Chapitre 7
Fred finissait de dîner quand sa sonnette retentit. Il regarda dans l’œilleton de la porte et vu Nora. Surpris, il ouvrit de suite et parut gêné quand il prît conscience qu’il ne portait qu’un caleçon. Il s'aperçut immédiatement que quelque chose n'allait pas chez celle pour qui son cœur battait. Nora avait les yeux rouges et paraissait perdue. Elle entra. Lui, alla passer un tee-shirt et un jogging tout en l’invitant à s’asseoir. Elle restait silencieuse. Lorsque Fred revint vers elle, elle s’effondra sur lui. Il l’entoura de ses bras protecteurs auxquels il mit toute son intention pour qu'ils soient des plus réconfortants possibles. Il l'invita à se laisser aller, ce qu’elle fit. Blottie dans cet espace apaisant, elle pleura toutes les larmes de son corps. Le jeune homme attentionné restait sans bouger, à l'écoute d'un éventuel besoin de son amie. Il humait ses cheveux et se rendait compte que son odeur le faisait frissonner et y prit du plaisir. Il s’en voulut immédiatement de ressentir ces émotions en un moment pareil et se ressaisit. Au bout de quelques minutes, Nora se dégagea en s’excusant. Fred se voulut rassurant :
“Tu n’as pas à t’excuser. Prends ton temps et raconte-moi ce qui se passe. Je t’apporte un verre d’eau, à moins que tu ne souhaites quelque chose de plus fort ?”
Nora accepta le verre d’eau et lui relata les faits de sa journée. Fred était partagé entre la compassion et l’effroi. Il eut quelques mots de réconfort et s’inquiéta de savoir si Crow était au courant des derniers événements. Nora ne l'ayant pas informé, il appela l’inspecteur qui arriva dans les minutes qui suivirent.
Ce vendredi soir, Martine revenait de Londres où elle organisait une exposition de peinture d’un jeune artiste en qui elle croyait beaucoup. Elle aimait découvrir ces jeunes talents. Elle croyait que, grâce à elle, des "Picasso" ou des "Dali" sortiraient de l’ombre. Et qu’ainsi, un peu de gloire rejaillirait indirectement sur elle. À peine était-elle installée dans son appartement, qu’on frappa à sa porte. Elle n’attendait personne et se demandait bien qui cela pouvait être.
“Greg !? Tout va bien ? Qu’est-ce qui se passe ?” demanda-t-elle, un brin d’inquiétude dans la voix.
Greg lui dit que cela n’allait pas vraiment bien et demanda à entrer. Martine s'en étonna. Elle n’avait jamais reçu Greg chez elle sans que Nora ou Carl soit avec eux, mais elle l’invita cependant à pénétrer dans son deux pièces. Greg lui expliqua qu’il avait quitté Nora et qu’il en était très malheureux. La jeune femme fut surprise que sa meilleure amie ne lui en ait rien dit. Elle s’en sentit vexée. Mais elle ne comprenait pas pourquoi Greg venait lui en faire part, elle demanda : “Ah bon ? Mais pourquoi l’as-tu quittée?”
Greg s’offusquât, s’énerva et éleva la voix tout en gesticulant : “Pourquoi ? Mais comment peut-elle défendre ce salopard ? Tu ne te souviens pas de tout ce qu’il nous a fait subir ?”
Martine était gênée et essaya de le calmer. Ne percevant pas l'importance des faits aux yeux d'Husman, elle dit : “Greg, je comprends que ce ne doit pas être agréable pour toi que tout cela remonte à la surface, mais c'était, il y a si longtemps. Et puis c'était des bêtises d'ado ! je pensais que ton amour pour Nora était plus fort que ça.”
À ces mots, Martine vit le visage de Greg se figer, se crisper, ses yeux s’assombrirent et se fixèrent sur elle. Elle perçut une violence en lui et commença à prendre peur. Il s’avança vers elle. Martine le regardait. Elle était totalement tétanisée, ne pouvant ni bouger ni émettre le moindre son. Il la prit à la gorge de sa main droite et répéta : “Plus fort que ça ? … Mais je viens de lui donner 15 ans de ma vie à cette salope, rien que pour rendre jaloux ce connard ...”
Martine, sous le choc de la situation et de ce qu'elle venait d'entendre, essayait de se dégager comme elle pouvait, mais Greg ne se contenait plus. Sa main gauche avait rejoint sa main droite et entourait le frêle cou de l’innocente Martine. Il serrait de toutes ses forces, explosant de rage :
"… À devoir te supporter, toi et toutes tes amourettes à la con. Il a fallu que tu sortes avec son collègue ! C'est ta faute maintenant, si l'inspecteur a fait le lien avec moi. À cause de votre week-end au Chalet ! Alors que j’allais enfin voir finir cet enfoiré de Slater croupir au fond d’une cellule pour le restant de ses jours, toi et cette garce êtes en train de tout faire foirer.”
Pendant qu’il déversait sa haine sur sa proie devenue soumise, Greg serrait encore et encore la gorge délicate, regardant le visage de la douce Martine se crisper, devenir bleu, puis gris. Ses yeux remplis de terreur restaient grands ouverts. Les secondes et les minutes passèrent, puis son corps devint lourd et mou. Il lâcha Martine qui s’écroula sur le sol. L'assassin retrouva aussitôt son calme. Il jouissait de sa toute-puissance :
“Adieu Mademoiselle connasse, et maintenant, allons dire adieu à cet idiot de Carl.”
