Chapitre 7 : Freijat - Marchandise

- Pour le moment, personne n’a besoin d’une source, annonça l’Ancêtre.

Freijat était de retour dans la salle du trône, en position de soumission selon la volonté de l’Ancêtre. Sahale avait dû l’y traîner de force sous les regards gênés et choqués des villageois. Freijat ne voulait pas leur faire peur mais la perspective de redevenir nourriture avait plongé la jeune femme dans une intense dépression. Sahale lui avait permis de se débattre, d’exprimer son refus. Freijat lui en était redevable.

- En revanche, continua l’Ancêtre, j’avais espéré la prêter à Ayaxoatl. Elle ne semble pas en capacité…

- Elle fera ce qu’on lui demande, le coupa Sahale. Ne vous en inquiétez pas, Ancêtre.

- Dans ce cas, je te laisse t’en occuper.

- Elle sera prête, assura Sahale avant d’emmener Freijat dehors.

Il l’emmena dans une chambre de l’immense bâtiment et l’assit sur un lit haut et doux.

- C’est ma chambre, expliqua Sahale.

Freijat tâta le lit.

- Je croyais que tu ne dormais pas.

- Ce meuble ne me sert pas à dormir, indiqua Sahale.

Freijat caressa la couche douce et moelleuse et sourit.

- Je vais devoir faire quoi ? demanda Freijat. Qui est Ayaxoatl ?

- L’Ancêtre de la plus grande famille de Vampires – supérieurs, se corrigea Sahale.

Vampire. Freijat ancra ce mot dans sa tête tandis que Sahale poursuivait :

- Tous les ans, les Ancêtres se rencontrent et discutent. C’est un moment d’échange essentiel. C’est l’occasion pour chacun d’entendre les nouvelles des autres, de partager les découvertes, de se tenir au courant, d’entretenir de bonnes relations. La paix se préserve de cette manière.

- C’est l’occasion d’échanger des marchandises, supposa Freijat.

- Absolument pas, répliqua Sahale. Ces rencontres sont de purs moments de discussions. Les échanges commerciaux sont réalisés par les ambassadeurs car les négociations sont souvent longues et complexes. Les Ancêtres ne s’en occupent pas. Ils délèguent à leurs petits et ne supervisent que la phase finale.

Freijat hocha la tête.

- Cet échange permet à chaque famille de montrer sa force. La fête dure plusieurs jours et on tente d’en mettre plein la vue, tu comprends ?

- Totalement, assura Freijat.

- Cette année, c’est notre tour de recevoir. Nourriture, boisson, danses, musiques, filles ou garçons selon les goûts, nos invités recevront tout ce dont ils ont besoin. Toi, tu devras seulement offrir ton bras à Ayaxoatl, aussi souvent qu’il le demandera.

Freijat leva un regard surpris.

- Chez eux, la morsure ne se fait qu’au bras. Chacun ses préférences.

Freijat acquiesça. Ça ne serait pas si dur, finalement.

- La morsure sera atrocement douloureuse, indiqua Sahale.

- C’est beaucoup plus supportable au bras qu’à la gorge, répliqua Freijat.

- Cet Ancêtre est très vieux. Crois-moi, la souffrance sera insupportable. Ils apprécient que la nourriture se laisse faire mais comprennent que nos mœurs soient différentes. Il s’attendra à devoir te forcer, même s’il apprécierait que tu ne bronches pas. Moi, je préfère quand ma proie se débat mais chacun son truc.

Freijat frémit tout en souriant. Ça oui, il aimait quand elle luttait. Il bandait à chaque fois.

- Tu aimes quand je me débats ou quand j’admets ma défaite ? demanda-t-elle, volontairement taquine.

- Les deux, ma sarracénie, les deux.

Cela faisait maintenant plusieurs lunes qu’il lui avait choisi ce surnom, référence à la fleur du même nom, magnifique mais carnivore. Freijat adorait. Elle ronronna.

- Freijat ?

Elle leva les yeux sur son supérieur.

- Tu seras sage ?

- Oui, supérieur. Je ne ferai pas honte à votre famille.

- Très bien, dit-il. Maintenant, sors. J’ai envie de baiser. Va te promener. Je reviendrai vers toi une fois mon envie assouvie.

 

#######################################

 

La salle de réception rayonnait. Les odeurs sublimes envahissaient les lieux. La musique résonnait agréablement, mélange de flûtes et de tambours. Jamais la pièce n’avait été aussi remplie, tant d’objets que de gens.

