[ 1 ]
La punition avait été mise en application dès le lendemain. Ils réalisaient les tâches qui leur étaient imposées selon un emploi du temps bien déterminé. Le matin, ils faisaient diverses tâches ménagères comme passer la serpillère dans les couloirs ou dépoussiérer les étagères de la bibliothèque ; le midi, ils aidaient à faire le service à la cantine ; et l'après-midi, ils faisaient office d'assistants pendant les activités extracurriculaires, puis ils nettoyaient et rangeaient le matériel à la fin du cours. Aujourd'hui, ils intervenaient dans le cours d'art. Ils devaient même poser pour que les élèves leur tirent le portrait.
Le chef des cuisines avait été très clair sur ce qu'il attendait d'eux et, surtout, ce qu'il ne voulait absolument pas voir. Cela incluait d'oublier de porter un filet sur la tête et des gants, cracher dans les plats, et ne pas respecter les portions. Ils étaient en sursis, et la moindre incartade transformerait leur exclusion-inclusion en exclusion ferme.
— Pfff... souffla Kang-ho en enfilant sa blouse de cantinier dans les vestiaires. Peut-être que je devrais cracher un bon gros mollard dans la bouffe ? C'est mieux d'être exclu, je pourrai rester toute la journée à la maison à jouer à la console.
— Ouais, c'est vrai... mais tu crois vraiment qu'ils vont nous exclure ? Ça se trouve, ils vont juste rallonger notre punition...
— Hé ! Les deux kékés. Venez par là.
Jong-goo les pressa d'un signe de la main. Les deux lycéens échangèrent un regard entre perplexité et inquiétude.
— Je vous préviens, vous avez pas intérêt à merder, les avertit Jong-goo en passant ses bras autour de leur épaule, le regard sombre. J'aime pas être puni, et à cause de vos conneries, je suis coincé ici. Donc si vous faites de la merde, je vous fracasse une deuxième fois, et cette fois, y aura pas de preuves. C'est compris ?
Jong-goo avait trois ans de moins qu'eux, mais il était aussi grand et il avait déjà démontré sa supériorité physique et ses prouesses de castagneur. Ils avaient plus peur de lui que des menaces du chef des cuisines. S'ils ne pouvaient pas le vaincre, il ne leur restait plus qu'à se soumettre à son autorité.
— Ou- oui, chef ! On sera sages !
— Comme des mages !
— Des images, crétin !
— Bien. Au fait, j'aimerais savoir quelque chose. Y a quelqu'un au-dessus de vous, non ? Votre gang de kéké là, c'est une grosse blague. Ça ne peut pas être vous les plus forts de cette école, ni les plus malins, alors c'est qui ? Qui c'est qui commande vraiment ici ?
Les deux garçons blêmirent.
— Ce.. c'est-à-dire que... qu'on peut pas vraiment te le dire, bégaya Tae-jun.
— Vous ne pouvez pas me le dire, ou vous ne voulez pas me le dire ?
— Si on parle, on est mort, répliqua Kang-ho sur la défensive. Même toi, tu ne fais pas le poids contre lui. Il est pas comme nous. C'est un malade. Et il a des gars qui bossent pour lui dans toutes les classes du lycée. Il recrute même chez les collégiens, maintenant.
— Quelle année ? demanda Jong-goo.
— Hein ?
— Il est en quelle année ?
— Douzième année, mais je crois qu'il a redoublé, donc il a un an de plus que les autres. Il est déjà majeur. Il a été viré de l'école au primaire parce qu'il harcelait Cha Min-jun. Il a fait son collège dans une autre école, mais il a réussi à se faire réintégrer au lycée.
— Donc c'est sa dernière année ici... Qu'est-ce qui va se passer quand il sera parti ? Qui va prendre sa place ?
— On... on sait pas, mais ça va être le chaos. Tout le monde va se battre pour le remplacer. Comment on appelle ça déjà ? Une guerre de succion ? De sécession ?
— Une guerre de succession, corrigea Jong-goo. Il y a des candidats sérieux ?
— Euh... il y en a quelques uns... surtout en onzième année, mais il y en a aussi en dixième et neuvième année. C'est tous des chefs de section.
— Ce douzième année, il vous demande de faire quoi ?
— Euh... pour faire partie de son organisation, on doit payer des frais d'adhésion. Deux cent mille wons par personne et par mois. Et si on gagne plus, on peut garder le reste.
— Et y a combien de membres à peu près, dans son groupe ?
— Hm. Je dirais une centaine, peut-être un peu plus ? Cent cinquante ?
— Donc ça fait environ vingt millions de wons par mois... Et comment vous obtenez l'argent ?
— Ben, on rackette les autres. Y en a qui volent des trucs et les revendent aussi ou qui font du chantage. Y a cette meuf qui sort avec un gars de notre groupe, elle a pris des photos des autres filles pendant qu'elles se changeaient dans les vestiaires et les a données à son mec. Il les oblige à payer chaque mois pour ne pas diffuser les photos sur les réseaux.
— Et il fait quoi de tout cet argent, votre leader suprême ?
— Il dépense tout pour lui. Il sort beaucoup en boîte, il fume, il boit, il sort avec une nouvelle fille tous les mois. Les meufs elles coûtent cher à entretenir, tu sais. En plus, il a eu son permis récemment. Il s'est acheté une putain de caisse. Une Porsche 911, je crois. Il a dit qu'il l'avait payée cash. C'est même pas son père qui lui a acheté. Il se l'est payée tout seul. Enfin, c'est ce qu'il dit...
— Avec toutes les infos que vous m'avez balancées, vous pouvez me donner son nom maintenant. Des mecs qui viennent au lycée en voiture de luxe, y en a pas dix mille. Alors, comment il s'appelle ?
Les deux garçons en avaient trop dit pour rétropédaler.
— Cho Do-yun, soupira Tae-jun. Mais c'est pas nous qui te l'avons dit ! Pourquoi tu veux savoir tout ça ? Tu comptes rejoindre son groupe ? En vrai, je pense que t'as une chance d'être accepté. T'es qu'en septième année, mais t'es fort, et un peu taré aussi. Tu lui plairais.
— Et comment on fait pour rejoindre le groupe ? Vous avez fait comment, vous ?
— On n'a pas trop eu le choix... Un jour, on était en train d'emmerder des septième année quand un des chefs de section est venu nous voir. Il nous a dit qu'on empiétait sur son territoire. Il nous a défoncé et il nous a donné deux options. Soit on arrêtait d'emmerder leur "bétail", soit on bossait pour eux.
— Leur "bétail" ?
— C'est comme ça qu'ils appellent les élèves qu'ils rackettent. Il les voit comme des vaches à lait sauf qu'au lieu de les traire pour avoir du lait, il leur pompe tout leur fric. La plupart des gamins ici viennent de familles plutôt aisées voire carrément blindées. Ils reçoivent en moyenne trois cent mille wons d'argent de poche par mois. Parfois plus.
— Vous ne rackettez pas tout le monde, non ?
— Non, juste les losers sans amis qu'ont pas de vie. Si on s'en prend à tout le monde, on risque de créer une rébellion. Parce que l'union fait la force, alors faut diviser pour mieux régner. Enfin, c'est ce que le boss a dit.
Autrement dit, ils s'en prenaient aux élèves les plus vulnérables. Ceux qui étaient livrés à eux-mêmes à la maison et qui avaient du mal à s'intégrer à l'école. On aurait pu croire que les enfants nés dans des familles fortunées étaient plus heureux que la moyenne, mais ils n'étaient guère mieux lotis que le reste. Ils subissaient une pression constante de la part de leurs parents qui voulaient les façonner à leur image. Tout ce qui comptait, c'était les résultats scolaires et la réussite sociale. En outre, ces mêmes parents étaient souvent absents à cause de leur travail exigeant et compensaient leur négligence par l'argent.
Quant à ceux qui s'en prenaient à eux, ce n'était que le revers de la médaille. Ils n'avaient pas besoin d'argent, ils n'étaient pas dans le besoin, alors pourquoi est-ce qu'ils rackettaient leurs camarades ? Parce que l'argent c'était le pouvoir et le pouvoir c'était l'argent. C'était un jeu pour eux. Ils avaient appris que le mérite allait de pair avec la fortune. Alors ils cherchaient à prouver qu'eux aussi pouvaient se hisser au sommet de l'échelle sociale par leurs propres moyens.
Les bandes dans cette école étaient mieux organisées que ce que Jong-goo aurait pensé. Et tout ça grâce au contrôle d'un seul homme. Cho Do-yun. Jong-goo n'avait aucune intention de rejoindre son groupe, mais il comptait bien l'envoyer en retraite anticipée et mettre fin à la guerre de succession avant même qu'elle ne puisse commencer.
[ 2 ]
Jong-goo avait fait ses devoirs. Cho Do-yun ne faisait jamais rien directement. Il déléguait le sale boulot à ses subordonnés. Chaque niveau était contrôlé par un chef de section, lui-même assisté par un lieutenant dans chaque classe, soit trente-six lieutenants en tout. Environ trois à cinq élèves par classe faisaient partie de leur cercle. Certains agissaient individuellement, d'autres par bande, comme l'auto-proclamé gang des kékés. D'après ses calculs, l'organisation devait rassembler près de cent cinquante membres, peut-être même un peu plus.
C'était les lieutenants qui collectaient l'argent auprès des membres de chaque classe. Ils remettaient ensuite le butin aux chefs de section qui, à leur tour, apportaient le pactole au trésorier du gang et bras droit du boss, Ban Min-gyu. Ce dernier tenait les comptes et fixait les sommes à récolter chaque mois.
Les membres partageaient tous un signe distinctif commun pour se reconnaître. Ils portaient un bracelet en cuir tressé serti d'une perle. La couleur de la perle déterminait leur rang. En bois marron clair pour les sous-fifres, en bronze pour les lieutenants, en argent pour les chefs de section, en or pour la garde rapprochée de Cho Do-yun, et en tourmaline noir de jais pour le boss final.
En parallèle, Cho Do-yun s'était forgé une image d'élève modèle. Président du conseil des élèves, il pratiquait le judo et s'investissait dans des activités de charité et d'utilité publique. Il faisait le service à la soupe populaire une fois par mois, il participait au ramassage des déchets dans les parcs municipaux du district, et il apportait son aide aux refuges pour animaux. C'était le sauveur de la veuve et de l'orphelin. Et bien entendu, toutes ses bonnes actions faisaient l'objet d'un article et d'une photo dans le journal de l'école, ou d'un poste sur son Instagram officiel.
Son père était un politicien connu pour ses scandales et sa capacité à se sortir des situations les plus épineuses. Il avait fait l'objet de plusieurs enquêtes pour corruption, détournements de fonds, harcèlement moral et sexuel, etc. mais il avait réussi à s'acquitter de toutes les charges à chaque fois. Les chiens ne font pas des chats. Cho Do-yun devait se croire aussi intouchable que son père.
Attaquer directement Cho Do-yun lui serait défavorable. M. Kim avait du pouvoir, mais il avait été clair sur le fait qu'il ne couvrirait pas son fils adoptif s'il s'attirait des ennuis. Il ne voulait pas de mauvaise pub. C'était à Jong-goo d'assurer ses arrières, pas l'inverse. Le mettre en porte-à-faux avec un ex-procureur de la République et actuel député de l'Assemblée nationale lui porterait préjudice. Jong-goo allait devoir commencer par le bas pour faire sortir le lion de sa tanière. La chasse était une affaire de patience.
[ 3 ]
Trois lycéens et deux collégiens dans un coin isolé de l'école, derrière le gymnase. Pas de témoins. Deux des lycéens avaient une cigarette à la bouche. Le troisième filmait avec son portable. Les deux collégiens, des huitième année, étaient terrorisés. Ils s'étaient clairement fait frapper et maintenant, les deux lycéens les obligeaient à fumer tout en filmant. C'était leur assurance.
Les pauvres collégiens qui n'avaient jamais touché à une cigarette de leur vie crachaient leurs poumons à chaque bouffée tout en s'efforçant de sourire et faire semblant d'apprécier ce moment. Leurs aînés pouffaient silencieusement pour qu'on ne puisse pas les entendre dans la vidéo.
— Vous avez compris ? dit le plus grand des trois lycéens en rangeant son portable dans sa poche. Si vous payez pas, on postera la vidéo sur le site de l'école et vous aurez de gros ennuis. Alors aboulez le fric.
Il avait vidé les deux portefeuilles. Cinquante mille wons dans l'un, trente mille dans l'autre.
— C'est tout ce que vous avez ?
— C'est presque la fin du mois, s'excusa une des victimes. On a déjà presque tout dépensé...
— P'tain, jura un autre des lycéens. Je t'avais dit qu'on aurait dû collecter en début de mois avant qu'ils soient tous à sec.
— Il nous reste encore une semaine, c'est bon. Il nous manque combien ?
— Cent cinquante mille, je crois.
