Chapitre Sept : La Fête de la Musique
- Baptiste et Clémence devant. Si c’est un mec, c’est toi, et si c’est une fille, c’est toi.
Florian, Ludovic et Sébastien poussèrent les deux meilleurs comédiens du groupe dans le hall du secrétariat et s’élancèrent à leur suite. Ils marchèrent discrètement vers une grosse porte.
- Hey, vous cinq ! Vous allez où comme ça ? appela une voix sèche.
La secrétaire épinglait du regard les cinq adolescents.
- Baptiste ! chuchotèrent quatre voix.
Le jeune homme sentit quatre coudes s’enfoncer dans ses côtes. Il reprit ses esprits et s’avança vers le bureau de la secrétaire en roulant les mécaniques.
- Salut toi…commença-t-il d’une voix suave.
La secrétaire ne répondit pas.
- Est-ce que ton patron est dispo’, ma belle ? demanda Baptiste. On doit le voir pour une affaire très importante.
- Non. Je vous prie de retourner en cours sinon j’appelle le CPE !
- T’as un copain ? continua le jeune homme, en ignorant les paroles de l’employée.
La femme rajuste ses lunettes et le regarda droit dans les yeux. Des yeux bleus très clairs auxquels aucune femme ne pouvait résister. La secrétaire n’y réchappa pas.
- Non, fit-elle, intéressée.
- C’est chouette ça !
Florian, Sébastien, Ludovic et Clémence observaient Baptiste qui prenait peu à peu le contrôle de la jeune secrétaire. Ils étaient stupéfaits.
- Il est drôlement fort, chuchota Florian à l’oreille de Ludovic.
- Je suis très jaloux, confia Sébastien. Il a plus de charmes que moi !
- Et…t’es vraiment certaine que tu ne peux pas m’obtenir un rendez-vous directement avec le Proviseur ? Allez. Pour moi…rien que pour moi…continua Baptiste, de sa voix envoûtante.
- Je ne sais pas…fit la secrétaire, hésitante.
- T’es libre samedi soir ?
- Oui.
- Ben écoute, je te propose qu’on aille en boîte. Je te laisse mon numéro. Okay ?
- Ça marche. Le Proviseur va vous recevoir dans quelques minutes.
Au même moment, alors que les autres membres du groupe restaient bouche bée, la grosse porte s’ouvrit et le Proviseur en sortit.
- Un problème, Cécile ?
- Aucun, Monsieur. Ces jeunes gens veulent vous voir.
- Entrez, fit le vieil homme au groupe.
Baptiste adressa un clin d’œil à la secrétaire et suivit ses amis dans le bureau.
- Clémence ! murmurèrent les quatre garçons.
Comme à Baptiste, les garçons enfoncèrent discrètement leurs coudes dans les côtes de la jeune fille. Aussitôt, Clémence fit un grand sourire au Proviseur.
- Bonjour Monsieur. Nous venons vous voir pour obtenir quelques renseignements au sujet du concert que vous organisez pour la Fête de la Musique.
- Je vous écoute.
- Nous sommes un groupe de rock et nous aimerions participer à ce concert. C’est très important pour nous.
- Vous n’êtes pas le premier groupe qui vient me demander l’autorisation de participer.
- Y’a d’autres groupes de rock dans le bahut ? chuchota Sébastien.
- Apparemment, répondit Florien en grinçant des dents.
- Combien de groupes joueront ce soir-là ? demanda Baptiste, haut.
- Sept.
Clémence ouvrit grand la bouche, surprise.
- Et nous passerions en dernier ? s’inquiéta la jeune fille.
- Nos parents veulent qu’on rentre à 23h00 maximum, mentit Baptiste.
- Je vous le répète, c’est très important pour nous.
- S’il vous plaît Monsieur !
- D’accord. Je peux vous faire passer en troisième.
Le groupe soupira de soulagement.
- Et pour l’organisation, comment on va faire ? demanda Florian.
- C’est vrai ça, admit Clémence. En ce qui concerne les instruments, comment on…
- Il y aura seulement la batterie du premier groupe qui devra être utilisée par les groupes qui suivent. Les autres instruments, c’est au groupe de les apporter, coupa le Proviseur.
- Je refuse ! s’exclama Ludovic. Je refuse de jouer sur une batterie d’un autre ! Je veux la mienne !
- Dans ce cas, vous n’avez qu’à passer en premier, et ce seront les autres groupes qui utiliseront votre batterie.
- Je refuse ! répéta le jeune homme. Je refuse de prêter ma batterie aux imbéciles des autres groupes !
- Alors, vous n’avez pas le choix. Je ne peux rien faire pour vous.
- Ludovic ! Fais un effort ! soufflèrent quatre voix.
- Mais euh…
- Écoutez ! Placez-nous en troisième position, et on s’arrangera de notre côté ! décida Sébastien.
Il n’attendit pas le consentement du Proviseur et poussa le reste du groupe dans le hall du secrétariat. La secrétaire lança des œillades à Baptiste, qui l’ignora totalement.
- Lulu’, on n’a pas le choix ! Tu seras obligé d’utiliser une autre batterie.
- Je refuse !
- Putain, on va pas s’en sortir…soupira Florian.
- Mais ça va changer notre musique ! Ce sera plus le même son ! La batterie, c’est le pilier du groupe !
- On le sait très bien, figure-toi.
- Au pire, tu pourrais démonter tes cymbales et ton charleston pour les remonter sur l’autre batterie, proposa Clémence. C’est pas long à monter, je pense qu’on devrait y arriver.
- Et le reste ? demanda Ludovic.
- Pas la peine d’embarquer tes caisses, c’est pas très important.
- Bon…je veux bien faire un effort si j’ai mes cymbales et mon charleston avec moi.
- Donc, ce problème est réglé, fit Baptiste. Reste à savoir comment on va transporter les guitares et la basse de Séb.
- Bah, on n’a qu’à prendre le métro, lança Sébastien. Au moins, quand on sort de la rame, on est directement au concert.
Le groupe resta muet devant l’idée géniale du jeune homme.
- Super !
- Attendez ! On a oublié de demander un truc !
Florian entra à nouveau dans le bureau du Proviseur, sans frapper à la porte.
- M’sieur, on a droit de jouer combien de morceaux ?
- Deux.
- Deux ? s’étrangla Florian.
- C’est tout ? demanda Sébastien d’une voix aiguë.
- Attendez, vous pouvez pas nous ordonner de jouer seulement deux morceaux, c’est pas possible.
- Baptiste a raison. On a beaucoup de choses à exprimer à travers nos chansons. Deux morceaux, c’est pas assez.
