Chapitre 7 1/2

Par Zig
Notes de l’auteur : Bonjour à tous ! Oui, je suis lente, désolée ;_; Ce chapitre est sans doute l'un des plus importants (vu tout ce qu'il pose d'un point de vue narratif), et j'ai galéré dessus ! Il est encore bien trop maladroit pour un moment aussi clef mais ma foi... disons que pour un premier jet, ça suffira ! J'attends avec impatience vos remarques et conseils ♥ PS : J'ai découpé le chapitre en 2 parties parce qu'il est assez long, et je me dis que ce sera plus confortable pour vous ! Bonne lecture.

L’air embaumait le chaud, la menthe et le miel. Contre les paumes de Cole, sa tasse de thé irradiait sans le brûler, ramenant à sa mémoire une sensation agréable, tout droit sortie du passé. Si son corps ne lui avait fait aussi mal – résultat évident de son altercation avec Ichab –, Cole aurait pu se sentir apaisé par un lieu qu’il connaissait par cœur, et qui faisait renaître ses souvenirs d'enfant.

Juste à sa droite, le lieutenant Kyn étalait ses jambes maigres et interminables, sur lesquelles reposait sa veste militaire. Loin des soldats du rang, il se permettait une décontraction lasse, qui collait avec la nonchalance de son caractère. Sous l’étroite fente de son regard, l’intelligence offrait sa flamme tranquille et permanente. S’il semblait se détendre, ce n’était qu’une impression. Kyn ne baissait jamais sa garde. Pas totalement. Il tenait cette particularité de son mentor : le capitaine Cheshi, actuellement occupé à disposer – sur un vieux plateau ébréché – des gâteaux aux amandes et à l’orange. Comme à son habitude, le maître du fort prenait son temps pour l’heure du thé. Il s’agissait d’un ancien rituel, l’un des rares qu’il avait conservés de sa vie à la capitale. Ceux qui le connaissaient bien – Kyn et Cole en faisaient partie – avaient appris à patienter, et profiter.

« Je suis désolé de t’avoir fait attendre, s’excusa finalement Cheshi. Comme tu peux t’en douter, je pouvais difficilement te convoquer sans la moindre information à offrir.

— J’aurais aimé vous saluer plus tôt, souligna Cole, sans amertume.

— Je le conçois. Disons que la situation est exceptionnelle, et que j’ai dû fait preuve d’impolitesse. J’espère que tu ne m’en veux pas ».

Un sourire las crispa les traits du sergent, et Kyn laissa entendre un ricanement amusé : un peu grinçant, mais sans méchanceté.

« Je vous dérange ? plaisanta le lieutenant. Je n’aimerais pas gâcher vos retrouvailles. »

Cheshi lança à son bras droit un regard faussement outragé, avant de lui tendre le plateau – toujours bancal – sur lequel il avait parfaitement aligné ses pâtisseries. Kyn ne mangeait jamais de sucre – en partie pour raison religieuse – mais il en prit une, dans le but évident de ne pas froisser son supérieur. Tout dans les gestes, les paroles, les expressions aussi, révélait une routine efficace, entretenue par des années de travail commun. Un instant, Cole éprouva de la jalousie. Au fort, la vie s’était poursuivie sans lui, faite de nouveaux rituels et d’une tranquillité à laquelle lui n’avait plus le droit. Dans sa tête se bousculait le long défilé des « et si ». Et s’il n’était pas parti ? Et s’il n’avait pas été repéré par la capitale ? Et s’il avait pu rester ici, avec ces deux hommes qu’il considérait comme des membres de la famille et qui – aujourd’hui – le tenaient loin de leur petit monde ? Cole regrettait ses choix, jetait son être dans un futur incertain et angoissé, incapable de s’ancrer au présent.

« Chasse les ombres de ton front, lui ordonna Kyn. Si tes sourcils continuent à se froncer, ils vont dépasser ton nez. 

— Ce serait une physionomie fort étrange, constata Cheshi, sans comprendre la plaisanterie. Mais concentrons-nous plutôt sur ce qui nous amène ici. Nous avons perdu assez de temps.

— Vous dites ça à cause du thé ?

— Attention lieutenant, avertit le vieil homme, je vous connais farceur, mais il y a des choses auxquelles on ne s’attaque pas !

— Au temps pour moi, j’ai franchi une ligne. »

Kyn décocha à Cole un regard complice, qui détendit l’ancien nomade.

