Chapitre 7

Le jour se levait à peine, Thomassine se glissa à pas de loup par l’entrée de service. Elle n’avait pas prévu de passer la nuit dans son domicile secondaire. La jeune femme espérait que son père avait trouvé une excuse crédible pour justifier son absence au repas du soir. Elle retira ses chaussures pour faire moins de bruit sur le carrelage froid. Sur la pointe des pieds, elle monta les escaliers qui menaient à sa chambre dans l’hôtel particulier de ses parents.  Elle ouvrait délicatement la porte quand on la saisit par le bras et la tira à l’intérieur.

— Bon sang de bois Thomassine, où étais-tu ? Je me suis fait un sang d’encre !

L’angoisse de son père se lisait sur son visage. Des cernes cerclaient ses yeux clairs.

— Un contretemps, mais mon enquête avance ! répondit-elle avec exaltation.

— C’est vrai ? Raconte-moi !

La jeune fille fut surprise par son enthousiasme, comme un enfant qui attendait une bonne histoire. Elle lui raconta sa visite à l’Opéra et ses conversations avec « des techniciens ». Elle se garda bien de lui dire la stricte vérité sur le fantôme. Elle lui relata sa découverte sur le vol au Palais Garnier. Érik, le spectre de l’Opéra, lui avait expliqué que « la sirène » était une de ses inventions. Une série de rouage et engrenage entrelacée de très fines structures qui pouvaient aussi bien serrer, broyer ou écarteler selon le montage.   

— On ne fait pas sauter une partie d’un bâtiment pour récupérer ce genre d’engin sans intention criminelle d’envergure. J’ai bien peur que d’autres événements tragiques ne se produisent bientôt… Conclut-elle.

— Il faut prévenir la police ! s’exclama son père.

— Pas question ! Ces bons à rien m’ont pris pour une hystérique lorsque je leur ai parlé de l’homme au béret et ils ont conclus à un attentat d’anarchiste ! Je refuse de leur communiquer la moindre information !

— Mais Thomassine, s’il y a de nouvelles attaques ! Tu mets la vie de gens en danger !

La remarque fit mouche et elle réfléchit un moment. Son inaction pouvait causer la mort de personnes innocentes.

— Ça ne changera rien ! Leur dire ce que je sais ne les avancera pas plus ! Ils ne m’ont pas cru la dernière fois, il n’y a pas de raison qu’ils le fassent. Il me faut trouver plus de preuves tangibles ou il faut hélas attendre qu’un autre drame se produise…

— De quel drame parles-tu, ma chérie ?

Sa mère venait d’entrer sans frapper dans la chambre.

Les deux interlocuteurs se dévisagèrent un moment, pris de court, cherchant une explication à fournir. Une goute de sueur perla sur leurs fronts.

— J’ai égaré mon chapeau cloche beige, dit Thomassine à la volée. Son père lui jeta un regard de coin.

— Ho ma pauvre ! Nous irons en acheter un autre au plus vite ! Le petit déjeuner devrait bientôt être servi, je pensais que cela te ferait du bien après ta crise de migraine d’hier soir.

Cette fois-ci, c’est Thomassine qui lança un regard en coin à son père.

— Oui mère, nous descendons.

La petite famille se rendit dans le salon où Suzie avait dressé la table et posé divers plats. Thomassine n’appréciait guère le café, mais après sa nuit agitée, elle ne fit pas la fine bouche. Alors qu’elle entamait son deuxième œuf à la coque, le majordome apporta le journal pour monsieur. Elle lorgna sur les articles au dos pour savoir ce qu’il se disait dans ce bas monde. Cette curiosité agaça sa mère.

— Lucien, vous n’auriez jamais dû l’autoriser à s’intéresser à vos affaires. Une bonne fille ne s’occupe pas d’économie ou de politique.

— Ma chère, lire ce genre de sujet n’a jamais tué de jeunes demoiselles. Alors qu’il n’en est pas de même pour certains mariages.

Thomassine faillit recracher sa boisson chaude et eut un hoquet. Elle s’essuya la bouche tout en observant la passe d’armes concernant son éducation entre ses parents. Elle se demandait ce que sa mère, peu encline à l’émancipation des femmes, avait bien pu trouver à son père, tellement progressiste.

