— Moi si tu veux savoir, me lance Solène, je suis en train de me régaler avec plein de petites choses, des petits poissons, du plancton… et même des crevettes !
— Nan je ne veux pas le savoir ! je réponds, agacé.
Ce qui bien entendu la fait rire de nouveau. Jamais je ne lui avouerais que c’est vachement bon quand même, la graisse de baleine. Et oui, cette fois-ci, j’ai fait l’inverse, j’ai fait un effort pour ignorer mes émotions humaines et me rapprocher de celles de mon requin ! C’est amusant, c’est comme si je changeais de place parfois. Comme si j’étais à l’arrière d’une voiture, et quand je veux mieux voir la route, je passe devant, sur le siège à côté de papa. Rien que par la force de ma pensée. C’est vraiment top. Tonton Marty est vraiment un génie en fait (mais faut pas lui dire sinon il va prendre la grosse tête).
Une fois bien rassasié, je m’éloigne rapidement de la carcasse sans me préoccuper plus que cela de mes congénères. Quand je suis en phase avec mon requin, ils ne me font absolument pas peur ! Bon il faut dire aussi qu’il y avait assez à manger pour tout le monde, donc aucune raison de nous attaquer les uns les autres.
Alors que je m’éloigne, je pense à Solène et me dis que j’aurais bien aimé la voir un peu plus longtemps, même de loin. Pas du tout parce que je me sens un peu seul hein ? C’est juste que c’est sacrément impressionnant et beau à voir un requin-baleine, c’est tout.
— T’es où ? Je lâche télépathiquement sans m’en rendre compte.
— Ne viens surtout pas me voir ! me répond aussitôt le cri de Solène.
La réponse me surprend un peu par sa virulence[1]. Et malgré le fait que je sache désormais à quel point elle a peur, cela me blesse un peu.
— Je suis toujours ton frère quand même hein ? je lui réponds d’une petite voix, un peu vexé.
— ET un grand requin blanc. Tu seras de nouveau mon frère à 100% quand on sera rentrés auprès de tonton ok ?
Je ne réponds rien, un peu triste.
— Pas la peine de faire la tête Hélios, ce n’est pas juste moi, c’est aussi parce que je suis en compagnie d’humains là. Tu as envie de les faire paniquer et augmenter encore plus leur peur des grands requins blancs ?
Voilà qui m’intrigue aussitôt.
— Comment ça tu es avec des humains ?
— Ben les crevettes dont je t’ai parlé, ce sont des humains qui me les donnent. C’est vachement bon.
— Ah ok. Tu es dans un de ces endroits à touristes.
— Oui apparemment. Certains essayent de me caresser même. Ils sont un peu bizarres ces touristes.
— Je les comprends, ça doit être génial de caresser un requin-baleine.
— C’est dangereux aussi bien pour eux que pour moi, alors non merci.
— N’empêche que tu manges leurs crevettes.
— Oui. C’est trop bon les crevettes. Mais n’empêche ! C’est bon, mais c’est pas bon ! Enfin, tu vois ce que je veux dire quoi.
— Je sais. C’est souvent comme ça j’ai l’impression. On a toujours très envie d’être proches des animaux sauvages, mais en interagissant comme ça avec eux, on perturbe leur fonctionnement d’animaux sauvages, ce qui n’est pas bon du tout pour leur survie.
— Oui et puis, faire ami-ami avec notre plus grande menace, ce n’est vraiment pas une bonne idée pour nous. Enfin, nous, les requins je veux dire !
Solène ne répond rien, mais je devine facilement ce qu’elle pense. Elle est 100% d’accord avec moi et triste de cette situation. Même dans les océans, ce sont les humains les plus grands dangers pour la faune sauvage.
Entre la surpêche, la pollution, et le changement climatique, et même la chasse spécifique des requins pour manger leurs ailerons (sérieusement, qui a eu cette drôle d’idée !), les requins sont en grand danger actuellement. Et pas seulement eux, toute la population des mers et des océans. Les poissons ne sont vraiment pas mieux lotis que les animaux terrestres.
Ça me met vraiment en colère de penser à tout ça.
— Qu’ils essayent un peu de me caresser moi, et ils vont voir un peu ! Je vais les croquer rien qu’avec ma peau !
*** Informations documentaires ***
Il arrive que quelques grands requins blancs s’associent pour attaquer une proie plus grande qu’eux, comme une baleine. Mais cela reste assez rare. Par nature, ils sont plutôt solitaires.
Il existe effectivement certains endroits où les touristes peuvent regarder les requins-baleines de très près, car elles sont nourries. De nature pacifique, elles ne sont pas dangereuses pour les humains. Cependant, les nourrir ainsi régulièrement modifie leur comportement et certains de ces requins-baleines restent désormais toujours au même endroit, ne migrant plus pour aller se reproduire.
De plus, elles risquent d’être blessées par les bateaux remplis de touristes, et d’être stressées par ceux qui essayent de les caresser malgré que de telles caresses soient le plus souvent interdites pour le bien-être des requins-baleines.
Bref, c’est perturbant non seulement pour les requins-baleines et, mais également pour tout l’écosystème de telles activités.
Hélios a raison, les humains, une fois de plus, sont les pires prédateurs pour les requins. Même si les données ne peuvent être qu’estimées, on estime à des dizaines de millions les requins tués chaque année par l’homme, notamment pour récupérer et manger leurs ailerons, un plat très apprécié dans certaines régions du monde, souvent par simple tradition.
Ce que raconte Hélios ici est une forte exagération. Si l’on caressait un grand requin blanc, ce serait comme caresser du papier de verre, tout simplement (surtout à "rebrousse-dents" !).
S’il dit ça, c’est parce qu’il sait que leur peau est constituée de milliards de petites dents, appelées denticules. Mais bien sûr, cela ne signifie pas que les requins peuvent croquer quoi que ce soit avec !
[1] Virulence = violence