- Deux, répéta le Proviseur. Je ne reviendrai pas là-dessus.
- Bon, fit Florian. Au revoir Monsieur, et n’oubliez pas de nous inscrire en troisième position.
- Nom du groupe ?
- Euh…pour le moment, marquez Le Groupe de Florian, on verra ça plus tard, assura Ludovic. C’est juste un nom provisoire.
Florian foudroya Ludovic du regard. Une fois que le groupe fut ressortit du bureau, il saisit le jeune homme par le T-shirt.
- Mais t’es con ou quoi Lulu’ ?! Le Groupe de Florian ! T’avais pas une idée plus originale pour un nom provisoire ?!
- C’est le premier truc qui m’est passé par la tête ! Et lâche mon T-shirt, tu es en train de le déformer !
- Bon, on ne va pas se disputer quand même, s’inquiéta Sébastien.
- Non, bien sûr que non, firent Ludovic et Florian, tout sourire.
Le groupe quitta le secrétariat pour se rendre dans la Cour Blanche.
- Les gars, faut qu’on s’organise, lança Clémence.
- Bon, je suppose que tu peux toujours pas te libérer les mercredis et samedis après-midi ?
- Non. Mais répétez sans moi. Je viendrais le samedi après mon cours, et tous les soirs de la semaine si vous le voulez.
- Tiens, nargua Baptiste, je croyais que tu avais cours de saxophone, de flûte traversière, de contrebasse et de clavecin les soirs de la semaine…
- Bah oui, mais je peux bien sécher exceptionnellement ces cours-là.
- On peut aussi répéter le dimanche ensemble, proposa Florian.
- Oui, confirma Clémence, mais je ne serai pas disponible le dimanche qui arrive.
Les quatre jeunes hommes la regardèrent, craintifs.
- Et qu’est-ce que tu fais cette fois-ci ? demanda Sébastien.
- Je suis obligée de jouer dans l’orchestre de mes parents.
- Ils organisent un concert ?
- Oui.
- Au top ! On viendra te soutenir ! s’exclama Baptiste.
- Je doute que ça vous plaise. Nous jouons dans une maison de retraite.
- Je refuse ! hurla Ludovic. Je refuse d’aller voir un concert où Clémence participe si je dois être entouré de mamies et de papis !
- Moi non plus, ça me tente pas d’aller voir un concert pour personnes âgées, fit Florian.
- C’est clair. Ils sont chiants les vieux, en plus ! Nous, notre Mamie Fernande, elle a 90 ans et elle conduit encore sa voiture, commentèrent les deux frères. Elle n’arrête pas de se prendre des contraventions parce qu’elle n’attache jamais sa ceinture. Et comme elle ne peut pas payer, c’est notre père qui doit banquer, et ça le fait disputer avec Maman. Vous pouvez voir à quel point elle fout la merde, Mamie Fernande…
- C’est pas que votre Mamie Fernande ne m’intéresse pas (au contraire, la dernière fois que je l’ai vue elle m’a donnée cinq euros sous prétexte que j’étais un ange), mais quels morceaux allons-nous jouer ? demanda Clémence. Il faut faire un choix parmi la flopée de textes que Flo’ a pondu !
Les membres du groupe scrutèrent Florian, comme si le choix dépendait de lui.
- Quoi ? C’est à nous de décider, pas juste à moi ! On est un groupe, les mecs !
- Je suis une fille, précisa Clémence.
- C’est pareil, fit Ludovic.
- J’aimerai bien qu’on joue Plaisirs Solitaires, proposa timidement Sébastien.
- Ah ouais, celle-là, elle est indispensable ! s’exclama Baptiste.
- Va pour Plaisirs Solitaires. Second morceau ?
- Je pensais qu’on jouerait la chanson que tu avais écrit pour Alex, lança l’unique fille du groupe.
- C’est vrai, admit Florian. Je voulais aussi, mais si vous voulez autre chose, ça me dérangera pas du tout.
- Nan, nan, nous on veut celle-là aussi ; elle est originale.
- Bon…l’organisation est terminée non ? demanda Sébastien naïvement.
Ludovic hocha la tête.
- Bon, qu’est-ce qu’on fait maintenant ? On retourne en cours ? interrogea Clémence.
- Bah, si c’est pour se faire virer, ça sert à rien ! Ça vous dirait qu’on aille boire un truc bien frais en ville ? proposa Florian.
L’idée fut adoptée par la totalité du groupe. Ils sortirent donc en douce du lycée pour aller se réfugier sur la terrasse d’un petit café pas très loin de leur établissement.
- Vous vous rendez compte qu’on va jouer devant un public ? lança Sébastien, émerveillé.
- Ouais, dirent le reste du groupe pour seule réponse.
- Ça vous fait pas bizarre ? demanda à nouveau le jeune homme.
- Moi, non, fit Clémence, en sirotant sa grenadine.
- Ouais, mais toi, tu as l’habitude.
- Le Petit Sébastien appréhende sa première scène, nargua Ludovic.
- Non, riposta l’intéressé. Et je suis pas petit d’abord !
- Oh arrête, tu fais deux têtes de moins que Ludovic ! s’exclama Florian.
- Ouais, mais Ludo’, il fait un mètre 90 !
- Non, corrigea le concerné, un mètre 87.
- C’est pareil ! Moi, je fais un mètre 66 !
- Tu mesures pareil qu’une fille Séb !
- Non !
- Si !
- Arrêtez, c’est pas marrant ! s’écria Baptiste.
Son ordre était si sec qu’il fit taire l’ensemble du groupe. Baptiste avait un très mauvais caractère, peut-être même plus que Florian. Lorsqu’il éclatait, rien ne pouvait l’arrêter.
- Si Sébastien est plus petit que nous, c’est parce qu’il est né prématurément. Et ça n’a rien de drôle.
Sébastien s’étouffa avec son Ice Tea qu’il était en train de boire.
- Quoi ?! couina-t-il avec une petite voix aiguë.
- T’es né deux mois et demi avant terme. C’est pour ça que tu es plus petit que nous, et que tu tombes facilement malade l’hiver.
- Deux mois et demi ? répéta Clémence, interloquée.
- Et pourquoi je le savais pas ? demanda Sébastien, visiblement en colère. Pourquoi je dois l’apprendre 17 ans plus tard, hein ?
Baptiste haussa les épaules.
- Tu crois que c’était à moi de te l’annoncer ? Tu me prends pour qui ? Pour ton père peut-être ? Tu crois que ça me fait plaisir de m’occuper de toi comme si j’étais tes parents ? Je commence à en avoir ras le cul moi !
