Chapitre 7

Par Ohana
Notes de l’auteur : TW : crise d’angoisse, émétophobie
  • Nous allons faire un détour et passer à la source d’Idris.
  • La quoi ?

L’adolescent avait le corps tendu, ne sachant pas comment faire pour se rapprocher de la monture de Gadriel. La sienne suivait le rythme que les guerriers avaient imposé. Le plus grand lui jeta un coup d’œil, et voyant qu’il était en galère, ralentit pour se mettre à sa hauteur.

Talia, quant à elle, avait rapidement appris les bases. Ses yeux brillants s’assombrirent alors qu’elle tournait son attention vers le guerrier.

  • Il s’agit supposément d’un endroit magique. Je n’y connais pas grand-chose, mais notre commandant a dit que ça pourrait nous être utile d’y faire un tour pour régler ... certains problèmes qui pourraient nous gêner durant le voyage, du moins un moment.

Son regard se tourna vers Alaric et son air se fit insistant. Ce dernier, mal à l’aise, baissa la tête et serra la mâchoire. Il avait bien compris que c’était lui le problème. La magie était, semble-t-il, mal vue, du moins crainte, ici. Éviter qu’il n’ait d’autres dérapages pourrait les empêcher de faire bien des rencontres désagréables. Pour lui, il était plus important de trouver un moyen de ne blesser personne, et surtout sa sœur.

Cette dernière ne dit rien. Son esprit cherchait encore une explication à son incapacité de faire comme son frère. Sa curiosité avait définitivement été piquée, malgré la dangerosité qu’ils représentaient. Être magicien, c’était le rêve un peu fou que tout enfant avait déjà eu, et elle ne faisait pas exception.

L’adolescente se secoua mentalement. Ce n’était pas la priorité. Il fallait qu’elle se concentre sur leur objectif : rentrer chez eux et, si possible, en un seul morceau. Son regard se porta vers Alaric, inquiète. Peut-être que tout ceci la rendait très curieuse, plus curieuse que son frère, en tout cas, mais elle avait vu la peur dans ses yeux. Ils avaient toujours pu compter l’un sur l’autre. Elle ne pouvait imaginer comment il pouvait se sentir à l’idée de pouvoir la blesser accidentellement, ou pire.

Au bout de quelques heures, elle dut se rendre à l’évidence que, malgré son enthousiasme à se déplacer à cheval, elle avait vraiment mal aux fesses et au dos. Les grognements de son frère avaient commencé à se faire entendre quelque temps plus tôt, dans le même état qu’elle. Il ne se plaignait ouvertement pas à leurs guides, ainsi garda-t-elle les lèvres pincées.

Mais ils étaient moins discrets qu’ils ne le pensaient. Après un grognement sonore qui attira l’attention de Gadriel, Loric se tourna momentanément vers eux, les dévisageant. Puis il arrêta sa monture, forçant tout le monde à en faire de même.

  • T’as raison mon vieux, une pause fera du bien aux jeunes ! s’exclama Gadriel, tout sourire.

Les deux adolescents parvinrent à descendre. Se regardant, voyant leur air hagard respectif et leur difficulté à rester droit sur leurs jambes, ils oublièrent un moment leurs soucis et leurs visages s’éclaircirent de sourires moqueurs. Talia fit une grimace à son frère.

Alaric ne se fit pas prier pour s’asseoir à même un tronc d’arbre tombé au sol, étendant ses jambes en réprimant un gémissement. Talia, quant à elle, s’étira le dos.

  • Ça va être pire demain.

La voix rauque et discrète les fit sursauter. Ils tournèrent la tête dans sa direction, mais Loric était déjà reparti s’occuper des chevaux.

Talia porta alors son regard vers la lisière de la forêt.

  • Même d’ici, elle fait flipper, grommela Alaric.

Cela faisait plusieurs heures qu’ils longeaient la forêt maudite. De loin, elle paraissait tout à fait normale. Mais les adolescents ressentaient une tension au creux de leur ventre à chaque fois qu’ils posaient leurs yeux sur elle.

  • Toi aussi tu as l’impression que … quelque chose s’en dégage ? lui souffla Talia, assez bas pour éviter d’être entendue, s’asseyant à côté de son frère.

Ce dernier se contenta de hocher la tête.

  • Elle n’était pas comme ça, avant.