Si le travail féminin était un sujet qui l’indifférait auparavant, la guerre avait profondément modifié l’idée qu’il s’en faisait. C’est pour ça qu’il encourageait son enfant dans cette voie. Ne tenant pas compte des protestations de la maitresse partielle de maison, il tendit le journal à sa fille.

— Regarde.

Il pointa un article sur le Louvre.

« Le musée des arts du Palais du Louvre est sous le choc. Après l’attaque de l’Opéra Garnier il y a plusieurs semaines, c’est au tour de l’ancien palais royal d’être victime de criminels. Pendant la nuit de mardi à mercredi, le célèbre musée a été vandalisé. Aucune œuvre n’a été emportée, mais de très nombreuses ont été dégradées. Des signes étranges et incompréhensibles pour la police ont été peints sur ces dernières. La maréchaussée s’oriente vers le fameux fantôme Belphégor qui avait déjà défrayé la chronique il y a quelques années. Ce sinistre personnage avait dérobé plusieurs œuvres. Selon la police, il pourrait s’agir d’une vengeance. »

Thomassine sauta de sa chaise pour finir de lire le rapport du journaliste. En une fraction de seconde, elle réalisa qu’elle venait d’attirer toute la désapprobation maternelle. Elle se rassit et but une gorgée de jus d’orange bruyamment. Son sang bouillait, être coincée à table alors que son enquête l’appelait. Lucien lui fit un signe de tête qui lui intimait la patience. Elle se doutait qu’Érik était aussi au courant de cet événement. Comme il s’était engagé à l’aider à trouver les coupables et récupérer son bien, elle espérait qu’il prendrait l’initiative de se rendre au Louvre pour enquêter. Mais sortait-il en pleine journée ? Et à découvert ?

— Mère, je vais aller acheter mon chapeau cloche ce matin, avant qu’il ne fasse trop chaud.

— Ho, très bonne idée, je me prépare d’ici quelques minutes, répondit cette dernière.

Thomassine essaya de retenir une grimace. Elle comptait sortir seule pour endosser le costume de Thomas. 

— Je l’accompagne, Giselle. J’ai quelques affaires à régler.

Mon père, ce héros ! pensa la jeune fille.

Sa mère eut une moue de déception de ne pouvoir faire également les boutiques, bien qu’elle les ait faites la veille. Elle n’osa pas contredire son mari, même si elle voyait d’un très mauvais œil l’association de ces deux-là.

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Zig
Posté le 23/04/2020
Bon allez... je vois que tu n'as pas de commentaire sur ce chapitre, j'en mets un xD

Tu parles ici d'une discussion entre l'héroïne et le fantôme... J'ai dû re-vérifier le chapitre pour être sûre de ne pas en avoir raté un. Mais non, ce n'est pas moi qui ai trop picolé !
Je pense que ça pourrait fortement faire gagner en intérêt de faire lire au lecteur la teneur de leur échange. Ainsi, plutôt que de découvrir l'intérêt de cette fameuse "sirène" entre la poire et le fromage, le lecteur pourrait vraiment en apprendre plus en même temps que Thomassine. Après... c'est peut-être voulu de ta part ?

"Elle lorgna sur les articles au dos pour savoir ce qu’il se disait dans ce bas monde. Cette curiosité agaça sa mère." = C'est ce genre de petit détail, de petite action naturelle que j'aime beaucoup, et qui donne de la vie à un récit. Ce petit échange m'a beaucoup plu.

Dernière remarque : je pense que la mère est beaucoup trop idiote pour être pleinement crédible... Nos deux bonhommes ne sont pas vraiment discret et pourtant elle ne montre pas l'ombre d'un doute ou d'un étonnement. Je vois ce que tu essayes de faire avec elle, mais essaye peut-être de la rendre moins extrême dans son caractère. Donne plus de nuance.

Tu as des personnages très intéressants (Thomassine et Erik), mais n'hésites pas aussi à bien travailler les personnages secondaires voire ternaire and co. Ils sont tout aussi important pour donner de la vie à ton histoire.
SalynaCushing-P
Posté le 23/04/2020
C'est noté pour les personnages secondaires !
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