« Tu sais encore sourire ? releva Kyn. À te voir si sérieux, je commençais à me demander si l’on ne t’avait pas remplacé par un autre.

— Pourquoi diable ferait-on cela ? s’interrogea Cheshi, toujours dépassé par le second degré.

— Mais pour vous rencontrer, mon capitaine, embraya Kyn.

— Pourquoi voudrait-on me rencontrer ?

— Pour parler de ma mission ? les interrompit Cole, mettant fin à la comédie. Je suis désolé de jouer les rabat-joies – d’autant plus que le lieutenant semble beaucoup s’amuser – mais je suis très fatigué ».

Et il souffrait. Si par miracle Ichab ne lui avait rien cassé – et ce n’était pas faute d’avoir essayé –, son corps n’en restait pas moins meurtri. Préoccupé par les tensions de ces derniers jours, Cole n’avait que peu dormi. Il attendait beaucoup de cette rencontre et, pour le moment, elle n’allait nulle part.

« Je comprends, et je te prie de bien vouloir nous excuser. C’est vrai que tes soldats paraissent difficiles à contrôler, leur gestion doit demander une grande énergie. »

Par automatisme, Cheshi porta la main à sa moustache, qu’il frisa du bout des doigts. Son air sérieux – voire sévère – contrastait avec la douceur de sa personnalité.

« Les relations se sont apaisées, entre ce nomade et toi ? reprit le capitaine.

— Disons qu’il respecte sa promesse, c’est un début.

— C’était finement joué ce combat rituel, reconnut Kyn, mais aussi risqué.

— Un risque nécessaire, mon lieutenant. Ichab est belliqueux, mais loyal. Je devais le recadrer rapidement, avant que les autres ne me débordent ».

Cheshi et Kyn échangèrent un coup d’œil embarrassé. S’ils tentaient de rester polis et bienveillants, une certaine forme de jugement passait dans leur regard. Cole en fut blessé, mais ne pipa mot.

« C’est une complication malvenue, releva Cheshi. Ces garçons sont des cadets, n’est-ce pas ? Ne devraient-ils pas être plus… disciplinés ?

— Mon équipe souffre d’un grave problème de construction, qui n’est malheureusement pas de mon fait. C’est le conseil qui a désigné mes hommes, et leurs choix donnent naissance à des tensions délicates à gérer.

— Tu essayes de te dédouaner ? lui reprocha Kyn.

— Non, monsieur. Je fais état de ma situation. Je possède peu d’informations sur les membres de mon escouade et, sans ordre de mission, j’avance à l’aveugle. Il me faut du temps pour asseoir mon autorité et créer une cohésion. La rancœur d’Ichab contre notre pays m’a semblé le plus urgent à régler.

— “Notre pays” ? C’est aussi le sien, sergent.

— Il ne voit pas les choses de cette manière, et je doute qu’il accepte un jour cet état de fait. Les membres de sa tribu sont des pillards et mènent des attaques contre les caravanes marchandes. Sa présence parmi nous relève d’une volonté politique qu’il ne valide pas. Il lui faut encore du temps, pour comprendre son rang ».

Nerveux, Cole chercha le calme dans son observation du bureau. Rien n’avait changé depuis neuf ans, tout restait à sa place, au millimètre près. Malgré l’ambiance poussiéreuse du fort, il ne subsistait aucune trace de saleté, sur aucun meuble ni aucun bibelot. Même les cartes étalées au mur – pourtant vieilles et fanées – faisaient l’objet d’un nettoyage méticuleux. Comme le répétait souvent Cheshi : « nous sommes des soldats, certes, mais des soldats propres ». D’une certaine manière, il avait transmis cet état d’esprit à Cole.

« Tu es sans doute le mieux placer pour ça, conclut Cheshi. Et les autres ? Je suppose que tu es préoccupé par Hughes ? »

Cole confirma, tandis que Kyn grimaçait. Le lieutenant connaissait suffisamment la famille pour deviner l’étendue des dégâts, une inquiétude que Cole amplifia.

« C’est un homme libre, qui supporte mal l’autorité et n’obéit qu’à sa propre volonté, cette même volonté qu’il opposera sans cesse à la mienne. Plus grave, il montre une franche hostilité contre Sinead Connor, sans que j’en comprenne la raison. Son amitié avec Mons commence déjà à scinder le groupe.