Greg arriva chez Carl en terrain conquis. Depuis six mois qu’il le connaissait, il avait eu le temps de l’observer et de l’analyser. Il se jouait de sa gentillesse, qu’il considérait comme une faiblesse et qui faisait de lui une proie facile. Il frappa au second étage d’un petit immeuble cosy, mais personne ne répondit. Il en fut contrarié et piétina sur le palier ruminant des insultes. Carl arriva, montant les marches du vieil escalier de bois, deux par deux, une pizza dans les mains : “Greg ! Quel bon vent ! Un bout de pizza ?”
Contrairement à Martine, Greg et Carl se voyaient de temps à autre sans les filles, pour parler affaires, notamment lors de l'histoire du Chalet. Carl aimait bien Greg et lui faisait confiance.
“Salut, Carl, merci pour l’invitation, mais ce ne sera pas long”, répondit Greg.
Carl ouvrit sa porte, passa devant et alla poser la pizza sur la table. Son visage se crispa, il eut juste le temps d’entendre un bruit sourd qu’une douleur envahit et paralysa son dos. Greg retira doucement la lame d'un grand couteau de cuisine. Carl s’effondra sur le sol, regardant son agresseur dans l’incompréhension la plus totale. Celui-ci lui assena un second coup au cœur en ajoutant : “Désolé connard, j’ai besoin du Chalet.”
Husman s'installa dans le fauteuil, alluma et regarda la télévision en mangeant la pizza. Il attendit une heure tardive et mit le corps sans vie de Carl dans sa voiture. Il ne rencontra personne, ni dans l'immeuble ni dans la rue. Il installa Carl sur le siège passager et boucla la ceinture de sécurité. Il repassa chez Martine et fit de même. Il la porta dans ses bras comme on porte une mariée pour passer la porte de la chambre nuptiale. Il croisa un passant sur le trottoir qu'il arrêta, lui demandant d'ouvrir la portière arrière de sa voiture, dans une décontraction déconcertante, prétextant que sa fiancée et son autre passager inerte avaient quelque peu trop bu. Le passant s’exécuta et Greg l'installa sur la banquette. Il prit la route pour le Chalet avec ses invités silencieux.
Après avoir appris que l’amant d’Olivia n’était autre que Greg, Crow voulut interroger Nora le soir même pour organiser et entamer des recherches dès le lendemain matin. Il se rendit le soir même chez Slater. Nora inspira un grand coup et expira doucement. Cette affaire prenait, pour elle, une tournure des plus déconcertante. Elle ne se sentait plus avocate, ni même femme. Elle avait l’impression de se débattre avec elle-même et cherchait à quoi elle pourrait se raccrocher pour ne pas s’effondrer. Fred lui proposa un verre d’alcool qu’elle accepta. Il lui servit un scotch. Elle s’installa sur le divan et invita l’inspecteur à commencer son interrogatoire. Crow lui demanda de raconter leur rencontre. Elle essaya de se remémorer le plus de détails possible, espérant comprendre ainsi comment elle avait pu passer à côté de qui était réellement l’homme de sa vie. Elle expliqua que leur rencontre ressemblait certainement à des centaines de rencontres entre étudiants. Greg était venu s'asseoir à côté d'elle lors d'un cours et ils avaient tout simplement sympathisé. Les jeunes étudiants se croisèrent de plus en plus souvent. Ils s'apprécièrent et devinrent amis. Crow chercha à savoir si des faits particulièrement marquants s'étaient passés durant leurs années de vie commune. L'avocate se rendit compte alors combien sa carrière avait pris une place importante au cours des années. Elle et Greg vivaient au travers de projet de couple qu’ils ne réalisaient jamais. Au fur et à mesure qu’elle repensait à sa vie privée, l’inspecteur et Fred voyaient Nora se laisser envahir par une grande incompréhension et une grande tristesse. Crow décida d’y mettre fin : “Merci, Becker, pouvez-vous me dire à quels hôtels il descend lorsqu’il va à Londres et ailleurs ?”
Nora lui nota les noms et adresses des hôtels sur un Post-it. Crow lui demanda si elle connaissait son collègue de Londres et sa réponse fut négative, elle pouvait juste lui donner son nom. Elle avoua à Crow qu’elle avait un double des clés de l’étude de son compagnon, à Manchester. Elle en avait fait un double en cachette, en cas de besoin, car il la tenait toujours à distance de son lieu de travail. Elle n'était pas fière, mais elle pensait que s'il lui arrivait quelque chose, cela pourrait servir. Crow s’interrogea sur le fait qu'elle n'aille jamais à l'étude de son conjoint. Cela ne la choquait pas plus que ça, contrairement à ses compères. Elle se sentit embarrassée et dans l’obligation de se justifier, peut-être plus pour se comprendre elle-même que pour convaincre :
“Greg ne venait jamais à mon cabinet et je n’allais jamais à son étude. Moi, j’ai voulu me rendre plusieurs fois à son bureau. Il n’y tenait pas, disant que, lorsqu’il était là-bas, c’était pour travailler, et qu’il n’avait pas de temps à me consacrer. Il préférait qu’on se voie plutôt chez nous. Une fois, j’ai voulu lui faire une surprise. J’ai cru que j’arrivais à un mauvais moment, car il n’était pas content et j’ai dû repartir de suite, mais … avec le recul, je me demande si ce n’est pas moi et ma surprise qui l’avions contrarié …”
Nora parlait de manière pensive et Fred était sous le charme de sa naïveté. Il l’observait et tout en elle lui plaisait. Cette avocate si sûre d’elle était, en fait, si vulnérable.