Ils sursautèrent à nouveau et Alaric lâcha un juron, alors qu’ils se retournèrent vers Gadriel, qui s’était glissé derrière eux. Ils ne l’avaient même pas entendu arriver ! Tout sourire, peut-être un peu taquin, il leur tendit deux gourdes d’eau.

  • Pensez à boire beaucoup, surtout si vous n’avez pas l’habitude d’un tel effort. On ne s’arrêtera pas avant la tombée de la nuit la prochaine fois.

Les adolescents ne se firent pas prier, gardant un œil prudent sur l’homme, qui s’installa à leurs côtés. Ne sachant si c’était par curiosité, ou tout autre agenda, ils gardèrent le silence. Parfois, leurs regards angoissés se portaient vers la forêt. Puis Talia craqua :

  • Qu’est-ce qui s’est passé ? Rei nous en a parlé un peu, mais elle-même ne savait pas vraiment.

Un pli barra le front de l’homme.

  • Certains disent que la magie a corrompu cet endroit, faisant muter la faune et la flore. Pour d’autres, ce serait un mal … venu d’ailleurs.

Talia vit le regard qui se posait sur eux et elle serra les dents. Il n’allait certainement pas leur mettre sur le dos ce malheur. Elle pensa à Rei et cela ne fit qu’attiser sa colère. Gadriel, voyant le regard noir de l’adolescente, leva les mains en rigolant.

  • Je ne fais que répéter ce qui se dit ! se défendit-il.

L’adolescente n’en fut pas sereine. Jusqu’à quel point pouvaient-ils faire confiance à ces hommes ? Un appel bref de Loric les détourna du malaise qui s’était installé. Il était temps de repartir.

X

  • Je ne leur fais pas confiance, gronda Alaric.
  • Moi non plus, soupira l’adolescente, tout aussi bas.

Le feu crépitait entre eux et les deux guerriers. Gadriel, avec son enthousiasme habituel, engloutissait le morceau de viande grillée, alors que Loric restait debout, en retrait, semblant surveiller les alentours. Peut-être n’étaient-ils pas dans Argon, mais la Garde avait été informée de plusieurs cas où des créatures de la forêt maudite en sortaient pour semer la terreur.

Ils avaient tous hâte de s’en éloigner, même si personne ne le disait à haute voix.

  • On ne les connait pas. Ni ce Konra. Et cette femme … s’agita-t-il.

Talia tenta de l’apaiser, posant sa main sur son bras.

  • Je ne pense pas qu’elle nous enverrait consciemment en compagnie de personnes qui veulent notre peau. Mais je ne sais pas quoi penser d’eux, murmura-t-elle, s’assurant de n’être entendue que de son frère.

Elle pensait sincèrement qu’Oza-Fynn leur voulait du bien, même si elle avait été très rude avec eux. Peut-être même que le commandant aussi, du moins, elle avait eu un bon sentiment à son égard. Mais ces deux hommes, elle n’arrivait pas à être totalement à l’aise.

  • Ce n’est pas comme si on n’avait d’autres options …

Un murmure adressé plus à elle-même qu’à son frère, alors que son visage se fermait. La fatigue se faisait ressentir dans chaque partie de son corps. Voyant les mains de son frère se remettre à trembler – et elle doutait que c’était à cause de la température – elle raffermit sa prise sur son bras puis posa sa tête contre son épaule. C’était sa manière de lui faire comprendre qu’elle était là.

  • Reposez-vous, demain nous arriverons à la source et si nous avons un bon rythme, nous franchirons la frontière de Dungannon.

Le grognement méprisant de Loric se fit entendre, ne semblant pas porter cet endroit dans son cœur. Les adolescents renoncèrent néanmoins à poser la moindre question. Talia roula alors sur le côté, s’enroulant dans sa couverture chaude, attentive aux mouvements de son frère dans son dos. Elle savait qu’il faisait de même. Ils s’assuraient toujours que l’autre était là, avant de s’endormir. Un réflexe qu’ils ne risquaient pas de perdre, surtout dans ce monde qui leur était totalement inconnu.

Talia crut qu’elle aurait eu du mal à s’endormir, l’esprit bouillonnant, mais la fatigue l’emporta rapidement.

Ce fut le brouhaha près d’elle qui la réveilla en sursaut. Ainsi que le froid, qui lui mordit la peau.

