Chapitre 7 : Julie - Police

Trois jours à ne dormir que d'un œil sur des bancs, à fuir au moindre bruissement, à manger de moins en moins. Elle n'avait désormais que dix francs en poche et ignorait toujours totalement quoi faire.

Elle passait ses journées à errer dans la ville. Elle avait trouvé une fontaine publique, lui permettant de ne pas gaspiller de l'argent à acheter de l'eau en bouteille. Elle avait déjà volé quelques pommes sur un étal, pas de quoi aller en prison mais Julie se sentait mal. Elle ne voulait pas devenir une criminelle. Seulement voilà, elle ne savait toujours pas ce qu'elle voulait…

Elle marchait sur un trottoir quelconque, ignorant totalement le nom de la rue et cela ne lui importait pas. Seule la foule, rassurante, comptait. Sa présence lui ravissait le cœur. Ici, elle se sentait en sécurité. Nul n'oserait l'attaquer devant des milliers de gens.

Elle stoppa net. Un marchand de journaux. Une revue. Une femme en bikini sur une plage. Un gros titre qu'elle ne lut pas, son regard seulement focalisé sur son cou. Elle attrapa le magazine people pour regarder la photo de près. Aucun doute possible ! Même collier, même pendentif ! Elle sortit celui d'Emy, sagement entreposé au fond de sa poche et compara. Même teinte, même taille, collier de facture identique. Qui était cette femme ?

- On paye pour lire ! s'exclama le marchand de journaux.

De frayeur, Julie lâcha le magazine avant de s'éloigner de quelques pas, hors de vue du propriétaire de l'échoppe. Elle regarda encore le pendentif, qu'elle connaissait pourtant par cœur à force de n'avoir que lui à observer.

Rond, un dessin gravé en arrière-plan représentait une cour avec un arbre en son centre. La banalité du paysage le faisait ressembler à n'importe quel autre. En revanche, à force de le caresser, Julie avait ressenti six points rangés en deux colonnes de trois. Le premier en haut à gauche et celui du milieu de la colonne de droite étaient beaucoup plus gros que les autres. Julie n'avait pas la moindre idée de ce que cela pouvait signifier.

- Qui commande ? demanda un homme devant elle.

Julie leva les yeux sur celui qui l'arrachait à ses pensées. Personne ne lui avait adressé la parole depuis trois jours, hormis le marchand de journaux et quelques boulangères.

- Vous me parlez ? demanda Julie.

- Oui. Qui commande ? répéta-t-il plus distinctement.

Ses vêtements ne laissaient aucun doute quant à sa richesse. Le tailleur était fait sur mesure. Les chaussures plus chères encore que celles de son père. Ses cheveux et son visage glabre indiquaient un coiffeur de talent.

- Qui commande ? répéta Julie. Je… Je ne sais pas… Le président de la république ? proposa-t-elle sans être bien sûre de comprendre la question.

L'homme regarda le pendentif dans sa main, plissa les yeux, renifla, grogna puis se retourna et s'éloigna. Julie, elle, s'était pétrifiée. Il avait regardé le pendentif, comme l'assassin d'Emy. Le pendentif était la cause de la mort de sa meilleure amie et voilà qu'une autre personne venait de s'intéresser à elle à cause de lui.

Julie n'avait qu'une envie : fuir. Elle ne bougea pas. La nuque raide, elle se força à se calmer et à réfléchir. Fuir, pour aller où ? S'il ne l'avait pas tuée dans l'instant, c'était à cause de la foule. Il ne pouvait pas se permettre de s'en prendre à elle devant autant de témoins. Elle allait donc devoir rester là tant qu'elle n'aurait pas trouvé refuge auprès de gens… La police !

Elle eut soudain l'illumination. Elle allait devoir retourner auprès de la police. Eux sauraient l'aider, la guider, la protéger, lui donner des noms et des adresses d'associations à même de prendre soin d'elle. Elle s'en voulut de sa stupidité. Elle se jeta sur la première cabine téléphonique publique qu’elle trouva.

Julie se retrouva devant le même policier au même poste de police. Elle n’aimait pas se trouver là. L’ambiance glaciale et quelques photos impersonnelles donnaient envie de fuir. L’odeur de cigarette froide la rendait nauséeuse. Elle ne se força pas à sourire, ne voyant pas pourquoi elle devrait faire croire d’apprécier. De plus, la situation ne prêtait absolument pas à rire. Elle s’enferma dans une grimace dégoûtée.

