Alek pénétra dans le village Dyami par l’entrée principale. Rien n’avait changé depuis son premier séjour, quatre ans auparavant. Les mêmes rues joliment pavées, et la maison commune avec sa grande tour octogonale. Il croisa l’une des protectrices du village, Asha, qui ne lui accorda pas un regard malgré le sabre qui se balançait à son flanc. Elle ne l’avait pas reconnu, et ne fut pas la seule. Arrivé au centre du village, Alek dû se rendre à l’évidence : sans sa bosse, il était devenu méconnaissable.
Il se rendit directement à la demeure des Apovini, la famille la plus respectée du clan des chamanes. Ce n’était pas la maison la plus impressionnante, mais la seule qui possédait un grand patio intérieur, marque de déférence à l’égard du clan Impériale, où leurs membres dotés d’aile pouvaient descendre du ciel.
Il leva le poing et frappa à la porte. Deux yeux ridés apparurent dans le trou du judas.
— Loué soit le clan Impérial, dit Alek en guise de salutation. Je souhaiterais être introduit auprès de Chiliali Apovini, du clan Dyami.
Les deux pupilles noirs l’étudièrent.
— A qui ai-je l’honneur ? croassât une voix de femme.
— Est-elle ici ?
— J’ignore toujours votre nom.
— Parce que je ne vous l’ai pas dit. Est-elle ici ? Je dois absolument m’entretenir avec elle. Transmettez mon message, Lufzanne !
— Bien, Lufzan, répondit la vieille, visiblement outrée par son manque de politesse.
Elle ferma le judas d’un coup sec, laissant Alek poireauter comme un imbécile. Au bout d’une demi-heure, il tambourina de nouveau à la porte, bien décidé à la défoncer si la vieille ne lui ouvrait pas. Son agacement était tel qu’il ne perçu pas le léger froissement d’air dans son dos. La fléchette se ficha droit dans son cou, et il sentit immédiatement la brulure du liquide qui lui pénétrait les veines.
Mais quel crétin, pensa-t-il avant perdre connaissance. Se faire prendre deux fois de la même manière.
Alek sentit le brouillard se dissiper lentement dans son esprit tandis qu’il reprenait conscience. Combien de temps s’était écoulé ? Il garda les yeux clos, gêné par le parfum floral qui flottait dans la pièce, et caressa de ses mains libres de tous liens la surface rugueuse de la méridienne sur laquelle il était étendu, ses ailes étalées de chaque côté. Grace au Souffle, il sut que deux autres personnes se trouvaient à proximité. : sa nouvelle puissance lui aurait permis de les neutraliser facilement, mais ce n’aurait définitivement pas constitué une bonne introduction auprès du clan Dyami.
— Bonjour, dit-il soudainement.
L’Avel-lazher qui lui tournait le dos sursauta. Face à lui, Chilali, se contenta de l’observer en silence. Elle était quasiment la copie de sa mère, en plus jeune : un regard de velours noir sur un visage plein et ambré, des sourcils arqués, une bouche qui souriait peu. Elle était grande, le corps souple et athlétique. Une femme que l’on remarquait immédiatement.
— Du temps a passé depuis notre première rencontre… Alek, lâcha-t-elle en fixant ostensiblement ses ailes.
Elle avait manifestement eu le temps de se remettre de cette découverte, car elle avait parlé d’une voix ferme, sans émotion apparente. Alek se redressa.
— Je suis venu pour te demander de l’aide.
— Eh bien, je suppose que ta transformation t’y autorise.
La Chamane l’avait tutoyé sans hésitation, et Alek compris qu’elle le haïssait toujours autant. Il se sentit bizarrement soulagé, presque paniqué à l’idée qu’elle ait pu se jeter à ses pieds.
— J’ai fait grand tort à ton clan, Dyami, et je sais que deux ailes n’affecteront guère la piètre opinion que…
— Non, certes. Aram Scher du clan Etcho s’est déjà présenté, il y a quelques mois, pour prier mon clan de rejoindre la rébellion. Je suis surprise qu’il ne m’est révélé ce... détail, te concernant.