— Je n’ai jamais entendu parler de ce Mons, signala Cheshi. Son nom sonne très olien, mais ça ne m’en dit pas plus.

— Il est issu d’une riche famille de pêcheurs et a suivi le cursus universitaire de la capitale. C’est un érudit, pas un combattant.

— Encore un arriviste, s’agaça le capitaine.

— Peut-être, mais ses compétences pourraient s’avérer utiles. Il maîtrise de nombreuses langues, connaît l’étiquette et les usages diplomatiques ainsi que l’Histoire et la géographie. Il n’a pas révélé tout son potentiel, mais je sens qu’il en a sous le pied. Il m’apparaît comme une personne volontaire et tenace : pas le meilleur soldat, mais pas le pire non plus.

— Méfie-toi de ce genre d’homme, conseilla Kyn, sortant du silence. Ils ont les dents longues et l’amitié fragile. Tu devras le surveiller avec attention. »

Cole fronça les sourcils, gêné par les propos du lieutenant.

« Si je commence à me méfier des membres de mon équipe, je n’ai aucune chance de succès

— Je ne vais pas te mentir, mon garçon, quoiqu’il en soit, tu te trouves dans une belle panade ».

Enfin, le capitaine commençait à aborder leur sujet principal : la mission. Plus le temps passait, plus Cole sentait venir le coup fourré. Il y avait trop de choses étranges, de détails dérangeants et de détours improbables. Bientôt, il ne se reposerait plus sur des spéculations pour envisager l’avenir et pourrait prévoir, organiser, calculer. Il reprenait le contrôle.

« Le lieutenant a évoqué hier son retour de la capitale. Je suppose qu’il s’y est rendu pour un conseil, au cours duquel il en aura appris davantage sur mes objectifs. Capitaine, lieutenant, je ne peux pas attendre plus. J’ai conscience que quelque chose cloche et il n’y a que vous pour m’éclairer.

— En effet, confirma Cheshi, c’est pour ça que nous sommes là. »

Le vieil homme fit courir des doigts nerveux sur l’accoudoir, donnant naissance à un bruit feutré et crispant. Lentement, il déplaça sa main arthritique pour s’emparer d’un coffre de bois, duquel il tira une longue pipe ouvragée. Malgré la raideur de ses gestes, Cheshi bourra l’objet avec des réflexes d’habitué et activa un briquet à amadou.

« La mission qui vous a été confiée s’avère insolite, expliqua-t-il. Tes garçons et toi aurez pour objectif de déclencher la guerre entre Kern et l’Alybie. »

Si Cheshi annonçait la nouvelle avec calme et détachement – accompagné par les crispations anxieuses de Kyn –, Cole se montra moins serein. À peine les sons avaient-ils franchi le seuil de sa conscience, qu’un vide glacial s’était abattu sur son dos, coulant le long de son torse pour figer le cœur. Il resta là, incapable de former le moindre mot, laissant son cerveau prendre en charge le poids des informations.

« C’est une mission suicide ? finit-il par demander.

— Tu ne sais même pas à quel point, l’enfonça Cheshi ».

Gagné par la panique, Cole se mit à respirer plus vite, produisant un chuintement nasal qui résonnait dans le calme. De manière paradoxale, tout lui semblait ralenti, enveloppé dans un nuage épais et givrant.

Comme ni Cole ni Cheshi ne quittait leur mutisme, Kyn se permit d’intervenir, essayant de ramener son subalterne parmi les vivants, et d’épauler son supérieur. Car, si Cheshi n’en montrait rien, il n’était pas moins ébranlé par la situation. Lui aussi ne savait comment mener l’entretien, et cachait son trouble derrière une attitude froide et détachée.

« J’ai assisté à la mise en place de la stratégie, rappela Kyn, et tous les conseillers semblaient conscients de ce que cet ordre impliquerait.

— Ma mort, résuma Cole. Ma mort et celle de mes cadets.

— Pas forcément, essaya de temporiser Cheshi.

— Vraiment ? C’est Anor… Ai-je besoin d’évoquer ce qui est arrivé au dernier émissaire ? Angus Connor venait réclamer la paix et il est reparti les pieds devant, sans sa tête. À votre avis, que va-t-il advenir de ceux qui ouvriront les hostilités ? Et la Ligue ? Elle va gentiment accepter ça ? Je croyais qu’il ne fallait pas se la mettre à dos ? »

Des éclats de rire brisèrent l’atmosphère tendue de la pièce. À l’extérieur, la vie continuait et les soldats vivaient. Malgré l’épaisseur des vitres, les rumeurs de la cour intérieure parvenaient jusqu’à eux, charriant la force du quotidien et le plaisir des habitudes.