Il repensa à l'acquisition du Chalet de Carl et lui demanda ce qu’elle savait sur la transaction. Nora réfléchit, mais elle ne savait pas grand-chose : “Greg m’a dit un jour que Carl voulait une maison au bord du lac de windermere. Quand j’en ai parlé à Martine, elle n’était pas au courant.”
Crow regarda sa montre : il était déjà 23h. Il jugea que c’était trop tard pour appeler et questionner Carl et Martine. Slater exposa ses doutes sur ce bien immobilier du lac. Crow jugea bon de devoir entreprendre une investigation sur cette affaire. Il se leva et demanda à Becker de dormir chez Fred, ce qu’elle accepta. Fred montra sa cheville à Crow qui lui promit de lancer la procédure de retrait auprès du juge dès la première heure. Il quitta l’appartement et rejoignit directement sa grande maison de famille.
Fred invita Nora à se reposer le temps pour lui de préparer son lit. Elle insista pour dormir sur le divan, mais il refusa catégoriquement. Il sortit de son armoire rangée à quatre épingles, un tee-shirt d’une pile ne comprenant que d’anciens vêtements qu’il ne mettait plus, mais qu’il ne pouvait se résoudre à jeter. Il le donna à Nora. Elle le présenta sur elle se disant qu’il allait être dix fois trop grand. Puis, montrant le devant du tee-shirt, elle dit : “Fred ? Tu n’en aurais pas un autre ?”
Fred la regarda et eut envie de rire, mais se retint, puis il vit que Nora allait rire aussi. Un fou rire les prirent devant le tee-shirt décoré de l'inscription : “Les Années Fac”. Plus nerveux que jamais, ce fou rire libéra les tensions de chacun. À présent, plus sereins, ils se souhaitèrent bonne nuit.
Slater se sentait bien de savoir Nora installée dans son lit, en sécurité. Il repensa à tous ces derniers événements depuis une semaine, jour pour jour, depuis ce match de tennis avec Carl qui aura complètement changé sa vie. Mais pas que sa vie. Lui se sentait déjà différent. Devoir parler de lui, raconter des actions passées et présentes lui faisait prendre conscience qu’il n’était, parfois, pas très fier de lui. Il sentait qu'il voulait changer, peut-être pour devenir celui qu’il voulait vraiment être. Plus le Fred formaté par son père, qui fait ce qu’on attend de lui pour servir des intérêts qui ne correspondent pas forcément à ses propres valeurs. Libéré de cette accusation de meurtre envers un ami qu'il aimait sincèrement, il s’endormit sereinement.
Crow arriva au commissariat de bonne heure et rassembla le plus d’effectifs possible. La salle de réunion était pleine et tous étaient attentifs et concentrés à l’écoute des propos de l'inspecteur. Il fit un résumé de la situation à ses hommes. Derrière lui se tenait un tableau de présentation où des photos d'Husman étaient affichées, ainsi que son nom écrit au centre, en gros, et en lettre majuscule. Crow distribua les taches de chacun : “Carter, vous annulez toutes les dernières convocations et vous convoquez en urgence monsieur Carl Lewis et mademoiselle Martine Toker. Anderson et Lopez, vous me trouvez tout ce que vous pouvez sur la transaction immobilière concernant le Chalet de Carl Lewis situé en bordure du lac Windermere. Ancien propriétaire, prix de vente, transaction, etc., Perez et Roy, vous enquêtez sur les parents de ce salopard d'Husman. Je veux tout savoir sur eux, ambiance dans la famille, éducation, etc. Turner et Taylor, vous essayez de localiser Husman. Vous commencerez par sa chambre d'hôtel à Manchester et son étude. Lorsque vous l'aurez localisé, vous me prévenez et vous le filez. Wood et Thomas, vous allez chez Slater lui retirer son bracelet. Personne ne sort seul sur cette affaire. Husman est dangereux et le sera encore plus quand il se saura découvert, donc soyez le plus prudent et discret possible. Ne perdez pas de vue qu’il a déjà tué par deux fois, de manière froide et gratuite. C'est parti les gars, on va coincer cet enfoiré !”
Tous les policiers quittèrent la salle de réunion, et les couloirs du commissariat se transformèrent en fourmilière où, chacun concentré sur sa tâche, allait et venait.
Lorsque Wood et Thomas arrivèrent chez Slater, cela sentait bon le café. Fred passa la main sur sa cheville libérée et la caressa. Nora et lui se rendirent au domicile de celle-ci, récupérer les clés de l'étude de Greg et s'y rendirent. Ils se garèrent non loin et observèrent l'entrée de l'étude qui était fermée. Après quelques minutes d'observation, ils constatèrent qu'il n'y avait personne et Fred proposa d'entrer. Nora n’était pas enchantée par cette idée, mais elle accepta. Il était très tôt et ce n’était pas dans les habitudes de Greg de se rendre à son étude avant 8h30. De plus sa secrétaire embauchait à 9h00. En général, ses bureaux étaient fermés le samedi, mais cela arrivait qu'ils soient ouverts en cas de travail urgent. Elle vivait depuis plus de 15 ans avec Greg et elle se sentait totalement étrangère à ce lieu. “Que caches-tu ici, Greg”, pensait-elle. Convaincue que, si ce dernier ne souhaitait pas la voir ici, c'était qu’en vérité il avait des choses à cacher. Ils commencèrent à fouiller, cherchant le dossier du Chalet. Celui-ci était rangé à sa place, dans un classeur nommé “Transactions immobilières”. Il le consulta et tout paraissait avoir été fait dans les règles de l’art, si ce n'est le prix de vente que Fred trouva irréaliste tellement il était peu élevé. Nora nota le nom et l'adresse des anciens propriétaires. Pendant ce temps Fred fouillait par ailleurs, ouvrant tous les tiroirs et les placards, passant les mains à l’intérieur, cherchant un indice ou quelque chose d’inhabituel. Il explora une armoire basse et dit : “C'est bizarre…
– Quoi ?