- Mais…
- Séb, t’as un grand frère génial sur qui tu peux compter, coupa Florian. C’est vrai qu’il a d’autres responsabilités, mais s’il s’occupe de toi comme ça, c’est parce qu’il t’aime beaucoup.
- Ce qui me blesse surtout, c’est que mes parents ne m’ont jamais rien dit.
- Oh allez, tu t’en fous ! s’exclama joyeusement Ludovic en prenant Sébastien dans ses bras.
Le jeune homme, surpris, rougit jusqu’aux oreilles.
- Lulu’ ! Tu es en train de le traumatiser ! reprocha Clémence en tirant sur la chemise de Sébastien pour l’attirer vers elle.
- Bah quoi ? demanda Ludovic, qui ne comprenait pas et qui ne lâchait pas le jeune homme.
- Y’a tout le monde qui nous regarde, souffla Sébastien, gêné.
- Mon dieu, j’le crois pas ! Les gens de nos jours…
Ludovic se décida enfin de lâcher Sébastien, et ce dernier en profita pour se blottir dans les bras de Clémence.
- Et au fait Séb, ça fait deux mois que tu ne nous parles plus d’Alysson…commença Florian.
- Quoi ?
- Bah, Alysson, tu sais bien…
- Qui ?
- Alysson, ta petite amie.
Baptiste se mit à rire, tout en se balançant sur sa chaise. S’il y’en était un qui avait une humeur changeante, c’était bien lui.
- Alysson, elle l’a quitté une semaine après ton arrivée Flo’. Il ne s’en rappelle même plus. L’est pas croyable Sébastien.
- Ah…
- Maintenant, c’est Alice.
- Youhou ! chantonna Ludovic.
- Elle est belle, Alice, expliqua Sébastien à Florian.
- En tout cas, elle est conne, rajouta franchement Clémence.
- C’est vrai, mais de toutes façons, je compte la plaquer pour ressortir avec mon ex. Tu sais, Stéphanie. Mais avant, je profite un peu d’Alice.
- Ah oui, Stéphanie, je m’en souviens, fit Ludovic.
- C’est qui Stéphanie ? demanda Florian.
- Une pauvre fille que Sébastien s’amuse à faire souffrir.
- C’est pas vrai ! grommela le jeune homme, vexé.
- Si, c’est vrai ! Ça fait trois fois que tu ressors avec elle !
- C’est parce qu’elle dégage des atouts qu’elle n’a pas la fois précédente.
- Sans déconner ? railla Baptiste.
- Bon, au lieu de m’embêter, file-moi une clope ! s’écria Sébastien, la main tendue vers son frère.
L’après-midi. Baptiste et Sébastien se trouvaient dans leur cabanon. Sébastien était encore irrité contre ses parents.
- Bon, fit Baptiste en prenant sa guitare, c’est quand tu veux.
Au moment où le jeune homme allait répondre, leur père entra dans le cabanon sans frapper.
- Vous deux, j’ai deux mots à vous dire, dit-il d’une voix sévère.
Sébastien et Baptiste haussèrent les sourcils.
- On vient de recevoir vos bulletins. 29 absences non-justifiés, « ne fout rien en classe », « bavardages », « s’amuse », « se fiche de la tête du monde », « n’aura pas son Bac »…
- Mais encore ?
- Tu te fous de moi Baptiste ?!
- Nan, pas du tout. P’pa, tu vois pas que tu déranges là ? On n’a pas que ça à faire d’écouter tes conneries à longueur de journées.
- Répète un peu, pour voir.
- Okay, je vais abréger : dégage.
Le père resta interdit. Baptiste, au contraire, continua à hausser la voix.
- Putain, mais t’es sourd ou quoi ? Dégage ! Qu’est-ce que t’en as à faire de nos études, hein ? C’est bien la première fois que tu regardes nos bulletins ! Maintenant, c’est bon, fiche-nous la paix et dégage, on est en pleine répétition !
Il poussa son père dehors et claqua la porte derrière lui.
- Putain, fais chier ! Merde à la fin !
Baptiste s’approcha de Sébastien, qui n’avait toujours rien dit jusque là. Le voyant gêné, il se radoucit et lui embrassa la tempe.
- Allez Séb, t’inquiètes pas, murmura-t-il en lui ébouriffant les cheveux.
- On s’y met ? répondit son jeune frère pour seule réponse.
- Ouais.
- Je commence alors !
Sébastien prit un air sérieux et commença à gratter les cordes de sa basse. Baptiste l’accompagna tout en se balançant sur ses deux pieds au même rythme que sa guitare.
- Stop ! lança Baptiste, dix minutes plus tard.
- Quoi ? demanda son frère, étonné de s’arrêter en si bon chemin.
- Je veux jouer autre chose.
- Et les répétitions ?
- C’est pas grave, c’est rattrapable. Je veux jouer du hard pour me défouler.
- Ça marche pour du hard.
Quelques instants après, la musique avait totalement changé de registre et les voisins regrettaient de ne pas avoir acheté un appartement en centre-ville…
Le soir. Florian était allongé sur le canapé, la tête renversée, touchant presque le tapis. Dans cette position, il essayait de regarder la télévision.
- Florian, j’ai à te parler.
Sa mère venait d’arriver dans le salon et avait éteint la télé bien avant qu’il puisse dire quoique ce soit. Debout et face à lui, elle l’observa relever sa tête pour la poser sur un coussin. Il restait allongé et ne lui répondait pas.
- J’aimerai qu’on parle de toi.
- De moi ? T’en as pas marre de parler de moi ?
- De ton comportement.
- De mon comportement ?
- Tu sèches les cours.
- Je sais, répondit le jeune homme, d’un ton très calme.
- Stop ! Florian, arrête ! J’en ai marre !
- Moi aussi, j’en ai marre, qu’est-ce que tu crois ? T’as qu’à aller au bar ce soir, comme ça tu me foutras la paix !
- J’aimerai que tu me respectes ! s’écria sa mère, à la limite de verser des larmes.
- Et toi, tu me respectes peut-être ?
Elle se raidit et, de fureur, gifla son fils. Florian la foudroya du regard avant de se lever et de prendre le chemin de sa chambre. Après avoir plongé sur son lit, il se mit à pleurer.
- Mais quel con, mais quel con je fais !
Il saisit son téléphone portable et composa le numéro de Ludovic.
- Mais quel con, mais quel con tu fais ! répondit ce dernier en guise d’accueil.
- Hein ?
- Je suis certain que tu t’es disputé avec ta mère.
- Elle m’a giflé.
- Et pourquoi elle t’a giflé ?