— D'acc. Il nous reste encore quelques vaches à traire. Ça va le faire. Rajoute-ça au registre.
Alors que son camarade notait la somme dans son carnet, un bruit assourdissant les fit sursauter. Jong-goo venait d'atterrir sur le toit en tôle de l'appentis accolé au gymnase. Posté sur le toit de l'édifice, il les observait depuis le début. Il sauta lestement dans l'allée.
— T'es qui toi ? lança un des lycéens.
— Alors, c'est vrai ? fit Jong-goo songeur. Vous tenez vraiment des registres. J'imagine qu'avec tout cet argent qui circule et qui change sans cesse de mains, il faut tenir les comptes.
Jong-goo attrapa le bras d'un des trois garçons. Il portait bien le fameux bracelet. Une perle en bronze. Un lieutenant donc. Les deux autres portaient des perles en bois marron clair, le rang le plus bas. Le lycéen dégagea son bras d'un coup sec.
— D'où tu me touches comme ça ?! Tu cherches vraiment la merde ! Hé, les gars. On va se le faire. Rajoute-le sur la liste. C'est quoi ton nom ?
Le garçon l'attrapa par le pan de son blouson pour lire le nom inscrit sur l'insigne.
— Kim Jong-goo, 7ème 3. C'est notre section. Parfait. On n'avait encore personne dans cette classe. Félicitations ! Pour célébrer ça, on va te faire ta fête !
— Wow, vous faites de supers jeux de mots ! railla Jong-goo en faisant mine d'applaudir. Moi aussi j'ai une blague pour vous. C'est l'histoire de trois connards qui rencontrent un quatrième connard. Devinez qui gagne ?
— Qu'est-ce qu'il raconte ? Mec, ça tourne pas rond chez toi. On va te remettre les idées en place.
— Ça fait longtemps que je ne me suis pas fait frapper. J'ai besoin de recharger mes batteries. Allez-y, je vous laisse commencer.
Ce mec avait vraiment une araignée au plafond. C'était bien la première fois qu'ils voyaient un gars demander à être frappé. C'était qui ce maso ? Enfin, peu importait. Ils espéraient juste qu'il était blindé.
[ 4 ]
Jong-goo recracha le sang qui avait envahi sa bouche. Il frotta sa mâchoire endolorie et étira ses bras ankylosés. Ça faisait du bien. Maintenant qu'il était bien échauffé, il allait pouvoir riposter.
— Vous aimez vraiment frapper les gens au visage, hein ? dit-il en se massant la nuque. Je vais encore me faire engueuler...
Désolé, Yerin. C'est pour la bonne cause.
Son adversaire allait ouvrir la bouche, mais Jong-goo lui cloua le bec d'un coup de poing dans la mâchoire. Œil pour œil. Dent pour dent. Il rendait chaque coup au centuple. Il n'avait même pas besoin d'arme. Ils n'en valaient pas la peine. Jong-goo avait trop de respect pour les armes pour s'en servir n'importe quand et contre n'importe qui. Il ne les maniait que lorsqu'il devait protéger quelque chose qui lui tenait à cœur ou si son adversaire était digne de lui.
Un des lycéens tenta de prendre la fuite, mais Jong-goo l'attrapa par le col de sa chemise.
— Où est-ce que tu vas comme ça ? On a pas fini de discuter. J'ai encore plein de choses à vous dire... avec mes poings !
Battus à plate couture, les trois garçons étaient à genoux, les mains sur la tête, alignés devant Jong-goo. L'un d'entre eux, le lieutenant, était en 11ème 3. Les deux autres étaient en 10ème 3. Les deux collégiens étaient en 8ème 3.
— Alors c'est comme ça que ça marche... fit Jong-goo en s'accroupissant devant ses trois victimes. Je me demandais comment vous vous répartissiez les territoires sans vous tirer dans les pattes. Vous utilisez les numéros de classe. J'imagine qu'il y a un chef de section par numéro de classe et qu'ils gèrent six classes chacun, une par niveau.
Grâce aux insignes portés par les élèves, ils pouvaient immédiatement savoir si l'élève qu'ils avaient pris pour cible faisaient partie de leur territoire ou pas. C'était astucieux.
— Au fait... reprit-t-il. Je vous ai pas raconté la fin de ma blague. Celui qui gagne à la fin, c'est le quatrième connard. Et le quatrième connard... c'est moi !