- Vos parents vous cherchent partout, fit remarquer l’homme.

- Ah bon ? s'étonna Julie. Mon père m'a mise à la porte en disant qu'il ne voulait plus rien à voir à faire avec moi.

- Ils tiennent tout de même à vous. Vous ne pouvez pas rester ainsi dans la rue. Il vous faut un toit, de la nourriture…

- J'ai surtout besoin de protection, le coupa Julie.

- Contre qui ?

- Celui qui a tué Emy.

- Doucement ! s'exclama le policier. Nous n'avons aucune preuve que l'homme que vous dites avoir vu a effectivement tué votre amie.

- Si, je l'ai filmé ! s'exclama Julie.

- Pardon ? dit l’homme en bleu en ouvrant de grands yeux. Vous l'avez… quoi ?

- Filmé, répéta Julie. Avec un caméscope. Mon père m’en a offert un il y a six mois pour mon anniversaire. J’ai filmé la scène. On y voit…

- Avez-vous une preuve ? la coupa le policier.

Julie fouilla son sac et en sortit fièrement la cassette VHS. L’agent d’état s’en saisit avec douceur tout en sifflant :

- Vous avez ça sur vous depuis le début ?

- Oui.

- Et vous n’avez pas pensé qu’il fallait nous le signaler ? gronda-t-il mécontent.

Julie serra les dents et s’enfonça dans son siège. Elle avait envie de hurler et de pleurer en même temps. Elle choisit de rester prostrée, muette, immobile.

- Je n’ai pas la moindre idée de ce qu’est ce truc, annonça le policier en secouant la cassette, ni du matériel nécessaire pour l’utiliser. Je crois que Fabien adore ces trucs-là. Il saura me dire. Restez là. Je reviens.

Le policier sortit. Julie se retrouva seule et un frisson parcourut tout son corps. Elle se sentait observée, surveillée, traquée. Elle regarda autour d'elle. Sa raison tenta de calmer ses angoisses. Ne se trouvait-elle pas au beau milieu d'un poste de police ? Certes, elle était seule dans ce bureau clos mais tout de même, des dizaines d'hommes armés en uniforme l'entouraient ! Elle se répéta qu'elle ne risquait rien. Un frisson la reprit malgré tout.

L’homme en bleu revint accompagné d’un second policier. Celui qui devait se nommer Fabien commença à installer le nécessaire pour lire la cassette. En grommelant, il tira quelques fils puis se pencha, faisant apparaître la raie de ses fesses. Julie détourna le regard en soupirant.

- Voulez-vous bien modifier votre déposition afin d'y inclure ce modeste mais pourtant au combien important évènement ? lança le premier policier d'un ton furieux, ramenant Julie à lui.

Julie hocha la tête. Elle ajouta le caméscope tout en omettant toujours le pendentif. Elle ne voulait pas que le policier le lui prenne comme pièce à charge. C'était son unique souvenir d'Emy, la seule chose qui la rattachait à sa meilleure amie décédée. Elle ne voulait le perdre pour rien au monde !

Le policier tapa la nouvelle déposition avec une rage non dissimulée. Julie la signa sans même la relire. Fabien venait juste de terminer son installation. La cassette fut placée et regardée. Julie ne put empêcher une larme de couler en voyant Emy rire et danser le long des quais. Enfin arriva le moment fatal. Les policiers restèrent silencieux pendant la projection. Ils échangèrent un regard rapide puis le policier en charge se tourna vers Julie :

- Si vous voulez bien nous excuser quelques instants.

Ils quittèrent la pièce, la cassette à la main, laissant Julie seule une fois de plus. Elle baissa les yeux. Elle était désemparée. Pourquoi n'avait-elle pas immédiatement donné la vidéo à la police ? Cela aurait facilité les recherches ! Peut-être même auraient-ils pu attraper le meurtrier de sa meilleure amie. Trois jours s’étaient écoulés. Il avait eu tout le temps de partir ! Elle soupira.

Une main prit possession de sa gorge, l'autre de sa bouche. Elle était pourtant seule dans le bureau. La terreur l'emplit, la transperça, lui donna envie de hurler. La main sur sa bouche l'en empêcha. L'autre sur sa gorge serra comme un étau.

- Calme-toi si tu veux respirer.

