Chapitre 7 : La Queen Gloriana

Notes de l’auteur : Bonne lecture !

 

Playlist Max :

I See Red – Everybody Loves An Outlaw

 

 

***

 

 

L’Adonis ne payait pas de mine vue de l’extérieur. Contrairement au Billie’s qu’on ne pouvait pas manquer avec sa devanture si colorée et caractéristique des diners américains, le bar de Gérard Carlier, lui, était si discrètement annoncé qu’on pouvait facilement le rater.

La plupart des clients étaient des habitués qui parvenaient à voir à travers sa façade vieillotte et quelque peu défraîchie ; la peinture s’écaillait par endroit, des fissures lézardaient le plâtre à d’autres et une simple porte aux couleurs passées faisait face à la rue. Les fenêtres étaient bariolées de vieux volets de bois peint il y a si longtemps qu’il était impossible, même pour le meilleur œil, d’en discerner la couleur d’origine. Et quiconque connaissait le bar savait que de toute façon, elles ne faisaient office que de trompe l’œil.

L’Adonis avait donc, vu de l’extérieur, l’apparence d’un vieil immeuble accolé à d’autres habitations tout aussi décrépies. Le seul indice qui laissait croire que cet endroit était en réalité le célèbre bar dansant était l’immense graffiti représentant un jeune homme dans un style art nouveau aux couleurs quelque peu fanées.

En passant dans la rue, il était presque impossible de le remarquer, mais lorsque le soir tombait, il prenait des teintes miroitantes et affichait fièrement ses couleurs phosphorescentes et son nom : l’Adonis.

Le soleil commençait à peine à descendre à l’horizon lorsque j’effectuai un dérapage contrôlé devant sa fameuse porte. Bon, d’accord, pas si contrôlé que ça. En vérité, j’allais tellement vite que je manquai de tomber en dérapant devant l’entrée. Max aurait bien ri en me voyant opérer cette drôle d’acrobatie pour me remettre d’aplomb. Fort heureusement pour moi, ni mon amie ni personne ne me vit. La rue était parfaitement déserte.

Je jetai un coup d’œil à mon téléphone. 18 heures et une minute. J’eus un sourire en le rangeant dans ma poche. C’était parfait. J’étais à l’heure. Je fis tomber mon casque sur mes épaules et roulai vers la porte – qui n’était jamais verrouillée à partir de 18 heures où le bar ouvrait officiellement ses portes tous les soirs – et entrai.

La première chose qui me frappa fut l’obscurité dans laquelle je plongeai. Aveuglée, il fallut un moment à mes yeux pour s’accoutumer à l’ambiance feutrée du lieu. La porte se referma lentement derrière moi dans un très discret clac.

L’Adonis était l’un de ces bars dansants qu’on ne trouvait plus que dans les vieux films américains. Son petit côté retro des années 70 et son style rockabilly lui conférait une aura toute particulière que j’affectionnai énormément. À l’intérieur, les lumières étaient tamisées, laissant tout à loisir ses nombreux néons colorés et sa vieille boule de disco nous éclairer de leur lumière bigarrée.

Un grand bar longeait tout le mur à gauche où trois barmans et barmaids s’afféraient déjà à préparer les commandes des nombreux clients qui avaient pris possession des lieux. Les tabourets qui le bordaient étaient presque tous occupés. Quant aux nombreuses tables et leurs hautes chaises qui entouraient la scène aux rideaux tirés qui se dressait au fond, il n’y en avait pas une de libre. L’Adonis affichait complet.

Mais ce qui me plaisait le plus ici, c’était cette grande piste de roller qui s’étendait tout à droite. Pour le moment, elle était vide, mais je ne doutais pas que dans quelques instants, des dizaines de personnes s’y rassembleraient pour patiner au son du DJ qui prendrait la suite des artistes sur scène.