Pourtant, pas un seul supérieur. Ils n’avaient pas le droit de se trouver là. La rencontre se faisait entre Ancêtres et seulement entre eux. Le bâtiment tout entier avait été déserté par les supérieurs. Les serviteurs allaient et venaient libres de toute contrainte. Les sourires s’échangeaient gaiement.

Tout cessa lorsqu’un tambour frappa deux fois. La musique resta le seul son audible. Chacun se trouvait à son poste. Freijat se tenait à deux pas derrière une natte confortable entourée de coussins moelleux.

Freijat avait trouvé étrange que les places des ancêtres furent aussi éloignées les unes des autres. Il était impossible de discuter à une telle distance or n’étaient-ils pas là pour ça ?

Chaque salon personnel proposait de la nourriture et des boissons, ainsi qu’un brasero permettant d’éloigner tout courant d’air froid. Le centre de la pièce proposait une piste de danse. Freijat savait que des troubadours viendraient danser ou réaliser des acrobaties spectaculaires.

Cinq hommes firent leur entrée par cinq portes différentes. Ils rejoignirent leur place, visiblement très au fait de son emplacement. Ayaxoatl – ou du moins Freijat supposa-t-il que ceci fut l’identité du supérieur devant elle – attrapa son verre et le leva. Freijat attrapa une carafe.

- Pas celui-là. Je déteste le sirop d’érable.

Freijat se garda bien de tout commentaire. Comment pouvait-on vivre ici et ne pas aimer ce met présent partout ? Et puis, comment pouvait-il connaître le contenu du pichet en argile ? Freijat éloigna ses questions. Vivant avec Sahale, elle avait appris à ne plus s’interroger trop sur les bizarreries entourant les supérieurs.

Elle reposa le pichet et choisit un alcool très fort à base de nombreuses plantes, érable non inclus. Il ne la repoussa pas. Elle le servit et il trempa ses lèvres, dégusta un fruit sec puis se tourna vers la gauche et parla.

Freijat constata que son homologue, un peu plus loin, se tourna vers lui et ses lèvres remuèrent. Freijat ne perçut rien des propos de l’autre ancêtre. Pourtant, Ayaxoatl parla à son tour. Ainsi, Freijat perçut la moitié de l’échange et n’y comprit pas grand-chose.

De temps en temps, Ayaxoatl lui réclamait à boire et à manger. Freijat se trouva fort meurtrie de devoir servir ce supérieur, comme si cette corvée la diminuait. Elle n’avait pas imaginé ressentir cela et ne put pourtant s’en empêcher. Elle était une source. Pas une vulgaire servante. Elle valait mieux que ça.

- Apporte-moi un jeune homme pur, ordonna Ayaxoatl.

Freijat se figea un instant, ne comprenant pas la demande puis se souvint des conseils de Sahale : « Si tu ne sais pas, délègue aux serviteurs. Eux savent. » Freijat s’éloigna pour aller parler au régisseur.

- Ayaxoatl demande un jeune homme pur, indiqua Freijat.

- Dis à Feyfey de rejoindre le supérieur attitré à Freijat, dit le régisseur à une servante près de lui.

La gamine partit en courant. Le régisseur se tourna vers la source et d’une grimace dégoûtée, siffla :

- Freijat, n’appelle pas notre invité par son nom.

- L’Ancêtre ? Pourquoi ?

Sahale ne lui avait jamais indiqué de ne pas le faire.

- Ça me dérange, grimaça-t-il.

Les serviteurs d’ici la fuyaient comme si elle eut une terrible maladie. Qu’elle s’affiche ouvertement avec Sahale, l’embrassant, se promenant main dans la main, ne passait pas.

- Comme tu veux, s’agaça Freijat avant de reprendre son poste derrière Ayaxoatl.

L’invité discutait, mangeait, buvait, observait les danseurs et les danseuses. Il souriait. Il semblait apprécier ce moment. Un jeune homme apparut devant Ayaxoatl. Il resta parfaitement silencieux, attendant d’être appelé. Il proposait un corps harmonieux et de beaux cheveux courts noirs. Ses yeux noirs brillaient. Il ne semblait pas malheureux d’être là.

- Suce-moi, ordonna Ayaxoatl.

Freijat sursauta à cet ordre qui la prit par surprise. Feyfey s’y attendait clairement car il s’exécuta sans le moindre mouvement de stupeur. Feyfey, à genoux, dégagea le sexe déjà dur du supérieur et entreprit de le satisfaire. Freijat observa cela avec dégoût. Elle fut heureuse de ne pas être servante et que Sahale respectât ses volontés.

