Il fallait se battre, résister contre la volonté du monde pour respecter celle d’Ildarifyël, pour sentir pulser dans ses veines le souffle contre-nature qui maintenait à lui seul désormais les serres de Kaeldra. On ne pouvait plus vraiment appeler « mains » les lambeaux de chair cristallisée qui avaient hérissé les bras de la magicienne, et ce sentiment d’être de moins en moins proche de la pitoyable créature qui était tombée dans le Talliar la grisait. Un jour, elle aurait plus de pouvoir que le Roi qui avait asservi sa terre et celui qui l’avait détruite, alors elle retournerait à Tarissin et nul n’oserait jamais plus l’en déloger.
La brume de Cylrien déposait sans cesse des gouttes brillantes sur son corps, qui grinçaient en gelant dans l’air matinal, le sel de la mer s’agrégeait à sa peau, faisait partie d’elle. Du bout de ses multiples doigts, l’adolescente tranchait ce manteau gris, laissant exploser sa volonté au rythme chirurgical de sa respiration. Elle dansait, lentement et sans grâce, répétant à la perfection les mouvements élaborés avec Arig, et le monde pliait devant elle. Les embruns se nouaient et se dénouaient jusqu’à l’autre bout du port abandonné, le vent soulevait les rocs au fond de l’eau, les vagues s’élevaient en silence jusqu’à arroser le haut des falaises. Puis, un bruit. Quelqu’un était là, avec elle, caché, sournois ; il venait pour elle, pour lui faire du mal, personne ne venait jamais jusqu’au port. Mais Kaeldra était plus forte, elle s’était défendue par le passé et se défendrait toujours. Un déluge de feu surgit du vide, lancé dans toutes les directions dans un fracas assourdissant.
Sur son passage, la poussière brunissait avec un crépitement pressé, l’air empestait et la brume s’éclaircissait soudainement. Entre les flammes denses, hautes, larges, rondes, pointues, voraces, on distinguait le vieux ponton craquant, la pierre torréfiée des falaises, les docs en ruine dont le ciment brûlait, la chute d’un corps qui n’eut pas même le temps de hurler.
« Kaeldra, stop ! »
Le maître avait parlé, et l’apprentie retint dans l’instant son souffle pour endiguer l’hémorragie destructrice. Arig recouvrit les docs et le ponton d’une vague qui relâcha un panache de fumée, et se tourna, fâché, vers la jeune inconsciente. Derrière lui, le cadavre d’un chien, encore fumant, avait été égorgé par un trait de feu.
« Mais qu’est-ce qui a bien pu te passer par la tête ? Et si tu avais tué quelqu’un ? Et si quelqu’un t’avais vue ? Et si je ne t’avais pas arrêtée ? Sais-tu pourquoi je ne t’enseigne pas ces magies offensives, sombre idiote ? »
La jeune fille entendait à peine les remontrances de son tuteur, son cœur battait encore si fort qu’il étouffait le bruit alentour, et ses yeux révulsés l’empêchaient de voir nettement. Elle avait eu peur, et avait agi sans réfléchir ; ce n’était pas digne d’une mage.
L’entraînement aurait pu durer des années, mais la coopération d’Ildarifyël rendait tout cela tellement plus facile. Il n’était pas étonnant, alors, qu’une enfant arrivée à l’automne ne sache que faire d’un tel pouvoir à l’hiver ; par ailleurs, Arig savait pertinemment qu’il n’avait plus rien à lui apprendre en ce qui concernait la puissance pure, mais il devait la garder sous son aile pour lui mettre dans la tête quelques rudiments de maîtrise de soi, et d’éthique. Son apprentie avait nourri une rancœur envers toutes ces armées qui sillonnaient le continent, envers tous ceux d’Erivor qui n’étaient pas mages eux-mêmes, envers les rois dans les palais d’or et les mendiants dans la poussière, qu’elle considérait comme les assassins de sa famille. Il n’aurait pas dû lui parler aussi longuement de l’oppression qu’avait subi son peuple, qui sait avec quoi cela avait pu résonner dans son esprit livré à lui-même ?