- Je l’ai provoquée.
- J’en étais sûr. Putain Florian, qu’est-ce qu’il t’a pris ? L’Angleterre te manque tant que ça ?
- Je ne veux plus vivre ici. Je commence à craquer Ludovic, tu comprends.
- Non.
- Bon…tu crois que Clémence sera d’accord si je l’appelle pour lui demander si je peux dormir chez elle ?
- La connaissant, elle ne voudra pas.
- Non, faut juste que je trouve le moyen de la convaincre. Être à ses pieds, ça ne lui suffit pas apparemment.
- Mec, je dois te laisser. J’ai ma pause zen à faire et je dois appeler Thierry pour lui proposer un rendez-vous ! Ciao !
Ludovic raccrocha au nez d’un Florian médusé.
- Bon okay. Super le copain.
Le jeune homme soupira. Il se leva de son lit et s’assit face à son bureau. Il ouvrit son bloc-note, sortit une feuille de brouillon sur laquelle il avait déjà griffonné quelques paroles, et recopia silencieusement son texte au propre.
Déjà trente minutes que tu parles
Que tu me dis que tout va mal
Encore une fois
Ma façon de le supporter
C’est de partir sans t’écouter
Mais on ne se comprend pas
C’est un combat entre ton cœur et le mien
Je te l’ai dit cent fois, ça sert à rien
C’est un combat entre ton cœur et le mien
Qui gagnera cette fois ? Je n’en sais rien
Tu notes le moindre de mes gestes
Pour me dire que tu les détestes
On en est là
Mais tu vois ça ne m’amuse plus
Je ne vois que du temps perdu
Ça nous apporte quoi ?
C’est un combat entre ton cœur et le mien
Je te l’ai dit cent fois, ça sert à rien
C’est un combat entre ton cœur et le mien
Qui gagnera cette fois ? Je n’en sais rien
C’est un combat entre ton cœur et le mien
J’ai l’impression que ça te fait du bien
C’est un combat entre ton cœur et le mien
Je te l’ai dit cent fois, ça sert à rien
C’est un combat entre ton cœur et le mien
Qui gagnera cette fois ? Je n’en sais rien
C’est un combat entre ton cœur et le mien
Je te l’ai dit cent fois, ça sert à rien
Ohohohoh
C’est un combat entre ton cœur et le mien
Ohohohoh
Qui gagnera cette fois ? Je n’en sais rien
…
- Ça sert à rien !
Clémence battit rageusement les dernières mesures du morceau. Derrière la batterie de Ludovic, elle transpirait à grosses gouttes. Florian se laissa tomber sur la pile de coussins, épuisé, essoufflé et ruisselant. Baptiste et Ludovic ôtèrent doucement leurs guitares pour les reposer sur le sol.
- Putain, chuis crevé.
- Séb, passe-moi la bouteille d’eau.
- Attends ! railla ce dernier. Moi d’abord !
- Vous voulez que je vous dise ? lança Baptiste en ouvrant les fenêtres pour laisser entrer l’air frais. Ça, c’était un super morceau.
- Au passage, bravo Clémence, applaudit Ludovic.
La jeune fille n’entendit pas ; elle avait encore ses boules Quiès dans les oreilles. Elle les quitta, se leva silencieusement et alla rejoindre Florian sur les coussins. Le jeune homme était sur le point de s’endormir.
- Floflo’, on s’endort pas ! s’écria Baptiste en grattant rageusement les cordes de sa guitare.
- Tu m’énerves !
- Je sais.
- Et d’abord, j’aime pas quand on m’appelle Floflo’.
- On le sait aussi, mais on le dit juste parce que ça t’énerve.
- Je dois y aller, fit soudainement Clémence. Mes parents m’attendent pour la répétition.
- Encore une répét’ ? s’étonna Sébastien.
- Oui, pour le concert de dimanche.
- Ah oui, chez les vieux.
- On dit « chez les retraités » Ludovic, corrigea la jeune fille.
- C’est pareil.
Le silence régna quelques instants au sein du groupe. Clémence se leva et en profita pour voler la précieuse bouteille d’eau.
- Puis-je espérer vous voir à ce concert, dimanche ? demanda-t-elle après voir bu la moitié de la bouteille.
- Non, répondirent quatre voix en cœur.
- D’accord, je vais y aller alors. À bientôt les mecs ! lança Clémence en sortant du cabanon.
- À bientôt Clém’ !
- Travaille bien, rajouta Florian.
Un seul membre du groupe manqua à sa parole et se rendit à la maison de retraite pour voir Clémence jouer. C’était Florian. Il s’était frayé un chemin entre les « mamies » et les « papis » de l’établissement où se produisait la jeune fille. Il l’avait ensuite trouvée assise face à son piano en train de chanter un air qu’il lui connaissait bien.
- Je prends la vie comme elle va, comme elle vient…
- Elle chante bien n’est-ce pas ? demanda une grand-mère, assise près de Florian.
- Oui, c’est vrai, admit le jeune homme.
- Sans trop penser à ce qui viendra demain…
- Elle a une belle voix…
- Oui, oui…
- Je prends la vie comme elle va, comme elle vient…
- J’ai une petite fille qui est aussi belle que celle qui joue du piano.
- Vraiment ? railla Florian, lassé des radotages de la vieille femme et certain que Clémence était la plus belle adolescente du Tout-Lyon.
- Jour après jour, sans me lasser de rien…
- Jeune homme, vous me servez de l’eau ?
Le jeune homme ignora totalement la réplique de la retraitée et fixa Clémence qui venait de finir son morceau. Il lui fit de grands signes de la main, laissant sous-entendre qu’elle devait quitter le concert au plus vite, auxquelles elle répondit par un non de la tête.
- Roh allez Clémence ! marmonna-t-il en lui montrant à la fois sa montre et la porte.
La jeune fille se décida à quitter son piano après avoir touché discrètement quelques mots à ses parents.
- Flo’, qu’est-ce que tu veux ?
- Ramène ta fraise, on a une répétition avec le groupe !
- Oh non !
- Oh si !
- Tu chantes très bien, tu joues très bien, y’a même des mémés qui sont jalouses de toi, mais faut absolument que tu viennes ! Tu peux pas nous laisser tomber !
Il n’en dit pas plus. Clémence avait déjà saisi son sac et courait en direction de la sortie. Florian fit un sourire diabolique, fier de voir que son plan marchait impeccablement. Il n’y avait aucune répétition avec le groupe, ce jour-là. Baptiste, Sébastien et Ludovic se reposaient chacun de leurs côtés. Il rattrapa la jeune fille et la prit par la taille.