Son visage s'éclaira d'un sourire féroce. Il y avait quelque chose de jouissif à lire ce mélange de crainte et de défiance sur le visage de ces brutes de pacotilles qui, quelques minutes plus tôt, se réjouissaient de la terreur qu'ils inspiraient à leurs victimes.
— Vous trois, j'ai un truc à vous montrer.
Jong-goo avait filmé leur petite mise en scène un peu plus tôt.
— Vous voyez, moi aussi je trouve ça important d'avoir une assurance. On ne sait jamais ce qui peut se passer. Allez, venez par là. On va prendre un selfie. Souriez !
Jong-goo avait posé avec ses trois suppliciés. Il les avait forcés à sourire en faisant un signe de la victoire.
— Ça, c'est fait. Maintenant, vous allez me filer votre fric. Tout ce que vous avez. M'obligez pas à vous fouiller moi-même. Et le registre aussi.
— Qu-quoi ?! On peut pas faire ça ! Si on fait ça, on va se faire tuer !
— Si vous ne me le donnez pas, vous êtes morts dans tous les cas.
Ils avaient fini par céder. Ces imbéciles transportaient tout l'argent qu'ils avaient racketté sur eux. Quatre cent cinquante mille wons. Quant au registre, les notes étaient codées, mais ce n'était pas très difficile à décrypter. Il y avait trois colonnes. La première comportait la date, la deuxième le nom des élèves sous formes de surnoms ou d'initiales, et la troisième la somme collectée sous formes de symboles à la place de chiffres.
— Vous êtes vraiment nuls... soupira Jong-goo en secouant la tête, l'air dépité.
Après avoir empoché l'argent, il glissa le carnet dans son sac.
— Tu crois que tu vas t'en tirer comme ça ?! Notre chef de section va te faire la peau !Tu vas avoir tous les lieutenants sur le dos !
— Ça tombe bien, c'est exactement ce que j'espère. Vous pourrez lui montrer notre superbe selfie et lui dire que c'est de la part de Kim Jong-goo, en 7ème 3. Qu'il vienne lui-même, s'il veut un autographe. Allez, dégagez.
[ 5 ]
Après le départ des trois caïds, Jong-goo se dirigea vers les deux collégiens. Ils avaient l'air d'avoir encore plus peur de lui que de leurs bourreaux habituels. C'était ce qu'on appelait passer de Charybde à Scylla. Du moins, c'est ce qu'ils pensaient, jusqu'à ce que Jong-goo leur tende quelques billets.
— Tiens. 30.000 pour toi. Et 20.000 pour toi. Je garde le reste. C'est ma récompense pour vous avoir aidé. Comme c'est la première fois, je vous fais un petit discount.
— Euh... m- merci... je suppose ? dit timidement un des deux garçons en reprenant son argent.
— Si on vous emmerde encore, venez me voir. Je réglerai votre problème. À condition de me payer, bien entendu. Y a pas écrit secours populaire. Je prends 50.000 par tête. Hors frais supplémentaires.
— D'acc... d'accord. Merci !
Les deux collégiens s'inclinèrent bien bas devant leur bienfaiteur, aussi bizarre et suspect soit-il.
— Ouais, ouais. Pas la peine d'en faire tout un plat. Allez, tchuss ! Faut que je retourne bosser.
Jong-goo les salua de la main alors qu'il tournait les talons pour aller finir de ranger le matériel de sport dans le gymnase.
[ 6 ]
Les organisations, qu'elles soient officielles, criminelles ou l'œuvre de lycéens qui s'ennuyaient un peu trop, fonctionnaient toutes sur le même modèle. Quand un problème survenait, on essayait de le régler le plus rapidement possible et le plus discrètement possible, car on ne voulait pas que cela remonte aux oreilles des supérieurs. Et, surtout, on faisait tout pour éviter que cela remonte jusqu'au grand patron, car c'était un aveu d'incompétence.
Jong-goo avait mis un coup de pied dans la fourmilière et ce n'était qu'une question de temps avant que leur petit club de racketteurs amateurs s'effondre comme un château de cartes. Il les ferait tomber, un par un. Bien entendu, il ne faisait pas cela par bonté de cœur. Jong-goo était loin d'être un bon samaritain. Cette école était son terrain d'essai. Combien d'argent pouvait-il se faire en exploitant les failles de ses ennemis et combien de temps lui faudrait-il pour prendre le contrôle de leur organisation ?