– … Quand je passe la main dans ces dossiers, je bute juste derrière … "
En parlant, Fred déplaça le meuble bas pour voir derrière et s'exclama : “Bingo ! il y a une double porte.”
La double porte était fermée à clé. Nora ouvrit un des tiroirs du bureau et passa la main sous celui-ci dans l’espoir d’y trouver une clé, mais il n’y avait rien. Elle fit de même pour l'autre tiroir et en arracha une petite clé fixée par du ruban adhésif.
“Mon pauvre Greg, tu n’as aucune imagination !” ironisa-t-elle.
Cependant, elle n'était pas tranquille, son conjoint pouvait arriver à tout moment. Elle ouvrit la porte dérobée et prit tout le contenu, puis la referma. Fred remit l'armoire contre le mur. Elle remit la clé à sa place et ils quittèrent les lieux. Fred démarra aussitôt, impatient de mettre le nez dans les affaires secrètes d’Husman. Arrivé chez lui, Fred téléphona à Crow, qui se joignit à eux.
L'inspecteur était furieux contre Slater et Becker. Leur petite expédition à l'étude de Greg alors que ce dernier n'était pas encore localisé l'avait mis dans une colère noire. Fred et Nora se regardèrent et prirent les remontrances de Crow pour une marque d'affection. Le jeune homme profita du fait que l’inspecteur ne le regardait pas pour sourire à Nora et créer, entre eux, un moment de complicité. Le couple d'aventuriers le rassura en lui promettant de ne plus rien tenter sans l’en avertir. Et ils prirent, tous les trois, connaissance des documents que Greg avait pris soin de cacher. Ils furent consternés de découvrir que celui-ci avait érigé un dossier impressionnant sur Fred. Il savait tout de lui, ses amours, ses déplacements, sa progression professionnelle, son organisation, jusqu’à ses moindres habitudes les plus intimes. Des photos prouvaient que Greg était déjà venu dans son appartement. Fred en eut la chair de poule. Ils découvrirent aussi un dossier sur Nora, Martine, Carl et Olivia, la femme de ménage, avec des annotations sur chacun d'eux, sur leur rôle à jouer et ses stratégies pour les mener à faire ce qu'il souhaitait d'eux. La place n'était plus à la déception et à la tristesse, mais à l’horreur et à la stupéfaction. Fred accompagna Nora jusqu’à la salle de bain. Elle ouvrit la lunette des toilettes et vomit. Durant ce temps, l’inspecteur chercha à joindre Carl et Martine, mais ni l’un ni l’autre ne répondit, ni chez eux ni au Chalet.
Crow trouva un dossier sur le chalet avec des plans et un document mentionnant une donation en cas de décès.
"Oh merde ! s’exclama-t-il, le Chalet reviendrait à Greg si Carl Lewis venait à décéder."
Fred en eut des frissons partout et se mit en tête de joindre Carl coûte que coûte, mais le téléphone de son appartement ne répondra jamais.
L'inspecteur pensa qu'il ne pouvait plus se contenter de fouiner, mais que localiser Greg et l’arrêter devenait très urgent. Il demanda à Nora qui avait retrouvé ses esprits :
“Becker, avez-vous une idée de l'endroit où pourrait être Greg en ce moment ?
– Il se peut qu'il se rende à son étude. Il arrive aussi que sa secrétaire travaille certains samedis. Je ne lui connais aucun déplacement ni rendez-vous pour ce week-end.”
Crow fit poster une voiture devant l’étude.
Après avoir déposé les corps de Carl et Martine au Chalet, Greg était revenu dormir à son hôtel de Manchester. Ce matin-là, il arriva à son bureau à 8h15 et n’y resta que quelques minutes. Dès son entrée, il remarqua qu'un classeur était placé différemment qu’à l’accoutumée. Fronçant les sourcils, il le regarda et le replaça correctement, puis se dirigea ensuite vers son bureau, s’arrêta net et fit marche arrière. Il ouvrit le classeur mal placé et l'inspecta. Rien ne lui parut anormal, il le remit en place. Il retourna à son bureau et déposa sa mallette dessus. Il ouvrit son tiroir et vérifia la présence de la petite clé. Rassuré, il laissa quelques consignes par écrit pour sa secrétaire et reprit la route du lac. Lorsque la voiture de police se gara à quelques mètres de l'étude, Greg était déjà au volant de son véhicule. il passa à côté de cette dernière sans y prêter la moindre attention.
Lorsque Crow arriva sur le lieu de travail de Greg, il était 9h30. La voiture en place lui rendit compte de la présence, uniquement, de la secrétaire. Celle-ci lui expliqua que Maître Husman avait dû s'absenter, mais sans préciser où. Crow insista, mais il n'obtint aucune information de la part de l'employée qu'il sentit dévouée à son patron. Il rentra au commissariat bredouille et espérait que ses équipes auraient de meilleurs résultats.