Et il fallait continuer se cacher. Le sentiment d’invincibilité sans cesse murmuré à son oreille donnait à Kaeldra l’envie irrésistible de jeter son existence à la face du monde, après des mois d’entraînement en secret. Elle ressentait brûler un feu dans son âme, et sa maîtrise des flammes était d’une époustouflante rareté ; elle le savait. Alors pourquoi se cacher ? La peur qu’elle pourrait inspirer suffirait à la protéger. Mais Arig savait mieux, et après tout ce qu’il avait fait pour elle la magicienne refusait de le décevoir. Elle respectait son histoire, et ses craintes.
Kaeldra s’éloigna pour enterrer ce pauvre chien, et ce fut sur le visage de sa mère qu’elle jeta les dernières poignées d’humus. Elle aurait été si fière de sa fille…
« Il faut rentrer maintenant, le jour va dissiper la brume. »
Le maître et l’élève retournèrent à l’abri de la tour rose, là où le froid de l’hiver et le regard des Hommes ne sauraient les atteindre. L’un boitant, épuisé par les trajets incessants entre le port et les hauteurs, l’autre boitant aussi, pour dissimuler ses appendices préhenseurs sous sa cape trop petite.
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Il l’avait fait, c’était là sous ses yeux ; le sceau de ses ancêtres brillait encore d’encre humide. A quelques mètres de là brûlait une dernière bûche, elle craquait sombrement et lançait ses flammes émaciées vers les mains du souverain. Cette petite fée scintillante semblait l’appeler, cet ange gardien qui n’avait jamais faibli devant aucun décret, aucun conseil, aucune déclaration de guerre, lui soufflait d’abandonner cette folie. Il ne faudrait que quelques secondes pour ne pas prendre ce risque.
L’Empereur doutait de plus en plus sérieusement de sa résolution. La peur de la magie venait d’un autre âge, mais elle était toujours présente dans le sang rivéen, Trehellom n’y faisait pas exception. La lignée impériale avait beaucoup perdu en se battant contre les Maîtres-dragons, mais les magiciens d’Erivor étaient un peuple encore plus grand. Oui, il était temps de libérer ce peuple : Trehellom Hamzarin ne serait pas retenu comme le tyran qu’exigeait sa dynastie.
« Nous prenons la bonne décision, Chotov, il ne faut pas hésiter. L’avenir se souviendra de nous, car nous ouvrons la voie à un nouvel âge.
— Ce sera un âge d’or, sans doute, pour Erivor.
— Et si nous échouons, il n’y aura plus d’Erivor. »
Quelles conséquences cela aurait-il au-delà de la guerre ? Ni lui ni Chotov ne pouvaient répondre à cette question, toutefois l’Histoire en serait renversée, sans l’ombre d’un doute. La magie avait été bannie pour assurer la sécurité d’Erivor, mais c’était alors un autre âge. Le monde avait-il tant changé ? Ce n’était pas de son vivant que Trehellom le saurait. Il ne fallait pas répéter les erreurs du passé, et la Chasse aux sorcières avait été l’une des pires erreurs de l’Empire. L’encre avait déjà pénétré le papier, s’était accrochée aux fibres, tous ceux qui avaient porté ces armoiries avant lui avaient signé en même temps que l’Empereur. La décision était prise, il l’avait fait.
L’espoir commençait sérieusement à décliner. Le conseil d’urgence avait principalement permis de constater l’incapacité générale à endiguer l’hémorragie militaire de l’armée rivéenne, et les derniers généraux avaient été envoyés au front pour tenter d’éviter un siège à Tulengrad. L’hiver venait tout juste de commencer, alors chaque semaine gagnée rapprochait la ville d’une chance de survie. Mais c’était une toute autre question qui inquiétait le souverain.
« Ce que disait le général Brahmir tout à l’heure, qu’en pensez-vous Chotov ? Dites-moi la vérité, est-ce que Drashar pourrait avoir un autre but que la vengeance ?
_Au Nandrill, tous les grands chefs connaissent un proverbe, selon lequel la guerre a toujours pour seul motif le pouvoir. Ce doit être vrai pour les rois du Nord aussi. »
Il resta quelques instants muet, plongé dans ses pensées. Les îles Skaâles s’étaient déjà vidées de la moitié de sa population au nom de cette guerre, mais ses soldats affluaient toujours plus nombreux, ne faiblissant pas en piétinant les cadavres de leurs frères, jamais abattus par la faim ni la désertion, et pour un salaire de misère car c’est bien là tout ce que pouvait leur donner leur Roi. Que leur avait-il donc promis en Erivor ? Qu’allait-il y chercher lui-même au prix de son propre peuple ?