  • Mais calme-toi ! entendit-elle, et reconnut-elle comme la voix de Gadriel.

Celle-ci était néanmoins beaucoup moins moqueuse et désinvolte que d’habitude. Plutôt un mélange de colère et … de peur ?

L’adolescente, le cœur battant, se redressa, prête à se remettre sur ses pieds et se défendre. Le spectacle qui s’offrit à son regard encore un peu brumeux acheva de la réveiller, faisant monter une puissante vague de terreur et de rage.

Gadriel tentait de maintenir son frère au sol. Ce dernier ruait comme un diable en poussant des cris. Ne cherchant pas à comprendre, elle bondit sur ses pieds et voulut se jeter dans la mêlée, pour frapper le guerrier.

Loric la réceptionna de justesse et la poussa sans ménagement, pour l’éloigner.

  • Salopards ! Lâchez-le ! hurla-t-elle, ne se laissant pas démonter.

Elle tenta à nouveau de s’approcher, mais elle ne pouvait se bercer d’illusion. L’autre guerrier la saisit à bras le corps. Son visage fermé ne laissait paraître aucune émotion, si ce n’était de la concentration.

Il ne tiqua même pas quand Talia tenta de lui griffer le visage avec ses ongles, ni quand elle visa les parties plus sensibles de son anatomie. Sa poigne ne se fit que plus forte, provoquant une grande douleur. Il était à la limite de lui briser un membre.

Les larmes lui montèrent aux yeux, sous le coup de la douleur mais aussi la frustration de ne pas pouvoir venir en aide à son frère. Elle n’aurait jamais dû baisser sa garde, croire qu’Oza-Fynn les avait envoyés avec des gens qui voulaient réellement les mener à ce magicien.

Son regard se posa à nouveau vers Alaric et elle se figea, à cause de la fatigue mais aussi de l’incompréhension.

Les traits de l’adolescent s’étaient transformés en un masque qu’elle ne reconnut pas. Un mélange de fureur et de folie. Ses yeux étaient devenus argentés, animés par une puissance qu’elle n’avait fait qu’entrapercevoir jusqu’à présent. Tout autour d’eux, l’herbe avait gelé. Le feu était éteint et seul le ciel sans nuage et la faible clarté précédant l’aube leur permettaient de bien distinguer les alentours. Elle vit enfin que la peau des deux guerriers étaient striées de sang et de glace. Alaric les avait blessés.

Gadriel se démenait toujours avec le démon qu’il était devenu, tentant de l’étrangler pour lui faire perdre connaissance. Alaric continuait à se défendre. D’un coup de pied, il projeta l’homme plusieurs mètres plus loin, comme s’il n’était qu’une poupée de chiffon.

Enfin libéré, l’adolescent se remit debout. Ses yeux hantés se vrillèrent sur Gadriel et un rictus mauvais étira ses lèvres. Ennemis.

  • Alaric ! cria enfin Talia, dont la gorge s’était serrée sous la terreur.

Ce dernier s’immobilisa un moment, son air furieux s’atténuant alors qu’il regardait autour de lui, comme s’il émergeait d’un cauchemar. Mais lorsqu’il vit Talia aux prises avec l’homme, un grondement de colère franchit sa gorge et la fureur glacée envahit à nouveau son regard. Il s’apprêta à se ruer vers eux.

  • Mais qu’est-ce que tu fais ? continua l’adolescente, sur le même ton.
  • On ne peut pas leur faire confiance, Talia ! Ils veulent nous tuer !

Alaric avait crié avec rage, les traits tordus. La puissance qu’il ressentait dans ses veines lui donnait enfin l’impression d’avoir un peu de contrôle sur cette vie qui avait pris un tournant dramatique. Avec ce pouvoir, il pourrait certainement les protéger, tous les deux. Personne n’allait leur faire du mal à nouveau.

  • Non ! Ils veulent nous aider ! Ils …

La voix de Talia mourut, ne sachant pas comment calmer son frère. Loric la lâcha prudemment, son regard toujours vissé sur la silhouette du Voyageur déchaîné. Soudainement sans support, le corps tremblant à cause de l’adrénaline, elle s’effondra sur le sol. Elle avait envie de se recroqueviller sur elle-même, submergée par la peur et ce sentiment que tout lui échappait. L’impuissance. Elle entoura ses genoux de ses bras, enfonçant ses ongles dans ses bras, à travers ses vêtements.