— Aram ignore mon nouvel état. J’ai quitté la Résistance.
Chilali releva la tête en fronçant les sourcils, entrainant en cascade ses longs cheveux épais. Alek était tendu, trop conscient de l’enjeu de cette discussion. Il devait convaincre la Cheffe du clan de l’aider. Sans elle, il était perdu.
— Pourquoi avoir gardé ce secret ? dit-elle.
La question ne portait pas sur la Résistance.
— J’ai grandi à Stronk, entre la vie et la mort. Qu’est-ce que l’Ylure aurait pu y changer ? Et puis, sans ailes, jamais personne ne m’aurait cru.
— Comment est-ce arrivé ? demanda de sa voix rauque l’Avel-lazher qui était resté silencieux jusque-là.
Il s’agissait peut-être du bras droit de la Chamane. Ou de son protecteur.
Alek haussa les épaules.
— Je sens qu’Elle va arriver.
— Je vois, dit Chilali, le regard dur. Mais tu n’es pas prêt à l’accueillir dans notre monde. La vigueur de tes sentiments l’anéantirait.
Les soupçons d’Alek s’avéraient justes : ce phénomène était connu depuis toujours. Et il avait été le seul à l’ignorer. La révélation avait un goût amer.
— Je dois en référer au Conseil de mon clan. Tu n’ignores pas toutes les conséquences d’un tel évènement. Nous devons nous entourer de toutes les précautions.
Le Lufzan comprit alors que la partie était gagnée.
Alek s’entretint durant plusieurs jours avec les membres du Conseil, composé de dix anciens, hommes et femmes. On lui posa des centaines de questions : ce qu’il connaissait de son histoire, la façon dont ses ailes étaient apparues, et ce qu’il percevait de la femme Ivy par-delà la frontière invisible. Il broda ses réponses à partir de ses souvenirs, sans trop s’étendre, ni s’éloigner de la réalité. Rapidement l’enthousiasme prit le dessus, et les anciens Dyami commencèrent à l’interroger sur ses projets, ses ambitions. Alek répondit ce que tous attendaient de lui : il détrônerait Karza Etcho, et prendrait la place qui lui était dû. L’ancien Empire serait restauré. Mais avant, il se devait d’accueillir son âme sœur, et communier avec elle : son pouvoir en dépendait.
Seule Chiliali Apovini ne semblait pas partager l’euphorie de ses ainés : elle participait à un minimum de réunions, très prises par les affaires de son village, et lorsqu’elle était présente, son déplaisir était visible.
— J’ai appris que qu’Onacona se trouve à Harfang, lui dit Alek un soir. J’en suis désolé.
Le visage de la Chamane se contracta de fureur.
— Je t’interdis de parler de ma mère. Je n’ai rien oublié de ce qui s’est passé voilà quatre ans. Tu fais beaucoup d’effort pour essayer de faire oublier la pourriture que tu étais, mais je ne me fais aucune illusion à ton sujet.
Elle n’avait pas tout à fait tort, et Alek ne trouva rien à redire. Du reste, peu lui importait que la Cheffe du village l’apprécia ou non, du moment qu’elle lui apportait l’assistance dont il avait besoin.
Depuis son arrivée, il n’était pas sorti de la demeure des Apovini. Quelques tartars résidaient dans le village, et sa présence devait rester secrète. Alek prenait son mal en patience, et avait repris les entrainements au sabre dans le patio intérieur. La maison était très grande, plusieurs familles de cousins Apovini y cohabitait avec leurs serviteurs. Alek partageait leur grande tablé le soir, sous le regard mi effrayé, mi fasciné des enfants. Les adultes n’agissaient pas de manière plus naturelle et bien qu’Alek eut expressément refusé d’être traité en Prince, ils s’adressaient à lui avec une déférence qui frisait parfois le ridicule.
