Valentina prononçait « Je t’aime » avec la passion du sud, en ouvrant la bouche en forme de O. Après une semaine de bonheur pour Richy, il était temps de rentrer en France. Le garçon ressentait un violent pincement au cœur. Encore une fois : il devait quitter ce qu’il avait de plus cher pour retourner à son fameux programme scolaire. Richy promit à Valentina de lui téléphoner souvent.
Durant son trajet retour, il réfléchit longuement à son avenir, à sa vie. Lorsqu’il débarqua du deuxième train, il rejoignit Albane qui était venue le chercher à la gare du nord de Paris. Dans la voiture, Richy lui parla de son projet d’emménager à Trieste chez les Donnelli et d’y poursuivre ses études.
— Comme ça, mamie m’éduquera comme elle l’a fait pour papa, c’est ce que tu veux, non ? essaya-t-il d’une petite voix.
Il souhaitait la persuader. Il savait sa mère naïve avec les autres, mais avec lui, elle n’était jamais dupe. Pourtant, son idée lui semblait vraiment bonne. Il avait retourné le problème dans tous les sens et cette excuse lui paraissait la plus à même de satisfaire tout le monde. De toute façon, que ce soit en France, en Belgique ou en Italie, il pourrait apprendre la science de la même façon. Albane regardait la route. Elle ne parut pas surprise par sa demande. Elle lui jeta un coup d’œil avant de lancer :
— Mais chéri... je ne voulais pas te l’annoncer de cette façon… mais tes grands-parents pensent à divorcer.
Richy ouvrit de grands yeux. Il réagit au quart de tour :
— Quoi ?! Quand comptais-tu me le dire ? Je ne suis plus un enfant ! Je ne suis pas ta chose ! Arrête de tout vouloir contrôler !
Albane eut un sourire triste. Richy, gentil par nature, regretta immédiatement ses paroles :
— Je… ne voulais pas dire ça maman...
— Ce n’est rien, je sais que tu resteras toujours mon petit bébé à moi.
Il y eu un silence embarrassé. Albane roulait toujours d’un rythme constant sur l’autoroute.
— Je cherchais comment te le dire, reprit-elle, Moi non plus je ne sais pas comment je vais faire. Leur situation s’est dégradée depuis que… donc je ne savais pas comment…
Albane ne finit pas. Décidément, c’était la journée des paroles déplacées. Trop tard, Richy se rendit compte de ce qu’elle avait voulu dire : « depuis que tu es né ». Il n’y avait pas d’autre raison pour laquelle elle aurait voulu le lui cacher : il était fautif. Il est vrai que depuis la naissance de Richy, le couple des Donnelli seniors battait de l’aile. Mamie Donnelli s’était donné pour mission de soutenir Albane et les scientifiques, en mémoire de son fils adoré. Lorenzo regardait tout ceci d’un œil triste, lucide. On gâchait la vie d’un pauvre gamin pour servir l’illusion de deux femmes malades de chagrin et d’un groupe de scientifiques fous qui s’essayaient à des expérimentations hasardeuses. Richy devinait le mépris de son grand-père pour tout ceci, mais il essayait habituellement de ne pas y penser. Depuis petit, il avait été obligé d’essayer de croire un minimum au programme pour s’y appliquer. Maintenant, il se rendait compte de toutes les conséquences que provoquait sa simple existence sur son entourage. Il n’avait pourtant jamais voulu faire de mal. Le garçon déglutit et tourna la tête vers la fenêtre. Il mit ses écouteurs pour couper tout contact avec sa mère. Il se sentait plus seul que jamais.
*
Courant mai, Christophe Maes laissa un étrange message sur le répondeur d’Albane. Il expliquait de façon nébuleuse qu’on ne pouvait plus continuer le programme scientifique et qu’il fallait cesser de retourner à la clinique de Bruxelles où Richy faisait ses tests de contrôle. Il l’avertissait qu’il était venu déposer une lettre dans sa boite aux lettres, où il expliquait plus clairement les choses. Elle trouverait le papier en rentrant. Sa voix était étrange, éraillée, comme usée par un rêve éteint. La communication n’était décidément pas le fort du vieil ours. Albane ne sut d’abord quoi penser. Il avait aussi beaucoup insisté sur le fait qu’ils devaient la voir, seule, entre adultes. S’agissait-il d’une nouvelle tentative de séduction ? Albane le rappela dans la foulée, mais tomba à son tour sur le répondeur. Elle souhaitait obtenir des explications, mais surtout le retenir. Comment osait-il les abandonner ? Arrêter le programme et discréditer tous les efforts auxquels ils s’étaient contraints depuis tant d’années ? Comment osait-il la laisser seule avec un objectif si difficile à atteindre sans lui ? Dans le contexte actuel où Richy lui échappait, elle avait absolument besoin de l’aide du scientifique, qui était aussi un de ses seuls amis. Jamais elle ne pourrait s’en sortir seule.
