C’est chaque fois la même chose. Je marche systématiquement dans le même couloir pour arriver automatiquement devant la même porte, mais j’oublie toujours ce qui se trouve derrière. Comme guidé par une main invisible, j’appuie sur le poignet et entre. Toutefois, aujourd’hui je sens qu’il se passe quelque chose de différent. J’ai peur. Peur de ce que cache cette pièce. J’avance à tâtons. Soudain, je heurte une paroi violemment. L’instant d’après, la lumière envahit les lieux. Mes paumes sont à plat sur une baie vitrée. Tellin se tient de l’autre côté. Je recule inconsciemment, mais il ne m’a pas remarqué. Il me tourne le dos. C’est là que je la vois, les mains attachées derrière elle, la tête penchée en avant comme un acte de soumission et le regard vide.
- Isis, bafouillé-je.
Comme s’il m’avait entendu, Tellin se retourne. Il sourit. Ses lèvres bougent. Je ne perçois rien, mais arrive à lire « Trop tard ». Il tire et mon aide de camp s’effondre, une balle entre les deux yeux. Le sol semble se dérober sous mes pieds et je hurle.
Je me redresse dans mon lit, mon cri toujours au fond de ma gorge. Le corps mort d’Isis est encore gravé sur ma rétine. Pas elle, pensé-je. J’allume ma lampe de chevet comme à chaque fois dans un geste mécanique. Je m’apprête à sortir de mon lit pour frapper chez mon aide de camp, mais impossible de bouger. Ce n’est qu’à ce moment-là que je remarque les deux bras sur mon ventre. Je me retourne vers la personne derrière moi. Hans me regarde inquiet. Ses lèvres bougent toutefois aucun son ne me parvient. La seule chose que je perçois, ce sont les battements de mon cœur affolé. Celui-ci pulse douloureusement dans ma tête. Je ferme les yeux pour me calmer et m’oblige à réguler ma respiration, mais les bras d’Hans m’empêchent de le faire correctement. Isis est vivante. Je ne dois pas l’oublier. Peu à peu, ma surdité disparait et la voix d’Hans me revient clairement.
- Elena, appelle-t-il doucement.
Voyant que j’ai retrouvé mes esprits, il relâche son étreinte sur mes côtes me permettant de respirer plus facilement.
- Ça va mieux, demande-t-il.
Je me contente d’opiner de la tête. Le visage d’Hans se détend. Je glisse ma main dans la sienne. Sentir sa présence m’apaise. Il entremêle ses doigts aux miens.
- Merci d’être là, murmuré-je.
- Toujours.
Hans s’apprête à éteindre la lumière, mais je l’en empêche. Pas maintenant ! Même avec lui à mes côtés, je ne me sens pas prête à retrouver l’obscurité. Après une brève hésitation, mon compagnon se rétracte.
- Veux-tu en parler ?
Je me tends. Personne ne connait mes cauchemars, ceux qui me tourmentent la nuit et qui ne me laissent aucun moment de répit. Ai-je vraiment envie d’en parler ? Non, car ils représentent mes craintes, mes faiblesses. Les dire, c’est me mettre à nu et sans défense. Je jette un coup d’œil à Hans qui se tient près de moi. Enfin, me corrigé-je en me rendant compte de mon erreur, lui les connait. Je resserre ma prise sur ses doigts.
- Isis, j’ai cru qu’il l’avait tuée, lâché-je.
- Qui ?
- Il, répété-je.
Je ne veux pas citer cet homme, pas après tout ce qu’il nous a fait. Hans passe une main sur mes épaules pour me rapprocher de lui.
- Elle est vivante Elena. Ne t’inquiète pas, me rassure-t-il, mais ses paroles ne m’apaisent en rien.
- Je sais, déclaré-je. Elle est dans sa chambre et elle n’est pas prête d’en sortir.
La main d’Hans se contracte sur mon épaule. Je me retourne vers lui craignant qu’il ne fasse une nouvelle crise. Cependant, il n’en est rien et c’est un regard embarrassé que je croise. Je me dégage et le pointe du doigt.
- Toi, tu me caches quelque chose.
Il nie. J’insiste. Il finit par craquer.
- Avant de venir te voir, j’ai rencontré par hasard ton aide de camp qui se rendait chez Liam.
J’écarquille les yeux.
- Et tu ne me dis rien, m’exclamé-je furieuse.
Il lève la main comme pour marquer un cessez-le-feu.
- J’ai promis de me taire si je la raccompagnais dans sa chambre. Elle avait été choquée par les évènements de la journée et désirait parler à Liam.
Même s’il a souhaité bien faire, je lui en veux.
- Promesse ou non, Hans, j’ai sa garde. S’il lui était arrivé malheur cela aurait… »
- Absolument pas été ta faute ! me coupe-t-il.
- Bien sûr que si ! craché-je.
Je lui tourne le dos. Il jure puis se lève pour me faire face.
- Ah non, Elena ! On termine cette discussion. Si je ne l’avais pas croisée, personne n’aurait jamais rien su. De toute façon, elle se fichait bien de ton consentement. À part l’enfermer, tu n’aurais rien pu faire.
Je me rembrunis davantage.
- Si, mieux la protéger, mais même ça j’ai échoué.
Hans s’accroupit et enveloppe mes mains avec les siennes. La colère a disparu en offrant sa place aux chagrins. C’est vrai, j’ai perdu Isis. J’aurais beau lui expliquer mon geste, elle ne le comprendra jamais. Je pensais que je l’accepterais, mais je me leurrais. Je retiens tant bien que mal les larmes qui commencent à pointer. Je ne veux pas inquiéter la personne en face de moi, c’est pourquoi je lui déclare :
- Toutefois, je dois continuer à me battre pour elle.
Je serre un peu plus les doigts de mon compagnon.
- Ce ne sont pas des insultes que je te dois, Hans, mais des remerciements.
Il glisse son index sur ma joue.
- Voir cette détermination sur ton visage me suffit.
Sur ce, il se redresse pour retrouver sa place à mes côtés. Il désigne la lampe.
- Je peux ?
Pour toute réponse, je l’éteins moi-même. L’obscurité me surprend et je dois réprimer mon envie de rallumer la lumière. Les bras de mon compagnon enserrent à nouveau ma taille et me rapprochent de lui. Ma tête se cale sur son épaule et j’éprouve un certain réconfort à sentir son souffle dans mon cou.
- Hans, murmuré-je.
- Hmm ?
- Parfois, je me demande comment tu fais pour me supporter.
J’entends Hans rire doucement. Ses mains se pressent davantage sur mon ventre. Je frissonne lorsque son nez glacé frôle ma peau et plus encore quand il y pose ses lèvres dessus.
- Tu es toi-même et pour moi, il n’y a rien de plus précieux.
Pour la première fois depuis longtemps, j’arrive à me rendormir et le seul élément qui m’oblige à émerger est mon réveil.
Juste un detail dans la toute derniere phrase : puisque tout est au present, ca fait bizarre de brusquement avoir des verbes au passe simple. Il me semble que tout peut rester au present?