Au loin, il aperçut Evelyn, adossée à un mur, plus pâle qu'un vampire. Tête baissée, Harlow se dirigea vers elle en la questionnant encore et toujours :
– Tout s'est bien passé ?
– Je n'ai rien pris.
Evelyn ne se sentait pas de lui expliquer cette étrange rencontre sinon il risquerait de dire qu'il n'avait que faire de ses maux. Elle se redressa, prête à repartir.
Harlow lui paraissait plus affligée que tout à l'heure, cela n'était pas pour lui plaire. De plus, il ignorait ce qui la touchait, ce qui eut le don de le frustrer et de faire mourir les étincelles de satisfaction qui éclairaient ses pensées.
– Evelyn, vous n'avez pas l'air d'aller mieux. Il soupira. Enfin, bon... J'ai compris.
Elle n'allait pas marcher bien loin dans son état de décomposition. Sa servante se révélait bien vite être un poids dans son enquête si cela continuait. Il n'avait pas vraiment le choix, en réalité, il posa le paquet par terre et s'approcha d'Evelyn. Un peu confus, son impatience lui fit néanmoins franchir le pas, l'attrapant dans ses bras, glissant un bras sous ses jambes et un autre dans le dos. Il n'imaginait pas le nombre de femmes qui rêvaient que ce soit Harker à sa place, porter telle une princesse de conte de fées...
C'était ridicule, voire humiliant, toutefois, s'il ne le faisait pas, ils n'avanceraient pas.
Le premier réflexe d'Evelyn était de se débattre, ce qui avait le don d'agacer Harlow, en lui ordonnant de se calmer plus d'une fois. Étrangement, quand c'était pour faire quelque chose qui lui déplaisait, elle se réveillait tout d'un coup.
– Arrêtez de gigoter autant ! S'écria-t-il.
– Je n'ai pas besoin de vous !
– Vous rendez les choses encore plus difficiles !
Leur petit différent ne passait pas inaperçu aux yeux des passants, dont la plupart semblaient être des vampires qui les dévisageaient en osant émettre des commentaires haineux à leurs égards.
Une fois la pression redescendue, Evelyn se plaignait déjà de l'inconfort.
– Vous n'avez vraiment pas besoin de le faire. J'ai des jambes, c'est pour m'en servir.
Le prince récupéra maladroitement le paquet, et le posa sur Evelyn avant de la fusiller du regard. Elle devait être un minimum reconnaissante.
– Je vous jure que si vous me faites perdre de l'audition avec vos piaillements incessants, je m'arrête et je pars seul. En attendant, n'ouvrez pas le paquet, c'est pour ma fiancée. Je ne voudrais pas qu'il soit sali. Tout comme moi. Aucune tâche, Evelyn.
– Qu'est-ce que c'est ? Interrogea-t-elle.
– Encore une fois, rien qui ne vous concerne. Vous savez, c'est très agaçant de me répéter, fit-il fermement.
– Vous savez, c'est très agaçant de se faire porter quand on ne le désire pas, se moquait-elle.
Lui jetant à nouveau un regard noir, comment pouvait-elle se permettre de se moquer de lui ? Harlow se posait la question à maintes reprises, la gardait-il pour se faire du mal ? Tant pis, elle était serviable. Il ne fatigua pas jusqu'aux archives, celles-ci ne se trouvaient pas si loin, en réalité, elles se situaient entre le village des humains et celui des vampires, réunissant leurs histoires en une demeure imposante. Même si de l'extérieur, les archives se présentaient comme la demeure d'un vampire de la Haute sous la forme d'un manoir gigantesque, il n'en était rien de l'intérieur qui semblait pourrir et moisir d'année en année, à l'abandon depuis le règne des vampires. Tout de même, ces archives restaient en libre accès aux membres de la famille Royale et certains vampires de la Haute.
Harlow relâcha en fin de compte sa femme de chambre, il reprit le paquet des mains pour s'aventurer en poussant l'énorme porte en bois qui devait faire trois fois leur taille. Evelyn, plutôt impressionnée, entrait avec hésitation, elle interrogea le prince :
– Et qu'est-ce que nous venons chercher au juste ?
