Pénélope s’était relevée le rouge aux joues, regardant tout autour d’elle si elle avait attiré l’attention et malheureusement c’était le cas. Quelques invités l’avaient vu tomber, ceux qui avait raté l’action demandaient à ce qu’on leur raconte la chute, d’autres avaient entendu un cri affreux et s’étaient retournés. On murmurait, la fixait et certains n’avaient pas hésiter à pouffer. Elle épousseta sa jupe tout en bafouillant des excuses à son partenaire, qui lui aussi se sentait gêné d’avoir dansé avec un boulet pareil.
Alma s’était vite éloigné après avoir accompli son action, évitant les reproches et les accusations. Son cœur, rempli d’une joie et d’une satisfaction indescriptible, manqua d’éclater.
Elle croisa le regard de Loréa qui était à quelque mètres d’elle. Puis celui d’Hasper. La lueur dans leurs yeux étincelants était emplie de fierté, sur leurs lèvres elle crut y lire ces deux mots : « bien joué ». En effet c’était bien joué, discret et rapide, pour un résultat bruyant et indélicat. Alors elle leva son verre en leur direction, leur adressa un petit clin d’œil avec un sourire resplendissant sur ses lèvres et but une gorgée du liquide bleu pâle.
Le léger malaise qui flottait dans la salle pendant quelques minutes réjouissait une certaine personne. Il y avait quelque chose de satisfaisant à semer la confusion et la gêne chez les autres.
—Très chère, j’espère que vous ne vous êtes pas blessée ?
La sollicitude de la reine n’avait rien d’étonnant. Toujours soucieuse et proche de ses sujets, toujours douce et belle, la reine Raya avait tout l’amour, la confiance et le respect de son peuple. Sur son trône, rayonnante d’affectuosité et de bienveillance, son intervention avait permis de dégager Pénélope de tous les regards posés sur elle.
—Je… hum… Oui ça…ça va merci votre majesté, bredouilla Pénélope intimidée.
N’importe qui aurait été intimidé dans ce genre de cas.
—S’il vous plaît mes jeunes magiciens n’en faites pas tout un plat, il arrive à tout le monde de chuter et moi la première ! rigola la reine. Alors amusez-vous ! C’est la raison pour laquelle vous êtes venus n’est-ce pas ?
La positivité de la reine était contagieuse et bientôt tous les invités reprirent ce qu’ils étaient en train de faire, comme si rien ne s’était passé. Les violons reprirent leur mélodie, les talons claquèrent à nouveau sur le sol, les rires et les conversations occupaient à nouveaux les bouches, tout semblait oublié. De son côté, Pénélope partie s’assoir sur une chaise un peu à l’écart, récupérant au passage une flûte de sarenine qu’elle avala d’une gorgée. Les joues encore rouges et les mains tremblantes de honte, ses yeux menaçaient de pleuvoir : sa soirée tant attendue avait été gâchée.
Sa mission accomplie, Alma n’avait plus vraiment d’autres raisons d’assister à la réception alors elle s’élança en direction du balcon pour prendre l’air.
Au moment où elle posa sa main sur la poignée en or, quelqu’un lui attrapa le bras et l’entraîna au milieu de la foule.
Soan.
Ce garçon aux yeux parfaitement verts, lumineux comme les arbres en été et soulignés de khôl ce soir là. Son costume rouge et blanc taillé parfaitement lui sciait gaiement malgré le fait qu’il n’ait pas pris soin de coiffer ses cheveux brun, toujours aussi désordonnés et ébouriffés qu’à son habitude. Son sourire aurait pu faire tomber n’importe qui mais Alma ne le connaissait que trop bien. Elle pensa qu’il aurait pu être beau s’il n’était pas aussi énervant.
Tout autour, les invités étaient en train de danser sur un air de violon doux. Elle n’eut pas le temps de se débattre que déjà, il se colla à elle et plaça une de ses mains sur sa taille et emmêla l’autre aux doigts fins d’Alma. Ses mains étaient chaudes et grandes contrairement à celle d’Alma relativement petites et d’une extrême froideur. Elle essaya de le repousser mais il la maintint avec force. Il avait une tête de plus qu’elle et la pression qu’il exerçait sur sa taille aurait pu la dissuader de le repousser mais au contraire, elle en avait bien plus envie.
—Qu’est-ce que tu essayes de faire là ? cracha-t-elle la voix remplie de mépris.
—Ça ne se voit pas ?
Il l’entraîna dans la même danse que ceux autour et elle tenta une nouvelle fois de se débattre, en vain, il la maintenait contre lui avec trop de force. Ne voulant pas faire un carnage en lui envoyant un coup de poing devant tout le monde et surtout devant la reine, elle se retint mais le regard noir qu’elle lui lança était assez significatif. Il lui répondit par un sourire espiègle.
Des murmures s’élevèrent et bientôt presque tout le monde les regardait. Les commérages allaient de nouveau fleurir.
Alma détestait de plus en plus ce garçon.
—Le perdant d’un duel qui danse avec la gagnante, de quoi nourrir de croustillantes rumeurs, n’est-ce pas ?