Je scrutai la foule à la recherche de mes amis. Je repérai bien vite les têtes blondes d’Alex et Romy à notre place habituelle, une petite table non loin du bar mais avec une vue imprenable sur la scène et une partie des coulisses. Les jumeaux adoraient ce coin en particulier et étaient même allés jusqu’à demander à leur oncle de la leur réserver chaque soir. J’avais bien essayé de leur faire changer de place une fois, mais ils n’en démordaient pas : la meilleure place, c’était ici et nulle part ailleurs. J’avais capitulé. Qu’aurais-je pu faire d’autre ? Il n’y a pas plus tête de mule que ce duo, surtout lorsqu’ils étaient du même avis. Une chose assez rare, mais qui arrivait de temps en temps.

Je roulai donc rejoindre mes amis et me laissai tomber sur une chaise entre eux.

— J’ai raté quelque chose ? demandai-je en larguant mon sac à mes pieds.

— Rien, sourit Romy, ça n’a pas encore commencé. Tu arrives juste à temps pour les premiers lancements.

— Pour une fois, souligna Alex avec effronterie. Par où es-tu passée ? ajouta-t-il avec amusement en essayant de chasser quelques mèches de son visage. On dirait que tu as traversé une tempête.

Je le repoussai et lui tirai la langue avant d’essayer de me recoiffer. Peine perdue. Nick était champion dans l’emmêlage de cheveux et ma course n’avait certainement pas aidé. En désespoir de cause, je finis par ramener mes cheveux en arrière dans un chignon lâche et informe. Heureusement pour moi, je gardais toujours un élastique autour de mon poignet.

— Comment ça se fait d’ailleurs ? questionna Alex le menton posé dans la paume de sa main. Toi qui es toujours en retard…

Je haussai des épaules avec désinvolture.

— Remerciez Nick, mes bons amis, il m’a fichu dehors juste à temps !

Ils rirent. Peu de temps après, les quelques lumières qui éclairaient la pièce se tamisèrent jusqu’à s’éteindre et un projecteur se braqua sur la scène. On annonça la venue d’un premier artiste, un groupe que j’avais déjà vu jouer quelques fois et qui terminait de se mettre en place lorsque le rideau se leva.

— Où est Max ? demandai-je en me tordant le cou pour fouiller la foule.

Sur scène, le groupe commença leur chanson.

— En coulisse, m’apprit Alex en tapant du pied en rythme. Je crois bien qu’elle sera la prochaine.

— Que va-t-elle chanter cette fois-ci ? demandai-je après avoir hélé un serveur un peu débordé.

I see red, il me semble, sourit Alex en triturant la paille dans son verre – un Schweppes Agrum notai-je.

Le serveur revint peu après avec mon verre de thé glacé et disparut avant même que j’aie pu le remercier.

— Tu n’étais pas censé l’accompagner à la guitare pour cette chanson ? questionnai-je avec perplexité en sirotant mon verre.

Alex haussa des épaules. Sur scène, le groupe termina son morceau et on annonça l’artiste suivant. Le groupe eut tout juste le temps de s’éclipser que Max entra en scène. Elle portait la tenue de rockeuse rouge et noire que je lui avais confectionné l’an dernier pour ses concerts.

En voyant ses grosses bottines noires à boucles argentées, je me mordis la joue. Le nez dans mon verre, je guettais du coin de l’œil la réaction d’Alex. À ses sourcils froncés, il ne pouvait qu’avoir reconnu sa précieuse paire de New Rock. Le regard qu’il lança à sa jumelle semblait vouloir dire : « Dès qu’elle a fini, je l’étrangle. »

Romy et moi nous regardâmes avant de pouffer. Alex, toujours aussi digne, nous ignora promptement. Sur scène, Max terminait de régler le micro. Derrière elle, les musiciens de son oncle lui firent signe qu’ils étaient prêts.

— Si, mais tu la connais, répondit Alex comme si de rien n’était. Cette tête de pioche préfère tout faire toute seule. Puis, ajouta-t-il en souriant mystérieusement, il était grand temps qu’elle se remette à la guitare.