– Quoi que ce soit qui possède un lien étroit avec "Monded". Vous savez lire ?
Evelyn s'arrêta un instant pour penser, il est vrai que cela ne paraissait pas si évident pour lui. Il ne savait rien d'elle, même pas un tiers de son histoire. Son père était médecin, même si elle ne pouvait pas aller à l'école, son père lui enseigna les bases bien qu'elle prenait son temps pour lire, écrire restait toujours plus difficile. Elle ne comptait plus le nombre de fautes qu'elle faisait à chaque mot.
Il remarqua instantanément qu'elle divaguait, cela voulait tout dire pour lui. Soupirant une énième fois aujourd'hui, il continua :
– Ce n'est pas grave, vous n'avez qu'à me suivre et...
– Je sais lire, lança-t-elle en le coupant. Arrêtez de me sous-estimer autant, c'est presque blessant.
– Partez de votre côté, je vais du mien. Essayez de ne pas vous perdre ou d'abîmer quelque chose. Simple avertissement.
Evelyn se retourna sans lui jeter de regards, elle songerait peut-être un jour à organiser une grande fête avec le peu de pièces qu'elle détenait le jour où Harlow s'excusera. Elle se décida à se lancer sur la première rangée tout à droite, observant l'état des archives qui laissaient à désirer ; les livres encastrés puis empilés les uns sur les autres, la place manquait terriblement tant il y en avait. La plupart d'entre eux ne tenaient même plus de couverture, impossible d'en retirer un parfois sous peine de faire crouler la tour. Avec précaution, elle inspectait les manuscrits, non seulement, c'était compliqué de lire, d'autant plus lorsque les lettres se faisaient manquantes. Il n'y avait que six grandes rangées en plus des murs qui eux aussi étaient sculptés par les livres, pourtant, elle avait la maudite impression que Harlow se trouvait à l'autre bout de la terre, ce qui n'était peut-être pas plus mal d'un côté.
– Votre Altesse, c'est presque impossible ! Il y en a trop et puis, c'est illisible.
Il ne l'entendait pas, ou alors il faisait semblant de ne pas l'entendre. Il devait sûrement en avoir marre de l'écouter se plaindre depuis le début de la matinée.
D'une oreille distraite, elle prêta une oreille attentive vers l'entrée principale, la porte venait de se refermer. Était-il réellement sorti ?
– Votre Altesse ? S'inquiétait-elle.
Les Archives, ils les connaissaient comme sa poche. Lorsqu'il n'était qu'un enfant encore, il adorait venir se perdre entre les étagères de cette immense demeure. Maintenant, il ne pouvait plus que regarder les vieux sièges en cuirs, où ils avaient pris l'habitude de lire. S'élançant de nouveau au milieu des étagères remplies à ras bord de livres, il trouva enfin l'allée qui l'intéressait. Dedans, étaient rassemblés les livres recelant les plus grands noms de l'histoire, survolant les volumes de son index, il s'arrêta finalement sur un livre, sans titre, mais sa couverture intrigante due à sa couleur spéciale : comme un mélange de sang séché. C'était un début, il le feuilleta, et lorsqu'il arriva aux pages vierges de l'ouvrage, il vit directement son nom s'afficher dans des caractères sanglants encore une fois. Une courte description où on le citerait comme un être insensible, cruel, et sadique qui aimait le goût du sang. Appuyé contre l'étagère regroupant les écrits des plus grands auteurs de ce royaume, il s'autorisa quelques secondes pour essayer de se remémorer ce qu'il avait vécu. Le paquet posé au sol, il ne tenait pas à l'abîmer cette fois-ci. Il ferma les yeux, et tenta vainement de se concentrer. Seulement un détail le chiffonnait, des bruits de pas vinrent envahir son esprit. Suspicieux, il jeta un coup d'œil entre deux étagères, quelqu'un s'était introduit.
Evelyn observait ses alentours, mais elle n'était pas capable de dire où se dirigeaient les pas, elle tenta de pousser quelques livres pour voir à travers les couloirs. Du rouge, des vêtements rouges, plusieurs hommes, c'était eux. Ce que lui avait raconté cet homme plus tôt, semblait vrai. Elle qui croyait que c'était qu'une sale farce, puis elle réalisa...
Ses yeux s'écarquillèrent, elle devait trouver Harlow, lâchant les livres qu'elle tenait en main. Il fallait fuir, loin d'ici et vite. Evelyn se perdait entre les couloirs qui paraissaient pourtant si simples, elle se retrouvait piégée dans un labyrinthe. Son rythme s'accélérait, elle tourna une première fois à gauche, c'était trop tard.
Trop tard, lorsqu'elle vit pour la première fois de sa vie des flammes menaçantes, qui se propageaient plus rapidement qu'un feu de cheminée.
– Harlow ! Où êtes-vous ? Hurlait-elle sans jamais s'arrêter de courir, parcourant les différentes allées.
« Je suis certaine qu'il y a une part de bonté en vous. »
– Evelyn ? S'interrogeait-il.
Il se retourna en s'attendant à la trouver, mais rien. Personne. Pourtant, c'était sa voix, il en était persuadé. S'amusait-elle à se cacher ? Décidément, elle était irrécupérable.
Tout de même, entendre ses mots lui montrait un autre avenir. Un avenir où quand tous le maudiraient, ses enfants croiraient au mensonge peut-être même les descendants de sa famille. Ils auraient écouté Evelyn, ils sauraient la vérité, elle et sa grande gueule. Sûrement la vision la plus stupide, la plus irréaliste, et la plus ridicule possible, toutefois, il l'aimait bien. Un mince sourire apparu sur ses lèvres en y repensant, un peu mélancolique peut-être qu'il ne laisserait pas que des cendres derrière lui, mais quelque chose de bien plus précieux. Il devait trouver Evelyn, et ne plus la perdre de vue. Ainsi, était-ce ce que l'on ressentait à l'égard de connaissances, d'amis, peut-être ? C'était incroyablement niais, mais si beau alors pourquoi, est‐ce que ce rêve prenait feu ? Reniflant l'air ambiant, il perçut une légère odeur de brûlé. Dans ce bâtiment, où était abritée une immense partie des connaissances qui s'accumulaient au cours des siècles bientôt, ce serait l'incendie, s'il ne faisait rien.
Il ne perdit pas de temps en partant à la recherche de la source de cette odeur brûlée. Il priait pour que ça ne soit qu'une lampe qui brillait un peu trop intensément, lorsque lors d'un détour entre les étagères, il vit des colonnes de feu s'élever dans les quatre coins des Archives, longeant les murs jusqu'à atteindre le plafond.
Evelyn, il devait la retrouver ! Réveillé par le sentiment du danger, il se mit à courir en criant son nom, lorsqu'il entendit enfin le sien au milieu de la fournaise qui commençait à se créer. Il se déplaçait vers la provenance des cris.
Alors qu'une épaisse fumée avait commencé à se former au-dessus de leurs têtes, il se mit soudainement à tousser. Il ne possédait pas quelques minutes devant lui, ni quelques secondes. C'était à lui de les créer pour arracher Evelyn de cet enfer. Furtant entre les couloirs, il ne s'aperçut pas tout de suite qu'une étincelle était tombée sur la peau nue de son cou, poussant un cri de douleur sous le coup de la surprise. Si Evelyn était encore là, et qu'elle recevait un tel déluge, il ne retrouverait plus rien. L'horloge tournait réellement.
Pris d'une violente quinte de toux, il faillit confondre les cheveux d'Evelyn avec le feu qui régnait désormais en ses lieux. Pourtant, ce regard, il ne pouvait pas se tromper, ce même regard, qui l'avait appelé dans la maison des Fardell. Il se précipita vers elle, le visage noircit par les brûlures.
– Evelyn !
Tandis qu'elle tentait de se frayer un chemin parmi les flammes, elle distinguait à peine les couloirs. Evelyn faisait de son mieux pour éviter les étagères qui se dressaient devant elle, la fumée noire commençait à s'introduire dans ses poumons, l'empêchant de respirer correctement. Elle se sentit lâchée au moment même où Harlow vint la secourir en la retenant fermement contre lui.