Ce froid étrange qui émanait de son frère lui était familier. Pendant un bref instant, son esprit fut envahi par des bribes de souvenirs. Une route sombre, les phares de leur voiture faisant danser les ombres sur le bas-côté, cette masse énorme à contre sens qui se dirigeait vers eux, puis l’impact. Et ce froid, toujours ce froid, alors que les corps de leurs parents se faisaient broyer par la semi-remorque.

La voix d’Alaric, lointaine, la ramena à la réalité.

  • Ils vont tout nous mettre sur le dos ! On est des monstres pour eux ! Des indésirables dans leur monde de fous ! Ils n’attendent que le bon moment pour nous égorger ! C’est ce qu’ils voulaient faire, mais je me suis réveillé à temps !

Talia leva son regard rivé au sol et vit Gadriel secouer la tête derrière son frère. Il n’y avait plus aucune malice en lui. Son air sérieux ressemblait à celui d’Oza-Fynn, quand elle leur avait promis de les amener à bon port.

Talia prit une grande inspiration, se releva et s’approcha vers son frère, gardant un œil prudent sur les émanations de magie qui l’entouraient.

  • S’ils avaient voulu nous tuer, ils n’auraient pas attendu le matin, répondit-elle, d’un ton qui se voulait calme.

En temps normal, son frère n’aurait pas apprécié le ton doucereux qu’elle avait pris, comme si elle parlait à un enfant. Elle savait à quel point il n’aimait pas qu’on le prenne en pitié ou qu’on l’infantilise, durant ses périodes de crise qui n’étaient, au final, pas de sa faute. Mais c’était comme si elle avait devant elle un parfait étranger.

Elle vit Alaric hésiter, mais il balaya son raisonnement, sa tête se tournant vers Gadriel, qui n’osait plus bouger.

Il pourrait s’en débarrasser. Puis ce serait au tour de l’autre. Cette pensée dangereuse augmenta en puissance dans son esprit. Un vent glacial se leva autour d’eux, balayant brusquement les couvertures et leurs équipements. Les chevaux, déjà paniqués, cherchèrent à fuir leurs attaches.

Talia n’avait jamais vu son frère ainsi. Évidemment, tout comme elle, il avait vécu des crises de colère terribles. Ils s’étaient légèrement assagis au fil du temps, mais les mois après l’accident de leurs parents avaient été tout simplement cauchemardesques. Ils ne comprenaient pas ce qui se passait.

Et elle était maintenant dans le même état d’esprit : totalement dépassée et surtout terrifiée. L’adolescente n’avait plus qu’une envie, celle de se rouler en boule, les bras sur la tête, pour se couper du monde et de toute cette violence. Mais elle ne pouvait pas abandonner son frère. Alors elle fit un pas dans sa direction et se planta devant lui, droite, les poings serrés.

  • Al, tu me fais peur, lui dit-elle.

Le souffle silençait sa voix déjà bien faiblarde, du moins le crut-elle aux premiers abords. Elle vit quelque chose passer sur le visage de son frère. La colère glacée dans son regard s’atténua légèrement.

Alaric sentit enfin le tremblement dans tous ses membres, qu’il avait mis dans un coin de son esprit. Il chancela. La boule de colère qui le rongeait se fissura. Mais qu’est-ce qu’il était en train de faire ? Ce n’était pas lui, il n’était pas un tueur !

La puissance qui coulait dans ses veines se mit à le brûler intérieurement. Ses yeux reprirent leur couleur habituelle, s’écarquillant de peur.

Un gémissement de douleur sortit de sa gorge alors qu’il titubait vers l’avant. Ses jambes cédèrent et il se retrouva à genoux. Ce n’était pas le froid qui semblait jaillir de toutes les pores de sa peau qui lui faisait mal, il avait surtout l’impression d’être dévoré vivant par une bête qu’il n’arrivait plus à maîtriser.

Le jeune homme voulut parler, crier à l’aide. Il n’en eut pas besoin. Les bras rassurants de sa sœur l’entourèrent, malgré le danger. Il entendit à peine les avertissements à la prudence de leurs guides. La douleur était telle qu’il finit par ne plus rien ressentir, et il se laissa tomber, amorphe.

  • Qu’est-ce qu’il a ? entendit-il.