- Je t’ai menti ; y’a pas de répét’.
- Hein ?
- C’était juste pour passer du temps avec toi…
- Non mais t’es pas croyable toi !
- Je sais. Je t’amène où ?
- Au parc…comme avant, se radoucit Clémence en se laissant emmener.
Quelques semaines avaient passé. Baptiste, Sébastien, Ludovic et Clémence avaient partagé leurs emplois du temps entre les révisions et les répétitions. Le Bac était vite arrivé et ils avaient planché tous les quatre sur une copie durant une semaine entière. L’examen passé, ils se consacrèrent, avec Florian, entièrement aux répétitions du concert de la Fête de la Musique. Et le fameux soir du 21 juin pointa très vite son nez…
- Pardon !
- Poussez-vous !
- Excusez-moi !
- Laissez-nous un peu de place bordel de merde !
- Calme-toi Baptiste.
- Nan, mais ça me saoule ça !
Le groupe venait d’entrer dans la rame du métro qui devait les amener à leur concert. Ils étaient tous très chargés et peu de voyageurs leur faisaient de la place pour qu’ils puissent poser leurs instruments. Baptiste et Sébastien portaient chacun une grande mallette contenant leur guitare et leur basse respectives. Ludovic tenait son fidèle charleston d’une main et toutes ses cymbales dans l’autre. Pour finir, il retenait ses baguettes grâce ses dents. Clémence n’était pas épargnée. Elle portait deux mallettes. L’une contenait sa guitare, l’autre un xylophone repêché dans son grenier.
- Attends, je vais te porter ta guitare, proposa Florian à la jeune fille.
- Floflo’ joue le gentleman.
- Ce qui est tout à fait normal mon cher Sébastien.
- Et tu pourrais pas être un peu plus gentleman avec moi ? demanda Ludovic. J’ai des crampes aux deux mains.
- T’as qu’à mettre deux ou trois de tes cymbales dans mon sac. Mais fais attention aux bouteilles d’eau.
- Okay, chef.
Florian lui présenta son sac à dos et Ludovic cala son charleston entre Baptiste et Sébastien pour pouvoir remplir le sac de quelques cymbales.
- Si vous bougez ou si vous le laissez tomber, je vous tue, menaça le jeune homme aux deux frères, qui pâlirent aussitôt.
- Tu arriveras à porter tout ça Florian ? demanda Clémence. Tu vas te détruire le dos.
- Mais non, t’inquiètes pas.
- Hey les gars, la prochaine sortie, c’est la nôtre ! prévint Baptiste.
- Faut qu’on se prépare à décamper.
- Ouais.
- J’espère que Alex sera là. Elle m’a dit qu’elle essayerait de venir, mais elle était pas très sûre.
- Panique pas Floflo’. Je suis certain qu’elle sera au premier rang ! rassura Sébastien.
- On est arrivé ! lança Ludovic.
Le jeune homme aida Florian à mettre le sac sur son dos, saisit son charleston et suivit le reste du groupe sur le quai.
- Grouillez-vous, on est en retard ! pressa Clémence.
Ils sortirent tant bien que mal de la station de métro et se retrouvèrent devant une scène, et pas n’importe laquelle. Leur première scène. Là, Alex les attendait.
- Alex, ma chérie ! s’exclama Florian en prenant la jeune fille dans ses bras. J’ai cru que tu ne viendrais jamais !
- J’ai réussi à me libérer.
- Super, super, super !
- Quelque chose me dit que si Alex avait été plus âgée et que si tu n’existais pas, notre Floflo’ national serait sorti avec elle…murmura Sébastien à l’oreille de Clémence.
- Ah ça, c’est certain…approuva l’intéressée.
- Mon Dieu, le groupe qui se produit en ce moment sur scène est vraiment naze, s’exclama Ludovic, les mains sur les hanches.
- C’est vrai, c’est pourri, admit Baptiste.
Pendant qu’ils discutaient de l’expérience du groupe qui se produisait, Florian avait pris Alex à part.
- Écoute Al’.
- Al’ ? C’est nouveau ça.
- Bon, Alex.
- Oui ?
- Tu vas aller t’asseoir dans le public et tu vas attendre qu’on passe. Dès qu’on aura terminé, tu pourras partir librement. D’accord ?
- D’accord, répondit sagement la jeune fille.
Elle chercha une place à l’arrière du public, mais Florian la rattrapa à nouveau.
- Hey ! Tu vas pas t’asseoir au premier rang ?
- Bouffon ! Tu vois pas que y’a plus de places libres devant ?!
- Attends, je m’occupe de ça.
Florian s’approcha d’un homme âgé d’une vingtaine d’années et qui était assis devant la scène.
- Hey toi ! Ouais, c’est bien à toi que je parle, minus ! Dégage de là, y’a ma copine qui va s’y mettre.
Le jeune homme resta interdit. Son agresseur fronça les sourcils.
- T’es sourd ou quoi ? Dégage !
Florian fit tomber sa victime de la chaise et fit signe à Alex de s’y asseoir. La jeune fille s’exécuta, bien qu’un peu confuse.
- Et maintenant, tu bouges plus d’un pouce ! ordonna le rebelle en s’éloignant pour rejoindre le reste du groupe.
- Ah, te revoilà ! s’exclama joyeusement Sébastien.
- Oui, je casais juste Alex.
- C’est à nous dans deux minutes, prévint Clémence.
- Ok. Motivés les gars.
- Regardez les mecs, s’exclama Baptiste, le nez vers le ciel. On dirait qu’il va pleuvoir !
- Non !
- Non !
- Non !
- Non !
- S’il pleut, on est foutu !
- Ça va, on peut jouer quand même, risqua timidement Sébastien.
- T’es malade !
- C’est trop dangereux avec les instruments électriques, expliqua Clémence.
- Moi, je crains rien ! Nanananèreuh !
- Ludo’, ta gueule.
- Mon dieu, faites qu’il ne pleuve pas ! pria Florian.
Lorsque le groupe sur scène termina de jouer leurs morceaux, Le Groupe de Florian se hâta de le virer du plateau. Ensuite, ils se pressèrent de brancher leurs instruments. Florian aida Ludovic à monter ses cymbales sur la batterie pendant que Clémence, Baptiste et Sébastien relièrent leurs guitares et basse aux prises électriques. Ensuite, la jeune fille monta son xylophone et secourut Florian pour régler les microphones. Quand les bouteilles d’eau furent sorties et placées à côté des musiciens, le groupe put enfin commencer ce qui le faisait tant rêver depuis plusieurs mois.