En reportant mon attention sur la scène, je vis en effet un membre du staff lui apporter sa guitare. Cette dernière était d’un noir lustré quasi neuf et décoré de nombreux auto-collant aussi bien fantasy que Rock’n’Roll.

Une seconde plus tard, les premières notes jaillirent des enceintes. La chanson commença tout doucement, la voix de Max s’élevant lentement dans le silence ambiant. J’avais toujours admiré le talent de mon amie pour le chant. Max avait une voix incroyable et, fait non négligeable, une certaine facilité à parler anglais. Ce qui était drôlement pratique quand la plupart des chansons de son répertoire venaient des USA.

Au demeurant, I see red lui allait vraiment comme un gant. Max avait une de ces voix puissantes capable de monter très haut tout en prenant des accents plus graves. Et cette chanson, lorsqu’elle la chantait, nous faisait vibrer.

Toute l’assistance semblait hypnotisée, fascinée par la prestation de mon amie. Même les barmans et barmaids derrière leur comptoir s’étaient arrêtés quelques instants pour profiter du spectacle. Vraiment, si Max ne devenait pas une grande chanteuse, c’était que le monde n’avait aucun sens. Il suffisait de la voir sur scène pour comprendre qu’elle était faite pour ça.

La chanson prit fin beaucoup trop rapidement et dans le tonnerre d’applaudissements qui retentit ensuite, on entendit beaucoup de monde réclamer un rappel. Max se contenta de saluer la foule et le rideau tomba sur la scène.

Les acclamations ne désemplissaient pas alors que mon amie se faufilait à travers les tables pour nous rejoindre. Nombres de clients, habitués comme petits nouveaux, l’arrêtèrent pour la féliciter. Jamais je n’avais vu Max aussi rayonnante.

Son bain de foule terminé, elle parvint enfin à notre table et s’y laissa tomber de bonne grâce. Dans son dos, un nouvel artiste prit place mais nous l’écoutâmes à peine.

— Alors, comment j’étais ? demanda Max sans préambule.

— Magnifique, sourit Romy.

— Géniale ! l’applaudis-je encore.

— Passable, lâcha Alex.

Nous lui jetâmes un regard étonné. Il se contenta de pointer les pieds de sa sœur du doigt.

— La prochaine fois que tu veux m’emprunter mes chaussures, tu pourrais commencer par demander.

Max rougit. Prenant son verre vide, Alex se leva et rejoignit le bar où il discuta avec le barman.

— Vous croyez qu’il va rester fâché longtemps ? demanda-t-elle piteusement.

— Aussi longtemps que tu continueras de lui piquer ses affaires sans demander, la taquinai-je en lui tapotant le front.

Max fit la moue. Un instant plus tard, Alex revint à table avec un verre de nouveau plein. Il commençait à le siroter quand l’ambiance changea brusquement. Notre attention se tourna vers la scène où le jeune chanteur qui avait succédé à Max venait de s’éclipser. Les rideaux étaient tombés et cinq projecteurs se braquèrent sur la scène.

— Mesdames et messieurs, dit alors une voix au micro, pour vous ce soir la célèbre Gloriana !

Les rideaux se levèrent sur une explosion de confettis et de plumes. Gloriana apparut dans sa superbe tenue de cabaret tout de strass et de froufrous aux couleurs chatoyantes. Autour d’elle, des danseuses faisaient le show sur les premières notes de Oh no ! de Marina. Et alors, la drag-queen se mit à chanter. Non, en fait, plus que la chanter, Gloriana s’appropria tout à fait la chanson, modulant sa voix d’une telle manière qu’il était presque impossible de trouver la moindre ressemblance avec la chanson d’origine.

Le spectacle était incroyable et pendant que Gloriana chantait et dansait sur scène, elle envoyait des confettis sur les convives, s’amusait à tourner autour des premières tables et jouait de ses plumes pour titiller les clients. Partout où elle allait, des applaudissements et des exclamations ravis la suivaient. On se serait cru dans l’un de ces grands cabarets parisiens, mais en mille fois mieux car il n’y avait pas d’enragé pour cracher au visage de la drag-queen ni d’étroits d’esprit pour lui lancer injures et bouteilles au visage.

La première fois que j’avais assisté au show du vendredi soir de Gloriana j’avais été émerveillée mais aussi terrifiée. Terrifiée à l’idée d’être témoin de la cruauté des gens. J’avais vu des reportages sur des bars gais attaqués par des homophobes, des drag-queens malmenées à cause de leur apparence ou des personnes trans se faire lyncher autant sur les réseaux sociaux que dans la rue. J’avais été terrifiée à l’idée de voir quelqu’un monter sur scène pour s’en prendre à Gloriana et enchantée de voir à quel point le public de cette dernière était merveilleux.

J’avais alors compris que tout l’attrait de l’Adonis se trouvait dans le fait que personne ne pouvait connaitre ce bar autrement que par le bouche-à-oreille. Les rares flyers que Gloriana distribuaient pour les évènements les plus importants ne donnaient que l’heure et la date. Quiconque voulait y assister devait déjà connaître l’adresse ou connaitre quelqu’un qui connaissait l’adresse. Cela permettait de garder à distances les quelques réfractaires à la différence qu’il y avait toujours dans chaque ville.

Son show touchant à sa fin, Gloriana salua la foule d’une révérence avec toutes ses danseuses. Le public lui répondit par une ovation. Une grande majorité d’entre eux étaient debout à l’applaudir, mes amis et moi aussi. Gloriana salua encore la foule, envoya quelques baisers et clins d’œil avant de disparaître derrière les rideaux rouges.

Le calme revint progressivement dans le bar. Les projecteurs s’éteignirent et les lumières tamisées revinrent. Partout autour de nous, on se mit à discuter, savourant enfin les boissons qu’on avait commandé. Dans l’ombre, quelques employés s’activaient déjà à nettoyer les confettis et les paillettes qui couvraient le sol.

La queen reparut quelques minutes plus tard, vêtue d’une robe à paillettes à peine moins voyante que son costume de scène. Un boa à plume dorées s’enroulait autour de ses bras épais et une nouvelle perruque, tout en boucles bleu turquoise, parait son front. Elle erra dans la pièce, remerciant et saluant chaque client qui l’alpaguait pour la féliciter. Un grand sourire étirait ses lèvres carmin. Ses yeux brillaient de mille feux, et ça n’avait aucun rapport avec les strass qui les décoraient.

Une éternité plus tard, elle s’arrêta à notre table pour nous saluer.

— Ah, voilà enfin les visages que je cherchais ! roucoula-t-elle d’une voix aux étranges modulations. Alors, la soirée vous plait-elle ?

Je peinais parfois à croire que cette diva tout en couleur le soir était en réalité un charpentier à la voix rauque le jour. Sa métamorphose était fascinante et diablement cool.

— C’était génial ! s’enthousiasma Max en bondissant de son siège pour la serrer dans ses bras. Tu es vraiment incroyable !

— Allons, allons, s’amusa Gloriana en lui tapotant le dos de ses mains aux faux oncles extravagants. Toi aussi tu étais incroyable sur scène, ma biche.

— Certainement pas autant que toi ! Tu crois que je pourrais faire un show similaire bientôt ?

Gloriana émit un rire étonnant comme ces dames du monde qu’on ne voyait que dans les films.

— Ce serait avec plaisir. Viens m’en parler quand tu auras le temps.

— À trop l’encourager elle ne te lâchera plus, tu en es consciente j’espère ? releva calmement Alex en retombant le menton dans sa paume.

Max lui tira la langue. Grimace à laquelle il répondit en souriant. Romy, Gloriana et moi rîmes.

— Alors, tout se passe bien ? poursuivit-telle en ignorant les jumeaux qui se fusillaient à présent du regard.

