Quittant un songe de terre retournée, le bruit des secousses de la charrette s’évanouit doucement sous celui des houles marchandes, arrachant Iro de son sommeil. Elle extirpe lentement sa tête des couvertures usées, avant d’être frappé par la lumière effervescente du Croc. Avos, la nuque baissée, le capuchon dissimulant son visage fatigué, conduit à travers la route bordée de vendeurs et acheteurs, habillés communément de tuniques harmonieuses. On y voit des comptoirs de graines, baies, tubercules, et épices, suivis des ateliers à tisser, puis matériaux précieux, et outils ingénieux. L’odeur fraîche, aux brises parfumées, laisse place à d’incessantes vagues d’odeur chaude, étouffante, terreuse et métallique, à l’approche des forges. D’imposantes cheminées, en dôme à même le sol, expulsent des jets de flammes, dont les vaguelettes de chaleur projette sur le cristal, une dentelle illusoire, une couronne dansante.
Au-delà de l’antichambre enflammée, une cavité béante, avalant les moins prudents, sépare la paroi de terre poreuse au pylône de cristal. Ultimement garrotter d’un méli-mélo de cordes sur lesquelles s’enchevêtrent plateformes et foyers rudimentaires. Des ponts noirs de vies aux tuniques harmonieuses dont la réfection s’estompe à l’œil curieux qui s’enfonce dans l’abysse. Des balançoires d’intrépides oiseaux, bec massif, conique, coiffe dorée, plumage grenat, rectrices jumelles, cherchant à atteindre le sommet.
« Descends ! » dis Avos, la voix éteinte. Iro saisit la rapière et une autre couverture pour cacher ses habits délabrés des regards indiscrets, puis lance un regard de remerciement à Avos. Il essaye d’exprimer en retour un sourire d’encouragement, mais elle a déjà tourné le dos, scinde la foule, et coure sur le pont suspendu pour rejoindre l’ascenseur unique qui mène au sommet du Croc.
Sur la plateforme de l’ascenseur sont postés plusieurs gardes. Leurs corps trapus sont trahis par des habits de tissus bleuet aux cols argentés, un uniforme unique pour ceux qui gardent le Croc. À l’instar des aventuriers qui abattent les monstres arborant les forêts, ils sont à même de maîtriser des malins trop téméraires à mains nues, et jouer le pour-parler. Les gardes postés sur l’ascenseur ont toujours leur capuche sur la tête, afin d’éviter de faire un malaise entre les changements d’altitude et de luminosité. L’un d’entre eux jette un regard menaçant envers Iro qui disparaît dès qu’elle entrouvre les couvertures et tend un pendentif brillant de forme triangulaire. Elle s’installe timidement, cherche à se cacher entre deux gardes, lorsqu’un groupe d’apprentis aux tuniques d’architecte embarque à leur tour, bavardant gaiement.
Un garde tire finalement une corde, et la plateforme s’élève doucement. Le vent chante en passant entre ses fentes, tandis que des oiseaux opportunistes se posent sur les arêtes. En partant de la taille, les parois sont brutes, puis un mélange d’excroissances élancées s’emmêle à des armatures excessives métallique. L’ensemble est bondé d’un cordage redondant pour former une sorte de bouquet de cristal difforme duquel s’échappent des dégradés désorientés de couleur vive. Entre les cordes on peut apercevoir des traits de peinture dont l’écart et l’usure ne cesse d’augmenter. À proximité du sommet, la brutalité s’estompe devant un travail d’orfèvre exceptionnel. Gravures, sculptures, un spectacle de lumière géométrique se dessine sur la plateforme. Vu d’en haut, la fosse sans fond encercle le Croc comme un anneau couronnant un doigt crochu. Son incise céleste repousse par vagues les chutes de nuages obscurs aux convulsions visqueuses. Comme s’écoulant sur un dôme de lumière invisible, elles s’écrasent au niveau de la forêt, où l’on peut observer les villages frontières et les silhouettes sombres de ses aventuriers.
Autour d’Iro éclot de feints murmures chassés par son regard concerné. Les quelques remous ont dévoilés sous sa cape son sous-vêtement froissé, mais aussi ses distinguables bottes sales et taches brunâtre de sang séché sur le fourreau de la rapière. Embarrassée par l’attention, elle décide de faire dos aux murmures, ainsi qu’aux beautés liées à l’ascension du Croc, et ne faire fasse qu’au vide vertigineux de la fosse.