Serrant les dents elle lui répondit :
—Et ça t’amuse ?
Un sourire mesquin apparut sur les lèvres de Soan.
—Peut-être.
—Je te préviens, je ne fais ça que parce qu’il serrait inconvenable de faire un scandale devant la reine mais tu ne payes rien pour attendre.
Il fit semblant de frissonner.
—Ouh tu me fais peur, tu vas encore m’envoyer une potion ?
Alma se renfrogna et il remarqua avoir toucher un point sensible.
Il s’approcha de son oreille et lui murmura :
—Tu laisses parfois échapper certaines réactions, donc tu n’es pas si insensible que tu le laisses penser.
Elle faillit s’étrangler de colère et ses doigts se crispèrent dans la main de Soan comme si elle voulait lui briser les phalanges. Elle ne le regardait pas dans les yeux, refusant de voir dans son regard la lueur qui y brillait.
Ce garçon avait le don de la piquer là où ça faisait le plus mal. C’est pour cela qu’elle le détestait. Et aussi parce qu’il semblait toujours avoir une longueur d’avance sur elle, toujours avec son sourire insolent.
—Je peux te poser une question ? demanda Soan.
—Non.
Il rigola et ignorant son refus l’interrogea :
—Pourquoi es-tu toujours aussi désagréable ?
Alma leva les yeux vers lui. Le regard vert qui lui faisait fasse était sincère, sans sous-entendu ni envie de se moquer. C’était une vraie question dont il semblait se soucier de la réponse. Question qu’on lui répétait bien trop souvent. Elle fronça les sourcils et détourna le regard une fois de plus.
—Qu’est-ce que ça peut bien te faire ?
—Moi rien. C’est pour toi.
—Pour moi ? se moqua-t-elle.
Il la fit tournoyer du bout de la main faisant virevolter sa robe avant de la récupérer avec une aisance laissant penser qu’il a dansé toute sa vie.
—Tu n’en as pas marre de porter ce masque ? l’interrogea-t-il comme s’il ne venait pas de lancer une bombe.
Il enchaîna :
—Je t’ai vu à la boutique et je me souviendrai toujours de ce que j’ai vu. Je t’avoue que je ne comprends toujours pas ce qu’il s’est passé mais je pense que tu portes bel et bien un masque. Après, lequel est le vrai, je ne sais pas encore.
La musique se termina. Et Alma se figea. Elle le regarda, interdite. Il avait non seulement brisé son masque, mais aussi toute l’armure qui la maintenait en sécurité. Toujours une longueur d’avance hein ?
Alma s’éloigna en le repoussant. Elle détestait vraiment ce garçon. Ces épaules se couvrirent de chair de poule pendant qu’elle mettait une certaine distance entre eux. Elle était complètement bouleversée. Pour la première fois de sa vie depuis des années. Elle n’aurait pas dû. Mais ce soir-là, avec ce garçon, tout s’était écroulé. Elle était redevenue la petite fille abandonnée par ses parents, fragile et chamboulée, remplie de peur.
Enfin tout ça ce n’était qu’à l’intérieur, parce qu’elle devait se montrer forte, peu importe les situations. Son regard laissait échapper une colère noire, ses poings étaient fermés et aussi solide que la pierre, sa mâchoire était tendue à s’en casser les dents. Mais Soan avait remarqué la lueur triste et bouleversée qui avait traversé ses yeux un bref instant. Ce n’était pas ce qu’il avait voulu. Ou peut-être que si en réalité.
Depuis qu’il était entré dans sa vie, plus rien n’allait. Il avait fait tomber ses protections une à une, dérégler ses sentiments et remis en question tous ses efforts.
Si elle n’avait pas porté cette fichue robe, elle aurait pu sortir bien plus rapidement mais elle était obligée de faire usage de toute sa grâce cachée pour garder un minimum de dignité. Elle avait mal. À la tête. Et au cœur.
Pieds nus dans les couloirs du palais, elle avait des ampoules aux pieds et se baladait sans but.
Elle s’arrêta sur une passerelle qui surplombait une eau calme reflétant le ciel rempli d’étoiles aussi brillantes que le soleil l’est le jour. Il ne faisait pas trop froid à cette période de l’année et à cet endroit pas même un brin de vent ne vint à sa rencontre. La tête posée sur sa pomme de main elle fit apparaître un flasnea jaune avec ses pétales irréguliers dans son autre main qu’elle jeta dans le ruisseau. Il flotta. Elle le regarda s’éloigner, puis repris sa route vers nul part.
Des souvenirs très peu agréables lui traversaient l’esprit. Ils avaient reflué seulement à cause de Soan, d’habitude elle n’y pensait pas et faisait tout pour. Il était aussi possible qu’elle ait cherché dans tous les grimoires et livres historiques s’il existait une potion ou un sort pour effacer les souvenirs. Malheureusement en vain.
Encore perdue dans ses pensées, Alma aperçu de la lumière dans une des pièces du fond. Quand elle y entra, elle en eu le souffle coupé.