« Il doit y avoir sur vos terres un pouvoir immense que nous ignorons mais qu’il connaît et convoite. Peut-être a-t-il lui-même avec lui des mages capables d’utiliser un tel pouvoir.
_Il ne peut pas s’agir de magie, Drashar n’est pas vraiment le fou que nous prétendons, il ne sacrifierait pas son royaume même pour l’immortalité. Ce n’est pas non plus Tarissin, ni les Côtes de Fer, sinon il ne serait jamais descendu tellement au Sud. »
L’Empereur devait bien s’avouer vaincu, il lui était impossible de percer à jour les intentions de son ennemi. Et pourtant, les armées étaient bien là, à quelques jours de Tulengrad seulement. Les derniers généraux mobilisés ne permettraient pas d’éviter un siège, seulement de gagner du temps pour trouver un miracle qui sauverait les dernières villes du Sud. Excepté la capitale, il ne restait guère que Cylrien pour représenter la puissance de l’Empire ; partout ailleurs, il ne restait plus une cité au-dessus de laquelle ne flotte la bannière bleu, plus un seul village au centre duquel elle ne soit pas plantée, pas même Talma, la forteresse dans les montagnes. L’espoir commençait sérieusement à décliner.
Et ces Chevaliers qui ne faisaient rien ! Leur dieu était perdu, et ils ne daignaient même pas participer aux recherches. Ils restaient stoïques et silencieux, ne se mêlant à personne, n’aidant personne ; chacun d’eux était un chef de guerre, possédait la force de frappe d’une compagnie entière, et il était impossible de le forcer à se battre. Trehellom lui-même avait toujours été au front, et il le serait encore quand viendrait la dernière bataille pour Tulengrad ! Chotov avait sacrifié certains de ses meilleurs agents à la recherche d’un fille qui n’avait peut-être de pouvoir que celui de régner sur les cœurs des croyants. Et sur la table de la salle des conseils, devant la cheminée plusieurs fois centenaire, la Constitution venait d’être changée : le texte sacré et immuable de l’Empire recevait sa première rature au nom de la dernière chance, mais ces putains de chevaliers ne sortiraient pas de leur mutisme.
Prenant quelques instants pour se calmer, les doigts croisés et la tête baissée sur le bureau usé, le maître d’Erivor ressembla ce qu’il lui restait de flegme. Il scella l’ordonnance et la tendit résolument à son conseiller. Toutefois, avant qu’il ne parte porter au Sénat la nouvelle, l’Empereur l’arrêta d’une main et se fissura soudainement. Dans un instant de fatigue, il murmura :
« Chotov, comment avons-nous laissé faire ça ? »
Le conseiller fidèle ne répondit pas, ce n’était pas nécessaire.
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Dévalant les marches qui descendaient de la salle du conseil, le Grand Sénateur tentait de reprendre contenance. Son souverain ne se comportait jamais ainsi, il restait toujours un roc sur lequel se construisait la vie de l’Empire. Les généraux avaient été catastrophistes certes, mais ils le sont toujours. Il était difficile de croire que Trehellom, le vaillant et le sage, prenne peur pour une guerre pas encore perdue, lui qu’on avait vu braver la mort et combattre jusqu’au désespoir sur la Mer des Caprices, lui qui avait abandonné son nom et son mariage sur une île du Sud quand le devoir l’avait appelé. Si l’Empereur avait peur, alors il devait y avoir une bonne raison d’avoir peur. Et Cagtha n’avait toujours pas rendu de rapport depuis cette nuit où elle était partie, nul ne sait où vers le Nord.
Aldhuïr la connaissait depuis bien avant sa rencontre avec l’Empereur, ils étaient même encore mariés selon la loi d’Eltchekova, et il la savait capable de miracles pour sauver sa vie ; mais que ferait-elle contre une armée ? Le Nandrill était l’allié historique d’Erivor, et leur nationalité à tous les deux se lisait sur leur visage. Il y avait donc plusieurs milliers de soldats susceptibles de s’en prendre à elle dès qu’ils la verraient. Mais depuis sa tour d’ivoire, Chotov ne pouvait rien faire.