- Bonsoir à tous ! lança joyeusement Florian dans le micro.
Des cris et des applaudissements lui répondirent.
- Je vous souhaite de passer un bon moment avec nous. Aujourd’hui, c’est la Fête de la Musique, et on en profite ! On espère aussi que le temps sera clément avec nous.
Il fit un grand sourire séducteur aux filles présentes dans le public.
- C’est pas que…mais je tiens beaucoup à mon bassiste et à mes guitaristes. Mais oui Lulu’, je t’aime aussi, t’inquiètes pas.
- Bon, hurla Ludovic derrière sa batterie, si tu m’aimes un tant soit peu, on pourrait peut-être commencer !
- Bah ouais, c’est quand tu veux.
- Un, deux, un, deux, trois, quatre !
Un silence pesa un instant que la scène, jusqu’à ce que Baptiste gratta ses cordes, très doucement. Un son à peine audible se fit entendre. Et Florian chanta. Il chanta d’une voix très claire. Le public était comme envoûté. Soudain, la grosse caisse et les cymbales de Ludovic résonnèrent dans l’air et Florian éclata comme un obus.
- Alors va te faire !
- Wowowo…chantonnèrent Baptiste et Clémence.
Durant le jeu musical, Florian faisait le fou sur la scène. Il était déchaîné. Baptiste faisait tourner sa guitare d’une façon très expérimentée. Clémence et Sébastien s’agitaient eux aussi de gauche à droite. Quant à Ludovic, il bougeait la tête tellement vite que personne ne pouvait retrouver les endroits où se situaient sa bouche, ses yeux et son nez ! Comme prévu, une dame âgée sortit du métro au moment où Baptiste joua un « truc qui déchire ». Elle en fut traumatisée, mais n’en mourut point.
- Je préfère encore mes plaisirs solitaires !
Florian s’arrêta, essoufflé. Le public applaudissait très fort, et Alex était sans doute celle qui faisait le plus de bruit. Les membres du groupe firent une rapide pause, profitant ainsi de boire la plus grande quantité d’eau qu’ils le pouvaient. Clémence déposa sa guitare et fit face à son xylophone, baguettes en main. Lorsque son micro fut enfin réglé, elle fit un signe de tête à Florian, qui s’assit sur le bord de la scène, devant Alex.
- La prochaine chanson, je l’ai écrite pour une jeune fille à qui je tiens énormément… Il y’avait un temps où elle était très triste…mais j’espère que je lui aurais apporté un petit peu de bonheur dans sa vie. Donc, cette chanson, c’est pour elle, et le groupe entier la lui dédicace.
Ce furent Clémence et Baptiste qui marquèrent les premières notes. Après un temps, le reste du groupe les suivirent.
- Pourquoi tu pleures ? demanda Florian. - Tu ne peux pas comprendre, répondit la musicienne. - Pourquoi tu pleures ? - J’ai besoin qu'on m’entende
Le public, surprit par l’originalité de la chanson, écouta très attentivement les paroles.
- Elle a besoin d'exprimer ses peines, Elle a seulement besoin qu'on la soutienne Elle a envie d'être quelqu'un d'autre Elle a l'impression que c'est de sa faute
Si le monde tourne sans regarder Comme une ronde qui l'aurait oubliée
Quant à Alex, Florian la voyait qui tremblotait un peu. Il soupçonna qu’elle allait se mettre à pleurer dans quelques instants.
- Pourquoi tu pleures ? - J’aimerais me sentir belle - Pourquoi tu pleures ? - Y’a personne qui m'appelle
Petit à petit, plusieurs bras dans le public se levèrent, et firent jaillir les flammes des briquets pour accompagner Florian et son groupe.
- Elle a des milliers de rêves en tête Elle voit d'autres ciels à sa fenêtre Elle est comme toutes les autres à son âge Elle voit trop de princes qui sont de passage
Et qui l'aiment sans poser de questions
Qui promettent et qui oublient son nom
- Pourquoi tu pleures ? - Parfois je me déteste - Pourquoi tu pleures ? - C’est tout ce qu’il me reste
- Et tu pleures mais c'est chacun son tour
On a tous été seul un jour Tu es belle de ce que tu feras Le bonheur ne s'achète pas
Ça y’est. Alex pleurait.
- Pourquoi tu pleures ? Na, na, na, na, na, na, na Pourquoi tu pleures ? Ta da la la la la...
Pourquoi tu pleures? Na, na, na, na, na, na, na Pourquoi tu pleures? Ta da la la la la...
Les flammes de chaque briquet devenaient de plus en plus faible… Clémence marqua les dernières notes et, très vite, le silence retomba presque entièrement sur la scène.
- Pourquoi tu pleures ?
Et bientôt, les briquets s’éteignirent et laissa la place aux applaudissements et aux hurlements. Florian baissa la tête, Clémence rattacha ses cheveux, Ludovic ôta ses boules Quiès de ses oreilles, et Baptiste topa dans la main de son frère. Le groupe remercia chaudement leur public et désinstallèrent rapidement leur matériel avant de quitter promptement la scène.
- Excusez-moi…appela une voix derrière eux.
Le groupe se retourna et vit un homme âgé d’une trentaine d’années et qui s’avançait dans leur direction.
- Je voudrais vous féliciter pour le spectacle que vous avez donné.
- Oh, c’était pas nous, expliqua Baptiste. C’est le bahut qui…
- Mais ce que vous avez fait était vraiment très bien. On aurait presque cru voir des professionnels et des passionnés.
- Mais nous sommes des professionnels et des passionnés, riposta sèchement Clémence, dont les défauts reprenaient le dessus, au point de s’emmêler dans ses tournures de phrases. Nous mettons beaucoup de nous-même lorsque nous écrivons, nous composons, et nous jouons.
- C’est pour cela que je viens vous parler. Je travaille pour une maison de disques et je suis à la recherche de jeunes talents. Je dois vous avouer que j’ai été complètement séduit par vos chansons et votre style de musique, qui plairait certainement à mon patron. Et il est vrai qu’on voit que vous jouez pour le plaisir, et vous faites ça très bien.
- Merci, répondit le groupe, gêné.
- J’aimerai savoir si vous êtes intéressé pour enregistrer quelques maquettes, avant un enregistrement d’un album en studio si vous le désirez.
Les cinq adolescents restèrent muets, trop secoués par la proposition et l’occasion en or qui se présentaient à eux. Baptiste fut le premier à réagir.
- Ce serait une joie pour nous, mais nous n’avons pas le matériel nécessaire pour enregistrer des maquettes.
- C’est pas un problème, confia le « recruteur ». Je peux vous le prêter.