L’enseignement des chamanes auprès des héritiers de l’Empire s’inscrivait dans une coutume séculaire, mainte et mainte fois répétée au fil des siècles. Alek compris qu’il serait vain de demander l’accélération du processus, tant il semblait revêtir d’importance aux yeux du clan Dyami. Tous les membres participèrent aux préparatifs de la cérémonie d’initiation qui devait marquer le début de l’apprentissage.
Au bout de trois jours, lorsque tout fut prêt, la Doyenne des Chamanes, qui se trouvait également être la grand-mère de Chiliali, vint trouver Alek à la tombée du jour. C’était une femme étonnamment vigoureuse eut égard à son grand âge, et qui chaque jour parcourait seule, durant de longues heures, les prairies et forêts autour du village. Alek remarqua qu’Onacona et Chilali tenait de cet aïeul leur pupilles noirs qui semblait transpercer l’âme à nue.
— Il y a plus de trois milles ans, Stefan, le Seigneur des vents, a renoncé à son immortalité pour l’amour d’Ivy. Il a légué à sa descendance ce lien unique, l’Ylure, et ainsi assuré la paix et la prospérité de son peuple.
Alek se demanda si la vieille comptait lui faire un cours d’histoire.
— Les premiers chamanes, les ancêtres des Dyami, étaient des humains de la même essence qu’Ivy : des sorciers, capables de transcender la réalité du monde et de parler aux puissances de la nature. Ils ont été choisi pour protéger l’Ylure. Génération après génération, nous n’avons jamais failli à notre tâche. Jusqu’à la catastrophe.
La Doyenne se releva, et empoigna sa canne en bois sculptée. Elle fit signe à Alek de se couvrir les ailes, puis ils sortirent dans la nuit chaude. La maison commune se dressaient au centre du village, grande ombre muette encerclée de maisons aux toits de chaume. Aucunes lumières ne filtraient à travers les fenêtres aux rideaux tirés. C’est pourtant là que la Chamane se dirigea. A l’intérieur, des dizaines de personnes psalmodiaient à voix basse, une bougie au creux des mains. Chilali avait vêtu une longue robe crème et tressé ses cheveux.
— Alek Etcho du Clan Etcho, fils de Lena, Descendant du Roi des Rois, nous vous appelons parmi nous, dit-elle en lui faisant signe de la main.
Dire que des centaines de futurs Empereurs avaient vécu ce même moment avant lui. Alek aurait peut-être apprécié le folklore s’il n’avait pas été aussi pressé d’accéder au but final. Les chants se succédaient au rythme d’une musique profonde et entêtante. Il perdit soudainement contact avec ce qui se passait autour de lui lorsqu’il sentit une vague de peur déferler au creux de sa poitrine.
Olivia.
Que se passait-il ? Rapidement, ce fut une explosion telle qu’il ne lui avait jamais connu, un torrent de lave qui se déversa, fumant, sur une plaque de glace. L’angoisse d’Alek atteignit des sommets, tandis qu’il se concentrait sur Olivia pour l’aider, de toute sa force mentale.
— Etcho ? Est-ce que vous vous sentez bien ?
La Doyenne lui tenait le bras avec inquiétude, et Alek dû s’extraire brutalement de sa bulle intérieure. Tous les regards étaient fixés sur lui.
— Tout va bien. J’étais simplement… dans mes pensées.
— Nous avons foi en votre capacité de devenir un Malak, Fils du Ciel. Vous partirez demain avec Chilali Apovini. Puisse le Souffle vous aider.
— Merci, souffla-t-il faute de mieux, tourmenté par les minutes qu’il venait de traverser.
Le lendemain, Alek se réveilla cependant le cœur léger, pour la première fois depuis sa séparation avec Olivia. Le mystère restait entier sur ce qu’elle avait pu vivre la veille, néanmoins la jeune femme semblait à présent hors de danger, et leur retrouvaille n’étaient désormais plus qu’une question de semaines. Son désir de la revoir était si fort qu’il en était presque palpable.
