Chapitre 7

Par Eyram

Un soleil transperçant réveilla Kaelis en ce matin de l'Éveil du Sang. La pièce baignait dans la lumière ; jamais encore elle n'avait vu le Palais des Ombres aussi éclatant, comme si l'essence même de sa lignée avait traversé la pierre pour venir l'accueillir. Les rayons du soleil glissaient sur les sculptures, les draperies et les meubles, rendant à l'air une chaleur dorée qui enveloppait Kaelis dans un élan de confiance.

Lorsqu'elle se vit dans le miroir, son Glyphe avait repris son apparence discrète, à peine perceptible à l'œil nu, si bien qu'elle se demanda s'il elle n'avait pas imaginé les évènements de la veille. Alors que son regard glissa jusqu'à la lettre de Vaeren posée sur sa coiffeuse, elle sentit une vague de confiance et d'exaltation monter en elle, balayant toutes les incertitudes du jour précédant.

En ce 1er août, Kaelis fêtait ses vingt-cinq ans. L'anniversaire qu'elle attendait depuis sa plus tendre enfance, auquel on l'avait préparé toute sa vie. Ce jour était enfin arrivé. 

 

La cérémonie de l'Éveil du Sang devait avoir lieu au crépuscule, aux alentours de 21h40. Kaelis devait encore attendre que la journée toute entière s'écoule, ce qui paraissait à cet instant représenter une éternité. Pourtant, chaque instant de cette journée serait soigneusement rythmé.

 

Il était à peine 7h00 lorsque les domestiques, conduites par Lira, firent leur entrée dans ses appartements. Plus nombreuses qu'à l'accoutumée, elles la guidèrent vers le grand bain, où l'eau était parfumée d'essences solaires : fleur d'oranger, bois doré, et ambre chaud. Dans un silence presque religieux, elles savonnèrent sa peau et démêlèrent sa chevelure dorée, tandis que, au-dehors, les cloches du palais entonnaient une douce mélodie. On pouvait entendre la foule affluer pour assister à cette journée si spéciale.

Lorsqu'elle sortit du bain, on l'enveloppa dans des linges de lin blanc, avant de l'habiller avec soin. Sa robe était d'une blancheur éclatante, faite d'une soie légère qui suivait avec souplesse la cambrure de son corps grâcieux. De fines broderies d'or pâle dessinaient des arabesques solaires courant le long de ses manches translucides et du corsage. Autour de son cou, un collier d'or blanc supportait une pierre d'ambre à la teinte solaire - le collier qu'elle portrait le soir banquet. Un bracelet de jonc doré entourait son bras droit et se devinait sous sa manche, tandis que dans sa chevelure libre étaient piquées de fines épingles ornées de perles nacrées, à peine visibles, comme si des éclats délicats étaient tombés du ciel pour se poser dans ses cheveux. Un parfum subtil, mêlant ambre, miel et une pointe de cèdre, émanait de sa peau, l'enveloppant dans un halo éthéré.

Kaelis semblait descendre directement des cieux. Elle avait l'allure d'une déesse. Même les domestiques la contemplaient de leurs yeux ébahis, comme si elles n'avaient jamais vu une si belle créature dans l'univers. 

La journée pouvait commencer.

 

Le matin fut consacré au Rite de la Bénédiction. Kaelis, escortée par une procession silencieuse, dû retourner à Soléra, capitale de Solmire, pour se rendre jusqu'au Sanctuaire Sacrée. Ce temple était dédié aux ancêtres Solmire, seules quelques membres ayant une position spécifique à la Cour pouvaient assister à la cérémonie. Le Sanctuaire était une salle circulaire où la lumière était filtrée par des vitraux d'or et de blanc. L'air y était saturé d'encens solaire et d'une solennité presque tangible. Les murs, incrustés de filigranes d'or et de nacre, semblaient capter la moindre parcelle de lumière pour la faire danser autour d'eux.

Là, en présence de ses parents, elle s'agenouilla sous l'autel des Ancêtres. Tharan Solmire, drapé de rouge bordeaux et d'or, déposa quelques gouttes d'huile sacrée sur son front, symbole de la pureté attendue de son Éveil. Sa main était ferme, mais ses yeux dévoilaient une lueur d'excitation contenue. Sa mère, silencieuse et douce, effleura brièvement sa main, un geste furtif de tendresse sous le regard inquisiteur des prêtre-arcanistes. On entonna les Chants Solaires, égrenant des prières anciennes pour bénir son sang et son futur pouvoir.

 

En fin de matinée, après le long chemin du retour sur les terres de la Maison Velmarn, Kaelis fut présentée à la Cour et au peuple. Sous un ciel d'un bleu éclatant, elle parut au sommet du grand balcon du Palais, flanquée de Vaeren et des Hérauts des Maisons, des maîtres de cérémonie, porte-paroles héraldiques extrêmement respectés. Sous elle, la grande place était noire de monde. Les nobles, parés de leurs plus riches atours, formaient des cercles étincelants parmi la foule éparse.

Kaelis fit une révérence gracieuse, puis prononça quelques mots appris par cœur, ses paroles portèrent au loin sous l'effet d'un enchantement de voix. Elle promettait fidélité à l'Empire, grandeur à sa lignée, et prospérité à l'union des Maisons.

Un frémissement parcourut la foule. Les applaudissements, sobres et rythmés, éclatèrent ensuite, témoignant autant de respect que d'attente vis-à-vis de la jeune épouse.

 

L'après-midi, Kaelis, isolée dans ses appartements, s'abandonna à une onction plus intime, purificatrice : elle fut plongée dans un bain d'eaux tièdes infusées de fleurs solaires, de racines sacrées, et de cristaux purifiants. Les vapeurs qui s'échappaient de la baignoire enveloppaient son corps d'une aura douce et chaude. 

Des prêtresses vinrent ensuite envelopper son corps d'huiles bénies, aux senteurs de myrrhe et de santal, des murmures incantatoires accompagnant chacun de leurs gestes. Une fois rhabillée, ses bijoux furent remplacés par de nouveaux symboles : un bracelet en ambre pur et une fine couronne de fil d'or finement ouvragée.

Kaelis était prête. Elle resplendissait, vêtue d'une pureté étincelante et fragile.

 

Avant que le soleil ne commence à décliner, elle fut conduite au Dernier Cercle. La salle était basse, aux murs recouverts de glyphes ancestraux, et baignée dans une lumière vacillante de torches d'or et d'argent.

Kaelis fit face aux représentants des Sept Maisons, chacun portant les insignes anciens de son lignage. Le silence y était si profond qu'on entendait le crépitement lent des flammes sur les murs. 

Elle s'avanca au centre du cercle gravé à même la pierre. D'une voix calme et assurée, elle prêta le serment ancestral, jurant d'honneur, de loyauté et de sagesse. En réponse, les sept représentants activèrent les Sceaux de leur Maison, chacun émettant une lueur singulière. Ces éclats entrelacés formaient autour de Kaelis une trame vibrante de forces ancestrales.

 

Le destin s'était mis en marche, et nul ne pouvait plus l'arrêter.

La prochaine étape serait le crépuscule.

Et l'Éveil du Sang.

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