« En réalité, le plan du roi est plus tortueux qu’il n’y paraît, reprit doucement Kyn. Tu as raison, une déclaration de guerre nous mettrait la Ligue des Pays de l’Ouest à dos, et nous ne pouvons nous le permettre. Les traités signés après le carnage de la Ligne Verte nous empêchent d’entrer en conflit, et forceraient l’Alybie à quitter la Ligue. Nous avons besoin d’eux pour faire avancer notre économie et assurer les échanges commerciaux. Il en va de même pour Anor, et c’est à cause de ça que nous sommes bloquées depuis plusieurs années.

— Mais le roi ne se contente plus de ce statu quo, pourquoi ? s’enquit Cole.

— Parce que Kern bouge vers le Shaoui, le renseigna Cheshi. Des mouvements suspects ont été constatés à la frontière, mais rien d’assez important pour faire remonter à la Ligue. Ces déplacements ne sont pas anodins, et seul un idiot minimiserait l’affaire. Anor est un homme intelligent, il sait ce qu’il fait. Nous devons prendre les devants. L’Alybie ne peut pas se permettre de briser ses accords, mais ne doit pas non plus se laisser surprendre par les tactiques sournoises d’Anor.

— Nous devons pousser l’adversaire à l’erreur, comprit Cole. Kern doit fauter en premier, pour justifier un dépôt de plainte auprès des Tribunes de la Ligue. Nous pourrions alors provoquer le rejet et l’isolation d’Anor ».

Ce qu’on attendait de lui demandait un investissement colossal, et une abnégation que Cole possédait. Son pays comptait sur lui pour s’attirer les foudres d’un tyran, et entraîner le massacre de toute une escouade. La stratégie s’avérait simple sur le papier, mais terriblement compliquée à mettre en place. Certes, Anor était réputé pour sa cruauté et sa propension à faire sauter les têtes, mais aussi pour ses ruses tortueuses.

« Vous pensez vraiment qu’Anor va se laisser piéger ? C’est tellement gros que le premier abruti venu comprendrait immédiatement le principe.

— Tout va reposer sur toi, signala Cheshi, sur tes choix, tes réactions, la gestion de tes hommes… Les participants ont été soigneusement sélectionnés dans ce but.

— Roy ne saura pas garder sa place, Ichab ne restera pas insensible face au génocide Mal'eens et Sinead se retrouvera confronté au meurtrier de son père… Je comprends un peu mieux la composition de mon équipe. »

Les bruits de la cour gagnèrent en intensité : un sergent instructeur – au verbe haut, et fleuri – prenait en charge les recrues nomades.

« Tiens, constata Cheshi, c’est Shuran qui s’occupe de la formation.

— On le reconnaît sans peine, s’amusa Kyn ».

Cole, lui, ne remarquait rien. Il trouvait déplacée et agaçante l’attitude nonchalante de ses supérieurs. S’il se doutait qu’ils essayaient d’apaiser l’ambiance et rassurer Cole, l’échange provoquait l’effet inverse de celui recherché. Cole se crispait chaque seconde davantage, frappé par l’injustice de la situation. Tout avait été fait dans son dos, calculé de manière à ce qu’il se retrouve face au mur. Non seulement on le précipitait vers la mort, mais en plus on attendait de lui qu’il la déclenchât sans faire de vague. Et le pire, dans toute cette affaire, c’est qu’il obéirait ; parce qu’il était un brave petit soldat.

« Pourquoi moi ? J’ai déjà prouvé que je n’étais pas capable de tenir une stratégie, et mener des troupes. C’est pour ça que j’ai été choisi ? Je paye encore pour mes erreurs sur le front ? »

Pour la première fois, Cole ressentit la peine de Cheshi. Durant un tout petit instant, il n’était plus son supérieur mais son père de substitution : celui qui l’avait pris sous son aile et élevé, pour le transformer en homme juste, droit et intelligent. Cole baissa les yeux, croisa les bras, essayant de se protéger, de repousser cette détresse qu’il sentait chez son mentor. De manière un peu abrupte, il les ramena tous à la conversation, évitant de laisser remonter ses propres sentiments.