Nora et Fred décidèrent de se rendre chez les anciens propriétaires du Chalet. Ils en informèrent Crow qui fut ravi de voir que le duo tenait sa promesse. Monsieur et madame Walker habitaient à Kendal, à une heure et demie de route de Manchester. Ce Chalet était une véritable énigme qui attisait la curiosité de Fred. Il conduisait son Range tranquillement, étant pour le respect des limitations de vitesse et du code de la route en général. Il alluma son auto radio et la cassette, restée à l'intérieur, démarra de suite. Nora reconnut “House of the Holy” .
“Je n'aurai pas imaginé que tu écoutes du Led Zeppelin !” dit Nora.
Fred sourit, laissa un silence s'installer et lui demanda :
“À la fac, pourquoi tu ne voulais pas que l’on soit ami ?
– Je te trouvais odieux, imbu de ta personne, prétentieux, détestable, toujours à opprimer les plus faibles, à te croire supérieur aux autres. Je n’avais vraiment aucune envie de te connaître !” dit Nora en toute décontraction.
Fred devint blême. La réponse de Nora le blessa au plus profond de lui-même et il en regretta sa question. Il demanda alors froidement :
“Tu ne me connaissais pas ! De quel droit me jugeais-tu de la sorte ?
– Tu as oublié tout le mal que tu faisais à Greg ?”
Fred en restait médusé. Il savait qu’elle ne l’appréciait pas, mais il n’aurait jamais imaginé qu’elle puisse avoir de telles pensées et un tel jugement : “Vraiment, et quel mal lui ai-je donc fait ?
– Il était traumatisé à cause de tous les mauvais coups que toi et Georges faisiez. Il était faible et vous faisiez des blagues sadiques rien que pour vous amuser !
– Greg, faible ? Mais il n’y a bien eu que toi et Martine pour croire ça ! Le pauvre Greg, la pauvre victime ! En voilà bien la preuve !”
Nora ne percevait pas si ce ton se voulait ironique ou non et se demandait comment elle devait interpréter ces propos, mais Fred continua : “Greg est tout sauf un faible. Depuis le début du collège, il me harcelait sans cesse pour que je sois son ami. Ce que je ne voulais pas. Je ne l’ai jamais senti, ce mec. Je le trouvai sournois et manipulateur. Dès le début de mon amitié avec Georges, il essayait de nous séparer, voulant toujours me faire croire que Georges faisait ou disait des trucs derrière mon dos, mais ça n’a pas fonctionné. Georges et moi étions de vrais amis. Il nous suivait partout, se cachait et nous observait. Un jour, on en a eu marre. Je lui avais déjà dit à mainte reprise d’arrêter, mais rien n’y faisait. Je ne suis pas fier des mauvaises blagues qu'on lui faisait. Il n’a eu que peu d'amis avant vous deux. Et lorsqu'il arrivait à s'en faire un, il ne restait jamais bien longtemps. Personne ne l’appréciait. Mais dis-moi, qui d’autres embêtions-nous ?"
Nora écoutait en se remémorant l’enregistrement de Crow. Elle baissa la voix sentant une gêne s'installer en elle : “Je ne sais pas, personne à ma connaissance.
– Alors, ton “toujours à opprimer les plus faibles”, ça veut dire quoi ?”
Nora se sentit idiote et reconnut qu'elle avait exagéré :
“Je suis désolée Fred, je crois que cette situation est tellement difficile à accepter que je fais comme si elle n'existait pas. C'est après moi, en fait, que je suis en colère. À la fac, Greg racontait tellement d’horreur sur toi. Martine et moi l’avons cru… et avons fondé notre opinion sur ses dires.”
Ils restèrent silencieux.
Nora était perplexe et se sentait perturbée, comme si elle s’apercevait d’un coup que ce qu’elle pensait être n’était plus. Et c’est toute la perception de ce qu’elle croyait être sa vie qui, en une seconde, était remise en cause. Elle vit une aire de stationnement, en bord de route et demanda à Fred de s’arrêter, ce qu'il fit. Elle parla calmement :
“Il ne m’a jamais dit qu’il te connaissait depuis le collège. Pour moi, on s’était tous rencontré en même temps, à la fac. Il racontait tellement de choses horribles sur toi. J'ai l'impression que c'est ancré dans mon cerveau comme des faits établis.”
Fred avait retrouvé son calme : “Je comprends. C’est un manipulateur, apparemment pervers et psychopathe si nos doutes se confirment. Je sais qu’il a tout fait pour que toi et Martine me détestiez.”
Nora restait pensive et finit par dire : “Oui… j’ai cru… enfin, je croyais qu’il était harcelé, qu’il était une victime et j’ai voulu le protéger. Il a fait de moi ce qu’il a voulu.”
Fred ressentit ce qui se passait dans sa tête et essaya de la réconforter : “Et c’est tout à ton honneur. Il est très fort, beaucoup de gens ont dû se faire avoir. Mais si Greg n’avait pas été là, cette année-là, notre relation aurait pu être complètement différente.”
Nora ne savait pas si Fred faisait allusion à ses sentiments pour elle et dit : “oui, peut-être.”
Cette charmante avocate prenait conscience qu'elle était passée à côté de la vérité et au combien son erreur de jugement, trop rapide, avait été grand. La culpabilité l’envahit de tout son être. Les larmes lui montèrent aux yeux. Elle ajouta : “Tu dois me détester.