Un bruit d’enclenchement retentit, la plateforme s’arrête. Le groupe d’apprentis débarque sans s’arrêter de discuter. Hésitante à quitter la plateforme, Iro se détache du vide pour veiller, un moment, sur le village où repose Meos. Soudain, un garde s’approche d’elle : « Je vais t’accompagner. Avec ton accoutrement, on risque de te poser des questions à chaque pas. »
Dans un silence, Iro accepte d’un hochement de tête et débarque avec le garde suivant ses pas.
L’intérieur du croc est grossièrement creusé, et présente une hauteur de plafond impressionnante. Une voûte dont les formes exagérées sont compensées par des efforts de tapisseries, armatures en métal, et meubles, seuls indicateurs du temps passé face à un cristal dénué de traces, rayures ou défauts, mais opaque.
Arrivé au quartier des architectes, une grande arche, bordée par deux longs bras de tissus, grenat drapé, dressés comme les ailes d’un oiseau, arbore une gravure similaire à celui de son pendentif. Le garde prend congés et laisse Iro continuer son chemin. Un silence inhabituel remplit l’espace, notamment dû au fait que la majorité des apprentis, et professeurs, ne sont pas encore revenus de leurs sorties.
Le quartier est constitué d’un long couloir circulaire suivant la ceinture du croc. Son flanc extérieur est bordé de chambres empilées par quatre. Chacune reliées par des escaliers muraux. Chacune attribuée à un architecte dont le nom est gravé sur une plaquette métallique encadré à côté de l’entrée. Le flanc intérieur est recouvert d’étagères, de livres et d’ouvrages en libre accès, espacées par des bureaux d’études, et deux tunnels pour accéder à son cœur.
Iro prend l’escalier pour monter à sa chambre. Son nom est visiblement gravé sur la plaquette. Elle tire le drap occultant et rentre. L’entrée fait face à un balcon douché de lumière avec vue sur l’horizon dessiné par le mariage entre les nuages et la forêt. À droite, sur une rangée de quatre marches d’escalier sont disposées ses affaires. À gauche, la tête de son lit est collée au mur, et son pied s’arrête au balcon. Sur le mur adjacent à l’entrée, un comptoir, une coupe de vivres, et une cage à oiseau dont le vide fait tomber son cœur.
En s’approchant, le pas indécis, elle remarque une masse inerte avachie sur la mangeoire. Les ailes rétractées. Le bec épais et court. Un plumage rougeoyant comme la braise duquel ressorts de distinguables longues, fines et souples plumes d’un jaune doré couronnant sa tête. Ses ailes et sa queue, lui donnent une stature plus ample qu’elle ne parait.
Elle ouvre la porte de la cage, et saisit de ses deux mains tremblantes le corps inerte. Afin de le libérer de son berceau devenu prison. Afin de le déposer sur le comptoir. Elle lâche un cri lorsqu’elle constate ses mains, imbibées de sang, un sang qui lui rappelle les évènements passés. Apeurée, elle perd l’équilibre et se retrouve les fesses parterre. La rapière s’entrechoque avec le sol, et le son métallique résonne dans la chambre, réveil ses sens, lui rappelle sa promesse à Meos. Elle se relève doucement, mais sûrement, le visage ferme reprends son souffle, le deuil s’expirant par ses yeux remplis de condoléances en direction de son ancien compagnon de chambre.
L’oiseau repose maintenant dans son plumier, simplement recouvert d’un bout de tunique déchiré. Sur le comptoir, Iro a nettoyé sommairement les taches de sang, et s’applique à écrire une lettre à destination de Meos. Elle s’efforce à ne laisser filtrer aucune de ses émotions, tant son cœur est en proie de basculer de peur à la haine, à chaque fois que son attention se balade du plumier mortuaire à la mangeoire funeste, dont les graines baignent dans un liquide visqueux blanchâtre.
Iro sort de sa chambre, contemple un lourd silence parmi les multitudes chambres autour d’elle, et se met à baragouiner comme hanté par des pensées irrationnelles. Pourquoi empoisonner mon oiseau ? Est-ce que c’est en rapport avec ce qui est arrivé à Meos et moi. Il n’y avait aucune raison à s’apitoyer sur l’oiseau, le libérer aurait suffi… ou bien le meurtrier considère la mort comme un acte de libération. Ah, si je tombe sur ce malade, je n’hésiterai pas à lui donner un goût de son poison, le poison oui ! Commençons par inspecter les chambres.
