Le 15 mai 1674, Dijon
Cela faisait une semaine qu'Édith était arrivée à Dijon et avait pris son office de demoiselle de compagnie auprès de Son Altesse Royale Mademoiselle. De l'épisode du non-dit, Édith n'en sut pas davantage, la duchesse de Montpensier n'avait plus montrer de signes qui trahiraient un indice sur ses pensées secrètes ; si bien qu'Édith n'y fît plus attention.
Comme pressentie, Édith et la cousine du roi acquirent rapidement des termes de respect et de cordialité. La demoiselle estimait la duchesse de Montpensier de plus en plus comme la personne la plus royale après la reine. Pleine de bonté à son égard, Son Altesse Royale Mademoiselle lui avait rapidement permis de ne l'appeler que « Mademoiselle » et cette marque, qui simplifiait la longueur de son titre, ravit Édith. Le jeune fille prit cela comme une marque d'affection et d'amitié naissante et se plut dès lors à l'aube de ce service auprès de celle que les courtisans appelaient « la Grande Mademoiselle ».
En ce jour, la duchesse de Montpensier désirait aller trouver la reine pour une requête et ce, malgré une fièvre qui prenait du terrain, comme le roi prenait du terrain sur les villes qu'il combattait. Elle s'y rendirent en carrosse et Édith trouva le chemin tout à son goût ! Rapide comme l'éclair malgré les voitures et chaises à porteurs qui encombraient les voies.
La reine et le Dauphin avaient pris quartier au Logis du Roi, l'ancien palais des ducs de Bourgogne, un château imposant dans un style Gothique, avec sa grande tour de Bar et une toiture de tuiles bleues-grises.
En sortant du carrosse, Édith se plaça derrière la duchesse de Montpensier et la suivit avec un air de respectabilité placardé sur son visage qui ne trahissait en rien son anxiété. Peu avant d'embarquer dans son transport, Son Altesse Royale Mademoiselle lui avait dit laconiquement :
— Soyez discrète et affable avec la reine.
La reine...
Édith musela un tic nerveux et marcha dans les pas habitués de la duchesse de Montpensier, en se répétant ce titre impressionnant.
Depuis son arrivée à Dijon, elle l'avait seulement vue de loin. À la Pentecôte, il y a deux jours, Édith avait posé les yeux sur la silhouette royale pour la première fois lors de la messe à l'église Saint-Médard, où Sa Majesté avait offert du pain bénit aux paroissiens à la fin de l'office religieux.
La duchesse de Montpensier traversa d'un bon pas la belle galerie de Bellegarde dans un style Renaissance et s'engouffra rapidement dans une pièce qui servait d'antichambre. Elle était gardée par deux gardes de la première compagnie française des gardes du corps du roi. Ils étaient reconnaissables à leur uniforme bleu « turquin » à parements rouges, galonnés d'argent et à leurs veste, culotte et bas rouges. Sous leurs chapeaux noir bordés d'argent à coquarde noire, ceux-ci jetèrent des coups d'œil interrogateurs à l'apparition d'Édith. L'un d'eux allait lui demander son nom, mais le rempart qu'était Son Altesse Royale Mademoiselle le maintint au silence.
Arrivée sur leurs talons, une dame s'avança vers la Grande Mademoiselle, celle-ci l'appela madame la comtesse de Béthune, c'était la dame d'atours(1) de la reine. Madame de Béthune l'informa que Sa Majesté ne l'attendait point au vu des nouvelles qui circulaient au sujet de son souci de santé. La duchesse de Montpensier ne répondit rien et fit signe à la dame d'atours de l'annoncer à la reine, ce qu'elle fit, et en un éclair, Édith, la peur au ventre, entra dans la pièce derrière la cousine du roi.
Dans le salon de belles dimensions se tenait le cercle privé de la reine, laquelle était assise sur un fauteuil surmonté d'un solennel dais de velours rouge. Parmi les gentilshommes et les dames présents, Édith reconnut derrière un garçon blond qui était le seul à porter un cordon bleu avec une croix de Malte surmontée d'une colombe, la silhouette de ce grossier Charles d'Astérie de Val-Griffon ! Le feu lui monta à la tête, la moutarde au nez, et elle se mordit l'intérieur de la bouche pour s'empêcher de le fusiller du regard !
Cela n'aurait servi à rien puisque ce damoiseau à la beauté du diable contait fleurette avec une demoiselle qu'il ne cessait de faire rougir ! La dulcinée battait de l'éventail en roucoulant et en lui faisant les yeux doux !
Édith pinça les lèvres et détourna les yeux, agacée, ce fut là qu'elle remarqua des choses singulières pour une provinciale.
Au centre du salon, des tabourets étaient distribués en cercle. Certaines dames étaient sur un tabouret, d'autres restaient debout, mais toutes les personnes présentes entouraient la reine, assise dans son grand fauteuil rembourré. Auprès d'elle, gesticulant et poussant des cris et des rires exagérés, des nains faisaient grand tapage et s'esclaffer la petite assemblée, dont la reine.
Édith n'avait jamais vu des nains et les dévisagea, perplexe et surprise, et se sentit un peu mal à l'aise à les voir composer milles et une bouffonneries grotesques. La demoiselle baissa le regard, le tint au sol, l'esprit déjà plongé dans une profonde confusion : le monde de la cour était déconcertant...
— Mais qué faites-vous là ma chère ? dit la reine à la duchesse de Montpensier.
— Je viens vous saluer, Votre Majesté.
— C'est trop d'hounneur, j'ai eu vent de voutre souci de santé, il fallait rester au répos.
— C'est, hélas, à ce sujet que je viens entretenir Votre Majesté d'une requête.
— Laquelle ? demanda la reine dont le regard glissait sur Édith à l'avenant des personnes dans la pièce.
— Je souhaite la permission de Votre Majesté, d'aller implorer le secours de la sainte du couvent de Beaune afin de trouver la voie de la guérison. La fièvre m'a fait souffrir cinq nuits et je crains pour celle qui vient avec le jour mourant.
— Vous l'avez et prenez avec vous madame de Créquy(2).
La duchesse de Montpensier s'inclina et allait prendre congé quand la reine l'interrogea :
— C'est la pétite qui vous sert de démoiselle de compagnie ?
— En effet, elle est arrivée la semaine dernière.
La reine fit signe à Édith de s'avancer, une main tendue vers elle.
Édith jeta un regard à Son Altesse Royale Mademoiselle qui hocha la tête pour l'encourager à s'approcher de Sa Majesté. D'un pas chancelant, Édith marcha vers la reine, tête baissée, mains jointes sur sa robe et fuyait les regards tout à la fois surpris, interrogateurs, perçants des dames et des gentilshommes qui encerclaient la souveraine. Et plus elle allait vers la souveraine, plus elle se sentait oppressée, personne ne lui avait appris quel geste faire ou ne pas faire devant Sa Majesté !
Elle s'arrêta à une distance protocolaire et se plia en une gracieuse révérence même si ses genoux flanchaient sous sa lourde robe de soie bleu ciel, au col ovale et profond faisant ressortir les fines dentelle des sa chemise. Concentrée sur sa salutation, Édith fit fit des commentaires désobligeants sur son « air campagnard » que lancèrent les nains pour faire rire les courtisans.
— Approchez encore, madémoiselle, fit la reine et Édith jugea par elle-même le reste charmant d'accent dans la voix de Sa Majesté.
Elle fit un pas de plus et s'arrêta encore une fois, de peur d'outrepasser une distance réglementaire. L'étiquette qui régissait les codes de la cour étaient subtils et le moindre faux-pas pouvait entraîner le discrédit d'une famille, voire le bannissement !