- Au top, c’est cool ça, s’exclama Sébastien. Vous en pensez quoi les gars ?
- C’est génial, admit Florian. Génial et surtout inattendu.
- On tente l’expérience alors ? demanda Clémence.
- Ouais ! s’exclamèrent les membres du groupe.
- Florian ! appela une petite voix au loin.
L’interpellé se retourna et vit Alex qui courait dans sa direction. Lorsqu’elle fut près de lui, elle tira trois grandes et épaisses enveloppes de son sac à dos et les lui tendit.
- C’est mes histoires. Comme ça, tu pourras les lire et me dire ce que tu en penses.
- Tout ça ?! s’interloqua le jeune homme.
- Oui, tout ça. Je pense que tu te reconnaîtras à certains passages. Tu te moqueras pas de moi, hein ? Promis ?
- Non, ma puce. Promis, juré, craché, croix de bois, croix de fer, si je mens, je vais en Enfer. Juré sur la tête à Clémence.
- Hey ! s’indigna la concernée.
- D’accord, fit Alex. Je ne te reverrai plus ?
- Non, nous partons définitivement de Lyon.
La jeune fille baissa tristement la tête. Soudain, elle la releva pour lancer des regards remplis d’espoir à Florian.
- Tu penseras à moi ?
- Oui, ma chérie.
- Tu m’oublieras pas ?
- Non, Alex.
- C’est vrai ?
- Mais bien sûr que c’est vrai, s’exclama le jeune homme en la serrant fort dans ses bras.
- Bon. D’accord. En tout cas, bravo. Vous avez été géniaux. Et merci pour tout ce que vous avez fait pour moi. La chanson était magnifique.
- Merci à toi aussi, répondit le groupe.
- Bon…je vais y aller alors. Il est tard.
- Attends ! s’écria Florian. File-moi ton numéro de portable !
Alex s’exécuta, puis lui demanda timidement le sien. Florian sortit alors son stylo bic de sa poche et écrivit ses coordonnées sur la paume de la jeune fille.
- Tu le donnes à personne, d’accord ? C’est personnel.
- D’accord.
- Et je t’interdis de fréquenter un mec.
- D’accord.
C’est alors qu’Alex se remit à pleurer pour la seconde fois de la soirée. Florian la reprit encore dans ses bras et couvrit son visage de baisers et de caresses. Leurs adieux furent déchirants. Alex ne voulait pas que le jeune homme la laisse seule et sans soutien à Lyon. Quelques longues minutes après leurs étreintes, elle se détacha de Florian et alla dire « au revoir » aux autres membres du groupe. Elle fit la bise à Clémence, esquiva les lèvres trop rapprochées de Sébastien et obligea Baptiste à se baisser pour qu’elle puisse atteindre sa joue. Lorsqu’elle s’arrêta devant Ludovic, qui lui paraissait semblable au Mont Everest, elle leva la tête pour le considérer gravement.
- Ludovic, je dois reconnaître que tu as de beaux yeux. Tu portes des lentilles de couleur ? demanda-t-elle naïvement.
Ludovic ne répondit pas et fixa dangereusement Florian avant d’éclater comme un obus.
- Traître ! Connard ! Salaud ! Pédé ! T’étais mon meilleur pote et t’as trahi mon secret ! Je te hais !
- Hey ! Calme-toi mon mignon ! riposta le jeune homme, amusé. Elle a deviné toute seule ! Je le jure sur sa tête.
- C’est vrai, admit Alex, en imitant Florian.
Clémence sourit, elle aussi amusée.
- Ludovic, dit-elle, ça ne sert à rien de t’énerver et de t’en prendre à notre Floflo’ National. Alex plaisantait, c’est tout. De toutes façons, elle sait bien que tes lentilles ne sont pas colorées, et que tes yeux ont vraiment cette couleur.
- J’ai quand même droit à un bisou ? demanda la petite Alex.
- Évidemment, répondit le jeune homme.
Après une dernière étreinte qui réunissait Alex et Florian, la jeune fille s’en alla. La groupe la regarda partir -ignorant le « recruteur » qui patientait depuis une demi-heure- lorsque Alex se retourna se retourna une ultime fois, pour leur adresser un petit signe de la main. Elle fixa Florian quelques secondes, puis disparut au coin de la rue. Ce fut la dernière fois que leurs deux regards se croisèrent.
- Alexandra, petite folie de Florian, dit tragiquement Sébastien, à qui voulait l’entendre.
- Ta gueule.
- Oh oh, Floflo’ s’énerve, remarqua Baptiste. T’inquiètes pas, tu la reverras.
- Non, je ne la reverrais pas…se désola Florian, en se dirigeant vers le « recruteur ».
Ses amis le suivirent. Ils discutèrent longtemps avec lui jusqu’où Philippe (c’était son prénom) leur demanda :
- Et le nom du groupe alors ?
Le Groupe de Florian resta un moment interdit. Personne ne sut si ce fut sur un coup de tête ou simplement grâce au hasard que Ludovic répondit au tac au tac -les autres étant trop gênés pour répliquer quoi que ce soit.
- Les Rescapés.
Clémence, Sébastien, Baptiste et Florian sursautèrent à l’entente de ce nom ; Philippe haussa simplement un sourcil.
- Pardon ? demanda-t-il, pas sûr d’avoir bien entendu.
- Les Rescapés, répéta Ludovic.
- Attendez une minute. On discute avec lui, avant de vous confirmer la chose, lança Sébastien.
- Putain Lulu’ ! s’écria Baptiste, une fois le groupe éloigné.
- Quoi ?
- Tu aurais pu nous mettre au courant et nous demander notre avis, reprocha Clémence.
- C’est vrai, admit Florian.
- C’est le premier truc qui m’ait passé par la tête ! Ça vous plaît pas ?
En réalité, le nom plaisait beaucoup aux membres du groupe, surtout à Sébastien, qui trouvait qui leur collait bien. Tous en accord, ils s’en retournèrent vers Philippe pour lui confirmer leur choix et sceller enfin leurs vies d’adolescents à problèmes.
Mais c’était encore des épreuves et du travail qui les attendaient de l’autre côté, dans le monde de la Musique. Cependant, nous connaissions très bien Les Rescapés, et savions qu’ils s’en sortiraient…
Extra Un : Baptiste à l’O
Baptiste se la jouait tranquillement dans son jardin. Allongé pépère sur un des nombreux transats de sa mère dans l’espoir de bronzer, il était vêtu d’un short de bain blanc qui lui arrivait jusqu’aux genoux et portait des lunettes de soleil pour lui donner un air « cool ». Imperturbable, il sirotait un Coca Cola Limon bien frais devant sa piscine. Il ne vit pas arriver discrètement derrière lui Sébastien, Ludovic, Florian et Clémence, eux aussi en tenue de bain.