La voix calme et tranquille résonna à son oreille. Elle reconnut l'homme qui l'avait abordée dans la rue. Elle voulut se débattre, crier, hurler à l'aide. L'air lui manqua. Son cerveau hurla son besoin d'oxygène. Le sens des mots prononcés lui parvint. Elle cessa de lutter. L'air revint par le nez.

Il la maintenait toujours. Elle ne pouvait pas le voir.

- Sors d'ici avant le retour des policiers. Je vais être clair : si tu es toujours là quand ils reviennent, ils meurent tous, par ta faute. Sors maintenant.

Elle était libre. Elle se retourna. Il n'y avait personne. Elle était seule, le bureau vide ne laissait entendre que sa respiration rapide et saccadée. Ses oreilles bourdonnaient des battements violents de son cœur. Les bruits alentours lui parvinrent. Des bruits de pas, des mouvements, l'animation du poste de police. Sortir, elle devait sortir, sinon, il tuerait des gens innocents à cause d'elle.

Elle se leva, paniquée. La main sur la poignée, elle n'osa ouvrir. Allait-on la laisser sortir aussi facilement ? Une hystérique en larmes ne sortirait pas. Elle se força à se calmer, essuya les larmes et appuya sur la clenche. Elle traversa le couloir sans que personne ne l’interpelle. Elle se retrouva dans le hall sans la moindre difficulté. Aucun policier ne s’intéressa à elle.

Ahurie, elle se retrouva debout sur le trottoir. Personne ne l'avait empêchée de s'en aller.

- Monte dans la voiture.

La même voix. Une main dans son dos la poussa doucement. Elle se recula de quelques centimètres, s'opposant à la pression.

- Monte !

La voix s'était faite plus ferme mais ce n'était rien en comparaison de la terreur violente qui venait de traverser Julie. Elle n'avait jamais rien connu de tel. Elle entra dans le véhicule, poussée par cet effroi indescriptible. La voiture démarra. Comment était-il entré aussi vite ?

- Ceinture !

Elle obéit sans attendre. La frayeur l'emplissait, la transperçait, l'empêchait de réfléchir, de penser, de lutter. Elle allait mourir, elle le savait. Il allait l'emmener dans un endroit calme et la tuer. C'était évident.

 

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Une chambre d'hôtel ? Julie ne comprenait pas. Quitte à tuer quelqu'un, elle n'aurait pas choisi une suite aussi luxueuse d'un hôtel cinq étoiles.

Il agit d'abord comme si elle n'était pas là, déposant ses affaires, discutant au téléphone dans différentes langues. Julie resta plantée au milieu de la suite, sans savoir quoi faire, incapable de bouger. À l'entendre, il tentait de rattraper le temps perdu. S'occuper d'elle avait bouleversé son agenda et cela semblait le mettre de fort mauvaise humeur.

Elle voulait lui hurler qu'elle n'y était pour rien, de ne pas la tuer pour cette raison, qu'elle n'avait pas demandé à être là. Elle décida de garder le silence. Le déranger davantage ne ferait qu'empirer les choses.

Elle sursauta quand des coups retentirent. Tout en téléphonant, il ouvrit la porte, prit la housse tendue par une femme de ménage puis lui referma la porte au nez sans lui avoir accordé un mot ou un regard. Il se rendit dans la salle de bain et revint sans l'objet. Il demanda un instant à son interlocuteur, mit sa main sur le micro du téléphone puis annonça d'un ton ferme :

- Tu vas dans la salle de bain. Tu retires ces vêtements immondes. Tu te laves. Tu mets ce qui est dans la housse et tu ressors propre et belle. Je ne supporterai pas qu'on me voit avec une clocharde. Tu as compris ?

Julie hocha la tête. Il reprit sa conversation. Julie regarda la porte de la salle de bain. Elle ne s'était pas lavée depuis quatre jours. De l'eau chaude et du savon faisaient partie de ses rêves quasi constants. Il était étrange de la part de quelqu'un voulant la tuer de lui demander de se laver. Elle comprenait de moins en moins.

Elle se dirigea tout de même vers la salle de bain, dont elle ferma la porte à clef tout en sachant, au fond d'elle, que cela ne l'empêcherait pas d'entrer. Elle se dévêtit puis entra sous la douche et profita de ce merveilleux moment. Enfin propre, elle se sécha, appréciant la chaleur du sèche-cheveux puis se coiffa avec une brosse posée sur le rebord du lavabo et enfin se brossa les dents, se servant du matériel fourni par l’hôtel.