La voix de Talia était proche de lui, mais étouffée. Toujours conscient, mais incapable de bouger, il ferma les yeux momentanément.

L’adolescente serrait son frère contre elle, paniquée. Son regard était tourné vers Gadriel, qui s’était approché d’eux, tandis que Loric allait rassurer les chevaux.

  • Je ne sais pas … Je crois que c’est ce pourquoi Konra nous a dit d’aller à la source.
  • Il ne voulait … Il ne voulait pas …
  • Je sais, gamine.

Elle ne releva pas, cherchant plutôt à capter le regard de son frère, qui semblait totalement ailleurs.

  • On lève le camp, c’est bientôt l’aube.

La voix maussade de Loric la fit lever la tête, se rendant compte qu’ils avaient rangé leur camp de fortune, enfin, ce qui en restait, et qu’ils se tenaient prêts à partir.

X

Alaric inspira un bon coup, semblant revenir à lui. Les dernières heures s’étaient passées dans le plus grand silence, seuls les bruits de sabots se faisaient entendre.

Talia n’avait pas cessé de garder un œil sur lui, se rongeant les sangs. Le fait qu’il ne soit pas inconscient la rassurait légèrement, mais elle n’aimait pas le vide qu’elle voyait dans son regard, comme s’il s’était retranché en un lieu auquel elle-même n’avait pas accès.

Le voyant s’animer, elle se remit à sa hauteur, partagée entre l’envie de le serrer dans ses bras et celle de l’engueuler, pour la frayeur qu’il lui avait faite. Le regard totalement perdu qu’il lui jeta lui fendit le cœur.

  • Est-ce qu’on peut ralentir s’il-vous-plait ? demanda Talia, soudainement.

Gadriel se retourna sur sa selle, regarda l’adolescente, puis Alaric. Ce dernier put voir les marques rouges dans son cou, son visage et ses avant-bras. Un goût amer lui emplit la bouche. N’attendant pas l’approbation de leurs guides, il tira sur les rênes et se laissa glisser de sa monture, et vomit le peu qui restait encore dans son estomac.

Talia voulut le rejoindre, mais elle en fut empêchée par Gadriel, qui se retrouva aux côtés du jeune homme. Ce dernier leva un moment le regard vers le guerrier et eut un nouveau haut-le-cœur. Il ne pouvait croire que c’était lui qui leur avait fait ça.

  • Désolé, parvint-il à articuler, entre deux soubresauts.

Gadriel arqua un sourcil amusé. Il n’aurait pas cru que l’adolescent porte vers eux autre chose qu’un regard hostile. Malgré sa prudence envers ces deux Voyageurs, le guerrier compatissait. Il ne devait pas être aisé de tomber dans un monde totalement inconnu. Il ne connaissait pas le leur, mais les vêtements que les deux adolescents portaient à leur arrivée à Madragore lui laissait croire que tout était différent. Et la magie ne devait pas en faire partie, le garçon ne se serait certainement pas laissé dominer totalement par celle-ci dans le cas contraire.  

Le guerrier chassa totalement son air prudent, arborant un sourire fendu jusqu’aux oreilles.

  • Ne t’inquiète pas, ce n’est pas la première fois qu’on tente de me tuer, j’ai vu pire, rigola-t-il en assénant une grande claque amicale dans le dos du jeune homme, manquant de faire tomber celui-ci.

Il le rattrapa in extremis.

  • Par contre, on ne peut pas s’arrêter plus longtemps. Entre toi et moi, je crois qu’il serait préférable de trouver cette source le plus rapidement possible, tu ne crois pas ?

Gadriel lui lança un regard soutenu et lui fit un clin d’œil. Le Voyageur penaud hocha la tête. Prenant soin de ne pas trop le secouer, pour éviter de le faire à nouveau régurgiter ce que contenait son estomac qui devait être bien vide, il l’aida à remonter à cheval.

Ils reprirent alors la route. Cette fois, Gadriel se fit un honneur de briser le silence lourd et angoissant, pour distraire leurs deux protégés. Il évita cependant d’aborder le sujet qui risquait d’être mis sur le tapis en cours de route, à savoir leur traversée de Dungannon, jugeant préférable de sceller les pouvoirs capricieux de l’adolescent avant de les faire paniquer.

