Nous suivîmes Rolland jusque dans les étages inférieurs de la prison. Nous croisâmes quelques cellules au passage, et à chaque fois le même tableau s’offrait à nous : des hommes recroquevillés sur eux-mêmes, osant à peine lever la tête à notre approche.
Ils ressemblaient bien plus à des bêtes agglutinées qu’à des hommes. On en oubliait presque qu’ils avaient commis un crime assez grave pour être enfermé dans cette prison. On en oubliait presque qu’il s’agissait d’êtres humains, à une époque...
Au fur et à mesure que nous descendions les étages, les détenus se faisaient rare, tout comme la lumière du jour, ne filtrant plus qu’à travers des petits trous directement creusés dans les murs.
Enfin, nous arrivâmes au dernier sous-sol. Il faisait sombre, humide, et les cellules présentes étaient entièrement vidées.
- Il est là-bas, au bout du couloir à droite, dit Rolland. Maintenant, si vous le voulez bien, je dois vous laisser. Je ne me suis même pas présenté à l’accueil en arrivant. Je vous rejoins dans quelques instants.
Je hochai la tête, puis suivis Gallant jusqu’à ce fameux bout de couloir.
Le silence qui régnait était oppressant. Je craignais presque ce que l’on trouverait dans cette cellule sombre et humide. Enfin, nous atteignîmes l’extrémité du corridor.
Ce fut l’odeur qui me frappa en premier.
C’était une cellule minuscule, juste assez grande pour s’allonger. Un pot de chambre était rempli à ras-bord, et l’odeur pestilentielle qui s’en dégageait donnait des hauts-le-cœur.
Sur une paillasse trouée et posée à même le sol était assis un jeune garçon.
Je fus sidéré en le reconnaissant. Il s’agissait du détenu aux yeux gris qui sortait du bureau du directeur au moment où nous entrions à notre tour.
En nous voyant, le garçon peina à lever la tête.
Quand il était sorti du bureau, j’avais uniquement prêté attention à son bras ensanglanté, mais, en le voyant maintenant, j’eu tout le loisir de l’examiner.
Terriblement amaigri, il portait une combinaison de prisonnier. Mais celle-ci était tout aussi trouée que la paillasse, et visiblement bien trop grande pour lui. Il nageait dedans.
Sa chevelure blonde était parsemée de poux et de sang. Ses joues étaient creusées, de lourdes cernes peignaient son visage triste, et ses mains squelettiques étaient posées de part et d’autre de lui.
Je tournai mon regard horrifié vers Gallant, et je vis la fureur renaître sur son visage.
- Albin ? Demanda le détective en s’efforçant de rester calme.
Le garçon ne répondit pas. Il tourna ses yeux larmoyants vers nous, puis baissa à nouveau la tête.
- Nous venons enquêter sur la mort de William Rapin, poursuivit Gallant. Nous sommes détectives.
- William ? Murmura enfin Albin. William...
- Albin, Rapin voulait te dire quelque chose de très important. Tu as l’air de savoir des choses que d’autres personnes ne veulent pas que tu ébruites. De quoi s’agit-il ? Tu dois nous le dire, Albin. Nous sommes là pour t’aider.
- Vous... vous l’avez eu ? Vous l’avez arrêté ?
Parler lui coûtait visiblement un terrible effort.
- Arrêté qui ? Demanda Gallant. Qui devons-nous arrêter ?
- Lui... Celui qui... C’est lui... qui les a tué, elles deux. Je les ai vu...
- Elles deux ? Tu veux parler d’Anabelle et de Renée Rapin ? C’est bien cela ? Tu les as vu, tu étais présent lors du meurtre ?
- Oui, elles... J’étais... je comptais... m’introduire chez eux... pour les voler... J’avais vu le mari sortir, alors j’ai voulu entrer... Mais... quelqu’un d’autre est arrivé... Puis est ressorti, couvert de sang... J’ai eu peur, vous comprenez ? Je suis pas tout de suite parti voir la police. Mais, après, j’ai été les voir... et c’est là que... on m’a enfermé...
- Qui ? Qui as-tu vu sortir de la maison où venait de se dérouler un meurtre ?
- Lui... le surveillant... Il était couvert de sang, quand je l’ai vu...
Gallant et moi échangeâmes un regard, estomaqués par la révélation.
- Morel ? Demandai-je. C’est Victor Morel que tu as aperçu ?
Albin secoua la tête.
- Non, l’autre... Rolland... C’est Maxime Rolland qui les a tué...
Gallant n’en attendit pas plus.
Il tourna les talons et partit en courant, montant les escaliers quatre à quatre. Mais, en mon for intérieur, je connaissais déjà la suite. Il irait demander à l’accueil où se trouvait le surveillant. Et on lui répondrait que Maxime Rolland était sorti de la prison. Il avait déjà dû fuir.