— Ah, ça, non. Jamais je ne pourrais te détester", dit Fred souriant.
Il aurait bien développé sa pensée en lui avouant son amour, mais il jugea le moment inapproprié et doutait que Nora apprécie.
Elle continua : “Comment pourrais-tu ne pas me détester ? Moi et Martine avons pris parti pour un personnage qui te harcelait depuis des années.
– C'est comme ça, Nora, jamais je ne pourrai te détester. Quoi que tu dises ou quoi que tu fasses. Quand nous étions jeunes, vous ne saviez pas. Vous avez cru ce que disait Greg. Et moi, je ne me suis jamais considéré comme une victime. J'étais loin de m'imaginer que Greg me haïssait autant. Et puis, tu sais, mon père, au sein de sa famille, avec ma mère et moi, il est incroyable. Mes parents ont toujours été bienveillants et ils le sont l’un pour l’autre. Dès mon plus jeune âge, ils m’ont appris à ne pas toujours penser que la faute vient forcément des autres. À me méfier de ces pensées négatives qui envahissent le cerveau, des jugements furtifs et gratuits faits à l’encontre des autres qui ont, pour seul but, de se croire mieux qu’eux. Ils m’ont appris à gérer ça pour me rendre plus juste et plus fort. Ils m’ont aussi appris à dire non et à écouter mon intuition. Quand j’ai fait ta connaissance, j’avais envie de te côtoyer, j’avais envie que tu sois mon amie. Et puis ce n'est plus un secret pour personne maintenant, j'étais amoureux de toi. Rien que de penser à toi était une vraie source d'énergie et je me sentais pousser des ailes. C'était ainsi et je ne vois pas pourquoi je renierais mes sentiments. Mais je me suis aperçu que ce n’était pas réciproque et j’ai respecté ton choix. À l’époque, je n’ai pas pensé que c’était à cause de ce qu’il se passait avec Greg et de ce qu'il te racontait. J’ai juste pensé que je ne te plaisais pas et je ne me serai pas permis de te juger. J’ai accepté que tu ne veuilles pas être mon amie, mais cela ne m’empêchait pas de t’apprécier de loin.”
Nora afficha un petit sourire timide et gêné :
“Je te demande pardon pour ce que je t’ai dit tout à l’heure.”
Il lui répondit par un sourire. Il pensa que sa capacité à se remettre en question et à savoir présenter des excuses le rendait encore plus amoureux. Cela lui donna confiance pour l’avenir. Fred reprit la route. Nora resta plongée dans ses pensées jusqu’à leur arrivée chez les Walker.
Lorsque le duo se gara devant la maison des Walker, il était midi. La maison était petite et simple, sans signes de grande richesse. Fred pensa que cela ne collait pas avec des gens ayant les moyens d'avoir un bien sur le lac windermere. Ils restèrent quelques minutes dans le véhicule et réfléchirent au discours qu'ils tiendraient au couple pour obtenir les informations souhaitées. Nora hésita à se présenter comme la conjointe de Greg et décida finalement de s'afficher comme l'avocate de Carl, qui aurait besoin d'avoir des informations complémentaires sur le Chalet.
Lorsqu'ils sonnèrent, c'est une femme d'une cinquantaine d'années qui vint ouvrir la porte. Cependant, Nora lui en aurait volontiers donné dix de plus. Les traits tirés et le visage triste, toute la misère du monde paraissait reposer sur cette frêle femme. Nora se présenta et présenta Fred comme son secrétaire. Un homme, d'une soixantaine d'années, vif et alerte, vint rejoindre la femme et ils les firent entrer. Nora expliqua le but de sa visite et l'ancien propriétaire fut surpris, pensant avoir fait tout ce qu'il fallait avec Maître Husman. Nora le rassura :
“Ne vous inquiétez pas, monsieur Walker, la transaction ne pose aucun problème. Monsieur Husman a très bien fait son travail. Je voudrais vous poser quelques questions d'ordre plus personnel, car monsieur Carl Lewis, qui adore le Chalet, aimerait en connaître plus sur son histoire et son passé.
– Je comprends, nous aussi, nous adorions le Chalet.”
Nora souhaitait connaître la date à laquelle ils avaient mis en vente leur propriété et les raisons qui les avaient poussés à le faire. Encore une fois, il fut surpris : “Mais jamais ! dit-il. Maître Husman m'a contacté en septembre de l’année dernière pour nous acheter notre bien, mais je n'étais pas vendeur. Puis nous avons eu un grave accident de voiture en janvier. Notre fille a perdu l'usage de ses jambes et se déplace maintenant en fauteuil roulant. Quand Maître Husman est revenu une seconde fois, nous avons accepté de lui en confier la vente. Il n'était plus possible pour notre fille d'aller au Chalet. Il aurait fallu faire beaucoup d'aménagement et les soins nous coutaient déjà très cher. Voyez-vous, nous n'avons jamais été riches. Le Chalet est un héritage du côté de mon épouse et, finalement, c'était notre seule richesse financière et familiale. Ce fut un crève-cœur de s'en séparer, mais nous avions besoin d'argent pour les soins d'Emilie. Et Maître Husman fut très convaincant, il nous a assuré le vendre rapidement à un très bon prix.
– Monsieur Lewis vous en a offert 350 000 euros, c'est loin d'être une offre généreuse, intervint Fred.
– Monsieur Husman m'a proposé une transaction peu conventionnelle, j'en conviens, mais je l'ai accepté.