Est-ce que tabasser des racketteurs, c'est illégal ? Où est-ce que c'est illégal seulement si on se fait prendre ?
Jong-goo avait encore du mal à comprendre ce que M. Choi attendait de lui exactement. Il insistait pour qu'il mette en place un réseau qui amasserait de l'argent de façon légale, mais géré par des mineurs. Comment des mineurs pouvaient-ils se procurer de l'argent légalement ? Si les jeunes recouraient à la violence et commettaient des délits pour se faire de l'argent, c'est parce qu'ils ne pouvaient pas travailler légalement. C'était aussi la façon la plus simple et la plus rapide de se faire beaucoup d'argent. Ce n'est pas en faisant du baby-sitting qu'ils allaient réunir quatre cent millions de wons par mois.
La loi protégeait les mineurs, en particulier les mineurs de moins de seize ans. Ils passaient devant un juge pour juvéniles et ils étaient rarement condamnés à une peine d'enfermement. Ils écopaient le plus souvent d'un sursis probatoire et éventuellement d'un court séjour en centre de rééducation. En outre, aucun des délits ou crimes commis n'étaient inscrits dans leur casier judiciaire, afin de ne pas compromettre leur avenir. D'un point de vue légal, les mineurs étaient presque des fantômes qui passaient à travers les mailles du filet.
C'était pour ça que M. Choi insistait pour utiliser des gangs de jeunes de moins de dix-neuf ans. Au final, peu importe ce qu'ils faisaient, ils seraient relâchés avec une tape sur la main. Il se fichait que ce qu'ils fassent soit légal ou pas. C'était une simple précaution. Une façon de se couvrir et de rejeter toute responsabilité. Quoi qu'il arrive, il ne fallait pas qu'on puisse le lier à cet argent. Argent qu'il trouverait le moyen de blanchir avant de le réinvestir dans ses activités légales. Et si par malheur, un gang avait recours à des moyens illégaux et se faisait prendre, les responsables seraient disqualifiés et seraient les seuls à porter le chapeau.
Jong-goo passa une main dans ses cheveux en poussant un soupir las. C'était un tic qu'il avait quand ses cheveux devenaient un peu trop longs. Ses racines noires commençaient aussi à se voir. Un tour chez le coiffeur s'imposait.
[ 7 ]
Jeudi après-midi. Jong-goo et les deux kékés étendaient les draps dans la cour, derrière l'infirmerie.
— Hé ! Jong-goo ! appela Kang-ho. On peut te parler deux minutes ?
Les deux lycéens avaient décidé de retourner leur veste. Ils avaient tout misé sur l'outsider.
— On peut rejoindre ton groupe ? On sera loyal et on fera tout ce que tu nous dis !
— Quel groupe ? Je suis tout seul. Et pourquoi je voudrais de vous ? Vous êtes nuls à chier.
— C'est blessant, ça... fit Tae-jun en portant une main à son cœur meurtri. On fait de notre mieux !
— Vous seriez capable de tenir tête au gang des perles ?
— Pas tous. On pourrait pas battre un chef de section, mais on est plus forts que beaucoup de perles de bois.On pourrait même se faire un lieutenant ou deux.
— Je vois. J'ai pas besoin que vous vous battiez pour le moment. J'ai besoin d'informations. Je veux savoir qui, quand, où, et comment ils rackettent les élèves qu'ils ont pris pour cible. Hier, je suis tombé sur eux totalement par hasard. Ils savent se faire discrets, donc il me faut un moyen de les faire sortir de leur trou.
— Ça veut dire que tu nous acceptes dans ta bande ?!
— On verra. Mais si vous voulez former une bande avec moi, il va falloir me prouver que vous en valez la peine. Si vous gagnez mon respect, vous pourrez bosser pour moi.
— On vous décevra pas, boss ! s'exclamèrent les deux lurons à l'unisson.
Jong-goo n'avait pas recruté des lumières, mais il n'avait pas mieux sous la main et il irait plus vite avec un peu d'aide.
[ 8 ]
Le gang des perles n'était pas sa seule préoccupation. Jong-goo n'avait pas oublié le Dr Ahn. Il avait noté plusieurs choses.
Premièrement, il était très méthodique. On pouvait même penser qu'il souffrait d'un trouble obsessionnel du comportement. Tout devait être à sa place, bien rangé, propre, sans un pli. Le genre de personne qui savait effacer ses traces et ne laissait jamais de preuve.
