Chapitre 7

Par Degmo

7

Il sortit précipitamment de la pièce, refermant la porte derrière lui comme on referme un tombeau.

 

Dans le couloir, il s’adossa au mur, respirant profondément. Il avait la nausée. Ses mains tremblaient.

 

Elle savait.

 

Pas tout. Pas encore. Mais elle savait quelque chose. Elle jouait avec lui. Et ce fredonnement… cette chanson…

 

Il sortit une cigarette à la hâte, mais ses doigts étaient trop fébriles pour l’allumer du premier coup. Il dut s’y reprendre à trois reprises avant que la flamme ne jaillisse enfin. Une première bouffée. Puis une autre.

 

Il ferma les yeux.

 

Un visage d’enfant.

Un cri.

Une silhouette abandonnée dans la nuit.

 

— Pourquoi elle n’est pas morte…, souffla-t-il pour lui-même, sans s’en rendre compte.

 

— Pardon ?

 

La voix le fit sursauter. Une infirmière passait avec un chariot de médicaments. Il secoua la tête sans répondre et s’éloigna d’un pas rapide.

 

 

Quelques minutes plus tard, il rejoignit Lars à l’entrée de l’hôpital.

 

— Alors ? demanda ce dernier, curieux mais prudent en voyant la tête de son collègue.

 

Boris resta un instant silencieux, puis secoua lentement la tête.

 

— Elle ne se souvient de rien d’utile, mentit-il, la voix grave. Rien qui puisse nous aider.

 

Lars fronça les sourcils, intrigué.

 

— Tu es sûr ? Elle n’a rien dit d’étrange ?

 

Boris écrasa sa cigarette contre le rebord de la poubelle métallique.

 

— Rien d’étrange que tu voudrais entendre.

 

Il lui jeta un regard lourd de sous-entendus.

 

— Et maintenant ? demanda Lars.

 

Boris inspira profondément, puis lâcha, d’une voix lasse :

 

— Maintenant, on rentre. Avant qu’elle nous mange vivants.

 

Ils quittèrent l’hôpital dans le froid de la nuit.

 

Mais Boris savait que quelque chose avait changé.

Le jeu avait commencé.

Et cette fois, ce n’étaient pas eux qui posaient les questions.

 

C’était elle.

 

 

Le retour au commissariat se fit dans un silence presque religieux. Boris conduisait, les yeux rivés sur la route, les mâchoires contractées. Lars, à ses côtés, jetait de temps à autre un coup d’œil en biais, mais se gardait de parler. Il sentait que quelque chose avait profondément remué son collègue.

 

Dans le hall du poste, une odeur de café froid traînait. Une lumière crue éclairait les murs jaunâtres, et les néons grésillaient avec un bruit qui paraissait plus fort que d’habitude.

 

— Vous êtes rentrés ? lança une voix familière.

 

C’était Joanna, une jeune enquêtrice au regard vif, qui terminait son quart. Elle tenait un dossier dans une main et une tasse de café dans l’autre.

 

— On dirait que vous avez vu un fantôme, commenta-t-elle en croisant Boris.

 

— C’est pas si loin de la vérité, marmonna-t-il sans ralentir.

 

Il traversa le hall d’un pas rapide et disparut dans le couloir, laissant Lars seul avec Joanna.

 

— Il va bien ? demanda-t-elle.

 

Lars haussa les épaules.

 

— Je crois que cette affaire lui remue trop de souvenirs.

 

Joanna lui tendit le dossier qu’elle tenait.

 

— En parlant de souvenirs, l’autopsie de Sergeï vient d’arriver. Il y a un détail… bizarre.

 

— Bizarre ? redemanda Lars, interloqué.

 

Il prit le dossier et alla s’installer à son bureau. Il feuilleta les premières pages. Les résultats étaient clairs : multiples lacérations, signes de lutte, noyade probable… mais un élément attira immédiatement son attention.

 

Il y avait des traces de céramique blanche dans les plaies. Des fragments très fins, comme ceux qu’on trouve dans certains ateliers d’art.

 

Il fronça les sourcils. Lan Wei travaillait dans un atelier de céramique, non ?

 

Une coïncidence… peut-être.

Il posa le dossier et sortit les photos d’autres scènes.

 

Un schéma commençait à apparaître, encore flou, mais terriblement cohérent…

 

Soudain, un téléphone sonna. Un vieux combiné, à l’accueil, qu’on n’utilisait presque jamais. Lars leva la tête. Joanna avait déjà quitté le poste.

 

Il décrocha.

 

— Commissariat central, j’écoute.

 

Un silence au bout du fil.

 

Puis une voix. Distordue. Méconnaissable.

 

— Tu veux savoir ce qu’elle est vraiment ?

 

Lars se figea.

 

— Qui êtes-vous ?

 

— Regarde là où la terre s’effrite, murmura la voix. Là où les racines ne tiennent plus rien.

 

Un déclic. L’appel venait d’être raccroché.

 

Lars resta figé, le combiné encore à l’oreille. Une sueur froide perla à sa tempe.

 

 

Quelques minutes plus tard, Boris reparut. Il avait le visage fermé, les traits tirés.

 

— Il faut que tu voies ça, dit Lars sans préambule.

 

— Pas maintenant, Lars. Je…

 

— C’est important. On a reçu un appel anonyme.

 

Boris haussa un sourcil.

 

— Et ?

 

— Il a dit : « Regarde là où la terre s’effrite ». J’ai pensé à la carrière abandonnée, celle près du vieux cimetière. Elle s’effondre depuis des mois, tu te souviens ?

 

Un éclair fugitif passa dans le regard de Boris. Une ombre.

 

— Je vois.

 

— On y va ?

 

Un silence. Puis Boris acquiesça d’un hochement de tête.

 

— Allons-y.

 

 

La nuit était encore plus froide en dehors de la ville. La voiture avançait lentement sur un chemin de terre bosselé, les phares découpant l’obscurité. Le silence régnait, pesant, épais.

 

Ils arrivèrent au bord de la carrière. La terre était meuble, fissurée. Une brume légère semblait flotter entre les roches.

 

— Là, dit Lars.

 

Au pied de la falaise, à moitié ensevelie sous la poussière, une forme se dessinait. Ils descendirent prudemment.

 

C’était une poupée. Plantée droit dans le sol, son visage tourné vers eux. Un de ses yeux avait été arraché. Et à la place de sa bouche, un petit morceau de papier, roulé.

 

Lars s’accroupit. Il hésita, puis tira doucement le papier.

 

Un message, griffonné à l’encre rouge :

 

Je suis née ici.

 

Ils échangèrent un regard.

 

Le sol sembla soudain un peu moins stable sous leurs pieds.

 

Et dans le lointain, porté par le vent, un fredonnement à peine perceptible.

 

Un murmure.

 

Une chanson.

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