Chapitre 7

Suite à sa démission, Olivier passe à travers quelque chose qui ressemble fortement aux cinq étapes du deuil. Pourtant, il n'a rien à craindre : lui seul a pris cette décision et lui seul est courant. Rien n’est définitif. Pour son patron, il ne s'agit que d'un congé de 6 mois... Mais pour Olivier, c'est la fin d'une époque. Au début, il est dans le déni, refusant de croire qu'il va sciemment nuire à sa carrière, alors que tout lui réussissait. Il réfléchit à ses dossiers, à comment améliorer le système et la satisfaction de ses clients. Il se trouve des excuses pour retourner au travail dans quelques mois. Puis il s'énerve contre lui-même, se traite de tous les noms, dégoûté de réaliser que son job continue de passer avant sa femme. Durant ses crises, il ne cherche même plus à se cacher et hurle au milieu de leur maison. Si Maude l'entend, tant pis. Il essaie de la préserver le plus possible, de la câliner pour qu'elle reprenne rapidement des forces. Mais il a aussi besoin qu'elle ressente son désespoir. Pour le meilleur et pour le pire... Ils ont atteint le pire, et Olivier s'y sent terriblement seul.

Alors il commence à négocier avec lui-même. Ou avec l'entité supérieure, qu'importe laquelle, qui a peut-être une emprise sur son destin. Si Maude va mieux d'ici trois semaines, il s'autorisera à reprendre quelques clients à mi-temps. Si dans quelques mois, elle arrive à marcher sans aide, elle sera assez indépendante pour qu'il retourne au bureau. Et s'il travaille encore quelques années et qu'il investit soigneusement son salaire, ils pourront prendre une retraite anticipée. Cette idée lui plaît tellement qu'il essaie d'en parler à sa femme, évoquant des plages de sable blanc, des cocktails à gogo et des couchers de soleil somptueux. 

— On ira même sur ces îles lointaines dont tu me parlais. On n'aura plus besoin de compter nos jours de congé. On pourra vivre, vraiment.

Maude ne répond pas. Elle ne lui parle plus. Il pensait s'y habituer, mais non. Il se dit alors qu’il vaudrait mieux tout abandonner et que leur vie telle qu'il la connaissait est définitivement finie. Il se demande s'il aurait préféré mourir, ce soir-là, dans le virage qui les ramenait du chalet. Que se serait-il passé s'il n'avait pas donné un coup de volant vers la gauche ? S'il avait percuté l'autre conducteur droit devant ? 

Il passe des journées entières allongé dans leur lit. Celui du premier étage, dans lequel ils se sont tant aimés et échangé tant de promesses et de rêves. Il ne mange presque plus, même s'il cuisine encore beaucoup pour Maude. Il perd du poids. Olivier ne le sait pas, mais il est en dépression. Comment pourrait-il le savoir, alors qu'il refuse de parler à sa médecin ?

— Les mauvaises nouvelles, c'est fini, avait-il dit à Maude après avoir envoyé sur répondeur un énième appel de l'hôpital. On se concentre sur le positif, et rien que le positif ! Et attention, chaque détail compte.

Olivier ne voit pas l’ironie de prêcher la pensée positive en pleine dépression. Il y croit et essaie de s’y tenir. Face à Maude, il continue de sourire et d’être de bonne humeur, mais dès qu’il a le dos tourné, des pensées noires l’assaillent.  Un mois après leur retour chez eux, Olivier a l’impression d’être coincé sur une montagne russe d’émotions, dont il refait encore et toujours les mêmes boucles sans parvenir à l’arrivée. Déni, colère, marchandage, dépression. L’acceptation, ce n’est pas pour lui.

Heureusement, Maude se remet doucement de son traumatisme — au moins physiquement —, et Olivier s’y raccroche avec l’énergie du désespoir. Cela commence par une lente marche autour du lit, pour aller jusqu’aux toilettes ou prendre un bain. Olivier joue les pompom girls, l’encourageant et lui offrant un bras solide pour l’empêcher de trop vaciller. Puis ils se rendent tous les après-midi dans le salon, où ils regardent une émission au hasard. L’important, ce n’est pas ce qu’ils voient sur le grand écran, mais ce qu’il se passe entre eux. Une routine retrouvée. Une complicité qu’Olivier a l’impression de toucher du doigt. Presque. Puis il la raccompagne jusqu’au lit, où elle s’allonge sans un mot, avant de se tourner pour faire face à la fenêtre.

Peu à peu, elle reprend des forces et retrouve une certaine indépendance. Un jour, Olivier rentre des courses pour la trouver dans la salle de bain, en train de se brosser les cheveux. Un soir, c’est dans la cuisine qu’il la retrouve, en train de fouiller dans le frigo comme si elle cherchait quoi cuisiner. Elle porte son long gilet gris, un amas de laine informe qu’Olivier lui avait offert lors de leur premier Noël ensemble. C’est certainement le pire vêtement que Maude possède, mais elle l’a toujours adoré. En la voyant dans ce gilet, Olivier reprend espoir. Il redouble d’attentions, continue de la féliciter et de l’encourager dans la guérison. Mais une partie de lui craint ce qu’il se passera quand Maude sera redevenue elle-même. Pourra-t-elle me pardonner ? Comment fait-on pour vivre avec l’homme qui a failli vous tuer ? Comment partager la vie de celui qui vous a handicapé, peut-être à vie ? 

Il ne veut pas se l’avouer, mais il commence à s’isoler. Il refuse que ses amis viennent lui rendre visite. Il demande à sa famille de lui laisser plus de temps. Il sait qu’il ne pourra plus se cacher très longtemps, mais il repousse le moment où il devra faire face aux critiques. C’est bien connu, on ne blâme jamais quelqu’un qui vient d’échapper de justesse à la mort et qui a failli voir l’amour de sa vie mourir. Mais laissez-lui le temps de s’en remettre, et il sera certainement assez fort pour voir la vérité en face. Et Olivier ne sait que trop bien ce qu’on lui reproche.

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ABChristLéandre
Posté le 27/10/2023
Olivier en dépression. C'est une suite assez logique dans de telles circonstances. Et, c'est une étape assez complexe car on ne sait pas vraiment comment on y est entré, ni comment en sortir.
Maude lui en veut. Quelque chose s'est brisé en eux.
Encore une parfaite illustration des conséquences d'une ambition professionnelle démesurée. A force de chercher à s'assurer le bonheur grâce au travail, il a fini par perdre son objectif de vue en trouvant du bonheur dans le travail. Difficile de refuser à Maude son indifférence.
Leur couple "bat de l'aile", il faut une communication avant que la rupture ne soit plus qu'abstraite.

Mais qui va tenter le coup, le dépressif ou la traumatisée ?

Force au couple !
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