Talia se prit au jeu, curieuse d’en savoir plus sur la Garde dont ils faisaient partie, et sur Oza-Fynn. Gadriel ne manqua pas l’occasion pour leur raconter des anecdotes les plus croustillantes. Comme la toute première journée où il avait été sous les ordres d’Oza-Fynn, tout jeunot qu’il était, fier comme un coq d’arborer les insignes de la Garde. Elle l’avait remis à sa place en deux coups bien placés, le faisant retomber de son piédestal. Les années suivantes, il avait tenté de vaincre en combat singulier sa supérieure, non par fierté mais parce qu’elle était tout ce qu’il voulait devenir. Il n’avait jamais réussi, vingt ans plus tard.

Alaric les écouta d’une oreille distraite, se concentrant surtout sur ce qu’il ressentait. Il sentait toujours ces piques de glace sous sa peau. Elles n’étaient jamais loin. L’adolescent n’avait plus qu’une hâte, celle de rejoindre cette source étrange et en finir avec cette magie tordue.

Par moment, son regard s’orientait vers Loric. Gadriel ne le gardait plus à l’œil, concentré sur ce qu’il racontait à Talia, mais le deuxième guerrier silencieux, lui, ne dissimulait pas sa froideur ni sa méfiance à son égard. L’adolescent baissa légèrement les yeux. Comment pourrait-il lui en vouloir ? Les cicatrices qu’il arborait étaient son œuvre. Une bouffée d’angoisse le prit à la gorge, commençant à s’imaginer que l’homme n’attendait plus qu’une chose : le tuer. Alaric s’empressa de chasser cette pensée, mais elle était tenace.

Il ne se reconnaissait plus. Jamais il n’avait agi ainsi. L’angoisse, il connaissait. Mais ça, c’était différent. Ses mains se resserrèrent sur les rênes et cela lui prit quelques secondes avant de réaliser que le cuir était froid entre ses doigts. Un frisson glacé lui parcourut la colonne vertébrale. N’osant pas regarder et découvrir qu’il était encore en train de perdre la tête, il ferma les paupières, laissant sa monture – qui n’avait jamais vraiment eu besoin de ses directives – faire son chemin. Il pouvait sentir le regard lourd de Loric dans sa direction, mais l’adolescent se concentra sur sa respiration.

L’exclamation de surprise de Talia lui fit rouvrir les yeux et il chercha ce qui l’avait étonnée. Rapidement, il distingua une structure de pierre qui semblait se fondre dans le bois.

  • Tu sens ça ? souffla la jeune femme, après qu’ils aient tous mis pied à terre.

Alaric dut se concentrer quelques secondes pour sentir ce dont elle lui parlait. Ils pouvaient voir l’aura magique émerger d’entre les pierres, comme si elle servait de ciment pour tout faire tenir en place. Voyant les regards curieux que leur jetait Gadriel, ils en conclurent qu’ils étaient les seuls à voir tout ça.

Le grand guerrier ouvrit la marche, une main sur la garde de son épée, même s’il gardait un air jovial. Les adolescents, mitigés entre fascination et méfiance, lui emboîtèrent le pas, suivis de près par Loric, qui par moment poussait des grognements. Il n’aimait pas du tout cet endroit. Ne ressentant pas la magie qui en émergeait, il était néanmoins sensible à la menace qu’elle pouvait représenter pour eux. Il faisait partie de ceux qui abhorraient totalement la magie. Contrairement à beaucoup qui ne se basait que sur des on-dit, il avait vu de ses propres yeux, quelques années plus tôt, tout le mal qu’elle pouvait faire. Il avait tout perdu à cause de celle-ci. Absolument tout.

  • Ça doit être ça. Je m’attendais à quelque chose de plus mystérieux, fanfaronna Gadriel.

Ils avaient émergé dans ce qui semblait être une cour intérieure, envahie par des racines et des plantes. En son centre trônait un bassin. Des ouvertures sur les côtés laissaient s’échapper en arabesque l’eau qui se perdait dans celui-ci.

N’ayant pas vu de source dans les environs, Alaric se demanda d’où est-ce que l’eau pouvait provenir. Mais bien rapidement, cette pensée fut chassée par l’appréhension de ne pas savoir ce qu’il fallait faire.

Jetant un regard vers Gadriel, celui-ci devina sa question et lui répondit d’un haussement d’épaules.