– C'est à dire, monsieur Walker ? Pourriez-vous nous expliquer ? demanda Nora intriguée.
– Non, je suis désolé, voyez cela avec monsieur Lewis ou monsieur Husman.”
Nora sentit ce dernier sur la défensive et décida de jouer cartes sur table :
“Monsieur Walker, je ne suis pas l'avocate de monsieur Lewis, je suis désolée de vous avoir menti. Je suis l'avocate de monsieur Slater ici présent. Maître Husman est soupçonné de meurtre et nous enquêtons sur des points sombres de ses activités et la vente de votre maison en est un.”
Monsieur et madame Walker restèrent muets et écoutaient Nora parler. Elle en profita pour continuer calmement ses explications :
“Bien sûr, ce n'est pas forcément à nous que vous devez raconter cette histoire, d'ailleurs, il vous faudra sûrement la répéter à la police. Mais à l'instant où nous parlons, Maître Husman est toujours dans la nature et nous espérons que toutes les investigations que nous faisons, nous et le commissaire Crow de la police de Manchester, nous permettrons de mieux comprendre ce qui se passe et ainsi, de pouvoir le localiser rapidement.”
Le couple était ahuri et resta silencieux. Ils ne s'attendaient pas à ce que, ce qu'ils croyaient être une simple visite de curiosité, tourne à l'enquête policière.
Le vieil homme prit la parole : “Monsieur Lewis m'a versé 350 000 euros par virement bancaire et m'a donné 750 000 euros en espèce par l’intermédiaire de Maître Husman. Celui-ci m'a fait sous-entendre qu'il valait mieux rester discret sur la partie versée en espèce. Je n'ai pas posé de questions, l'important pour nous était d'être payé. Je l'ai juste informé qu'il n'était pas possible pour nous de garder autant d'argent chez nous et il nous a ouvert un compte dans une banque où nous avons déposé cet argent avec lui. Cette banque paraissait très bien le connaître.”
Nora remercia son interlocuteur pour toutes ces informations et Fred demanda :
“Monsieur Walker, je suis désolé de vous demander ça, mais auriez-vous la gentillesse de nous dire ce qu'il s'est passé lors de votre accident ?”
Il respira et dit : “Ce week-end-là, notre fille, Emilie, de 12 ans, avait une compétition de gymnastique à Manchester. Nous avons pris la route le samedi matin vers 8 heures. Le temps était à la pluie. Nous roulions tranquillement et d'un coup, nous avons entendu une explosion sous le capot. La voiture est devenue incontrôlable. Un poids lourd arrivait en face. Notre voiture a fait des tonneaux et est allée percuter le camion.”
La voix de l'homme se faisait de plus en plus fébrile : “Ma femme et moi avons eu des blessures superficielles et des côtes cassées. Mais, sous le choc, mon siège a reculé et est allé écraser les jambes d’Emie.
– Nous sommes désolés pour ce tragique accident. Savez-vous quelle a été la cause de l'explosion ?
– D'une défaillance technique d'après Monsieur Husman”, répondit monsieur Walker.
Nora ne put cacher sa surprise : “D'après Monsieur Husman ?!”
– Oui, suite à notre première rencontre, nous sommes devenus assez proches. Il nous avait parlé de sa fille du même âge que notre Emie et qui faisait aussi de la danse. Il nous a beaucoup soutenus et aidés. C'est lui qui s'est occupé de la voiture et de gérer l'assurance. Nous étions tellement ravagés et désemparés.”
Nora cacha sa stupéfaction et acquiesça doucement de la tête. Les mensonges de Greg devenaient tous plus fous les uns que les autres. Fred les remercia de s'être confiés à eux et ils prirent congé.
Fred et Nora reprirent la route. Il proposa de se rendre au Chalet, mais Nora refusa. Il proposa alors d'aller boire un café.
Ils arrivèrent dans le bourg de Kendal. Les maisons, majoritairement en calcaire gris, dégageaient un certain charme. Ils se garèrent et poussèrent les portes d’un bistrot. Ils s'installèrent sous un grand parasol à frange, sur une grande terrasse arborée de gros pot de terre cuite débordant de plantes grasses. Nora trouva le coin charmant. Ils s’installèrent à une table de deux. Elle respira à fond plusieurs fois, essayant de se détendre et de profiter du lieu. “Je suis terrifié des mensonges et du comportement de Greg. Je suis sûr que c'est lui qui a saboté le véhicule des Walker pour obtenir le Chalet”, dit Fred.
Nora restait silencieuse et pensive. Si Fred avait raison, alors sa liaison avec un monstre ne faisait plus aucun doute. Comment pourrait-elle vivre avec elle-même à présent ?
Un silence s'installa. Et Nora dit d'un air pensif :
“ce serait terrible... Greg n'a pas pu aller jusque là !
– Il est bien allé jusqu'à tuer Georges et Olivia, je te rappelle. Et vu ses petits dossiers secrets sur chacun de nous, cela ne m'étonnerait pas du tout qu'il ait pu provoquer un accident pour arriver à ses fins. Et puis, en septembre, Martine n’avait pas encore rencontré Carl. Cette maison, c’est Greg qui la voulait. Ensuite, il a dû persuader Carl de faire une bonne affaire immobilière.”