Il était très tôt, les rayons du soleil n’avaient pas encore évaporé les gouttes de rosée qui brillaient dans l’herbe, symphonie de perles translucides. Les pieds enfoncé dans la végétation jusqu’au genou, Alek attendait que Chilali fasse ses adieux à sa famille, une petite dizaine de personnes qui chacune leur tour tenait à l’étreindre et à lui prodiguer conseils et bénédictions. Ils s’étaient rassemblés dans un pré à l’écart du village, et la lumière pâle du matin auréolait la scène d’une tendre émotion — scène bien trop longue au goût d’Alek, qui finit par manifester son impatience, engrangeant en retour un énième regard outré de la grand-mère Apovini.
— Allons-y ! dit Chiliali en le dépassant.
Chacun d’eux portait un gros sac à bretelle, alors que la charge aurait pu être réparti différemment : il suffisant à Alek d’influer sur la pesanteur pour s’alléger considérablement, ce dont il ne s’était pas donné la peine d’informer la Chamane, toujours aussi hostile à son encontre. Elle avait par ailleurs été très évasive sur la durée de leur séjour dans les terres les plus reculés du clan, mais il était confiant sur une évolution rapide de la situation. Parmi tous les héritiers Etcho, il était surement le premier à n’avoir jamais été autant motivé.
Chilali avançait d’un bon pas, l’expression soucieuse. Peut-être songeait-elle à son village, dont elle avait dû confier provisoirement la direction à une cousine plus âgée. Ces derniers jours, elle avait passé son temps à courir à droite et à gauche, entre consultations et derniers points à régler avant son voyage. La version officielle voulait qu’elle aille rendre visite à un clan majeur dans le sud, en sa qualité de guérisseuse.
Sanctuarisé par la famille Impériale depuis des siècles, les terres sacrées des Dyami étaient l’objet de nombreuses légendes. Le Seigneur des vents et son épouse Ivy y avaient vécu avant que leur fils Galaad ne fonde Harfang, laissant leur emprunte sur les lieux. Dès lors, ceux qui n’étaient pas lié au Souffle ne pouvaient survivre parmi ces paysages à la beauté majestueuse.
Je ne sais pas si c'est juste moi, et ma lecture décousue, mais il y a eu certains passages que je n'ai pas compris 😅 Par exemple avec la grand-mère de Chilali, dans la tente : quel était le but de cette cérémonie ? Je me souviens qu'il était venu dans ce village pour apprendre à maitriser ses émotions, je crois ^^
C'était quand même un bon chapitre, et il me tarde de voir ce qu'ils vont faire ensuite ^^
• "La maison était très grande, plusieurs familles de cousins Apovini y cohabitait avec leurs serviteurs" → cohabitaient
• "Alek partageait leur grande tablé le soir, sous le regard mi effrayé, mi fasciné des enfants" → tablée
• "Alek remarqua qu’Onacona et Chilali tenait de cet aïeul leur pupilles noirs qui semblait transpercer l’âme à nue" → leurs pupilles noires / "transpercer l'âme à nue" fait beaucoup, juste "transpercer l'âme" ou "mettre l'âme à nue", je pense ^^
• "Il y a plus de trois milles ans, Stefan, le Seigneur des vents, a renoncé à son immortalité pour l’amour d’Ivy" → mille
• "Aucunes lumières ne filtraient à travers les fenêtres aux rideaux tirés" → aucune lumière ne filtrait
• "et leur retrouvaille n’étaient désormais plus qu’une question de semaines" → leurs retrouvailles
• "Les pieds enfoncé dans la végétation jusqu’au genou, Alek attendait que Chilali fasse ses adieux à sa famille" → enfoncés / aux genoux
• "Chacun d’eux portait un gros sac à bretelle, même si la charge aurait pu être réparti différemment : il suffisant à Alek" → répartie / suffisait
• "Elle avait par ailleurs été très évasive sur la durée de leur séjour dans les terres les plus reculés du clan" → reculées
• "Dès lors, ceux qui n’étaient pas lié au Souffle ne pouvait survivre" → liées / pouvaient
Ta remarque est juste, je n'ai pas précisé de manière claire le but de cette cérémonie...
En tout cas merci pour ton suivi et tes corrections toujours très complètes