— À merveille, souris-je. J’ai adoré ton costume, il est nouveau ?

— Petite roublarde, ricana Gloriana de bon cœur, tu sais très bien que tu me l’as fabriqué pas plus tard que le mois dernier.

Je lui offris mon plus beau sourire innocent qui la fit rire de plus belle.

— C’était magnifique, avança timidement Romy. Vous chantez vraiment très bien Madame Gloriana.

— Allons, mon chou, je t’ai déjà dit que tu pouvais m’appeler Gloriana, sourit-elle avec tendresse.

Romy rougit jusqu’à la racine.

— Je sais, bredouilla-t-elle en triturant une mèche dorée entre ses doigts, mais je n’y arrive pas.

— Bon, soupira Gloriana avec indulgence. Va pour Madame dans ce cas, mais je te préviens, fit-elle en lui agitant un doigt manucuré sous le nez, j’ai bien l’intention de t’entendre m’appeler par mon prénom avant de fumer des pissenlits par la racine !

— Promis ! s’illumina Romy en lâchant sa mèche.

— Bien.

Puis, se tournant vers Alex.

— Et toi Alex, quand aurais-je le bonheur de te voir sur scène ?

Puis se tournant vers nous.

— Ce petit a de l’or dans les mains et sa voix est aussi incroyable que celle de sa sœur, c’est un crime de garder tant de talent pour soi.

Alex parut gêné par tant de compliments. Je l’entendis marmonner quelque chose d’incompréhensible avant de relever des yeux timides sur Gloriana.

— La prochaine fois, promit-il l’air penaud.

Gloriana fit la moue, visiblement déçue. Un instant plus tard cependant, elle arborait un large sourire au moment de se tourner vers Romy et moi.

— Oh fait les filles ! s’exclama Gloriana. J’imagine que les jumeaux vous en ont déjà parlé… (elle jeta un regard lourd de sous-entendus à Max qui se ratatina sur sa chaise) mais je compte organiser une grande fête pour les dix ans de l’Adonis, sourit-elle en nous tendant les invitations.

Je regardai le carton avec un sourire. En lettre colorée sur fond noir aux bords pailletés, Gloriana nous invitait à rejoindre l’Adonis le 8 août à 18 heures où débuterait les festivités. Ces dernières s’étendraient jusque tard dans la nuit et ne prendrait véritablement fin que vers 5 heures du matin. Pas sûre que Nick me laisse rester aussi longtemps, me dis-je en découvrant les horaires, mais on peut toujours essayer.

L’invitation indiquait également qu’il s’agissait d’une fête costumée. Le fameux thème « glamour chic & paillettes » dont nous avait parlé Max était imprimé en surbrillance juste derrière au-dessus des horaires.

— Vous serez là ? demanda presque timidement la queen.

— Évidemment ! souris-je en rangeant l’invitation.

— Nick te laissera rester si tard loin de la maison ? demanda Alex avec un sourire en coin.

Je pinçai les lèvres.

— Je négocierai. S’il le faut, j’irai même encore plus souvent travailler à la boutique.

— Wouah, quel sens du sacrifice, me taquina-t-il.

Pour toute réponse, je lui enfonçai mon coude dans les côtes.

— Et toi Romy ? demandai-je pour changer de sujet.

— Hum… Je… je ne sais pas, avoua-t-elle d’une petite voix. Je vais devoir demander la permission à mes parents et…

Nous gardâmes le silence. Sur son siège, Romy commençait à s’agiter.

— Allez, t’inquiète pas va, tenta de la rassurer Max en passant un bras autour de ses épaules. Au pire tu n’auras qu’à prétendre passer la nuit chez nous ou chez Charlie ! proposa-t-elle avec un grand sourire.

Sourire qui se transforma en grimace quand Alex lui donna un coup de pied dans le tibia.

— Aïe ! Ça va pas la tête ?!

— J’allais te poser la même question, rétorqua-t-il en grinçant des dents. T’es bête ou quoi ? Imagine que ses parents appellent, tu feras quoi ?