Ayaxoatl souriait et grognait de contentement. Il ne cachait en rien son plaisir. La scène semblait ne déranger que Freijat qui détournait le regard, très gênée. Les râles de plaisir s’accélèrent.

- Donne-moi ton bras, ordonna Ayaxoatl et Freijat se sut destinataire de cette demande.

Sahale lui avait demandé de porter un vêtement bras nus, lui permettant d’offrir aisément à l’Ancêtre un accès à sa nourriture. Freijat s’avança, s’agenouilla à côté de lui et lui tendit son bras droit. Il maintint fermement son poignet, s’attendant à la voir lutter. Freijat respira amplement, se força à ne pas broncher. Cette douleur, elle la connaissait très bien. Elle la maîtrisait à la perfection. Elle n’était pas une néophyte mais une source expérimentée.

La terreur l’envahit. Elle le savait : il venait de sortir les dents. Il grogna. Feyfey agissait à merveille. Freijat comprit que l’Ancêtre souhaitait jouir sexuellement tout en se nourrissant.

Sa proie ne se débattant pas, Ayaxoatl desserra sa prise. Freijat se concentra afin de rester bien en place. Un cri rauque sortit de la gorge et les aiguilles de feu s’enfoncèrent dans le bras. Il but le sang à la source tout en exprimant verbalement son plaisir, privilège d’un supérieur que de pouvoir faire les deux en même temps.

Freijat lutta contre elle-même, se sentant soutenue par Sahale malgré son éloignement. Finalement, la douleur cessa. Freijat reprit son bras, sans hâte, comme le lui avait indiqué le guérisseur.

- Vos manières auraient-elles changé, mon cher ? Voilà une source fort agréable ! lança Ayaxoatl d’une voix douce, comme s’il parlait à quelqu’un présent juste devant lui.

Freijat constata qu’à l’autre bout de la pièce, l’Ancêtre des lieux bougeait les lèvres. Ils parvenaient vraiment à discuter à une telle distance, malgré la musique et le bruit ambiant ! Freijat n’en revenait pas. Se sentant faible, elle s’éloigna pour boire et manger. Elle pouvait se servir à volonté. Les sources avaient le droit de se restaurer sans limite.

Lorsqu’elle revint vers Ayaxoatl, Feyfey avait disparu. Elle lui servit à boire et à manger. Freijat finit par ressentir quelques difficultés à rester éveillée. Elle luttait mais ses paupières se fermaient toutes seules. Les Ancêtres se levèrent pour changer de salle. Freijat et les trois autres sources suivirent. Seul l’Ancêtre des lieux ne possédait pas de source personnelle, une manière de rappeler qu’ici, tout lui appartenait.

La salle du trône s’était vue meublée d’une table ronde autour de laquelle les cinq anciens prirent place. Après l’amusement était venue l’heure des discussions.

- Tu peux t’allonger et dormir, annonça Ayaxoatl à Freijat dès qu’il se fut installé.

Freijat l’aurait volontiers remercié mais Sahale lui avait dit de ne jamais prononcer le moindre son. Freijat frissonna mais harassée, trouva rapidement le sommeil.

Lorsqu’elle s’éveilla, les anciens discutaient, s’écoutant, partageant la parole, racontant des anecdotes personnelles.

Freijat se leva et alla s’hydrater non loin d’un grand verre d’eau. Elle en profita également pour vider sa vessie. Les serviteurs remplissaient régulièrement les amphores et vidaient les pots d’urine et d’excréments.

Freijat retourna à son poste. La source en face d’elle lui sembla bien jeune. La pauvrette tremblait de tout son corps. Freijat observa les deux autres pour constater que les deux hommes se trouvaient dans le même état. Il s’agissait probablement de leur première désignation. Commencer avec un Ancêtre dans un tel cadre ne devait pas être aisé. Freijat préférait sa place avec son expérience.

Les ancêtres se ressemblaient autant qu’ils différaient. Ils possédaient un ton de voix, un accent, une diction et une vitesse de parole personnels mais les mots prononcés portaient toujours sagesse et assurance. Leurs vêtements différaient mais tous proposaient des corps magnifiques, jeunes et plein de vigueur. Un supérieur laid, vieux ou avec une difformité, cela existait-il ? Les habits rayonnaient, matières nobles taillées à la perfection.

- Ils ne peuvent pas faire cela ailleurs ? s’énerva soudain Ayaxoatl, coupant ainsi la parole à l’Ancêtre d’une autre famille.

- De quoi parles-tu ? demanda l’Ancêtre des lieux.

- Se nourrir ! Ça n’arrête pas. D’accord tes enfants sont discrets, mais tout de même !

- Ils sont obligés de faire cela dans la salle du trône, indiqua l’Ancêtre.

- Ha bon ? Pourquoi ?

- Il y a cinq hivers, un de mes petits a engendré, raconta l’Ancêtre avec une totale honnêteté.

La réaction des Ancêtres fut immédiate. Ils frémirent et ouvrirent des yeux horrifiés. La gravité du crime ne faisait aucun doute.

- Il offrait chaque jour sa source à son petit, continua l’Ancêtre.

- Il se privait pour lui ? s’étonna Ayaxoatl.

- Non. Il se nourrissait aussi, indiqua l’Ancêtre.

Un silence accueillit cette assertion. Ayaxoatl le rompit en premier :

- Cette source a bien du mérite. Elle n’a pas dû survivre bien longtemps.

- Elle a subi trois hivers durant avant qu’un guérisseur ne découvre, totalement par hasard, le pot aux roses. Le bâtard et son créateur ont été exécutés.

- Évidemment, répondit Ayaxoatl d’un ton sûr. Cette source n’est pas devenue poreuse malgré ce traitement ?

- Non, répondit l’Ancêtre en souriant à demi.

Il était fier de son effet. Les supérieurs autour de la table se raidirent.

- Votre nourriture est d’excellente qualité. Cette source a-t-elle engendré ?

- À six reprises, annonça l’Ancêtre.

- Certains enfants seraient-ils disponibles à l’achat ? demanda Ayaxoatl.

Freijat baissa les yeux. Il s’agissait de ses enfants dont ils parlaient comme d’une vulgaire marchandise.

- Ils sont encore trop petits mais dans quelques années…

- Les former jeunes à nos manières ne me déplairait pas, précisa Ayaxoatl.

- Je vous enverrai mon ambassadeur, promit l’Ancêtre.

- Cette source a-t-elle bon goût ? demanda un autre ancêtre.

- Aucune idée, répondit l’Ancêtre. Je ne l’ai jamais mordue moi-même. Demandez plutôt à Ayaxoatl.

Le chef de la plus grande famille leva un sourcil interrogateur, auquel l’Ancêtre des lieux répondit en désignant Freijat du menton. Ayaxoatl se tourna vers sa source temporaire. Freijat garda les yeux baissés.

- C’est pour ça que ma morsure ne t’a pas été trop insupportable. Tu as l’habitude, comprit-il.

Freijat, comme requis, ne répondit rien. Ayaxoatl retourna vers ses comparses et annonça :

- Elle a très bon goût.

Tous sourirent. Ayaxoatl grimaça en observant un autre supérieur venu se nourrir dans la salle du trône.

- Cette mesure permet de s’assurer que les sources ne sont pas mal utilisées, insista l’Ancêtre. Cette précision a été rajoutée à leur formation de base.

- C’est une excellente idée, acta Ayaxoatl. Je vais réfléchir à faire de même chez moi. Après tout, aucun de nous n’est à l’abri d’un bâtard, malheureusement.

Tous les ancêtres acquiescèrent sombrement. Une discussion plus rafraîchissante fut lancée. Les échanges reprirent avec légèreté et durèrent toute la journée. Dès la nuit tombée, les ancêtres se rendaient dans la salle de réception pour manger, boire, baiser, s’amuser.

Ayaxoatl varia ses plaisirs, demanda une femme qu’il baisa tout en se nourrissant de Freijat. Le troisième jour, il mordit sa source tout en se masturbant devant deux femmes se donnant du plaisir devant lui. Le quatrième soir, il sodomisa un homme d’âge mur. Freijat se demanda si ce supérieur avait vraiment une préférence. Il semblait tout apprécier.

Ils repartirent et Freijat retrouva Sahale qui la félicita. Ayaxoatl n’avait pas tari d’éloges à son sujet. Freijat en fut heureuse mais resta renfermée. Qu’allait-elle devenir maintenant ? Elle se retrouva en position de soumission devant l’Ancêtre en salle du trône redevenue classique.

- Toujours pas de besoin, annonça l’Ancêtre.

- Et vous, Ancêtre ? proposa Sahale.

- Je n’ai pas besoin d’une source, indiqua l’Ancêtre. Je me nourris quand je veux.

- Je n’ai pas dit le contraire mais posséder votre propre source personnelle prouvera que vous en avez assez pour vous le permettre. Sa particularité, connue de nos alliés, augmentera votre puissance. Vous pourriez l’emmener dans les autres familles lors des rencontres. Elle ne manquera à personne. Le symbole sera fort.