Le pas filant, Iro entrouvre délicatement les chambres d’autres apprentis, les unes après les autres, balayant des yeux la présence d’une fiole avec un liquide blanchâtre. Devant une chambre, elle s’aperçoit qu’il est gravé le nom Hani, un nom qui lui est resté en mémoire. Son accueil chez les architectes était des plus déplaisants, presque insultants à cause de lui. Mais sur le moment, elle avait ignoré ses paroles, comme des menaces sans fond tant la joie d’être apprenti effaçait tout ce qui pouvait arriver autour d’elle.
La main posée sur la porte, elle s’apprête à s’engager, mais entend un bruit de livre tomber vers l’entrée de quartiers, suivi d’une voix qui s’élance à l’autre bout.
« Halte ! Arrêtez-vous tout de suite, si vous tenez à votre vie ! »
La vocifération vient du professeur principal des architectes, il porte une tunique blanche immaculé aux coutures radiantes. Il s’approche rapidement, avec distinction, le tronc figé comme une armoire, comme si son corps est poussé sur des roulettes. Son visage hautain se penche sur Iro et appuie d’une voix pleine de dédain.
« Vous, Apprenti Iro ? Ici ? Dans cet accoutrement. Mais vous devriez être au village avec vos camarades, non ? »
Le visage visiblement troublé, Iro est bousculée dans ses pensées. Peut-elle se confier au professeur ? D’un souffle, elle raconte brièvement l’accident de Meos sur le trajet et son retour avec Avos, mais ne mentionne pas l’empoisonnement de son oiseau et sa tentative de fouille des chambres, tente de le berner en suppliant la fatigue.
Le professeur hoche la tête, en tirant délicatement dans un va-et-vient de la main, sa peau sous la mâchoire.
« Bien, repose-toi dans ta chambre, dit-il en pointant d’un geste fébrile celle-ci. Et n’en sors pas avant le retour de tes camarades ! À la reprise des cours ! Je ne veux pas entendre une histoire de plus s’ébruiter. »
Sur le retour, elle remarque le livre qui était tombé en fracas un peu avant l’arrivée du professeur.
« Et ramasse tes affaires ! » s’insurge-t-il.
En s’accroupissant, caché derrière les piles de papiers qui s’amoncellent collées aux étagères de livres, elle croise le regard innocent d’un observateur, mais continue son avancée vers la chambre pour ne pas éveiller d’autres soupçons.
Tout d'abord, bravo, ton vocabulaire m'impressionne ! Tu arrives vraiment à placer tous ces mots de manière très naturelle, ça donne de super belles descriptions !
J'ai vu que tu avais reçu plusieurs remarques sur la longueur des phrases, après une grande réflexion, cette longueur ne me dérange pas tant que ça... Si j'étais toi, je ferais plutôt attention à l'accord des adjectifs ou à la syntaxe, je pense que toutes les phrases, même longue, seraient ainsi tout à fait compréhensibles ! (après, ce n'est qu'un avis comme un autre, peut-être que tu n'est pas d'accord avec moi).
J'aime aussi beaucoup quand tu utilises une majuscule à "Croc", mon cerveau comprend immédiatement qu'il ne faut pas suivre le sens propre.
Pour finir, l'introduction par petites touches de ton monde fantastique est très bien gérée, cela attise tout de suite la curiosité !
A bientôt, j'ai hâte de lire la suite ! :)
J'essaye justement de porter une grande attention au vocabulaire. Même si parfois, je choisis des mots qui peuvent sortir de l'univers. J'ai fais un ticket à ce sujet dans le forum.
Pour les phrases longues, j'ai réalisé que le rythme avec lequel j'ai l'habitude de lire, n'est pas propre à tout le monde. En gros, mettre un point me donne l'impression de couper l'action, et la tension. Cependant avec du recul, j'ai constaté que découper mes phrases, les rendaient plus digeste. Voilà, voilà, je teste et essaye de trouver le juste milieu.
Le Croc! Oh que j'ai galéré à lui trouver un nom qui embrasse un maximum son existence. Donner un nom est difficile, et c'est aussi un thème sous-jacent de l'histoire.
Sur ce, à bientôt!
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