En plus de son état, elle ne pouvait pas marcher au milieu de cette fumée, elle allait certainement y rester. Alors que des paillettes de feu, pleuvaient autour d'eux, il l'attira près de lui, contre lui, il la recouvrit de sa longue cape pour qu'elle ne soit pas brûlée. Le prince commença à marcher rapidement pour revenir à l'entrée, très vite, il sentit un courant d'air caressé les bords de sa peau. Trop vite pour être l'entrée, il distingua au milieu de la fumée, un énorme trou dans l'un des murs, qui donnait sur l'extérieur, c'était leur porte de sortie.
Évitant du mieux qu'il put les morceaux de papiers brûlés qui semblaient se décrocher, il n'arrêtait plus de tousser. Penché au-dessus d'Evelyn pour la protéger, il avait passé un bras derrière son dos pour la forcer à rester la plus petite possible, pour qu'elle inhale le moins de fumée toxique. Sa vue se brouillait dangereusement, mais ses sens ne le trompaient pas. Alors qu'il entendait des poutres s'effondrer derrière eux, ils franchirent les derniers mètres qui les séparaient de la libération. Une libération bien plus douce qu'une mort par les flammes. Il n'arrivait même plus à réfléchir, à parler. Il avait l'impression que sa gorge contenait un million de ses paillettes mortelles. Exténué, la gorge en feu, il relâcha sa prise qui s'était faite de plus en plus forte autour d'Evelyn avant de se frotter les yeux. Des parties de son visage le brûlaient, il aurait mis sa main au feu que son habit était foutu, c'était un miracle s'il ne gardait aucune marque. Se tournant vers Evelyn, en posant ses deux mains sur chacune de ses épaules, un visage marqué par l'inquiétude.
– Vous allez bien...
Il ne finit pas sa phrase, la robe, il manquait la robe ! Quel idiot, il l'avait oublié à l'intérieur !
Ses yeux s'écarquillèrent, comme réanimés puis se tournèrent vers Evelyn, elle était en sécurité. Il pouvait aller la récupérer, il pouvait le faire. Il était Harlow Von Eler, personne, ni même, le feu, ne pouvait l'arrêter.
Il s'était introduit dans le bâtiment en proie aux flammes. Sa robe était inestimable, cousue par sa mère, embelli par lui, quel plus beau cadeau pouvait-il lui faire ?
Animé par sa volonté aussi solide que le plus rare des aciers, il revenu à l'endroit où était posé ce fichu paquet, intact. Il ne semblait pas avoir une seule brûlure. Était-ce de l'ordre d'une hallucination ou la réalité ? Il n'avait pas le temps d'y penser. Les dents serrées, le visage en partie brûlé, il était obligé de cligner des yeux pour voir à deux mètres. Alors qu'il récupérait le paquet au sol, il reçut un puissant coup de pied dans le dos. Déjà affaibli par le feu et la fumée ambiante, il ne put éviter ce coup de traître, et roula quelques mètres plus loin, le paquet coincé entre ses mains. Prêt à assassiner le lâche qui avait essayé de le tuer. Furieux, il releva la tête vers lui, ce fut à ce moment-là qu'il vit la Bête. Plus impressionnante que jamais, elle paraissait briller au milieu des flammes, comme une créature du démon. Son sang ne fit qu'un tour dans ses veines lorsqu'il le reconnut. Encore et toujours, jusqu'à sa mort, elle viendrait le chercher.
– Toi... ! Tu me pourriras la vie jusqu'au bout, hein !
À peine, eut-il prononcé ses mots, que la Bête lui lança un nuage de cendre dans les yeux. Des cendres brûlantes, qui menaçaient de dévorer définitivement son corps à chaque instant, il ne s'en rendit compte que trop tard. Son corps lui faisait infiniment plus mal, ce sont ses yeux qui lui arrachèrent le pire des cris. Il ne voyait plus rien, il sentait uniquement le feu continuant de lui brûler les yeux jusqu'à ce que ses oreilles ne perçoivent plus rien d'autre que le craquement dans son corps, provoqué par un coup de la Bête. Allait-il vraiment mourir comme ça ?
Dire qu'elle s'apprêtait à le remercier, cet imbécile replongeait dans l'enfer, que lui prenait-il, bon sang ? Il ne survivrait pas, à moitié vampire ou pas, il sera un homme mort si elle n'agissait pas.
Sans réfléchir un instant, elle se jeta à nouveau aux portes des enfers, si elle souhaitait l'aider, il ne lui restait plus que quelques minutes avant qu'elle ne s'écroule définitivement. Au même moment, les premières gouttes de pluie firent leur apparition...
Chassant les nuages noirs, elle plissait les yeux pour tenter de l'apercevoir en criant son nom. Au loin, elle aperçut une ombre noire, bien trop familière... La Bête.
Prise de rage, elle utilisa ses dernières forces pour tenter de lui asséner un coup par derrière mais celle-ci esquiva avec facilité, confrontant désormais Evelyn. Cette dernière restait sans voix, ses yeux dorés, ses cicatrices apparentes sur son visage... Comment se faisait-il qu'il se trouvât là et la Bête ?
– Vous... Toussa Evelyn.
– He oui, Evelyn. Je te l'avais pourtant bien dit de les fuir. Mais tu n'écoutes jamais.
Evelyn se souvint du poignard que Harlow portait toujours dans sa sangle, ni une ni deux, elle trifouilla le corps évanoui pour récupérer le poignard en le pointant vers lui.
– Va t'en ! Ou je peux te jurer que je vais te planter.
La Bête s'esclaffa de rire soudainement, elle se métamorphosa doublant sa taille, ses yeux virent aux rouges, et son ton de voix devenait glaçant.
– Je suis la Bête, Monded est mon maître. Personne ne peut se dresser devant moi, je le protégerai quoiqu'il en coûte. Mêlez-vous de vos affaires, sales humains.
En une fraction de seconde, il se volatilisa en lui en voyant un puissant coup de vent qui propulsa une étagère manquant d'écraser Evelyn et Harlow. L'étagère percuta le mur, une partie des livres tombèrent au sol, Evelyn affaiblie n'eut pas le temps de réagir qu'elle se fit assommer.
– Harlow !
Par chance, la pluie s'abattait sur eux, réduisant l'incendie qui avait alerté tout le village ; des gardes royaux se déplacèrent afin d'inspecter l'état des lieux, les débris qu'ils en restaient.
Deux gardes se chargeaient de la recherche de potentiels blessés, en particulier, des vampires. L'un d'eux s'aventura dans la fameuse allée, où il put apercevoir, deux corps longés sur le sol humide : une rousse aux cheveux à moitié brûlée et un poignard à la main qu'elle tenait fermement, puis, à côté, ce qui ressemblait au second prince.
– Il y a le second prince ici ! Venez m'aider ! Lança-t-il à sa troupe.
Pendant que cinq gardes trouvaient une façon de le porter en prenant soin de récupérer le paquet entre ses mains, l'un d'eux demanda :
– Qu'est-ce qu'on fait d'elle ?
– C'est une humaine, cela n'a pas d'importance. Vu son état, elle doit être morte.
Gisant au sol, salie par la poussière et la braise. À la tombée de la nuit, elle se réveilla douloureusement, toussant encore, elle prenait conscience petit à petit de l'état de son corps. Difficilement, mais doucement, elle ouvrait les yeux qui la piquaient encore à cause de la fumée, elle se redressait. Plongée dans la pénombre, elle s'habituait à peine à la lumière de la nuit, elle tâtait autour d'elle, d'une faible voix, elle l'appelait :
– Harlow... Harlow, où êtes vous ?
Il n'y avait pas de corps, il ne pouvait y avoir que deux issues : soit il était reparti sans elle ou bien les gardes l'avaient récupéré. L'incendie avait bien fini par s'éteindre un jour. Evelyn se regardait, ses vêtements abîmés, ce n'était plus qu'un chiffon sale sans parler de ses cheveux. Constatant leur état, alors qu'ils s'arrêtaient à ses coudes, ils se retrouvaient complètement secs et brûlés. Dans son autre main, se tenait le poignard qu'elle avait arraché à la ceinture du prince ; sans une once d'hésitation, elle saisit sa chevelure pour passer la lame fine et tranchante du poignard. Laissant le reste tomber au sol, elle se releva, désormais, sa chevelure ne s'étendait pas plus loin que le dessous de ses épaules.
La jeune femme s'accroupissait pour s'échapper de l'étagère échouée, se dirigeant vers la sortie. Elle devait rentrer même si son corps la menaçait de s'effondrer d'un instant à l'autre, elle rassembla ses dernières forces, elle avait encore un long chemin à parcourir jusqu'aux portes du château.
Trois mille, six cent secondes qu'il avait comptées depuis que la lumière avait été éteinte dans sa chambre, et que la princesse de Keen s'était installée près de lui. En somme, une heure qu'il guettait une ouverture pour s'échapper d'ici. Il n'avait pas pu s'en tirer à cause de la force brute des gardes, et même, le Roi. Il simulait un malaise pour lui foutre la paix, mais c'était avant d'entendre la voix de cette femme.
– Je veillerai sur lui ! Je vous le promets !
Il n'existait pas plus idiote qu'elle, il en était convaincu. Pourtant, cela restait toujours mieux que les gardes en espérant qu'aucun d'eux ne soit posté devant la porte, ou alors son plan tomberait à l'eau. Il devait retrouver Evelyn. Ils devaient encore résoudre l'origine de la Bête. Le livre avait échappé aux flammes, ils pourraient chercher des réponses, ensemble. Seul, cela s'avérait plus difficile, voire impossible.
Il était loin d'avoir digéré la nouvelle. En fait, il s'accrochait à l'espoir que ce serait temporaire, et qu'il trouverait un moyen d'être de nouveau le Harlow, indépendant et fier qu'il était. Sans avoir besoin d'une quelconque aide. Il préférait encore... Non. Il ne devait pas y penser. Evelyn serait malheureuse, il n'aurait jamais la chance de la voir avec sa robe ; Robe qu'il avait tenue à garder, coûte que coûte, elle reposait dans sa boîte, en dessous de son lit. Il l'aurait mis ailleurs s'il avait pu, mais il était constamment suivi, et c'était un secret entre lui et la mère d'Evelyn. Les autres étaient rapidement devenus trop intrusifs à son goût. Maintenant, qu'ils le savaient affaiblis, ils allaient sûrement en profiter pour régler de très vieux comptes, il n'en doutait pas une seconde. Harlow acceptait uniquement Evelyn comme potentielle alliée, ils pouvaient tous aller se faire voir avec leur ton mielleux.
Tendant une oreille attentive, voilà quelques minutes que le souffle de sa gardienne s'était apaisée pour atteindre la prote du sommeil. La voie était libre.
Posant une main sur le rebord de son lit, il s'assit en serrant les dents, la liberté de retrouver sa vie d'avant, été à deux pas. Une main sur ses bandages, il s'avança jusqu'au bord de son lit dans une lenteur extrême avant de finalement se lever, il y était presque. Tendant une autre main devant lui, il écoutait : les invités dont les verres s'entrechoquaient, les rires. Bon sang, donnaient-ils des réceptions tout le temps ? À moins qu'ils ne fêtassent tous sa mise en retrait.
Comme d'habitude, il allait briser les attentes, les vérités, les certitudes et leur prouver à tous, qu'il était toujours lui-même : Harlow Von Eler.
Quand il sentit la poignée, il avait dû prendre seulement cinq minutes pour atteindre la porte. Cinq minutes, en cinq minutes, il aurait pu danser avec Evelyn sur deux musiques différentes. Il ne devait pas y penser. Pourtant... Mince, il s'était mordu la lèvre un peu trop fort, il sentait du sang s'écouler de celle-ci, déduisant qu'il semblait préférable de ne pas s'attarder.