« Ne répondez pas, c’est inutile. Je ne sais pas si c’est une histoire de revanche ou de confiance, ça ne changera rien aux faits. Le gouvernement m’ordonne de mener quatre garçons dans une opération suicide, avec pour objectif de déclencher une guerre qui provoquera la mort de centaines de personnes. Sans parler de la manière dont cela pourrait déstabiliser l’équilibre politique.

— L’équilibre politique ? s’étonna Kyn.

— Le roi envoie sur le terrain le seul héritier des Hughes, et le fils d’une des familles les plus puissantes d’Alybie. De plus, les Connor ont déjà beaucoup donné au pays, et on leur en demande toujours plus. Vous imaginez que ça n’aura aucune conséquence ? Et Ichab ? C’est presque un prisonnier politique… Vous pensez que les Kinuus vont apprécier ?

— Il fallait des hommes précieux, pour justifier une réclamation auprès de la Ligue et assurer nos arrières. Si nous envoyons d’illustres anonymes, le stratagème n’aura aucun effet notoire. »

Kyn restait silencieux, ses jambes toujours étalées vers l’avant et son attention tournée vers les bruits du dehors. Cole le connaissait suffisamment pour savoir qu’il cachait quelque chose.

« Qui menait le conseil ? demanda l’ancien nomade.

— Le fils aîné du roi, répondit Kyn.

—  Pas le roi en personne ? Il s’agit pourtant d’une affaire importante. »

Un peu ailleurs, le lieutenant avala trois longues gorgées de thé froid. Il répliquait avec ce ton morne des gens perdus dans leurs têtes. Il y avait chez Kyn quelque chose du pantin, ou de la marionnette, un changement violent, qui heurta Cole.

« L’héritier est problématique. Ce n’est pas une mauvaise personne, mais il s’est très mal entouré et le roi aimerait le voir évoluer. Évidemment, l’actuel Olivien a tout orchestré en coulisse et surveille les décisions même si… certaines choses semblent lui échapper.

— Du genre ? »

Kyn ne répondit pas, ou plutôt son regard le fit pour lui. Cole comprit qu’ils reviendraient sur ce sujet plus tard, tous les deux et en privé. Si Cheshi avait intercepté le silencieux échange, il n’en laissa rien paraître, préférant grignoter un biscuit et écouter le pas lourd de son secrétaire, de l’autre côté de la porte.

« Que suis-je censé dire à mes hommes ? Comment vais-je aborder la question ?

— Il n’y a pas de bon moyen, l’informa Cheshi, et de toute manière tu n’en as pas le droit. Plus vous serez nombreux à connaître la vérité, plus vous risquez de compromettre cette mission. Tes cadets se montrent instables, pour la plupart, et nous ne savons pas comment ils pourraient réagir. Officiellement, vous partez ratifier de nouvelles clauses pour le traité de paix. Tout reposera sur toi : tu devras tirer les ficelles et te montrer discret. Le conseil ne te punit pas, mais te pense apte à réussir et place sa confiance en toi. Tu es un soldat droit, qui a toujours servi sa patrie quitte à tout abandonner pour le bien du pays. C’est le genre de profil qu’ils cherchent, et les officiers capables de probité ne sont pas légion. »

Des explosions noyèrent à moitié la tirade, suivies par des coups de feu. Aucun des trois occupants de la pièce ne s’inquiéta : ils connaissaient l’origine du raffut, s’y étaient habitués avec le temps. Les plus jeunes s’entraînaient, se formaient pour une guerre qui leur tomberait rapidement dessus, et que Cole déclencherait. Cette pression angoissait l’ancien nomade, se logeant au fond de lui, où elle ne manquerait pas de grandir en silence. Il se sentait coupable.

« Arrête ça, ordonna sèchement Kyn. Je te connais assez pour savoir ce qui se passe dans ta tête, mais tu ne dois pas laisser la panique t’envahir. Tu es quelqu’un d’émotif, beaucoup trop, alors tue ces émotions, elles te nuisent. »

Heurté par des propos qu’il jugeait trop durs, Cheshi tenta d’adoucir l’instant, montrant l’ampleur de son tendre paternalisme.

« Tu ne fais qu’obéir, mon garçon. L’Alybie est un désert et tu n’es qu’un petit grain de sable. Si le vent t’envoie bloquer les roues des marchands, ce n’est pas de ton fait. Ne prends pas la responsabilité pour ceux qui la refuseront. Ils ne penseront pas à toi, ne pense pas à eux. ».

Lentement, avec toutes les difficultés engendrées par l’âge, Cheshi se déplia, morceau par morceau, afin de se mettre debout. Sa main abîmée se posa sur l’épaule du plus jeune et la serra, partageant une force qu’il possédait encore et voulait offrir.

« Tu es l’une des fiertés de fort Malthus, la preuve que l’on peut réussir en partant de bas et que l’intelligence ne se trouve pas forcément dans les plus hautes sphères. Kyn et moi nous avons foi en toi. Je sais que ça peut paraître aberrant, mais notre roi maîtrise la situation. S’il pense que cette guerre enrichira l’Alybie alors nous devons lui faire confiance, et servir ses plans. Nous ne voyons pas l’ensemble de ses calculs, mais lui a tout sous les yeux et le regard tourné vers toi. Tu peux le faire et tu le feras.

— Mais je ne reviendrai pas.

— Oui, c’est vrai. Et je suis heureux de pouvoir te dire au revoir. »

Cole sentit sa gorge se serrer et sa main trouva celle du vieil homme, agrippant le poignet maigre, à la peau tombante. Pudique, Kyn tourna un peu plus la tête, évitant d’adopter la posture d’un voyeur, lui qui montrait peu ses propres émotions.

« Je te promets que ton corps ne sera pas abandonné, et que je m’en chargerai, Jessieh.

— Et les autres ? Roy et Sinead auront le droit à une sépulture, mais Camille et Ichab…

— Nous nous occuperons d’eux, assura fermement Kyn. Ce n’est pas le capitaine qui s’y engage, c’est moi. Le cadavre de Camille trouvera le chemin de sa famille et je me débrouillerai pour Ichab. Si sa dépouille n’entraîne pas des tensions, je le ferai parvenir aux Kinuus. Sinon je chercherai un autre moyen. »

Dure, tangible, factuelle, la réalité fauchait Cole avec la violence d’un lac en furie. Ni Cheshi ni Kyn n’envisageait la moindre chance de survie. On avait tiré les dés et il devait payer les conséquences, sans aucune possibilité de maîtrise.

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Flammy
Posté le 10/06/2021
Coucou !

Tu dis que tu n'es pas satisfait de ce chapitre, mais wooow, moi je l'ai trouvé très intense, très bien ! Franchement, surtout avec la fin là, ça fait vraiment le poids qui tombe d'un coup sur l'estomac, je trouve que les montagnes russes émotionnelles sont très bien gérées tout du long !

Au début, j'étais très frustrée, presque un peu en colère contre les deux supérieurs. Eux ils sont bien confortables, bien encroûtés dans leurs petites habitudes tranquilles pépères et ils se permettent de faire des remarques/reproches alors que Cole se retrouve quand même avec une belle merde dans les bras sans n'avoir rien demandé x) Donc j'étais pas mal énervée au départ.

Et après, quand ils comment enfin à balancer la vérité... Même si on sent une tendresse envers Cole, un vrai intérêt de leur part, je les trouve tellement cruel et injuste en fait. Envoyer quelqu'un à la mort avec le sourire et tout en disant "C'est les ordres du roi, c'est lui qui sait le mieux", c'est ultra violent. Je comprends totalement leur position et le contexte, c'est dans ce genre de situation ce qu'il faut faire, mais ça n'en reste pas moins très violent j'ai trouvé. Surtout que pendant l'explication du plan, il y a un certain détachement, et le seul moment où Cole se permet de s'énerver un peu, il ne s'autorise même pas à s'énerver et continue à prendre sur lui, c'est dur quoi.

La fin, où ils parlent des différents cadavres, je dois te dire que j'avais bien la gorge serrée. C'est vraiment dur, bassement matériel, mais en même temps, c'est là qu'on voit le mieux l'affection/le respect des supérieurs. Et personnellement, c'est là que d'un coup, je me suis dit "Merde, ya vraiment rien à y faire, faut juste y aller quoi".

