Piégé par des murs d’une blancheur pâle et inquiétante, le couloir s’étirait sur une longueur démesurée. Sur le sol, des dalles ovales de couleurs sobres (beiges et blanches) se juxtaposaient obliquement et contribuaient à l’illusion de cette profondeur. Sur la gauche, un défilé de fenêtres donnait sur une cour en gravier sur laquelle déambulaient quelques individus. Des arbres - cinq pour être précis - s’élevaient du sol et teintaient ce décor insipide. Sur la droite, des nombreuses portes ornées de numéros se succédaient. La majorité étaient closes. La 409 ainsi que la 417 se rebellaient en offrant ce qu’elles renfermaient aux passagers qui s’aventuraient dans le corridor. Entre elles, une autre porte s’ouvrit. Une infirmière de blanc vêtue s’en échappa d’une marche rapide, un carnet à la main. Elle se dirigea vers lui, l’attention captivée par les fenêtres et les nuages menaçants qu’elles renfermaient. Arrivée à sa hauteur elle décéléra le pas.
— Bonjour Monsieur Rissier. Vous avez été informé pour l’enfant ?
— Oui je suis au courant, je vous remercie Maryse. Je dois filer, on m’attend à la 427, je suis en retard, éluda-t-il habilement pour ne pas avoir à s’éterniser sur le sujet.
— Oh oui la 427, on est tous démunis. J’espère que vous pourrez les aider.
— J’en doute… Bonne fin de journée Maryse, conclut-il en reprenant sa marche.
— Au revoir Monsieur Rissier, répondit-elle avant de reprendre son calepin sur lequel figuraient les notes qu’elle prenait après ses visites quotidiennes.
« 427 : Idem qu’hier. Sa femme n’a pas bougé non plus ».
Rissier continua sa longue traversée en direction de la chambre où l’attendait ce fameux couple moribond. Il avait toujours eu en horreur ce long couloir. Il le trouvait froid et lugubre. Durant ses premières années, il avait toujours eu la chair de poule lorsqu’il s’enfonçait entre ces murs qui renfermaient l’unité des soins palliatifs. Ses poils redressés décelaient une atmosphère sinistre qui lui faisait froid dans le dos. Il avait fini par s’y habituer et depuis, il était devenu anodin pour lui de naviguer en ce lieu.
Pourtant, lorsqu’il franchit la porte 409, ses poils s’hérissèrent. Du coin de l’œil, il eut l’impression qu’une personne se tenait à l’intérieur de la chambre et le regardait passer. Il ne broncha pas. La fatigue pouvait causer ce genre d’illusion n’est-ce pas ? Ses pas s’accélérèrent, tout comme son pouls, il sentait ses battements taper dans sa poitrine avec véhémence. Puis son cœur s’arrêta, d’un coup. Il fit un bond et vacilla sur sa gauche jusqu’à s’encastrer contre le mur blanc, entre deux fenêtres.
La porte 417 venait de se fermer brutalement. Quelqu’un l’avait claquée de toute ses forces, le bruit du choc sur le bâti fit vibrer toutes les fenêtres. L’esclandre inopiné avait provoqué le sursaut. Mais si la peur s’ancrait insidieusement à son épiderme, c’est parce qu’il était certain que cette chambre était vide.
Un silence funèbre régnait dans ce couloir. Seul le bruit taciturne du vent, venu chuchoter ses messes basses contre les vitres, était perceptible. Il fixa la poignée de la porte qui lui faisait face, le souffle coupé. Est-ce qu’un soignant allait en sortir en s’excusant de l’avoir fait claquer ? Elle resta immobile.
Après d’interminables secondes, il reprit son souffle d’une grande inspiration. On aurait pu l’entendre haleter dans tout l’étage. Il fit quelque pas en direction de chambre 417, sa démarche semblait esquintante.
Aucun bruit.
Il s’avança davantage jusqu’à coller son oreille contre le montant de la porte. Toujours rien. Il mit sa main sur la poignée, prêt à la tourner pour pouvoir découvrir ce qu’elle renfermait. Puis il repensa à la chambre 409.
Et si ce n’était pas une hallucination et que quelqu’un, ou quelque chose, l’attendait debout au milieu de la pièce, prêt à lui bondir dessus ? Ces cauchemars lui vinrent à l’esprit. Il lâcha la poignée, et reprit le chemin du long couloir qui le menait à la chambre 427. Il avait peur.