—Waouh, murmura-t-elle.
Cinq grandes colonnes de marbre encerclaient un énorme arbre étincelant de mille feux qui avait poussé au centre de la pièce immergée d’eau. Le toit ouvert laissait passer la douce lumière du clair de lune qui venait éclairer ses milliers de feuilles roses aux reflets dorées. Autour, de grands dessins ornaient les murs, en relief ou en peinture, en couleur ou sans.
Cet endroit était baigné de magie et la seule chose qu’elle eut envie de faire était de plonger ses pieds dans le bassin d’eau et marcher jusqu’à l’arbre pour toucher ses feuilles splendides, son tronc somptueux et sentir la vie qui coulait en lui. Et c’est ce qu’elle fit. Alma posa ses chaussures près de l’entrée, souleva ses jupes et mis ses pieds dans le bassin sans penser que cela devait être interdit.
L’eau était très froide et lui arrivait mi mollets. Elle marcha sans s’arrêter jusqu’à l’arbre et tendit le bras pour le toucher. Le tronc était superbement doux et rugueux en même temps et sa vitalité si puissante qu’elle eut l’impression qu’il traversait son propre corps. Elle prit une feuille dans sa main qui lui laissa une trace d’or quand elle la lâcha. Malgré la froideur de l’eau, Alma sentait une extrême chaleur émanant de cet organisme vivant alors elle resta cramponnée contre. C’était comme si des mains maternelles l’enlaçaient, chaudes et réconfortantes. Front contre tronc, elle se laissait envelopper par cette sensation surnaturelle de bien-être.
—Soit forte.
Surprise par cette voix pourtant mielleuse et affectueuse, Alma recula d’un bond à l’affut d’un potentiel danger, brisant la magie de l’instant. Elle scruta la pièce dans les moindres recoins cherchant d’où provenait la voix qui avait parlé. Pourtant pas un signe d’une autre personne à part elle. Pendant un instant elle pensa avoir rêvé. Mais un détail la frappa de plein fouet. La voix… elle avait parlé directement dans sa tête. Un sort de télékinésie ? Non elle aurait senti le lien s’ancrer dans son esprit. Alors… qui ?
Instinctivement elle se tourna vers l’arbre. Comment un arbre pouvait parler se demanda-t-elle. Pourtant au royaume de la magie, cela pouvait bien être possible surtout dans un lieu comme celui-ci, où la magie se ressentait dans l’air.
—Un arbre sacré hein ? murmura Alma.
On a dû t’insuffler une bonne dose de magie, pensa-t-elle.
Elle inspira un grand coup et relâcha l’air de ses poumons d’un coup. C’est quand elle leva la tête pour observer le ciel, encore parfaitement sombre et rempli d’étoile, qu’elle remarqua l’emplacement de la lune. Déplacée d’une bonne heure elle se dit qu’il serait temps qu’elle rentre.
Elle se décida donc à partir mais avant cela elle s’inclina devant l’arbre, main sur le cœur. Signe de respect et de reconnaissance. Il ne la verrait pas mais au moins il ressentirait le message et ses sentiments.
Chaussures en mains, elle déploya ses grandes ailes et sortit par le toit ouvert, se retournant une dernière fois pour voir l’arbre sacré rapetisser.
La salle de réception était à l’opposé de là où elle était mais elle fit le trajet pour voir où en était la soirée. Accroupie sur une rambarde du balcon extérieur, elle observait la salle encore remplie d’invités qui n’étaient pas encore partis et qui avait l’intention de rester jusqu’à ce que la reine décide de mettre fin à cette soirée si attendue. Cette dernière s’était d’ailleurs levée et dansait avec un élève tout joyeux, non loin d’Hasper et Mariana qui effectuaient la même danse. Loréa parlait avec d’autres élèves, un verre de sarenine à la main. Ce n’était pas comme si elle le cherchait mais elle ne vit pas la chevelure ébouriffée et les yeux verts de Soan. Sans doute avait-il quitté la réception plus tôt. Elle ne fit pas attention à ce sentiment de déception qui l’avait envahi quelques secondes.
Contrairement à ce à quoi elle s’était attendue, ce bal n’avait pas été une si mauvaise expérience que ça. Bien que ses raisons aient été toutes autres que la raison officielle. Elle pensa aussi que c’était la première fois qu’elle dansait avec quelqu’un entourée d’autant de personnes et se félicita de ne pas avoir marché sur les pieds de son partenaire. Elle en rit. Jamais elle n’aurait essayé une chose pareille et elle en remercia Soan pour cela malgré le fait que ce garçon soit aussi énervant.
Avec un besoin d’adrénaline, elle se laissa tomber en arrière, les cheveux dans tous les sens, le vent caressait son corps. Elle rouvrit ses ailes juste avant de toucher le sol, longea la verdure des jardins avant de prendre de la hauteur et rentrer chez elle.
je me suis dit que ça pourrait changer une reine qui danse avec un élève, ça coupe avec les clichés des reines habituelles :)
oui c'est bien lui ! mon cher arbre, je suis pressée que tu en apprennes plus !