Après un instant d’hésitation, il reprit sa marche vers le Sénat, portant cérémonieusement le manuscrit sur lequel reposait désormais tous leurs espoirs. Les trois cents nobliaux de l’hémicycle seraient difficiles à convaincre. Avec sa tête d’étranger, Chotov passait déjà pour un sorcier auprès d’eux, sans compter qu’il avait récupéré le poste de Grand Sénateur sous le nez de ceux qui avaient passé leur vie au service de l’Empire ; alors leur faire accepter une modification de la Constitution, surtout concernant la magie, c’était impossible. Il était temps de faire ce qu’il faisait le mieux.
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Sous le dôme argenté, il ne restait déjà plus rien d’Ildarifyël. L’arbre était tombé en poussière en quelques jours, et la poussière avait été balayée par les allées et venues incessantes. Fron na’Warya détestait cet endroit, aussi beau soit-il, mais il fallait bien se conformer aux traditions locales si elle ne voulait pas que sa prise de pouvoir ne soit un échec retentissant ; alors elle tournait en rond d’impatience devant le trône de pierre de la salle du Conseil. Cela faisait plusieurs heures qu’elle avait envoyé chercher un certain Sisyle, fils de l’ancien bourgmestre qu’elle avait amèrement regretté d’avoir fait tuer avec les chevaliers.
En effet, Talma se mourrait. De faim, bien sûr, de soif, de froid, d’isolement et de tous les maux qui guettent ceux qui s’aventurent trop loin dans le désert. Comment diable une telle cité avait-elle pu survivre aussi longtemps ici ? Alors qu’il n’y avait ni champs, ni forêts à plusieurs jours de marche, que cet endroit était plus aride que les terres les plus abandonnées des îles, des gens vivaient là. Malgré le rationnement, les vivres venaient à manquer, et trouver un dignitaire qui eut connu le secret de Talma devenait une question vitale.
Enfin, la grande porte s’ouvrit et l’on fit entrer un garçon qui ne devait pas avoir beaucoup plus de vingt ans, encadré par une douzaine de gardes. Il était épuisé, et sa lèvre inférieure semblait pendre de son visage tant elle était enflée.
« Merci, vous pouvez disposer. Non, Ilfsdör tu restes, les autres partez. »
Les soldats se dispersèrent, et le dénommé Ilfsdör ferma les battants derrière eux.
« Mes hommes sont parfois des brutes, il faut les excuser car je suis pire qu’eux. Mais, vois-tu, j’aime beaucoup cette ville, je suis même prête à m’adoucir pour elle, te rends-tu compte ?
_Allez bien vous faire foutre. »
Ilfsdör donna un grand coup de son gant de métal dans la mâchoire du jeune homme, qui tomba à genoux
« Je ne reçois de tels ordres de personne, morveux, et peut-être devrais-tu songer à montrer plus de respect à une femme qui peut te donner tout ce dont tu as jamais rêvé. » elle laissa résonner sa promesse dans le silence, et reprit juste à temps pour ne pas laisser le temps à son prisonnier de reprendre son souffle « Tu étais quoi, cinquième, sixième, d’une famille avec un seul héritage ? Quel chanceux te voilà, tu es le premier que nous retrouvons, alors c’est à toi que je vais faire une offre extraordinaire. Hyldranir, ne veux-tu pas être Intendant de Talma ? »
La Général avait-elle perdu la tête ? Le titre d’Intendant ne pouvait être accordé qu’à un homme du Nord, et il était absurde de donner autant de pouvoir à un ennemi notoire. Le soldat ne dit pourtant rien, parce que ces choses-là n’étaient pas de son ressort mais surtout parce que le talent tactique de la Général Warya était légendaire. Elle avait choisi le plus jeune des fils du bourgmestre, et lui offrait un avenir absurdement brillant, peut-être n’avait-elle pas le choix, la ville était presque perdue.
« Vous mentez, et je ne travaillerai pas pour vous !
_Si tu ne me crois pas, je peux rédiger devant toi l’ordonnance de création du titre. » ironisa-t-elle en posant un grand livre argenté sur le fauteuil le plus proche. « Tu sais lire rivéen, non ?
_Comment avez-vous eu ça ? Les Chevaliers le cachent depuis des siècles !