Dans la housse, elle découvrit une robe simple mais dont elle reconnut immédiatement la griffe. Cette robe valait une fortune et elle lui allait à merveilles. La personne qui en avait fait la demande avait parfaitement perçu ses mesures. Des chaussures plates finissaient l'ensemble. Julie eut beau chercher : nulle trace de sous-vêtements. Elle serra les poings. C'était clairement voulu. Elle se sentit nue. Il voulait la déstabiliser et y parvenait totalement.

Lorsqu'elle sortit, tout en téléphonant, il la déshabilla du regard. Il s'attarda sur ses cheveux bruns tombant au milieu de son dos, sur sa poitrine rebondie que sa jeunesse permettait ferme, sur son corps légèrement hâlé, sur ses jambes fines. Enfin, il planta ses yeux bleus dans ceux marron de sa prisonnière. Incapable de soutenir son regard, elle baissa la tête sans que cela ne l'empêchât de le voir sourire.

- Un repas t'attend dans la pièce voisine, précisa-t-il en masquant de nouveau le micro de son téléphone de sa main.

Julie sursauta un instant. De la nourriture ? Elle en rêvait. Ses objectifs la déstabilisaient. Pourquoi la nourrissait-il ?

Elle se rendit tout de même dans la pièce voisine et l'odeur extatique la fit s’asseoir et déguster chaque assiette, raffinée, assaisonnée à merveilles, harmonieuse et aérienne. Le cuisinier était excellent, à n'en pas douter. Julie n'avait jamais rien mangé d'aussi bon, même dans les soirées les plus sophistiquées de son père.

La cuillère utilisée pour le dessert à peine posée, il entra, cette fois sans son téléphone, et annonça :

- On y va.

Julie se leva, soudain angoissée. Où allaient-ils ? Dans un endroit plus calme, sans témoin, pensa-t-elle. Elle le suivit, sachant au plus profond d'elle-même que la fuite était impossible. De tout le trajet à travers les couloirs de l'hôtel, l'ascenseur et le parking, il ne dit pas un mot et Julie fit de même. La voiture dans laquelle il lui fit signe d'entrer dénotait avec le reste du décor : une twingo d'occasion avec quelques rayures et sale.

- Je ne tiens pas à me faire voler ma voiture et vu l'endroit où on va, celle-là ne risquera rien, précisa-t-il sans que Julie ait pourtant posé la moindre question.

Elle s'installa en pensant qu'il l'emmenait donc dans un endroit mal famé. Quitte à la tuer, autant se débarrasser du corps dans un endroit où les meurtres étaient légions. De plus, qui irait croire qu'un homme riche tel que lui puisse avoir assassiné une pauvre fille dans un bouge ? C'était malin de sa part. Julie angoissait. Pourtant, bizarrement, elle était plutôt calme et sereine. Quelque chose dans l'air, comme un parfum rassurant, l'aidait à surmonter ses inquiétudes.

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Lilisa
Posté le 19/11/2023
Hello !

Bon, je sais que je me répète, mais la bonne nouvelle, c’est que c’est ma seule remarque. Alors, disons-le une bonne fois pour toutes et tâchons de l’éviter par la suite: descriptions !!!!!!!!!! Je ne sais pas à quoi ressemble le poste de police ( je n’y suis jamais allée ), je ne sais pas comment il est orienté, s’il est bondé ou vide, dans quelle pièce elle est installée, à quoi ressemble la chambre d’hôtel, etc. Tu sais quoi ? Fais comme si je ne connaissais rien à ce monde et décris-moi tout ce que tu juges nécessaire. Pas besoin non plus de me dire ce qu’est une porte ! Simplement, décris plus de choses parce que là, je suis complètement perdue.

C’est donc ma seule petite remarque, alors je passe au chapitre 8 !
Nathalie
Posté le 19/11/2023
Coucou Lilisa

D'accord, des descriptions. Je vais en rajouter (pourtant je l'ai déjà fait mais il faut me botter le cul comme tu le fais pour en mettre encore plus. Je note). Pour le moment, je retravaille "Prêtresse du mal" avec Loreleï (en rajoutant des descriptions, entre autres). Je reviendrai sur celui-là plus tard.

Encore merci de tes commentaires !
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