À l'heure où le soleil effleure l'horizon, lorsque la lumière vacille et que l'ombre étend ses doigts sur le monde, l'Éveil du Sang commençait.
Kaelis sortit du palais, éblouie un instant par le feu du crépuscule qui embrasait le ciel. Face à elle, une haie d'honneur s'étirait, infinie, solennelle. Le peuple, les nobles, les prêtres et les dignitaires formaient deux rangées parfaites, leurs visages graves tournés vers elle.
Elle s'avança pas à pas, portée par le chant profond des prêtres et prêtresses, comme un murmure vibrant transporté par le vent. Kaelis avançait sans vaciller, d'un pas assuré et gracieux, ses pieds nus effleurant à peine le marbre lissé. Elle regardait droit devant elle, imperturbable. Tout le monde avait les yeux fixés sur elle, mais elle, ne regardait personne. Une flamme sourde brûlait en elle, nourrie d'excitation, de peur et d'une impatience viscérale.
Descendant d'abord les marches du Palais des Ombres, elle chemina ensuite de longues minutes jusqu'à parvenir au cœur du lieu sacré, situé bien à l'écart de la demeure seigneuriale.
Devant elle, un amphithéâtre de pierres blanches s'ouvrait dans toute sa majesté, à ciel ouvert. Sept arcs de pierre fine, symbolisant les Sept Maisons, formaient un demi-cercle autour de l'arène. L'atmosphère était minérale et sèche, baignée d'une blancheur pure et sacrée. Au sol, un cercle de pierre gravé de runes anciennes représentait les Sept Maisons : Solmire, Velmarn, Theralis, Varken, Elaris, Nocthame et Aurvaris.
Kaelis aperçut ses parents placés en retrait sur l'un des côtés du cercle. Elle décela une lueur de fierté dans les yeux de son père, et alors qu'elle cherchait à établir un contact rassurant avec sa mère, celle-ci arborait un visage grave, comme elle ne l'avait encore jamais vu. Kaelis fut déstabilisée l'espace d'un instant, mais détourna le regard et se redressa de toute sa hauteur, bien décidée à ne pas se laisser perturber. De l'autre côté du cercle, Vaeren et sa famille l'observaient avec curiosité et impatience. Le regard de son époux croisa le sien, ce qui lui donna le courage d'avancer.
Elle entra seule dans le cercle, les pieds nus sur la pierre encore tiède. Le soleil descendait lentement, projetant une lumière or rose, douce et chaude, qui faisait briller ses bijoux d'or. Les Maîtres Arcanistes des Sept Maisons, vêtus de leurs habits rituels, formèrent lentement un cercle mouvant autour d'elle. Leurs voix graves entonnèrent des psaumes anciens, des échos d'un temps où la magie primordiale façonnait encore le monde.
Lorsque la lumière du soleil couchant effleura les pierres, les runes s'illuminèrent tour à tour, chacune prenant la couleur propre à sa Maison.
D'abord jaillit l'or éclatant de Solmire, teinté d'ambre et brûlant comme un astre au zénith.
Puis l'ombre bleue nuit de Velmarn, discrète et vibrante, s'étira à sa suite.
La rune de Theralis s'embrasa d'un vert profond et fertile, exhalant une senteur de vie.
La force brute de Varken s'imposa, rouge sombre et crue, irradiant comme une forge au cœur du monde.
Elaris vint ensuite, tissant des lueurs bleu ciel et argent, dansantes comme le vent dans les cimes.
Puis Nocthame, dont la rune exhala une lueur d'améthyste froide, saturée d'anciennes mémoires.
Enfin, Aurvaris, d'un blanc halé presque irréel, vibra comme une note suspendue entre les mondes.
Autour de Kaelis, ces lumières formaient un anneau mouvant, vivant, enlaçant la scène d'une splendeur éclatante. À ce moment, des prismes magiques suspendus dans les arches captèrent les derniers rayons du soleil, les diffractant en faisceaux lumineux qui convergeaient directement vers le centre du cercle, baignant Kaelis de mille éclats colorés. Sous l'effet des chants et des lumières, son Glyphe s'illumina d'un vif éclat, vibrant à l'unisson.
La magie entrait en elle, réveillant les profondeurs de son sang, ravivant la promesse silencieuse de sa lignée. À mesure que les chants montaient, les symboles des runes palpitaient, projetant des ondes de magie autour d'elle. Kaelis sentit que son corps tout entier brûlait d'une fièvre incontrôlable, elle crut que son corps allait exploser et sentait le flot de magie sortir de ses entrailles. Chacun de ses membres tremblait frénétiquement à l'appel des pouvoirs qui vibraient dans l'air. Quelque chose d'imminent était sur le point de se produire, elle sentait qu'elle perdait le contrôle, qu'elle ne répondait plus de rien.
En une fraction de seconde, elle sentit que quelque chose d'étrange était en train de se produire. Une sensation indescriptible l'envahit, comme si son corps ne lui appartenait plus, que quelque chose se brisait en elle, que le monde se dérobait sous ses pieds.
Les ombres autour du cercle s'allongèrent, elles se tordaient et se mouvaient autour d'elle avec frénésie. Une lueur sombre et irréelle se mit à émaner de ses paumes et de ses yeux, mêlée d'or et d'encre, et le cercle dans lequel elle se trouvait commença à osciller entre lumière et obscurité. La foule observait la scène, figée, attendant stoïquement la fin du rituel.
Mais quelque chose n'allait pas.
Au lieu de rayonner d'une lumière solaire pure, le Glyphe de Kaelis vacilla. Un éclat inattendu, un mélange d'or fané et d'encre bleutée pulsa dans ses veines. Tout autour d'elle se mit à onduler plus doucement, comme si le calme redescendait après la tempête. Elle avait l'impression de se trouver dans un espace-temps différent, à la fois présente et absente, morte et vivante, suspendue entre la lumière et le néant. Les couleurs du cercle, censées se stabiliser en une seule lumière solaire flamboyante, flanchèrent, comme hésitantes, puis se plongèrent dans des teintes plus sombres, faisant frémir l'assistance. Une magie étrange émanait du cercle, sauvage, instable, ancienne, différente de ce que l'on connaissait dans chacune des Sept Maisons.
Tout à coup, un silence de plomb s'abattit. Pendant quelques secondes, le temps semblait figé. Puis, un craquement sourd parcourut la scène, et les runes se figèrent, noires comme l'onyx, dans une empreinte de magie indéfinissable. Le cercle tout entier sembla absorber la lumière, laissant à sa place une trace d'ombre indélébile, et le Glyphe de Kaelis pulsa une dernière fois d'un éclat sombre.
Elle tomba à genoux au centre du cercle, haletante, ses cheveux répandus autour d'elle comme un halo d'or et d'ombre.
Elle ressentit soudain la brûlure insoutenable de l'échec. Absolument terrifiée, elle ne pouvait plus bouger.
Et au creux de ses veines, un pouvoir inconnu réclamait son dû.