Nora s'effondra dans son siège et Fred regretta, aussitôt, d’avoir pris un ton aussi léger et détaché. Elle recommença à culpabiliser de n'avoir pas vu qui était véritablement son amant. Fred se mit en tête de lui remonter le moral : “Tu sais, on ne connaît jamais vraiment les gens… .“
Nora l'interrompit et s'exaspéra : “Oh non, je t’en prie, épargne-moi le couplet sur : "on ne connaît jamais vraiment les gens avec qui on vit ! À ce moment-là, on ne fait plus confiance à personne, on n'aime plus personne, on ne vit plus avec personne !”
Nora s’était énervée, énervée contre elle-même en fait et elle s’en rendit compte aussitôt : “Je suis désolée, Fred, je ne voulais pas te parler ainsi. C’est après moi que j’en ai ! Je m’en veux tellement de n’avoir rien vu.”
Fred ne répliqua pas. Il apprécia cependant qu’elle se rendît compte instantanément de son erreur. Après quelques secondes, il finit par dire : “Non, tu as raison. C'était maladroit de ma part de placer cette citation à cet instant. Je suis désolé. Greg est un être à part. Cacher sa vraie personnalité et manipuler les autres fait partie de lui-même. Il excelle dans ce domaine. C'est un malade, un vrai psychopathe.
– Un psychopathe ?” répéta Nora calmement, mais à l’intérieur, elle aurait eu envie de hurler. Elle avait du mal à entendre les propos de celui qui se voulait pourtant bienveillant et n’avait, sans nul doute, pas suffisamment de recul pour accepter l’idée qu’elle venait de passer 15 ans de sa vie avec un psychopathe.
“Oui, continua Slater, il est impossible de se rendre compte de sa vraie nature, d’ailleurs, personne ne s’en est rendu compte. Ni Martine, ni Carl, ni sa secrétaire ou encore ses clients, son médecin ... Personne. Tant qu’il ne passe pas à l’acte, ces gens-là se fondent dans la masse.”
Nora se leva, laissant Fred en plan, et alla demander au barman si elle pouvait passer un coup de téléphone. Le gérant du café lui indiqua la cabine téléphonique.
“Allo Crow, c'est Beker”, dit-elle.
Elle resta une vingtaine de minutes. Instinctivement, Fred savait qu'elle appelait très certainement l'inspecteur. Quand elle revint, elle informa Fred que Husman restait introuvable et qu'il aurait eu plusieurs internements dans sa jeunesse pour trouble du comportement. Apparemment, il avait une relation fusionnelle avec sa mère qui ne lui refusait rien. Par contre, avec son père, la relation était conflictuelle. Elle demanda :
“Tu crois qu'il a tué son père ?”
Fred sourit et prit un ton qui n'était pas le sien, imitant une personne distinguée de la haute bourgeoisie : “ça, on ne sait pas, Maître, tenons-nous-en aux faits, si vous voulez bien !”
Nora rit nerveusement et cela lui fit du bien. Elle ajouta, d’un air plus détendu : "Crow nous interdit d’aller au Chalet."
Cette interdiction n’était pas du goût de Fred qui se leva et rejoint la cabine téléphonique :
“Crow, nous sommes à trente minutes du Chalet et je n'ai pas l'intention de rester à ne rien faire.”
L'inspecteur restait ferme sur sa position et annonça à Fred que les plans du chalet, retrouvés avec les documents secrets, révélaient des transformations au sous-sol. Tout laissait présager que la maison dissimulait des pièces cachées.
Fred écoutait attentivement et finit par dire : “Je me garerai loin de la maison, je serai très prudent.”
Il raccrocha, sans attendre de réponse. Crow était littéralement furieux et traitait Slater de tous les noms d'oiseaux qui lui venaient à l'esprit. Tous ses hommes étaient en mission et une permanence devait rester en ville. Il donna l'ordre que les patrouilles prennent la route du lac de windermere au fur et à mesure qu'elles reviennent au commissariat, peu importe l'heure tant qu'il n'aurait pas donné l'ordre contraire. Le policier de permanence prit note des consignes et Crow partit en direction de la propriété de Carl Lewis.
Fred demanda à Nora si elle avait connaissance d’un sous-sol, mais pour elle, le Chalet n’en possédait pas. Il revisita virtuellement l’intérieur de celui-ci et ne voyait pas d’accès à un éventuel sous-sol.
“Je vais au Chalet, dit-il, attends moi ici. Je saurai où t'appeler pour te dire où en sont les choses et Greg ne viendra pas te chercher là.
– Pas question ! répliqua Nora d’un ton déterminé. Je t’accompagne.
– Non, Nora, si Greg est là-bas, ce sera très dangereux. Et en plus, Crow ne consent pas à cette petite virée …”, répliqua Fred.
Elle le regarda droit dans les yeux et le coupa froidement : “Je ne te demandais pas ta permission.” Sans attendre de réaction, elle se dirigea vers le Range.
Fred lui emboita le pas en pensant qu'il était fou d'elle.
En voilà un retournement de situation : un méchant qui devient gentil et vice-versa. Il faut croire que le refus d'amitié a transformé Greg en un terrible personnage. Il semble avoir paramétré toute sa vie (études, rôle, relations, entourage, finances) pour faire payer sa méprise à Fred. C'est incroyable. Incroyable de réaliser à quel point une souffrance d’adolescent peut se transformer en amertume jusqu’à parasiter totalement la vie d’adultes mûrs.
Pas sûr que les événements familiaux de Greg aient beaucoup aidé, en tout cas.
L’histoire n’est pas forcément réputée pour son originalité, mais les leçons de morale qui y sont subtilement insinuées sont de qualité.
Hâte de lire le dernier chapitre.
A.B C