Talia se désintéressa momentanément de la source d’eau, son regard attiré par les plantes qui avaient repris leur droit sur les lieux. Certaines avaient des formes qu’elle n’avait jamais vues, comme elle avait pu le constater depuis leur arrivée.  

Curieuse, elle effleura du doigt les pétales jaune vif d’une fleur qui semblait avoir poussé directement d’une liane. Elles étaient douces sur sa peau et elle ressentit aussitôt une chaleur en émaner. Elle se redressa légèrement, éloignant sa main, un sourire sur les lèvres. Elle se sentait beaucoup plus apaisée, tout à coup.

Pendant un instant, l’adolescente crut voir la fleur bouger, tendant ses pétales vers elle. Elle cligna des paupières, pour faire disparaître le mirage. Son attention fut détournée par le grognement irrité de son jumeau, qui s’était penché sur le bord du bassin.

  • Je ne vois pas le fond, râla l’adolescent, les yeux plissés, son regard cherchant à distinguer celui-ci à travers les mouvements de l’eau.

Il se pencha encore plus, en équilibre dangereusement précaire. Talia se rapprocha légèrement mais son frère ne lui laissa pas le temps de venir inspecter elle-même le phénomène.

  • Oh merde ! Je crois qu’il y a un truc qui bouge à l’intérieur ! couina-t-il, bondissant vers l’arrière.

Hors de question qu’il s’en approche ! Sa rencontre avec ce gros chat terrifiant était encore gravée dans sa mémoire, il n’avait pas envie de tomber nez à nez avec quelque chose d’encore plus horrible qui pouvait le tuer d’un coup de mâchoire.

Il n’eut pas à tergiverser bien longtemps. Sans que personne ne put l’en empêcher, Loric s’était glissé dans son dos, lui donnant un vigoureux coup de pied pour le faire tomber vers l’avant. Talia poussa un cri et Gadriel, une protestation étouffée. Le guerrier eut quelques craintes, pendant une fraction de seconde, que l’agression déclenche les pouvoirs de l’adolescent.

Alaric tomba tête première dans l’eau qui n’était pas glacée, loin de là, mais il ne put profiter de ce fait. Il eut un rappel terrifiant de l’attaque de la créature, provoquant une vague de peur incontrôlable. Le puits sans fond lui donnait l’impression qu’il allait être englouti à tout moment. C’était fini, il allait provoquer à nouveau un désastre. Et savoir que Talia se trouvait juste à côté le terrorisait. Elle allait être piégée dans les glaces. Il allait la tuer …

… Mais rien ne se produisit. Émergé, il mit ses mains devant ses yeux, cherchant à distinguer la moindre étincelle de magie. Celle-ci resta totalement inerte. Pourtant, il pouvait la sentir. Les piques glacés avaient été remplacés par une douce chaleur et un calme apaisant. Le soulagement l’envahit avec force.

Se rendant compte qu’il ne s’enfonçait pas vers les profondeurs indistinguables, mais qu’il flottait, alors qu’il ne nageait pas, Alaric entreprit de battre des pieds et des mains pour remonter.

Il ne parvenait plus à se mouvoir.

Ses yeux s’écarquillèrent et sous la panique, ses bulles d’air se formèrent et remontèrent à la surface.

  • Bonjour.

Cette fois, il expulsa tout l’air qui lui restait, en un cri silencieux. L’éclat qu’il avait aperçu un peu plus tôt s’approcha de lui. Bien que soulagé qu’il ne s’agisse pas d’une créature marine cauchemardesque, il se mit à gigoter autant que possible, cherchant à rejoindre la surface.

  • Tu dois paniquer en ce moment, mais je peux t’assurer que tu ne risques rien. Prends une grande inspiration.

Mais le propriétaire de cette voix avait perdu l’esprit ! Il dut se résoudre à obéir, ses poumons lui donnant l’impression d’être en feu. Luttant contre son instinct, il inspira … et quelle ne fut sa surprise lorsqu’il sentit une bouffée d’air le soulager !

Arrêtant de bouger, il reporta son attention vers la lueur. Celle-ci s’était transformée en un visage aux traits de plus en plus précis. Rapidement, il se retrouva face à un homme d’un âge avancé. Ses longs cheveux fantomatiques flottaient autour de sa tête.

  • Je me nomme Talaman, grand mage des terres héodeniennes.
Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez