Jorick n’en revenait pas. Cette créature étrange et lumineuse ne pouvait pas être réelle. La magie n’existe pas. Il continuait de scruter l’orée des bois mais l’apparition ne revint pas. Le silence qui suivit la disparition de la créature pesait lourd dans la clairière. Jorick serrait les poings sans s’en rendre compte. Son cœur battait vite, trop vite, mais il s’efforçait de garder le visage impassible. Il ne pouvait pas se permettre de craquer devant les autres.
Il jeta un coup d’œil à ses cousins : Ilana semblait encore secouée, Cléo se remettait doucement de ses nausées, Caleb fronçait les sourcils comme s’il cherchait une logique à tout ça, et Lysandra… Lysandra paraissait ailleurs, fascinée par ce qu’ils venaient de voir. Quant à Liam, il roulait des yeux avec son air de je-m’en-foutiste, mais Jorick le connaissait assez pour savoir qu’il était au bord de la panique. Jorick inspira profondément et força un sourire qui ne vint pas vraiment.
— Bon, dit-il en s’éclaircissant la gorge, faut qu’on bouge. On va pas rester plantés là à attendre que la prochaine bestiole décide de se montrer.
Personne ne répondit, mais au moins, leurs regards se tournèrent vers lui. Il sentit le poids invisible de leurs attentes, cette impression désagréable d’être le grand frère responsable, celui qui devait décider de la marche à suivre alors qu’il n’avait aucune idée de ce qu’il faisait. Cléo arqua un sourcil.
— Et tu proposes quoi, exactement ? On ne sait même pas où on est.
Il passa une main nerveuse dans ses cheveux et désigna la lisière de la forêt.
— On devrait avancer. Trouver un endroit sûr… ou mieux, un village. Avec un peu de chance, y’a des gens normaux dans ce monde.
Le mot « normal » résonna bizarrement dans ce décor trop parfait. Pourtant, l’idée d’atteindre une civilisation, de voir des visages humains, même hostiles, lui donnait l’impression d’avoir une direction, un but.
Ilana acquiesça doucement.
— Il a pas tort.
Jorick hocha la tête, reconnaissant de trouver un appui. La vérité, c’est qu’il se sentait complètement dépassé. Mais il n’avait pas le choix : il devait donner une direction Il resserra son sac contre son épaule et fit un pas en avant, puis deux, avant de se tourner pour s’assurer que tout le monde suivait.
— Allez. Plus vite on trouve de l’aide, plus vite on saura ce qui nous arrive.
Le groupe se remit lentement en marche. Jorick allait en tête, attentif au moindre bruit. Sous les pins, la lumière filtrait en minces rayons mouvants. Plus ils avançaient, plus Jorick sentait une drôle de fraîcheur sous sa peau. Ses paumes picotaient, glacées et moites, comme si ses nerfs eux-mêmes se transformaient en eau. La peur et l’adrénaline se mêlaient dans ce flux étrange, incontrôlable.
Il effleura le tronc d’un pin, sans trop savoir pourquoi. Aussitôt, des gouttelettes se formèrent à la surface rugueuse, glissant comme une rosée soudaine malgré la sécheresse de l’écorce.
Jorick retira sa main, le souffle court.
— Qu’est-ce que tu fais ? demanda Ilana, méfiante.
— Rien, je… j’ai cru voir… Non, laisse tomber.
Après quelques heures d’errance dans la forêt, la faim commença à se faire sentir. Liam râlait, Caleb essayait de plaisanter, mais personne n’avait le cœur à rire. Quand le soleil déclina entre les troncs, ils se résignèrent à chercher un endroit où dormir.
Jorick rassembla quelques branches, cherchant à allumer un feu comme son père lui avait appris. Mais l’étincelle refusa de prendre. Le bois était trempé, trop humide. Étonné, il toucha l’écorce et comprit : l’humidité venait de lui. Les brindilles, sèches quelques instants plus tôt, suintaient maintenant d’eau comme si elles avaient baigné dans une rivière.
— Super… maugréa Liam. Même les allumettes magiques, on n’a pas ?
— On trouvera autre chose, dit Caleb. On survivra une nuit sans feu.
Ils mangèrent le reste de chamallows éparpillés au fond du sac de Caleb en silence et se blottirent les uns contre les autres pour trouver le sommeil. Ils ne dormirent que par fragments, une demi-heure par-ci, par-là, interrompus par le moindre craquement. Chaque bruit leur semblait suspect.
À l’aube, leurs visages tirés trahissaient leur fatigue. Aucun n’avait vraiment reposé son corps ni son esprit.
— Génial, marmonna Liam, frottant ses yeux gonflés. On est crevés et on n’a même pas eu de petit-déj.
— Tu préfères rester ici ? répliqua Cléo. Parce que moi, j’aimerais bien sortir de cette foutue forêt.
— T’as pas l’impression qu’elle s’amuse à nous perdre ? dit Caleb, qui observait les troncs serrés autour d’eux.
Jorick ne répondit pas. Le sol sous ses pieds semblait plus humide que la veille, comme s’il marchait sur une terre gorgée d’eau. Quand il leva les yeux, une silhouette se dessina entre les pins, humaine mais déformée par la lumière ou l’ombre… et disparut aussitôt. Était-ce réel, ou seulement le fruit de son esprit fatigué ?
— Par-là, dit simplement Lysandra en désignant la même direction.
Ils reprirent leur marche. Le soleil filtrait à peine, mais après des heures, les troncs s’espacèrent enfin. Une odeur de fumée leur parvint. Une fumée de cheminée. Et au loin, entre les branchages, ils aperçurent enfin des toits. Jorick se sentit soulagé, ils allaient enfin pouvoir demander de l’aide et comprendre où ils avaient atterri.
Le village apparut enfin en sortant de la forêt. Les maisons avaient des toits de chaume aux couleurs douces et étaient serrées les unes contre les autres comme si elles se protégeaient mutuellement. Les ruelles étroites pavées irrégulièrement menaient toutes vers la place centrale du village sur laquelle trônait fièrement un vieux puits de pierres. En toile de fond, se dressait un majestueux chêne dont les branches offraient de l’ombre bienvenue en cette belle journée ensoleillée. Jorick se croyait revenu des siècles auparavant tant cela lui faisait penser aux dessins des villages qu’il avait vu dans les livres d’histoire.
L’endroit semblait paisible, presque accueillant. Des senteurs de pain chaud et de soupe aux herbes flottaient dans l’air. On entendait au loin le martèlement régulier d’un marteau sur l’enclume, mêlé aux éclats de voix d’enfants qui couraient entre les ruelles. Quelques femmes suspendaient du linge aux cordes tendues entre les maisons, tandis qu’un vieillard tirait de l’eau au vieux puits. Tout respirait la vie simple et tranquille, mais les regards furtifs que lançaient les villageois aux six cousins contrastaient avec le tableau idyllique. Sourires polis en façade, mais leurs yeux semblaient peser lourd, comme si chaque pas étranger dérangeait l’équilibre fragile de ce lieu.
Les enfants cessèrent de courir quand ils virent le groupe, et leurs rires s’éteignirent comme une bougie soufflée. Une femme ramassa son linge à la hâte et rentra chez elle en claquant la porte. Seul le bruit du marteau résonnait encore, implacable, jusqu’à ce que le forgeron finisse par lever la tête.
Il s’approcha, essuyant ses mains noircies sur son tablier, et leur adressa un sourire poli, trop figé pour être sincère.
— Vous n’êtes pas d’ici.
La phrase, simple en apparence, claqua comme une évidence lourde de sous-entendus.
— On… on s’est perdus, répondit Jorick, conscient que chaque mot pesait. On cherche juste un endroit sûr où se reposer.
Le forgeron hocha lentement la tête, puis fit un signe de la main. Quelques habitants s’étaient approchés, leurs visages impassibles mais leurs yeux brillants de curiosité.
— Alors vous êtes au bon endroit, dit-il enfin. Venez. On va… prendre soin de vous.
Jorick jeta un coup d’œil aux autres. Ilana et Liam ne semblaient pas trop à l’aise à l’idée de suivre ces inconnus mais Cléo lui fit un signe de tête.
— On a pas vraiment le choix, souffla-t-elle.
Jorick opina et suivit le forgeron qui les menait vers une grande bâtisse en pierres. Ils franchirent une porte en bois massive qui grinça sous la poussée du forgeron, et se retrouvèrent dans une taverne basse et rustique. La lumière des bougies dansait sur les murs de pierres, révélant des étagères chargées de bouteilles et de vieux livres. L’odeur de viande rôtie et de bois brûlé emplit l’air. Quelques villageois étaient là, assis à de petites tables, mais tous cessèrent leurs conversations en les voyant entrer. Le silence qui s’ensuivit fit vibrer les murs, lourd et oppressant.
Le forgeron fit un signe de tête au tavernier derrière le comptoir :
— Donne-leur à boire et à manger. Qu’ils reprennent des forces.
— Bien, répondit l’homme, la voix basse, et il posa trois cruches de bière et un plat de soupe fumante sur une table libre.
Jorick guida le groupe vers la table, les yeux attentifs à chaque geste des villageois. Les six cousins s’assirent, chacun avec une expression différente : Ilana nerveuse, Cléo encore pâle, Caleb sur ses gardes, Lysandra fascinée par les détails de la pièce, et Liam… toujours en train de râler, mais le menton crispé trahissait son inquiétude.
Jorick prit la parole :
— Merci… enfin… pour le repas. On… on est un peu perdus.
Le tavernier le regarda, les sourcils froncés.
— Vous n’êtes pas d’ici, hein ? dit-il simplement.
— Non, répondit Jorick. On cherche juste un endroit sûr pour passer la nuit.
Un silence pesant s’installa. Jorick sentit sa gorge se nouer, et l’eau sous sa peau s’agita, fine et glaciale, comme un avertissement inconscient. Les villageois chuchotaient entre eux, lançant des regards furtifs aux nouveaux venus. Quelques enfants observaient depuis un coin de la salle, immobiles, fascinés.
Puis, un homme plus âgé s’avança. Son visage portait les traces des années, mais ses yeux brillaient d’une lueur intense et mystérieuse.
— Vous n’êtes pas les premiers à apparaître dans ce village de manière… étrange, dit-il, le ton neutre mais chargé de sous-entendus.
Jorick sentit un frisson parcourir son dos. Il y avait dans ses mots quelque chose qu’il ne comprenait pas encore. Mais pour l’instant, il devait rester calme.
Il posa sa main sur la table, la chaleur du plat et des cruches contrastant avec la froideur qui coulait en lui. L’instant était suspendu, mais une chose était claire : le village, pourtant si accueillant à première vue, ne leur offrirait pas de réponses faciles.
Chapitre intense. le village est vraiment intrigant et ses villageois bien "qu'accueillants" font légèrement froid dans le dos ahaa
Surtout le plus âgé qui leur indique qu'ils ne sont pas les premiers a être projeté dans ce monde.
Sinon j'ai trouvé le tout cohérent, et toujours aussi fluide. On perd pas les personnalités.
A la suite ^^
Oui leur arrivée au village n'est pas forcément du goût des villageois ! On va comprendre petit à petit pourquoi :)
Merci encore pour tes compliments :)