’avais passé la fin du printemps à préparer mes examens de première année de master, et depuis le début du mois de juillet, j’avais entamé la lecture des deux revues qu’il m’avait fournies afin de délimiter ma problématique et de lancer mes recherches. Je savourais la liberté offerte par l’absence de job estival. N’étant pas obligée de passer mes journées dans un fast-food ou un supermarché, j’avais une souplesse idéale pour me consacrer à ces lectures et travaux à mon rythme. Les revues avaient engendré de nombreuses questions, lesquelles avaient débouché sur de nouvelles lectures qui elles-mêmes avaient suggéré une nouvelle bibliographie, ce qui paraissait sans fin. Le fait d’avoir du temps était d’ailleurs piégeant, puisque rien ne me forçait à restreindre ma documentation et à circonscrire mes investigations, qui, appuyées par mes obsessions habituelles de tout comprendre et de tout maîtriser, avaient tendance à partir dans tous les sens. Je passai ainsi de nombreuses heures sur les tables de la bibliothèque universitaire, à me demander comment venir à bout d’un tel projet sans que cela ne devienne une thèse de doctorat incompatible avec les objectifs raisonnables, et plus modestes que moi, qui m’avaient été fixés.   

Charlotte me donna quelques nouvelles depuis Vizzavona, où Loïck et elle venaient de boucler la fin de la première moitié de leur périple sur les sentiers du GR20, en sirotant un Corisca Cola à une terrasse d’où elle m’appelait. Elle semblait épuisée mais comblée par cette randonnée mythique qu’elle avait méticuleusement préparée pendant tout le printemps en compagnie de son petit copain.

 

Mes pensées pour Inkeri ne faiblirent pas. Je ne parvins pas à savoir s’il s’agissait de l’insistance d’un fantasme bien réel, ou si le seul fait d’avoir tenté de l’analyser l’avait stigmatisé dans mon esprit contrarié. Einstein n’avait-il pas dit que l’observation d’un phénomène modifie le phénomène en question ?

Éric me téléphona plusieurs fois, et glissa au cours des conversations quelques allusions discrètes censées me rassurer : sa colocataire et lui n’avaient pas réitéré leurs galipettes. Je trouvai l’attention délicate quoique stérile. Et surtout, je me rendis compte qu’elle ne répondait finalement à aucune inquiétude patente.

Avais-je confiance à ce point ?

Avais-je atteint un degré de détachement stoïque, tel que la maxime « sustine et abstine » eût pu rejoindre la rose noire, tatouée sur ma cheville droite ?

Ou au contraire, l’absence de trouble trahissait-elle non pas de la sagesse, mais de l’indifférence ?

J’étais heureuse de parler à Éric, et j’avais hâte de le revoir. Mais il manquait quelque chose. Une petite pointe d’enthousiasme, comme je l’avais si souvent ressentie, en des moments où mon cœur s’était comme arrêté de battre pour mieux profiter de sa voix.

 

Chloé avait raison sur un point. Quand le cerveau a fini son discours pragmatique, la vérité du ressenti s’impose. Impossible de tricher avec elle.

 

Jeudi, je reçus trois clients et découvris qu’il existait un tourisme pour les salons de massage. Un des hommes qui passèrent ce jour-là entre mes mains était en vacances et, profitant d’une après-midi que sa femme consacrait sans lui à la visite de je ne sais quel parc d’attraction ou d’aventure avec leur progéniture, il venait tester les salons érotiques sur son lieu de résidence. Je lui fis donc la démonstration que mon final à moi apportait bien plus de sensations que les circonvolutions du plus sensationnel grand huit.

Arthur acheva mon après-midi. L’habitué du salon alternait désormais entre Alessia et moi, et postait systématiquement un compte-rendu sur le forum, dont je me demandais s’il n’en était pas actionnaire, à tel point qu’il donnait parfois l’impression de venir nous voir dans le seul but d’avoir quelque chose à y écrire. Mélanie et moi nous étions parfois amusées à l’imaginer rédiger son éval depuis notre salle de bain, trente secondes après la finition, la verge encore suintante.

Mais il était un homme intéressant, qui avait su, à l’époque où je venais d’en découvrir l’existence, calmer ma hargne contre ce site d’échanges et de témoignages. Là aussi, il m’avait fallu accepter que certaines choses échappent à mon contrôle.

Lui-même en congés, il doubla son temps de présence coutumier et resta une heure, toujours aussi fasciné par mes seins qu’il chérit avec passion pendant toute la demi-heure qu’il passa sur le dos. Cette vénération m’interpellait, d’autant que ma poitrine ne me semblait pas la mieux armée pour susciter de tels débordements fétichistes. Je lui soumis mes interrogations.

 

-Dites-moi, quand vous êtes avec Alessia, vous devez être dans un état proche du coma !

-Pourquoi dites-vous cela ?

-Vous semblez incroyablement sensible aux poitrines des femmes… je vous vois tellement attentionné avec la mienne, alors a fortiori, j’imagine qu’avec Alessia, vous devez basculer dans la folie, non ?

-Vous avez raison sur un point. Je suis un véritable adorateur des seins. Par contre vous avez tort sur l’idée que cette adoration croît avec le bonnet du soutien-gorge.

-J’en prends bonne note.

-Comme de nombreuses femmes, Alessia et vous avez des poitrines qui effectivement me rendent dingue, chacune a sa façon.

 

Comme pour illustrer son propos, il colla son nez entre mes deux mamelons et … inspira, renifla, lécha ma peau !

 

-Vous sentez tellement bon… quel est votre parfum ?

-Very irresistible.

 

Sa langue lapa chaque millimètre carré d’épiderme, partant quasiment de mon aisselle, dessinant un arc par-dessus mon sein, pour rejoindre la naissance de ma gorge. Je n’avais jamais vu ça. La durée deux fois plus longue que lors de ses visites habituelles lui donnait le temps de se lâcher complètement. C’est alors que je compris à quel point l’orgasme peut être mental.

Arthur éjacula après … cinq secondes de finition. J’eus seulement le temps d’enduire la verge d’huile et de la décalotter, qu’elle se répandit en longues délivrances visqueuses qui semblèrent ne jamais devoir s’arrêter de couler.

 

-Euh, je suis désolée, j’ai pas vraiment eu le temps …

-Ce n’est absolument pas un problème, Lola. J’ai eu une finition d’une demi-heure en face de vos seins magnifiques.

-Bien bien…

 

Pour la première fois depuis que je connaissais l’existence du forum, je m’y connectai le soir même, par curiosité, pour voir quelle tournure il avait donné à la séance et de quelle manière il l’avait décrite. Bien entendu, sa prose était déjà en ligne : « Comme toujours, Lola m’a emmené au sommet avec tendresse et bonne humeur. Sa tenue estivale est un régal, et la lui faire enlever (jamais entièrement… elle résistera jusqu’au bout !) est un excellent investissement. Ses petits seins fermes m’ont accompagné pendant toute la séance, et les voir onduler sous mes yeux, goûter les tétons et caresser les mamelons, sont des moments aussi jouissifs que le massage en lui-même. Dans le salon d’Alessia et de Lola, le seul regret est de devoir choisir entre les deux. »

 

J’en connais qui avaient eu les deux à la fois !

 

Je retrouvai Chloé en soirée, pour une nouvelle séance. Elle avait tenu à monter à deux fois par semaine et encore, il avait fallu que je la calme : cette folle était capable de me faire courir tous les jours.

Elle me questionna sur le trouble que je lui avais avoué. Sans entrer dans les détails, je lui évoquai l’absence de changement, ainsi que mon impression que cela masquait même une petite partie de mes pensées destinées à Éric.

 

-Tu as prévu de le revoir bientôt ? Il vient, tu y vas ?

-C’est pas facile pour lui de venir, avec son stage, alors tant que je suis en vacances et que j’ai du temps, c’est plus simple pour moi.

-Tu vas y retourner quand ?

-La semaine prochaine c’est mon anniversaire, j’avais envie de le passer avec lui.

-Dans une semaine pile ?

-Oui, le 23 août, et justement j’aurai vingt-trois ans !

-Excellent.

-J’avais pensé y aller jeudi pour mon anniversaire et rester le week-end.

-Faudra qu’on les fête ensemble aussi tes vingt-trois !

-Avec plaisir.

-Et comme cadeau tu pourrais t’offrir une première course officielle, qu’en penses-tu ?

-Que ça doit être compliqué de te faire des cadeaux, à toi…

-Non mais sérieusement, y’a un cinq kilomètres dans un village à un quart d’heure en voiture, le dimanche 26. Mais tu seras sûrement à Londres.

-Oui, je pense.

-Il y en a un autre un peu plus loin le dimanche suivant, le 2 septembre.

-Là c’est jouable.

-T’es partante ?

-Allez…

-Génial ! Bon alors pour se préparer au mieux, il faut passer à trois séances de course par semaine.

-Euh…

-Il faut ce qu’il faut !

-Chloé, à chaque fois qu’on court on fait dix bornes… je crois que je suis prête à en faire cinq en course officielle.

-Oui mais tu ne veux pas finir dernière !

-Comment te le dire… je m’en fous ?

-Mais non voyons ! Et faut voir ça comme un entrainement, pour te tester en course officielle sur une distance facile avant de s’inscrire ensuite à un dix kilomètres !

-Tu ne veux pas faire un tour du monde en courant, et tu partirais maintenant ?

-Rhhho t’es méchante !

 

De retour dans mon studio, je me mis devant quelques épisodes de Lost, que j’avais laissée au milieu de l’énigmatique saison 5 dont la surenchère dans la complication narrative, contrairement à de nombreux fan, m’avait quelque peu fait décrocher. Je continuai par curiosité, afin de voir quel serait le fin mot de l’histoire.

Entre deux flashbacks et flashforwards, mes pensées eurent ainsi tout loisir de dériver elles-aussi. La discussion avec Chloé repassa en toile de fond pendant que les liens se tissaient.

 

Éric… Mon anniversaire… Londres… Un cadeau… Inkeri…

 

Et si tout cela s’avérait compatible et conciliable ?

Ce que Lola avait voulu faire par arrogance, était-il possible que Léa le désirât comme un simple fantasme ?

 

Vows are spoken

To be broken

Feelings are intense

Words are trivial

Pleasures remain

So does the pain

Words are meaningless

And forgettable

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez