Intriguée par le nom de la favorite, celle qui faisait tant enrager la Grande Mademoiselle, Édith voulut écouter ce qu'il se disait et colla son oreille contre la paroi discrètement. Elle abandonna vite son idée car sa compagne la fixait, sourcil arqué, étonnée.
Édith rougit et se tapa sur les doigts ! Elle n'était plus à Montgey pour s'adonner à l'espionnage !
La jeune fille suivit mademoiselle de Meslay à travers le dédale qu'était le Logis du Roi et elle grimpa au deuxième étage pour joindre la chambre qui avaient été attribuée à sa guide.
Mademoiselle de Meslay l'invita à s'asseoir sur le lit faute de siège et examina discrètement cette nouvelle venue à la cour. Voyant Édith se masser le coude et marmonner des mots peu corrects pour une jeune fille bien élevée, elle se prit à sourire et à rioter.
— Carlotina n'aime pas les nouveaux, surtout les nouvelles.
— Sont-ils toujours méchants ces nains ? demanda Édith qui avait gardé rancune à la rondouillette gesticulante.
— Ils chahutent, parlent sans fard, piquent souvent de leur commentaire et s'en servent comme une arme. Tout leur est passé. Toutefois, ils ne sont agressifs que s'ils sentent que quelqu'un peut les supplanter auprès de la reine, répondit mademoiselle de Meslay en lui tendant un baume pour la soulager.
Édith l'accepta de bon cœur, se badigeonna le bras et dit, penaude :
— Je crains que je ne conserve un hématome de cette entrevue...
— Je le crains aussi, repartit mademoiselle de Meslay. Au fait, je ne me suis pas présentée.
— La reine l'a fait pour vous.
— Certes, mais vous ne connaissez point mon nom complet.
— Effectivement, répliqua Édith en se massant le bras.
— Je me nomme Marie-Anne Rouillé de Meslay(1), fille du comte de Meslay.
— Et moi Édith de Franc, fille du marquis de Montgey, seigneur de Cahuzac. On m'appelle simplement mademoiselle de Montgey, répondit-elle en lui rendant son baume.
Un certain malaise persistait entre elles, les jeunes filles ne se connaissaient pas suffisamment pour être à l'aise.
— J'ai cru comprendre mademoiselle de Montgey, que vous étiez la nouvelle demoiselle de compagnie de Son Altesse Royale Mademoiselle.
— Effectivement, répondit maladroitement Édith.
Elle essayait de camoufler son accent du Languedoc en parlant lentement. Cette exagération retint l'attention de mademoiselle de Meslay qui s'empressa d'ajouter :
— Ne changez rien, votre singularité est jolie à l'oreille.
Édith s'empourpra, prise en faute, et bafouilla une réplique dans un rire nerveux. Comme, elle ne distingua point de méchanceté dans la répartie de mademoiselle de Meslay, elle lui répondit avec franchise.— Je vous en prie, appelez-moi Édith, cela sera plus simple.
La demoiselle sursauta à cette demande, resta dans la surprise quelques instants, puis son visage s'illumina et elle renchérit avec joie.
— En ce cas appelez-moi Anne, juste Anne, Marie-Anne est trop formel.
Le dépouillement de leur titre fut un soulagement des deux côtés et Édith se permit même de lui proposer une balade. La douce Anne sourit jusqu'aux oreilles et ses petites dents blanches apparurent entre ses lèvres carmins.
— Cela me ferait très plaisir, venez, je vais vous guider à travers cette ruche !
— Je vous remercie ! Une poule ne retrouverait pas ses poussins ! répondit-elle en soufflant, dépassée par la grandeur du palais.
Côte à côte, elles marchèrent dans les couloirs remplis de courtisans, de gardes, d'abbés et comtesses, et déambulèrent en se frayant un chemin parmi eux en s'adonnant au plaisir de la conversation. Les regards qu'on jetait à Édith indiquait que son apparition chez la reine avait été remarquée et ébruitée, et qu'à ce jour, de nouvelle venue, elle n'en avait plus que l'inexpérience.
— La reine va bientôt aller prier à l'église, dit Anne. D'ici peu, Son Altesse Royale Mademoiselle vous fera quérir pour rentrer où elle prend logis.
— Je vois, fit Édith.
Mademoiselle de Meslay coula un regard vers elle et lui demanda :
— Êtes-vous de peu dans le monde ?
— En effet, soupira Édith. En toute sincérité, je ne pensais point que la cour était un endroit si codifié et opaque. Tout est si complexe !
Anne posa sa main sur son avant-bras en signe de soutien et repartit immédiatement, généreuse.
— Avez-vous des questions ? Je pourrais peut-être vous répondre.
— Oh vous seriez un ange ! D'abord, si cela n'est pas indiscret, j'aimerais savoir quelle est votre position à la cour.
— Je suis la fille du comte de Meslay, l'intendant de Provence. Je n'ai pas de statut particulier, j'accompagne les gens de la souveraine sur le bon vouloir de la reine qui m'apprécie. Mes parents espèrent que ma présence à la cour pourra m'aider à attirer un bon parti et me bien marier.
— Vous marier ? Si jeune !
Anne regarda discrètement à droite et à gauche et lui fit signe d'approcher. Édith tendit son oreille.
— J'ai quinze ans tout de même, dans deux ou trois ans, je serai prête et je suis déjà nubile(2)...
— J'en ai quinze et demi et je peux vous assurer que je trancherai la langue de père s'il me mariait demain !
Anne la dévisagea, perplexe et ébahie, elle n'avait jamais rencontré une demoiselle qui osât s'exprimer aussi librement sur sa désapprobation envers le mariage !
— Dites Anne... puis-je vous poser une autre question ? se hasarda-t-elle en baissant le ton de sa voix.
— Oui, oui, je vous en prie.
— Lorsque j'ai vu la reine toute à l'heure, elle a eu une grande secousse d'humeur et ses grands yeux tristes ont larmoyé. Elle m'a prise les mains et j'ai senti les siennes trembler quand elle les tenait...
— Vous lui avez rappelé doña Molina(3), son ancienne femme de chambre espagnole, envers qui elle avait beaucoup d'amitié mais qui a été renvoyée en Espagne, ainsi que toute la cour espagnole qui la servait. La reine l'a très mal vécu et n'a pu garder auprès d'elle que sa petite Felipa Abarca, une fille bâtarde son père. Imaginez le drame, Sa Majesté qui déteste la Montespan a été obligée de lui demander son aide pour faire flancher la décision du roi en ce qui concernait Felipa.
Édith eut le cœur secoué de peine en entendant cela.
— Et ses enfants ? Ne viennent-ils pas la visiter ?
Anne ferma les yeux et un pli douloureux transforma son triste sourire sur sa bouche.
— La reine a perdu il y a deux ans notre princesse... Elle en est encore terriblement affectée. Tous ses enfants, excepté Monseigneur le Dauphin sont morts... La couronne de France chancelle, il n'y a que le Dauphin qui survit d'années en années et Sa Majesté la reine a un vide béant dans son cœur qu'elle espérait combler avec une fille. La petite Marie-Thérèse est morte dans ses bras, à y repenser, cela me fend encore le cœur.
— Et le roi ? L'était-il ?
— Le roi ? Il a été très attristé. Il aime beaucoup les enfants, toutefois il a conserve une certaine distance envers le Dauphin. Il est plus chaleureux envers mademoiselle de Blois(4) et le petit duc de Maine pour l'heure. Mademoiselle de Blois amène un peu de gaieté dans cette cour à l'épreuve des pertes d'enfants... Vous la verrez à Versailles sans doute.
— Elle n'est pas là ?
— Non, elle est trop jeune.
Anne garda le silence jusqu'à ce qu'Édith lui posa une nouvelle question.
— J'ai déjà entendu parler le du duc de Maine. Il s'agit bien d'un enfant...
Édith se gratta la gorge et reprit avec mal-hardie...
— de La marquise ?
— Tout-à-fait, répondit Anne en pinçant les lèvres. Il est un des rejetons de la Montespan... Oh ! Vite ! Cachez-vous !
Édith fut brutalement poussée dans un réduit qui servait de débarras, où s'entassaient des bibelots et des mobiliers couverts d'un drap blanc sous une grosse couche de poussière.
— Anne que se passe-t-il !
— Le Griffon montre le bout de son nez !
— Pardon ?
— Charles de Val-Griffon s'en vient par ici et je ne veux pas le croiser ! Oh il est accompagné par Marie d'Humières(5) ! Il se murmure que c'est sa maîtresse... Elle est plus âgée que lui, vous rendez-vous compte !
Édith fut intéressée par la réaction d'Anne vis-à-vis de ce pédant aboyeur de rue de Val-Griffon et lui demanda à brûle-pourpoint :
— Quel votre grief à son égard ?
— Nul besoin d'en avoir, les Val-Griffon ce sont des intrigants nés, il vaut mieux s'en méfier ! Mais lui, je lui en veux personnellement depuis le jour où il a volé sa place de piqueur à cheval à mon cousin ! Mon pauvre Auguste a été relégué à la Fauconnerie... et tout le monde sait que la fauconnerie n'est maintenue que par son prestige... la chasse au vol est en déclin, aux oubliettes... Chut ! Il passe devant nous !
Édith et Anne se tassèrent et plaquèrent leur main sur leur bouche pour ne plus faire de bruit, hélas, un rai de lumière infiltra la pièce, la porte s'ouvrit et devant elles se dessina la silhouette railleuse de Charles d'Astérie de Val-Griffon.
— Tiens, tiens, tiens, je ne savais pas qu'il y avait des rats aussi gros à Dijon...
GLOSSAIRE:
(1)Marie-Anne Rouillé de Meslay (1659-1714) future marquise de Gallardon
(2)Pubère. Se dit d'une fille qui est en âge de se marier.
(3)Doña Maria Molina avait accompagné la reine en France après son mariage.
(4)Marie-Anne de Bourbon (1666-1739), dite mademoiselle de Blois. Enfant légitimé de mademoiselle La Vallière, ancienne favorite en titre, et de Louis XIV. Elle a été présentée à la cour en 1674.
(5) Fille du maréchal d'Humières.
Il faut pas oublier que Charles est du côté de la Montespan, l'ennemie de la duchesse de Montpensier... donc d'Edith... Il ne va pas lui offrir des fleurs XD