Clémence s’approcha de Baptiste et se planta devant lui, lui cachant ainsi le soleil. Gêné par l’ombre de la jeune fille, il releva ses lunettes sur ses cheveux blonds et l’examina attentivement.
- Tu sais que t’es hyper bien foutue, toi.
- Merci mon beau Baptiste.
Baptiste aimait qu’on lui flatte l’encolure. Clémence, souriante, prit ses mains dans les siennes et le tira de son transat.
- Viens, on va se baigner. J’ai chaud.
Lorsque le jeune homme fut sur ses deux pattes, elle l’entraîna sur le rebord de la piscine, sa main toujours dans la sienne. Baptiste, très probablement ensuqué, ne sembla pas intercepter le regard diabolique de Clémence. Sébastien, Ludovic et Florian surgirent derrière lui, en faisant le moins de bruit possible. Après avoir poussé son célèbre cri de guerre, le jeune frère sauta sur Baptiste et l’attrapa par le cou afin de l’immobiliser.
- Dax Riders ! hurla Sébastien d’une voix aiguë.
Aussitôt, Ludovic et Florian sautèrent à leur tour sur le pauvre Baptiste. L’un l’immobilisa davantage et l’autre lui enleva son short de bain. Une fois cette dure tâche terminée, Florian et Ludovic lâchèrent le jeune homme et Sébastien poussa Baptiste dans la piscine. Clémence riait comme une furie.
- Dax Riders à Malibu ! hurla une nouvelle fois le jeune frère en plongeant dans la grande piscine.
- Un homme à poil à la mer ! Il est pour moi ! s’exclama Ludovic, en sautant à son tour.
- Au secours, je vais me faire violer par Ludo’ ! beugla Baptiste, qui venait de remonter à la surface et qui avait entendu la dernière phrase du jeune homme.
Il tenta de s’éloigner désespérément vers l’autre bout de la piscine. De son côté, Clémence avait pris l’initiative de s’allonger sur le transat de Baptiste, en vue de mieux l’observer. C’est ici qu’intervint Florian. Avant qu’elle ne put faire ce qu’elle avait en tête, le jeune homme la saisit dans ses bras et se propulsa en arrière, dans l’eau.
Un gros « plouf » se fit entendre. La piscine emprisonnait enfin tous les membres du groupe. Baptiste faisait le tour de la piscine à la nage, dans l’espoir de semer Ludovic qui était à sa poursuite ; Sébastien s’entraînait à nager comme les petits cochons en répétant « Dax Riders » à tout bout de champ ; et Clémence avait entrepris de couler Florian. Difficile, puisque ce dernier avait déjà empoigné la jeune fille par la taille, si bien que leurs visages ne furent séparés que par deux centimètres.
- Hey vous deux ! hurla Ludovic en stoppant momentanément sa course. Vous avez une distance de sécurité à respecter. Reculez un peu s’il vous plaît !
- Tu fais chier Lulu’ !
- Je sais, mais c’est pour notre bien à tous ! Hey toi, le blondinet ! Reviens-ici !
Profitant de l’arrêt de son poursuiveur, Baptiste avait accéléré son magnifique crawl afin d’atteindre le bout de la piscine. Il se hissa à moitié sur le rebord la piscine et saisit son short de bain délaissé sur la pierre.
- Tu as une belle chute de reins Baptiste, remarqua Clémence d’un air amusée, toujours collée à Florian.
- Merci, répondit l’intéressé en replongeant à nouveau dans l’eau pour remettre son short.
- Oh ! Quel dommage, fit Ludovic, déçu. C’est plus rigolo maintenant.
- Bah, la prochaine fois, ce sera le tour de Séb’, hein mon bichon ? lança Baptiste.
Sébastien manqua de se noyer, à l’entente du futur projet du groupe. Il recracha l’eau qu’il avait avalé et prit son air le plus scandalisé.
- Hey ! Pourquoi moi ? Y’a aussi Florian et Ludovic ! Puis pourquoi vous faites pas le même coup à Clémence ?
Les garçons se turent, trouvant l’idée excellente. Baptiste disparut de la surface de l’eau et nagea en direction des jambes de la jeune fille, comme un requin traquant sa proie. Florian vit le mauvais coup arriver et déposa son pied sur l’épaule de Baptiste pour l’empêcher d’avancer. Au bout de quelques secondes, le jeune homme se débattit tout au fond de l’eau et Florian ôta son pied. Il put donc remonter à la surface et respirer à nouveau l’air chaud de la pinède.
- T’as failli me tuer ! hurla-t-il.
- Moi ? Non ! nia Florian.
- Si !
- Comme tu veux.
Le jeune homme fit mine de pleurer, et Clémence se précipita vers lui pour le bercer. Aussitôt, Baptiste s’éloigna avec la jeune fille coincée dans ses bras.
- Hey ! Il est en train de nous kidnapper notre Clémence ! scandalisa Sébastien.
- Oh le salaud !
- Reviens ici ! rugit Florian, en nageant à sa suite.
Après une demi-heure de confrontation et d’éclaboussements, Ludovic, Florian et Sébastien délivrèrent enfin Clémence des horribles pattes de Baptiste. S’en suivirent ensuite quelques gestes mal placés des quatre garçons sur la jeune fille, qui leur valut une gifle chacun.
- Hey ! Mais on t’a sauvée ! s’exclama Sébastien.
- C’est pas une raison, fit sèchement Clémence en sortant de la piscine.
Elle s’allongea sur la chaise longue de Baptiste et mit les lunettes de soleil du jeune homme. Les quatre garçons oublièrent très vite la jeune fille et entreprirent de se couler les uns les autres jusqu’à la fin de l’après-midi.
- Qu’est-ce que j’ai fait pour être tombée sur ces quatre imbéciles ? soupira Clémence en fermant les yeux.
Je félicite Baptiste qui a viré son père avec une grande facilité. D'ailleurs, je suis un peu surprise qu'il ne soit pas revenu à la charge.
La scène avec le départ d'Alex est vraiment triste. Je suis touchée.
Le nom du groupe, je trouve ça colle bien à l'image qu'on s'en fait.
Mignon l'extrait bonus, ça démontre bien l'entente entre les 5 membres du groupe.
Je suis très contente que le nom du groupe te plaise, il m'a moi aussi tapé dans l'oeil quand on me l'a proposé... ^^
Bisoudoux !
Bisous