Deuxièmement, il avait un physique avantageux. Et pas seulement parce qu'il était très séduisant. Ses années de jiu jitsu lui avaient forgé un corps souple, résistant et puissant. En outre, il était grand. Au moins 1m85, voire 1m90. Jong-goo paraissait frêle en comparaison.
Troisièmement, il avait un tic avec son stylo quand il réfléchissait. Il le faisait tourner entre ses doigts une fois, puis cliquait deux fois sur le ressort de la mine. Un tour. Clic. Clic. Un tour. Clic. Clic. Même le tic tac d'une horloge n'était pas aussi agaçant.
À part cela, il était rageusement irréprochable. Min-ji était venu le voir après les cours pour son entorse. Jong-goo les avait observés du coin de l'œil, mais le médecin n'avait eu aucun geste ni aucun propos inapproprié envers elle. Il avait un peu manipulé sa cheville, puis lui avait fait faire quelques exercices de renforcement. Rien d'anormal. Cela dit, il n'aurait sans doute rien tenté avec des témoins dans les parages. Cela ne prouvait rien.
Le Dr Ahn, lui, s'inquiétait pour Jong-goo. Il avait remarqué qu'il s'était pris des coups et lui avait demandé ce qu'il s'était passé.
— Oh, ça ? Je me suis mangé un mur. Ou peut-être trois... ?
— Je vois que tu es du genre à tout prendre à la légère, mais il n'y a rien de drôle à se battre. Ça t'arrive souvent ?
— De me prendre des murs ? Ouais, ça arrive plus souvent qu'on pourrait le penser.
Le médecin avait poussé un soupir défaitiste.
— Tu as la tête dure, mais tu devrais penser à tes amis. Yerin va s'inquiéter. Elle t'aime beaucoup, tu sais. Tu ne veux pas lui faire de la peine, n'est-ce pas ?
— Qu'est-ce que ça peut vous faire ? Que je lui fasse de la peine ou pas, c'est mon problème.
— C'est vrai. Ça ne me regarde pas. En revanche, les blessures, c'est mon problème. Tu pourras rentrer chez toi après t'être fait soigner. Tu t'es fait ça quand ?
— Hier.
— Tu aurais dû venir me voir tout de suite. Si tu ne veux pas que ça se sache, je ne dirai rien. Secret professionnel. Mais je ne peux pas tolérer qu'un élève ne prenne pas soin de sa santé.
Le Dr Ahn avait vérifié qu'il n'avait pas de douleurs anormales, puis il lui avait donné une pommade pour ses contusions.
— C'est Mademoiselle Suk qui sera là demain, lui dit-il. On se verra lundi prochain. Rentre bien.
Jong-goo ne l'aimait toujours pas. Il pouvait essayer de le brosser dans le sens du poil autant qu'il voulait, il ne lui faisait pas confiance.
[ 9 ]
Min-ji l'attendait devant l'infirmerie.
— Tu rentres pas chez toi ? lui demanda Jong-goo.
— Si, mais je t'attendais.
— Et Yerin, elle est où ?
— Elle avait des livres à rendre à la bibliothèque. Elle a dit qu'elle nous attendait au portail.
— OK. C'est quand les sélections ?
— Demain après-midi, à seize heures.
— La gym aussi c'est demain ?
— Je crois, oui. Ce sera affiché demain matin dans le hall d'entrée. Tu vas venir ?
— Je ne vais pas avoir le choix. Je vais être réquisitionné pour gérer le matériel, c'est sûr.
Les cours se tenaient le matin de huit heures à midi puis reprenaient l'après-midi de treize heures trente à quinze heures trente. Le reste de la journée était consacré aux activités extra-curriculaires de seize heures à dix-huit heures. Yerin s'entraînait trois fois par semaine, le lundi, le mercredi et le vendredi. Le mardi et le jeudi, elle suivait des cours d'anglais renforcé.
Jong-goo assistait parfois aux entraînements quand il n'avait rien de mieux à faire. Le reste du temps, il faisait un peu de prospection dans les environs, puis attendait au portail de l'école pour rentrer avec Yerin. Il faisait en sorte de toujours savoir où et avec qui elle était quand il n'était pas à ses côtés. Pourtant, malgré une surveillance quasi constante et une vigilance accrue, il y avait des choses qu'il ignorait. Des choses qu'elle ne voulait pas qu'il sache. Des choses qu'il avait découvert trop tard.