Édith osa couler un bref regard à la souveraine et remarqua qu'elle avait le visage imprégné d'une indicible douleur et que sa vue lui fit venir les larmes aux yeux.
— Approchez encore mon enfant, je né vous mangerai pas, j'ai suffisamment bou de chocolat pour aujourd'hui.
Cette fois Édith leva la tête plus franchement et croisa les yeux aimables mais tristes de Sa Majesté et si cette grande personne n'avait porté sur sa tête le poids d'une couronne, elle se serait jetée dans ses bras pour la consoler d'un silencieux chagrin. Le regard profond et souffrant de la reine lui fit monter les larmes et elle battit des paupières pour les chasser, ce qui toucha la souveraine.
— Donnez-moi vos mains, chère enfant, que je les presse dans les miennes.
Édith lui tendit ses mains gantées de soie crème et la reine les saisit avec douceur, les garda un temps dans les siennes, gantées de rouge, couleur de la noblesse, puis les lâcha et appela une demoiselle debout derrière la comtesse de Béthune.
— Mademoiselle de Meslay je vous prie, approchez.
La demoiselle sursauta, surprise que la reine s'adresse à elle, et sortit de l'ombre dans laquelle elle assistait à la scène. Elle fit la révérence et attendit que la reine lui communique ce qu'elle avait à lui dire, ce que Sa Majesté fit en lui demandant de prendre mademoiselle de Montgey et de l'amener ailleurs. Ici, elle était cloîtrée entre adultes et la mignonne devait s'ennuyer.
— Bien Votre Majesté, répondit mademoiselle de Meslay en s'inclinant.
Comprenant qu'on la sommait avec élégance de se retirer, Édith suivit la demoiselle qui devait avoir son âge, las, au moment de partir, la plus jeune naine se prit d'une idée méchante et lui fit un croche-patte. Édith s'étala de tout son long devant la reine dans un cri et une chute sonore.
Toute l'assemblée rit sans vergogne, exceptée la reine qui gronda gentiment sa naine pour ce vilain tour pendable ! Humiliée, mademoiselle de Montgey reçut comme un cadeau du ciel, le déploiement d'une main se tendant vers elle. C'était le garçon empâté au regard doux qui portait le cordon bleu qui était venue à son secours. Rien dans sa posture ne traduisait la moquerie, aussi Édith saisit sa main et accepta l'aide qu'il lui porta pour l'aider à se relever. Sa robe était très lourde ! Son chevalier servant l'accompagna jusqu'à la porte et lui sourit en lui soufflant : « J'espère que vous ne vous êtes point fait mal en tombant ! »
Elle bredouilla un « non » mal assuré et prit congé de lui, troublée par sa gentillesse et le sourire sincère qu'il lui avait offert avant de la quitter. Cela changeait drastiquement de l'autre pédant qui ne s'était pas gêné de rire en la toisant ! Elle avait bien remarqué qu'il n'avait pas perdu une miette de ses faits et gestes depuis qu'elle était entrée dans la pièce !
Quand la porte se referma derrière elle, Édith entendit la voix de la Grande Mademoiselle s'excuser auprès de la reine pour sa chute et la souveraine, compatissante, lui répondre : « Elle est très bien, né vous en faites pas... Carlotina aime chahuter même si elle a été trop loin cette fois-ci. »
Tandis que l'huissier(3) annonçait haut et fort : « Madame de Montespan ! »
GLOSSAIRE :
(1)Troisième rang dans la Maison de la Reine. La dame d'atours avait la charge de la garde-robe de la reine. Elle était sous les ordres de la Surintendante.
(2) Anne-Armande de Saint-Gelais de Lansac, duchesse de Créquy (1637-1709). Dame du palais de la reine.
(3) Domestique chargé d'accueillir, d'annoncer et d'introduire les visiteurs.
Contente de revoir ici :) Oui, Edith a fait une triste chute la pauvre TT ahaha oui je ne dirai rien sur ce nouveau personnage !