Poussant lentement la poignée de la porte, il attendit quelques secondes avant de s'extirper hors de cette cage. Il étouffait plus que lors de l'incendie dans celle-ci, il semblait n'y avoir personne.
Un souffle roc et calme se faisait entendre à seulement quelques centimètres de lui, Hakan. Le garde qui postait sa porte comment avait-il pu l'oublier et ne pas le compter dans ses variables ? Hakan semblait revenir d'une longue pause.
Harlow s'avança audacieusement dans le couloir qui menait au grand portail, Evelyn l'attendait peut-être encore aux Archives. Et si elle n'y était pas, il irait chez ses parents, sinon, il questionnerait chaque passant et...
– Vous sortez, Votre Altesse ? Interpella Hakan.
Il manqua de s'arrêter en entendant la voix du garde briser le silence. Il ne se laissa pas démonter aussi facilement, continuant de marcher vers la sortie, appuyé contre le mur pour le guider, une main contre ses bandages. Chaque respiration, chaque pas se ressentait comme une torture. Il répliqua d'une voix ferme et autoritaire :
– Depuis quand mes actions vous regardent-elles ? Restez à votre poste.
Il s'en suivit un court silence pendant lequel il entendit le souffle de Hakan se rapprochait dangereusement. Il devait se débarrasser de lui et salir ses vêtements encore une fois — ce qui l'embêtait toujours autant —. Tout de même, il possédait un désavantage, il ne pouvait pas le nier, il se trouvait si faible et pitoyable actuellement. Pourquoi est-ce qu'Evelyn n'était pas là ? Il détestait son absence près de lui. Il se préparait mentalement à l'enfer qu'allait devenir sa vie, sans rien voir.
Lorsque Hakan revenait de sa pause, il ne remarqua pas plus loin ; logée dans un coin du couloir, une jeune femme, étendue sur le sol, des cheveux roux qui prenaient la couleur de la braise. Il ne put s'empêcher de reconnaître évidemment Evelyn, plus inquiet que jamais, Hakan ne l'avait jamais vu dans un état si déplorable.
En effet, Evelyn s'était écroulée, exténuée par son long voyage à pied. Elle s'était endormie alors qu'elle se rendait dans l'aile de Harlow pour espérer le retrouver.
Il tenta d'alerter le second prince :
– Faites attention Votre Altesse. Une femme rousse, je crois que c'est...
Sans se regarder dans un miroir, il savait que ses yeux s'étaient écarquillés comme jamais auparavant. Sans l'ombre d'un doute, il savait.
– Evelyn.
Toute sa peur disparue instantanément. Il voulait juste pouvoir l'envoyer chercher des dossiers, l'emmener avec lui dans ses folles escapades, lui confier à quel point il se sentait minable. Plus rien ne comptait, et il était prêt à mettre hors service, n'importe quelle personne se dressant entre lui et elle.
– Laissez-moi. Prenez votre soirée.
– Bien, Votre Altesse.
Il écouta quelques instants, son souffle s'éloigner jusqu'à devenir inaudible. Harlow allait enfin pouvoir profiter de la compagnie de sa chère servante. Sans savoir où elle était exactement. Il tâtait l'environnement avec ses pieds jusqu'à toucher ce qui semblait être sa main.
Il s'allongea à côté d'elle, et tendit une main pour espérer effleurer son visage. Même sans le voir, il ressentait la chaleur que dégageait habituellement les cheveux d'Evelyn.
Il sentait sous ses doigts la douceur de son visage même après ce périple, c'était impensable. Son doigt fini par s'immobiliser au niveau de sa joue gauche, et il colla doucement son front au sien. Il ne voulait pas que cette chaleur qu'elle dégageait ne le quitte. Il ne voulait plus la perdre. Juste, ce soir.
– Evelyn, vous ne vous imaginez pas combien je suis désolé. Je ne pourrai peut-être jamais vous voir avec cette robe que j'ai tant chéri. Je peux toujours imaginer votre sourire, ne le perdez jamais surtout. Ou bien, je vous le ferai regretter, je pourrai avoir une jambe coupée, comme ma tête. Je vous renverrez. Vous ne vous débarrasserez pas de moi... Si... Facilement...