Comme un soir sur deux en rentrant de la pâtisserie Méert, Albane, s’arrêta dans la cour du vieil immeuble pour ouvrir sa boîte aux lettres où elle trouva l’étrange lettre de Christophe Maes. Elle l’ouvrit immédiatement et la lut en diagonale. Le chercheur rétractait le contrat qui les liait. Le courrier était nébuleux. Il semblait s’agir de querelles entre les laboratoires d’Anvers et de Genève. Maes les diffamait, et souhaitait les attaquer en justice. Il demandait même un appui financier pour engager un avocat. Des enquêtes étaient en cours. Mais pour quoi au juste ? Tout ce jargon était incompréhensible pour la néophyte. « Quel culot ! » L’abandonner, puis demander l’aumône ? Ces querelles d’experts n’étaient pas les problèmes d’Albane. Il n’aurait rien. Elle focalisa sur les critiques que Christophe écrivait sur Richy au début de sa lettre. Son esprit amplifiait sans doute les propos de Maes, mais elle y entendait que Richy était un incapable, ses progrès n’étaient, et ne seraient vraisemblablement jamais concluants. Albane comprit que le programme devait s’arrêter par la faute de son petit garçon. Elle ne pardonnerait jamais une telle insulte. Elle se sentait blessée, comme une louve qui protège son louveteau. À la fin de la lettre, Christophe demandait qu’ils puissent se voir, seulement tous les deux, pour en discuter. Ils devaient parler de choses que Richy ne devait pas connaître dans leur intégralité. Albane en fut folle de rage. À coup sûr, il s’agissait d’une excuse pour la voir et reconduire ses avances. Elle déchira la lettre, les larmes aux yeux. Christophe dépassait les bornes : il bafouait même la mémoire de feu son ami Riccardo, en manœuvrant ainsi pour la séduire. Il rejetait le fils qui lui ressemblait, pour évincer Riccardo de plus belle. Une était chose certaine : il ne reverrait plus jamais ni, Albane, ni Richy. La femme bloqua même son numéro de téléphone, condamnant ainsi tous les futurs appels de Christophe au silence.
Ne pouvant imaginer se retrouver seule dans l’éducation de Richy, cette annonce la convainquit d’accepter la proposition d’Elisabeth Brown. En rentrant à l’appartement, elle lui téléphona sans plus attendre. Elisabeth reprendrait les rênes de l’éducation de l’adolescent, Albane l’annoncerait à Richy après les vacances d’été. En attendant, elle devait empêcher Richy de contacter cet homme injuste. Le soir, lorsqu’il rentra d’une sortie entre amis, Albane lui expliqua sur un ton dramatique que Christophe les rejetait. Le chercheur n’était qu’un pauvre diable, un mauvais homme. Elle lui mentit en lui disant qu’il les abandonnait car il déménageait loin de la région. Le programme ne pouvait plus donc continuer avec lui.
— Mais pas de crainte, assura Albane, il a recommandé une autre personne pour reprendre le programme.
Elle était mal fagotée et n’avait pas même pris la peine de se coiffer. Ses cernes apparentes la vieillissaient de 10 ans. Richy ne fit aucun commentaire. Il écouta placidement sa mère s’épouvanter : Christophe osait réclamer de l’argent pour une cause personnelle. Ce qui embêtait plutôt Richy, c’est que l’homme qui avait été ce qu'il avait le plus proche d'un père n’ait pas eu le scrupule de lui dire au revoir.
Sinon, quelque chose me dit que Ricky ne va pas DU TOUT aimer la proposition de Brown :/ Et les embryons et les trucs comme ça, plus Maes qui part de manière mystérieuse, je pense que c'est lié tout ça