Franchement, les émotions et la tension tout du long, j'ai vraiment trouvé ça ultra bien rendu, et personnellement, j'ai vraiment beaucoup aimé ce chapitre, même si j'en ai gros sur la patate après ^^"
Zig
Posté le 11/12/2021
Tu as tout compris aux enjeux et sous-entendus du chapitre, je suis trop contente **

Encore merci de me lire, de me suivre, et de m'apprécier, ça fait vraiment du bien... La réécriture des Equilibres est un peu en pause (pour me permettre de continuer Les Fossoyeurs), mais ça me donne vraiment envie de l'y remettre et de ne pas abandonner !

Alors merci... mon absence de réponse est d'autant plus inadmissible. Je ne mérite pas des supers lecteurices comme vous u_u
Alice_Lath
Posté le 19/08/2020
Eeeeh bien, j'ai envie de dire que j'aime beaucoup l'intrigue que tu nous proposes là haha, même s'il y a juste un point de détail qui me chiffonne : je trouve qu'on met beaucoup de temps à savoir le pourquoi de cette expédition, avant ça fait assez flou, on ne sait pas trop dans quelle direction ça va.
En tout cas, j'ai beaucoup aimé cette rencontre entre les trois hommes, elle était vraiment intense à souhait, puis je comprends ce que tu voulais dire par chapitre charnière et important. Je dois te dire que tu t'en es vraiment super bien tirée !
Zig
Posté le 11/12/2021
Coucouuuu !

Ouais... la lenteur... mon principal problème (encore plus sur Les Fossoyeurs). J'ai encore tellement de travail sur ce roman que, parfois, ça me désespère... Peut-être pour ça que mes envies se tournent plus vers Les Fossoyeurs, depuis que j'ai repris l'écriture. J'adore les Equilibres, mais je vois bien que je ne parviendrai jamais à en faire quelque chose d'équilibré (lol) et de cohérent... c'est le souci des premiers romans, je suppose, c'est comme ça !

Merci en tout cas ! Ca fait toujours plaisir de lire des conseils et des compliments ♥
Elore
Posté le 15/08/2020
Wow !

C'est vrai que beaucoup de choses se jouent dans ce chapitre. L'intrigue se clarifie et prend une toute autre ampleur, avec des enjeux particulièrement intéressants. Malgré l'aspect politique, j'ai trouvé les dialogues et les explications de tes personnages très claires. Tu maîtrises aussi bien le cadre environnant (l'ambiance sonore, etc). Cette fois, on sent vraiment la vie dans le fort, bien joué ! ♥

Je ne savais pas trop où me situer avec Cole, mais ce bout de chapitre permet de mieux s'identifier à lui et ses émotions. Je trouve que tu les décris très bien (en particulier le passage où le bruit de l'entraînement au-dehors le rappelle à la réalité de sa mission !! *Chef's kiss*).

Une petite remarque : je pense que tu pourrais insister un peu plus sur l'attitude des trois personnages les uns envers les autres, pour souligner la douleur et la solennité du moment. Par exemple, j'ai trouvé que la phrase "Pour la première fois, Cole ressentit la peine de Cheshi." arrivait un peu "sans raison", ça aurait été chouette de voir une réaction physique de Cheshi qui amène cette réflexion (par exemple) !

J'ai vraiment trouvé ce demi-chapitre super intéressant, j'ai hâte de lire l'autre moitié ♥
Zig
Posté le 19/08/2020
Ah ça ! Le chapitre 7 c'est un gros morceau, et j'avais bien, biiiiien la pression. Sans lui, y'a plus grand chose qui tient, et la structure n'a plus aucune cohérence. Du coup je suis flippée qu'on ne comprenne pas tout, ou qu'il y ait des lacunes dans lesquelles les incohérences pourraient se glisser (mon flippe absolu dans ce roman).
Du coup ça me rassure un peu de lire ce que tu m'écris !

Cole c'est un casse-couille... il est assez difficile à caractériser et sa mise en place prend du temps, parce qu'il est très stagnant et très lisse, et qu'il a moins de place au sein du groupe. Le chapitre est aussi là pour le révéler un peu et, là aussi, je suis rassurée que ça marche un minimum T.T
Je ne vais pas mentir, je cerne beaucoup moins ce perso que les autres... et ça se sent.

Et je note ! Je suis tellement nulle pour créer la charge émotionnelle... (je vais prendre des cours auprès de toi :p). Il faut vraiment que je travaille un peu plus les interactions donc... peut-être en glissant quelques indices pas trop évidents, mais qui laissent moins place à la surprise par la suite !

Et je passe à la suite avec toi, du coup !

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