_Ça ? »
L’étrangère souleva le livre d’une seule main, étudiant nonchalamment la couverture. Le codex administratif du Conseil ressemblait tout-à-fait à un ouvrage ordinaire, et il n’y avait de toutes façons aucun sacrilège à y rajouter quelques lignes.
« Il est vrai qu’arracher leurs secrets à ces fanatiques n’a pas été facile, mais vois-tu il nous en manque un, que tu vas de toutes façons nous donner pour sauver ta vie et celle de ton amie qui t’as caché. Autant en profiter pour devenir l’homme le plus puissant du nouvel Est. »
Il fallait se rendre à l’évidence, les envahisseurs avaient gagné, ils avaient le pouvoir, alors ce titre était certainement la dernière chance d’empêcher Talma de tomber totalement aux mains des Skâals. Sisyle se disait qu’il resterait fort, qu’il saurait ne plus jamais plier devant son ennemi dès que la situation serait moins désespérée. Il ne perdit pas son temps à réfléchir, et se releva presque fièrement sous le regard émerveillé de la sorcière des îles.
« Que donc peut faire un fils non héritier pour vous plaire ?
_Voici ta première leçon, Intendant : cruel, on gagne, mais magnanime, on règne. »
Alors c’était si simple. Talma n’avait de secret que sa dépendance à une ville au milieu des Vangûls, qui n’apparaissait sur aucune carte en-dehors du désert, inaccessible aux voyageurs de passage : Ezinmart, le Porte des Chiens. Chevauchant presque seule vers la Sud à la recherche de ce fantôme, Fron na’Warya repensait à ses batailles. Sanglantes, effrayantes, terribles, mortelles et parfois perdue, elle ne les regretterait pas. Ce mythe de l’officier rêvant de la guerre, la désirant, la chantant, n’avait plus vraiment de sens dans le Nord ; les terres étaient mortes depuis longtemps, et la guerre ne servait plus qu’à noyer la misère. Voilà quelque chose que Drashar avait apporté dans les îles : l’union, et la paix. Ses méthodes étaient certes contestables, mais il avait su réveiller l’âme d’une nation que l’on croyait perdue depuis des siècles, il avait fait de la guerre un outil plutôt qu’un prétexte, et de ses sujets un peuple. C’était le premier Roi qu’elle admirait depuis le couronnement de son aïeul, alors elle comptait prendre grand soin de la ville et de la mission qu’il lui avait données.
A l’endroit que le jeune Intendant avait désigné sur la carte, il n’y avait d’abord rien. Puis soudainement, en se déplaçant lentement et en levant la tête, les soldats furent stupéfaits de voir s’étirer au-dessus de leurs têtes deux créatures de pierre, tellement immenses qu’elles se fondaient dans la montagne. La Porte des Chiens surplombait le monde, jetant un tapis d’ombre par-dessus le sable.
« Seigneur ou Roi, qui que tu sois sous ta montagne, ouvre-nous donc tes portes ! »
Le plus gradé des émissaires répéta trois fois son appel, et parla même au nom de Talma, mais rien ne se produisit. Seul le silence du désert répondit pendant de longues minutes, avant que la Général ne commence à maudire cet incapable de fils de bourgmestre. Une voix grave et moqueuse s’éleva alors depuis quelque crevasse dans le roc.
« Voilà qui est bien mal avisé de votre part, Général Warya, j’aurais imaginé qu’un commandant de si grand renom aurait plus de culture et de patience. »
Les deux géants de pierre semblèrent murmurer quelque chose qui fut emporté par le vent, et un sinistre craquement retentit entre les falaises. Dans un nuage de poussière dorée, la montagne s’éventra, vomissant du sable aux pieds des soldats qui commençaient à s’agiter ; lorsque cette tempête retomba enfin, les deux chiens encadraient l’immense entrée d’une ville qui s’étalait en contrebas. Se détachant de ses courtisans à l’allure résolument exotique, un homme s’avança vers les intrus ; sa couronne était de cuivre, verdie par endroits, et descendait sur son visage comme un casque du premier âge.
« Je suis Eugard de Thorre, Roi d’Ezinmart. Vous venez chercher mon aide et je vous attendais. »
Warya fit signe à ses hommes de la suivre quand elle fut elle-même invitée à entrer dans la cité souterraine. Les gens d’Ezinmart n’étaient pas très attentifs au protocole, ils ne demandèrent même pas à leurs hôtes de déposer leurs armes. Tous ici semblaient insouciants, ce qui contrastait cruellement avec les blessures encore vibrantes de la guerre à Talma.
Les murs étaient de grès et de chaux, et des toits de bois fin couronnaient les tours qui n’atteignaient pas le plafond de la cavité assommante où se lovait cette ville. Au centre, un enchevêtrement de ponts et d’escaliers occupait un grand puits dont on distinguait à peine le fond, rempli d’une eau qui illuminait tout le petit royaume et dans laquelle on devinait une grande forme mouvante. Partout, des lampes forgées abritaient de petites colonies d’insectes scintillants en symbiose avec d’étranges lierres fleuris, des plantes et des arbustes aux troncs déformés et pâles avaient percé le sable pour faire surgir leurs feuilles sous les fenêtres, soutenant parfois un balcon. L’aristocrate Skâale n’avait jamais rien vu de tel, pourtant elle avait longtemps voyagé. C’était donc ce miracle qui maintenait Talma en vie...
« Vous avez étés bénis des dieux, sans doute.
_Nul dieu ici, Général, seulement le travail acharné de tous nos aïeuls depuis les premiers pionniers. »
Le Roi mena le petit cortège jusqu’à son palais qui se trouvait de l’autre côté du puits par rapport à la Porte des Chiens, et fit servir un banquet pour ces braves qui avaient traversé le désert. Du pain frais, de la soupe de fruits, des poissons multicolores, des scorpions grillés et autres serpents du désert impressionnèrent les soldats du Nord, déjà étonnés d’être traités comme une délégation diplomatique. Eudgard de Thorre ne laissa toutefois pas à la Général le loisir de se restaurer avant de commencer son interrogatoire.
« Ainsi Drashar regarde vers l’Est, n’est-ce pas ? Ezinmart n’est pas une nation d’explorateurs, mais nous pouvons vous faire survivre dans ces montagnes aussi longtemps que vous en aurez besoin, n’y a-t-il pas là une alliance intéressante pour votre Roi et moi-même ?
_Je ne souhaite pas divulguer la mission données par mon Roi, répondit l’illustre invitée avec méfiance, et c’est en mon propre nom que je négocierait aujourd’hui.
_Bien sûr, et bien que je ne doute pas que vous reviendrez au sujet de cette affaire, j’en ai une peut-être plus intéressante à vous proposer.
_Ma seule exigence est que vous fassiez commerce avec Talma pour la nourrir.
_Pour cela, vous pouvez toujours me proposer des prix avantageux, mais je doute qu’un royaume ruiné qui a engagé ses dernières forces dans une guerre perdue d’avance en ait les moyens. »
Warya était furieuse. Le Roi d’Ezinmart était loin d’être un fin négociateur, mais il était de loin le plus puissant. Se retenant de brandir la menace d’une invasion par Yhtrvê, la Général attendit la fin du banquet pour s’entretenir à l’écart avec le souverain, loin des oreilles indiscrètes de la Cour. L’étrangère attendait que son hôte prenne la parole en premier, s’exaspérant qu’il ne le fasse pas, et trouva sa patience presque à bout juste avant que ce dernier n’explique la raison de ce si chaleureux accueil.
« Les oracles m’ont parlé, il est temps. Temps que ce monde revienne entre les mains des Hommes plutôt que celles des dieux ; et pour cela, je pense que vous pouvez m’aider, vous qui êtes du sang des Vulduyn. »
Le ton avait changé, il se voulait plus grave et les mots semblaient porter plus de sens ; la parole des oracles représentait infiniment plus pour ce Roi que tout ce qu’il aurait pu obtenir de la résurrection de Talma. Evoquer son ascendance lui déplaisait habituellement beaucoup, mais Warya n’avait que faire des dieux. C’était elle qui avait abattu Ildarifyël et ne le regrettait pas, aussi elle se trouvait tout-à-fait disposée à aider Eudgard de Thorre dans sa quête pourvu qu’il sauve la ville conquise.
« Que dois-je faire ?
_Ildarifyël se cache sous les traits d’une adolescente protégée par quatre chevaliers en fuite. Finissez ce que vous avez commencé, libérez Adynehil de son emprise, et vous aurez posé la première pierre d’un nouvel âge. »
Il était inutile d’insister, la rancœur que nourrissait la grande conquérante pour cet arbre suffisait amplement à justifier de le poursuivre dans sa retraite, aussi lâche fut-elle. Ainsi furent renoués les liens vitaux entre les deux cités du désert.
Avant même qu’elle n’aille annoncer la bonne nouvelle à sa délégation, la Général Skâale fut interrompus une dernière fois par le Roi d’Ezinmart.
« Partez au plus vite, et partez seule. Vos hommes régneront en votre absence »
J'aime beaucoup l'évolution connue par Kaeldra depuis le début de l'histoire. D'adolescente martyrisée, elle est devenue une magicienne puissante qui rêve d'utiliser ses pouvoirs.
C'est sympa d'avoir plusieurs pdv, notamment ceux de personnages importants comme celui de l'empereur. Ca permet d'avoir une vision plus globale de la géopolitique de ton univers (même s'il va me falloir encore quelques temps pour être complètement au point je pense xD).
Petites remarques :
"Toutefois avant qu’il ne parte" virgule après toutefois ?
"généraux avaient été catastrophistes certes, mais ils le sont toujours." -> ils l'étaient ?
"où elle était partie nul ne sait où vers le Nord." virgule avant et après nul ne sait ?
"où Il était temps de faire ce qu’il faisait le mieux." -> de se remettre à ce qu'il faisait (pour éviter la répétition ?)
"Mes hommes sont parfois des brutes, il faut les excuser car je suis pire qu’eux." j'aime bien la tournure xD
"_Voici ta première leçon, Intendant : cruel, on gagne, mais magnanime, on règne. »" phrase très stylée xD
J'attends la suite avec impatience (=
A bientôt !
Merci tu me rassures sur Kaeldra, j'avais peur que l'ellipse plombe le rythme de son évolution, contente que ça ne soit pas le cas ^^
Pour ce qui est des fautes que tu m'as pointées, je vais modifier la première et le troisième (la deuxième est au présent de vérité générale, donc il me semble que c'est toléré mais je vais vérifier quand même, et la répétition est intentionnelle parce que c'est justement quelque chose qu'il fait tout le temps)
Par contre la suite... je ne la promets pas tout de suite '^^ C'est un chapitre clé qui arrive, et je ne sais même pas encore dans quel ordre présenter les événements, donc ça pourrait prendre du temps
Merci beaucoup d'être passé en tous cas ! À bientôt
Et prends le temps qu'il faut pour la suite (=
Et je ne m'étais pas rendue compte que je n'avais plus écrit depuis si longtemps, finalement ça ne m'étonne pas tant que mon niveau ait tellement baissé... Merci d'avoir suivi cette histoire en tous cas, et je ferais de mon mieux pour qu'elle reprenne
Wow, effectivement ça fait un peu bout de temps !
"(mes thèmes ont déjà été traités par plus talentueux que moi, je vais devoir trouver autre chose à raconter)" Je peux pas te laisser dire ça. Je pense que c'est normal pour tout auteur de se questionner de sa légitimité au vu de tout ce qui existe déjà. Mais on a chacun une individualité et des vécus différents qui nous rendent légitimes à raconter des histoires. On peut raconter cent fois la même narrative, le même thème, ça ne sera jamais la même chose si c'est compté par des personnes différentes.
Sincèrement, je ne pense pas que le niveau d'écriture baisse considérablement avec le temps. Evidemment, ça n'engage que moi mais je pense que c'est juste une question de s'y remettre et c'est en effet super difficile de se remettre une histoire écrite il y a très longtemps. tout simplement parce qu'on évolue et on ne se reconnaît parfois plus dans ce qu'on a écrit dans le passé. Ca veut peut-être dire qu'il faut attaquer de nouveaux projets.
J'ai pris beaucoup de plaisir à lire cette histoire ! Je me souviens encore que ton histoire est une des premières que j'ai commencées sur PA. Que tu la continues ou non, je serai curieux de voir d'éventuels futurs projets (= J'ai vu que tu avais posté des histoires courtes, curieux d'aller découvrir ça !
Plein d'ondes positives !
A bientôt (=