Max haussa les épaules.

— On aura qu’à prévenir les parents du plan. Ou Charlie n’aura qu’à demander la complicité de Nick.

— Alors là tu rêves, ricanai-je. Ce serait déjà un miracle qu’il me laisse assister à la fête après minuit, alors cacher la vérité aux parents de Romy, tu peux courir.

— Je demanderai, se décida brusquement Romy en rangeant soigneusement son invitation dans son sac à bandoulière.

La voir si résolue nous fit sourire. Intérieurement, j’espérais très fort que ses parents la laisseraient sortir. Ils étaient tellement stricts avec elle…

— Oh fait mon mignon, demanda brusquement Gloriana en tournant son attention sur Alex, qu’en est-il de cette nouvelle chanson qui te préoccupe tant que tu ne viens même plus à nos répétitions ?

Alex, qui sirotait tranquillement son Schweppes Agrum, but de travers. Je lui tapai le dos alors qu’il toussait furieusement. Son visage avait viré cramoisi, mais je n’aurais su dire s’il c’était à cause de la toux ou d’autre chose.

— Quelle chanson ? demandai-je avec curiosité lorsqu’il se fut un peu calmé.

— Mais la chanson sur laquelle il planche depuis des mois pardi ! s’exclama la drag-queen les mains sur les hanches. Je ne cesse d’en entendre parler mais ce petit coquin refuse même de m’en montrer une partition. Et ce n’est pas faute d’avoir essayé de le convaincre.

— Ne m’en parles pas ! souffla Max avec dégoût. Je crois que je vais finir par devenir dingue à force de l’entendre reprendre les mêmes accords sans jamais s’en satisfaire.

Visiblement, il peinait à trouver les bons accords, ce qui était étonnant, surtout de sa part. Si Max excellait au chant, son frère était un compositeur incroyable. Il lui avait déjà écrit quelques chansons et l’accompagnait souvent sur scène. Composer était une seconde nature chez lui, un peu comme la couture pour moi ou l’écriture pour Romy.  

— Voilà qui est surprenant, releva Gloriana en haussant l’un de ses élégants sourcils multicolores.

— Je veux juste que ce soit parfait, rétorqua Alex en essayant de garder un minimum de dignité malgré sa voix encore un peu éraillée et la rougeur de ses joues.

Même ses oreilles avaient rougi. À ce rythme-là, je l’imaginais bien prendre feu.

— La perfection n’existe pas mon mignon, lui répondit la queen.

— Bien sûr que si, rétorquai-je avec un sourire en coin, elle s’appelle Gloriana.

La drag-queen et toute la table éclatèrent de rire.

— Oh mon chou ! s’exclama cette dernière en ouvrant son éventail à plumes devant ses lèvres pour cacher ses joues colorées. Tu iras loin, toi, je le sens !

Puis, après encore quelques mots – les jumeaux interrogèrent Gloriana sur leur prochain emploi du temps au bar – je dressai l’oreille en entendant l’une de mes chansons préférées passer. La scène avait été abandonnée et un DJ lançait à présent une playlist plus douce pour la fin de soirée.

Un grand sourire aux lèvres, je me tournai vers la piste de roller qui commençait doucement à être envahie de patineurs.

— Bon, les coupai-je en me levant abruptement, vous m’excuserez, mais cette piste me fait de l’œil depuis mon arrivée, alors…

— Va t’amuser ! m’encouragea Max en me claquant les fesses.

Je lui tirai la langue et m’en allai rejoindre la piste. Je slalomai entre les patineurs, fredonnant la chanson qui passait. Lorsque le refrain fut des plus entraînant, je ne parvins pas à résister à l’envie de faire quelques pas de danse. Alex me rejoignit quelques instants plus tard. Il patinait presque aussi bien que moi et m’entraîna dans une valse sur rollers qui nous fit remarquer, mais qui nous amusa tant qu’on n’y prêta aucune attention.

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