L’Ancêtre pencha la tête, réfléchissant intensément. Freijat eut envie de pleurer. Elle crevait d’envie d’arracher ses yeux à Sahale. Subir la morsure d’un Ancêtre, elle venait de passer cinq jours à le vivre. Cela lui sembla insurmontable.

- Soit, dit l’Ancêtre. Freijat sera donc ma source personnelle. Laisse-nous.

Sahale s’inclina puis sortit. Freijat ne put s’empêcher de regarder à droite et à gauche, cherchant une porte de sortie, geste bien inutile mais son instinct la guidait.

- Je me nourris peu, dit l’Ancêtre. Viens me saluer chaque matin après ton réveil et chaque soir avant d’aller te coucher. Si je veux te voir en dehors de cela, je te ferai appeler.

- Bien, supérieur.

- Tu peux disposer, indiqua l’Ancêtre.

Freijat se leva et sortit. Son premier acte fut de jeter un regard noir à Sahale.

- Moi aussi je t’aime, ma sarracénie.

Il l’embrassa et Freijat lui rendit volontiers son baiser.

- Il te mordra à la gorge mais tu pourras te débattre, indiqua Sahale tandis qu’ils se promenaient dehors. Au contraire, plus tu lutteras, et plus il sera ravi. Peut-être même te chassera-t-il.

- Comment ça ?

- Il y a fort à parier qu’il ne se nourrira pas dans la salle du trône. Il fondra sur toi n’importe quand, de préférence quand tu t’y attendras le moins et il se satisfera de te savoir terrorisée.

Freijat observa autour d’elle avec inquiétude.

- Exactement, c’est ça. Cette attitude-là lui sierra à merveille, confirma Sahale.

Freijat se rembrunit et serra les dents. Savoir que sa terreur satisfaisait l’Ancêtre la dégoûtait. Elle ne voulait pas servir. Elle voulait partir et rejoindre Kre-mi, se cacher avec lui au fond d’une grotte, loin des supérieurs et de leurs règles, vivre d’amour et d’eau fraîche dans un bonheur partagé.

Elle regarda Sahale. Par cette pensée, elle venait de le trahir. Ou pas. Après tout, elle l’aimait aussi. Plus ? Moins ? C’était incomparable. Leur relation était si différente.

Elle acceptait que Sahale baise avec autant de femmes qu’il voulait. D’ailleurs, un supérieur femme, cela existait-il ? Freijat n’en avait jamais vu. À croire que ce privilège était réservé aux hommes.

Sahale savait que Freijat rêvait de s’enfuir. Il la retrouvait souvent au pied de la clôture haute comme deux hommes entourant le domaine des supérieurs. Pas besoin d’être un génie pour comprendre que Freijat cherchait une sortie. Il la ramenait sans s’agacer, acceptant de recevoir parfois ses larmes, parfois ses refus accompagnés de hurlements. Il la calmait, la berçant, la caressant, la couvrant de bisous et de mots doux et Freijat se laissait adoucir.

Il était le berger rassurant la chèvre juste avant de l’égorger. Elle en était consciente. Elle détestait cela mais elle devait reconnaître qu’il faisait un énorme effort pour elle. Elle l’en remerciait souvent. Il répondait d’un tendre sourire avant de l’embrasser. Il devait aussi y trouver son compte. L’aimait-il vraiment ? Freijat se raccrochait à cette idée.

- Il te mordra peu souvent, poursuivit Sahale. Il ne le fera pas par besoin mais par jeu. Si tu veux utiliser longtemps un objet, il faut en prendre soin, ne pas l’user prématurément. De ce fait, il te laissera le temps de te remettre avant de recommencer et je t’aiderai à remonter.

- Je préférerais que tu me laisses mourir, indiqua Freijat.

- Je sais, ma sarracénie, et la réponse est non. Un jour, tu deviendras poreuse. En attendant, tu vas servir.

- Que signifie devenir poreuse ? cracha Freijat, énervée d’entendre sans cesse ce mot sans en comprendre la signification.

- Le jour où ça se produira, tu seras la première au courant. Tu obtiendras enfin gain de cause.

- Ça veut dire mourir ? interrogea Freijat.

- La réponse dépend à qui tu poses la question.

- Selon toi ?

- Selon moi, oui, ça veut dire mourir.

Freijat fronça les sourcils. Comment d’autres gens pouvaient-ils ne pas partager cet avis ? Cela la laissa pantoise.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez