Les semaines passaient et la routine s’était installée au Fredbear’s Family Diner. Le public était au rendez-vous et de plus en plus nombreux, pour sa plus grande joie, et s’il écartait les problèmes récurrents avec cette satanée Marionnette, tout allait pour le mieux. Le restaurant fermait à minuit désormais, pour laisser le robot vaquer à ses occupations nocturnes. Il avait décidé que tant que ça restait nocturne, ça ne le concernait pas.
William n’avait pas chômé à côté de ça. Pour commencer, il avait fait remplacer toutes les serrures de l’établissement, ainsi que le système de sécurité. Tout se faisait désormais à l’aide de cartes magnétiques qui lui assurait plus de tranquillité. Entre temps, il avait aussi convaincu l’agence immobilière de lui vendre la maison qui se trouvait derrière le restaurant. Il y avait déplacé son atelier, autant par crainte que Henry revienne y mettre le nez que par confort. Il avait désormais une pièce plus grande où il pouvait travailler de manière plus sereine.
La maison avait encore besoin de quelques ajustements cela-dit. L’eau était froide, et l’électricité sautait dès que deux appareils électriques fonctionnaient en même temps. Mais c’était chez lui. Le déménagement permettrait de rapatrier la plupart des meubles chez lui. Il dormait pour l’instant sur un vieux canapé prêté par un parent du restaurant, mais cette situation temporaire lui valait de sérieux maux de dos. Son lit lui manquait autant que la chaleur de sa femme. Certes, travailler sur ses robots toute la journée lui plaisait beaucoup, mais le travail sans Henry avait tendance à être trop solitaire. Les endosquelettes vides lui filaient la frousse et il tremblait à chaque fois qu’il ouvrait un des robots de crainte que le cauchemar ne recommence. Il avait beau prétendre que tout allait bien, ce qu’il avait vu restait ancré dans sa mémoire.
Le jour qu’il attendait tant arriva enfin. Le temps était pluvieux, mais les clients bien présents au Diner pour tester la toute nouvelle salle d’arcade ouverte au public. William avait bataillé des heures durant avec le vendeur pour obtenir quatre bornes. En échange d’une taxe de dix pourcents de chaque jeu, le gérant pouvait en faire ce qu’il voulait. Les enfants les avaient déjà adoptées et la rentrée d’argent supplémentaire était assez conséquente pour envisager d’autres projets sur l’avenir. William voulait agrandir le restaurant par la suite, et il espérait pouvoir décrocher quelques subventions dans les semaines à venir pour le faire. Le marché était fructueux et les curieux venaient parfois de très loin pour admirer ses créations, ce qui était très encourageant pour l’avenir.
Le seul point un peu plus sombre de son entreprise était le manque de personnel. Malgré la bonne volonté des parents mis à contribution, il était débordé par le travail. Les services n’étaient qu’une facette minime du travail, il y avait également l’administration, la gestion des remboursements, les demandes de subventions et la création des nouveaux robots. Il ne savait plus où donner de la tête. Sa femme avait accepté de l’épauler le temps qu’elle trouve un nouveau travail à Hurricane, ce qui le soulagerait d’un poids temporairement le temps de trouver une solution de remplacement. Il avait besoin d’un manager, mais la ville, encore petite, ne possédait pour l’instant personne avec les compétences nécessaires à la gestion de la partie robotique de la pizzeria qui rendait frileux les rares qui osaient postuler.
Il avait trouvé un ami inattendu dans la gestion juridique de son entreprise : Clay Burke, l’officier de police. En échange de pizzas gratuites pour son fils, il s’occupait des conseils juridiques et des négociations de droits pour les robots. Les deux hommes s’étaient beaucoup rapprochés ces dernières semaines et William était régulièrement invité à dîner chez eux. Il s’était attaché au charisme du jeune homme, toujours très passionné par son travail.
William, perdu dans ses pensées, en oublia presque la fournée de pizzas au four. Il revint brusquement à lui et les sortit. Certaines avaient un peu noircies sur le dessous, mais c’était les risques de l’artisanal. Personne n’avait encore eu l’audace de lui reprocher sa cuisine, il l’assumait lui-même, catastrophique. Il n’avait pas eu de formation de cuistot contrairement à Henry et se démenait du mieux qu’il pouvait, parfois avec quelques couacs. La grille lui brûla les doigts et tout tomba à terre, face contre le sol. Le gérant leva les yeux au ciel et étouffa un juron. Il ne manquait plus que ça.
“Monsieur Afton ?”
William se tourna vers la porte de la cuisine. C’était ce vieil homme, encore une fois, le créateur du dessin animé. Le gérant de la pizzeria se força à sourire tout en poussant la pizza sous le plan de travail du bout du pied. Cet homme le mettait mal à l’aise. Il dégageait un charisme qui sonnait faux, trop commercial.
“Qu’est-ce que je peux faire pour vous, monsieur Fazbear ?
— Excusez-moi, j’insiste, c’est vrai. Pouvons-nous discuter quelques minutes de vos robots après la fermeture du midi ? Je serais patient.
— D’accord, abdiqua William. Vous pouvez vous installer en salle.”
Le vieil homme le remercia et s’éclipsa pour le laisser à sa cuisine. Le roboticien acheva le service, puis ferma la salle aux alentours de quinze heures, après le départ des derniers clients. Confortablement assis sur le banc, Frédéric Fazbear regardait SpringBonnie et Fredbear danser et chanter sur scène. William prit une grande inspiration et le rejoignit.
Les deux hommes restèrent un long moment l’un à côté de l’autre dans le silence, à observer les robots. William tiqua aux petits blocages de bassin de Fredbear. Malgré toute sa bonne volonté, ce défaut technique ne pourrait être réparé, lui rappelant à jamais ce qui s’était produit à l’intérieur de ce costume. Un frisson remonta le long de sa colonne vertébrale. Il concentra son attention sur le vieillard. Son costume taillé sur mesure dénotait avec l’aspect “américain populaire” des lieux. Ses cheveux blancs n’étaient plus nombreux et les imposantes lunettes qui portaient amplifiaient les traits vieillis de son visage. Il avait l’air de ces aristocrates un peu égocentriques que l’on trouvait à New York ou à Washington, tout en gardant une étincelle pétillante, un rêve d’enfant pas tout à fait accompli.
“Je vais mourir, monsieur Afton, commença-t-il sans préambule. Les médecins me donnent trois ou quatre mois tout au plus. On m’a diagnostiqué la semaine passée une tumeur au cerveau, qui ne demande qu’à s’aggraver. Dans quelques semaines, quelques jours peut-être, ma mémoire me fera défaut, et vous comprendrez donc l’urgence de la situation. Je n’ai pas de descendant, monsieur Afton. Du moins, pas qui mérite de s’approprier ma fortune. Mais vous, vous êtes un homme d’ambition et de talent.”
William ne répondit pas, à la fois surpris et touché par le compliment.
“Je souhaite propulser mon univers, Freddy Fazbears and Friends, à un autre niveau. Le dessin animé a fait son temps, les enfants de maintenant veulent quelque chose de plus réel, de plus concret et vivant. Quelque chose qui les fera vibrer. Et vous, monsieur Afton, vous avez trouver le moyen de réaliser cela. Vous avez donné vie à des personnages, vous leur avez donné une identité propre. Je souhaite vous offrir un cadeau bien plus puissant que l’argent. Je souhaite vous offrir mon oeuvre, ma licence. Vous pourrez créer des robots sans crainte de moyens financiers, et moi, je serais rassuré à l’idée que mon oeuvre perdure à travers le temps. Quand je parlais de racheter votre restaurant, je me suis mal exprimé. Vous serez toujours en charge de tout. Simplement avec de meilleurs moyens, de nouvelles idées. Il est temps d’offrir aux compagnons qui ont bercé mon aventure une nouvelle vie. Freddy, Chica, Bonnie et Foxy ont besoin d’une nouvelle main pour les guider. Accepteriez-vous de devenir leur ambassadeur ?”
L’intéressé ne sut quoi répondre. Il hocha la tête, indécis. Il s’agissait d’une grosse responsabilité, pas de celle que l’on décide en quelques jours. Le pari valait-il le coup ? Bien sûr, l’idée le séduisait. Avec un fond presque illimité, ses machines atteindraient des performances encore jamais atteintes ailleurs. Mais s’attirer le feu des projecteurs alors même qu’il essayait de faire profil bas suite à la bêtise de Henry, était-ce une bonne idée ? La réflexion prit cependant peu de temps. Il fallait être un parfait idiot pour refuser une proposition pareille. Il prit le temps de calmer l’excitation grandissante qui poussait en lui avant de répondre.
“Je ne sais pas si je serais à la hauteur, mais c’est quelque chose que j’aimerais faire, assurément. Je tâcherais d'être à la hauteur, dit-il les yeux brillants."
Il se tut quelques secondes, puis son visage s'illumina. Il se releva d'un seul coup et pointa la scène du doigt.
"Il faut que je vous montre quelque chose. Restez-là. Vous allez adorer."
Il quitta la salle et courut jusqu'à son bureau. Il ouvrit la porte de son atelier en grand et attrapa le boitier de commande de Foxy sur l'étagère. Dès qu'il appuya sur le bouton d'allumage, les oreilles du renard s'agitèrent, puis il releva la tête. Son bras se mit à s'agiter alors qu'il entamait déjà les lignes de sa boîte vocale. William joua un peu avec les différents boutons. Foxy se redressa et fit un pas fébrile vers la porte, son tout premier. Le poids du costume fit un peu fléchir l'endosquelette, mais il tint bon. Le voir ainsi enfin sur ses jambes réjouit William. Une nouvelle ère s'ouvrait à lui, plein de surprises et d'imprévus. De toute évidence, il était loin d'en avoir terminé avec la robotique.
Pas après pas, il fit avancer Foxy vers la sortie, puis dans le couloir. Le renard marchait de manière un peu bancale, mais sa démarche chancelante donnait de la crédibilité à l'esprit du pirate qu'il était censé représenter. Son cache-oeil buggait un peu et se levait et se fermait sans cesse, tout comme son crochet qu'il agitait frénétiquement dans l'air de temps à autre. William devait régulièrement se baisser pour l'éviter dans les virages.
Finalement, Foxy arriva enfin dans la salle de spectacle, sous les yeux de l'homme qui lui avait donné vie sur le papier. Un large sourire étira le visage du vieil homme qui se releva pour faire un tour de sa construction avec un enthousiasme non-dissimulé. A n'en point douter, ce qu'il avait sous les yeux lui plaisait énormément, à la grande joie de William, enfin récompensé après des mois de durs labeurs. Si le renard plaisait autant à son créateur, il était certain que les autres robots auraient autant de succès.
"Splendide ! s'enthousiasma Frédéric. Tout simplement splendide, monsieur Afton. C'est un véritable chef d'oeuvre.
— Il n'est pas encore achevé, rougit l'inventeur, un peu gêné. Il y a encore des pièces qui ne fonctionnent pas bien, des circuits à retravailler, mais j'ai bon espoir de parvenir à le mettre sur scène dès l'année prochaine.
— Où en sont les prototypes des autres ?
— Encore en cours de travail, répondit-il. Je commence à peine Freddy. Chica et Bonnie viendront ensuite. Foxy n'était qu'un prototype, comme je vous l'avais déjà expliqué il y a quelques mois. Et je sais maintenant ce qui doit être amélioré pour le reste du groupe."
Frédéric, émerveillé, buvait littéralement ses paroles. Il se tourna vers Fredbear et SpringBonnie, toujours en train de parader sur la scène. Une vague inquiétude brilla dans son regard.
"Et eux ? demanda-t-il. Qu'allez-vous en faire une fois l'équipe terminée ?
— Ils vont devenir des costumes portatifs, je travaille activement pour que ce soit le cas. Fredbear a encore de beaux jours devant lui, mais c'est un modèle vieillissant qui sera bientôt remplacé par SpringFreddy, Golden Freddy comme le surnomme Henry.”
L’homme hocha la tête, rassuré à l’idée qu’il ne jette pas ses prototypes à la poubelle au profit des nouveaux. Les deux hommes échangèrent une partie de l’après-midi sur les modalités de succession et ils convinrent d’un rendez-vous la semaine suivante pour s’occuper de la paperasse. En échange des droits d’exploitation, William s’engageait à renommer le restaurant “Freddy Fazbear’s Pizzeria” et à mettre davantage le héros du dessin animé au premier plan.
Lorsque le vieil homme quitta le restaurant, une voiture mauve se gara sur le parking, suivie d’un énorme camion de déménagement. La portière s’ouvrit à la volée et une tornade rousse fondit sur lui en piaillant des “Papa !” excités. Il rattrapa Elisabeth et la serra dans ses bras. Un grand sourire illumina son visage. Sa carrière venait de prendre un sacré nouveau tournant.
Avec toutes ces bonnes nouvelles, il ne peut plus rien arriver d'affreux, n'est-ce pas ? ;)