Chapitre 7 : L’élève normale
On se redresse aussitôt. Hermès, le regard fou, s’empresse de reposer son cookie et la boîte. Un second hurlement se fait entendre. Je crois que la voix articule quelque chose, mais d’ici, impossible de savoir quoi.
— Dies est ! s’exclame Hermès, le souffle court. Maeve !
Aussitôt, sa Maeve apparaît. En un instant, elle a compris que quelque chose n’allait pas.
— Dans le couloir, tu…
— Je suis sur le coup.
Maeve ne demande pas son reste et traverse la porte. J’avance d’un pas, me heurte au bras tendu d’Hermès.
— Non, attends. On sait pas ce qui se passe.
Un troisième hurlement hérisse mes cheveux sur ma nuque.
— Hermès, une Maeve pourra pas aider si…
— Chut.
Déjà, des pas résonnent dans le couloir. La seconde suivante, la porte s’ouvre à la volée. On pointe sur nous une arme, nous levons aussitôt les bras. L’homme au bout de l’arme jette un coup d’œil circulaire sur la pièce avant de ressortir aussitôt. Là, j’aperçois derrière lui que chaque chambre reçoit le même traitement. Je repousse Hermès et passe ma tête par le couloir. Des hommes en costume noir identique à celui qui a pénétré ici sont en train de courir de chambre en chambre. Une seconde plus tard, je vois Mikhaïl, protégé par deux d’entre eux, se faire entraîner en sens inverse. Ils l’encadrent, bras au-dessus de sa tête pour qu’on ne puisse l’atteindre… Il s’est passé quelque chose.
Quand il arrive à notre niveau, il lève les yeux vers nous, mais je ne lis aucune expression sur son visage. Il se laisse simplement emmener, docile. Las de l’exercice, peut-être.
— Tous les élèves doivent sortir !
La voix qui s’écrie du fond du couloir me fait revenir à l’urgence. Petit à petit, les hommes font sortir chaque élève de leur chambre. On est entraîné dans la vague. Je sens la main d’Hermès saisir la mienne, la serrer fort pour qu’on ne soit pas séparés. Au bout du couloir, on atteint l’aile de la terminale 2, qui subit le même sort que nous, puis celle de la terminale 3, puis l’étage du dessous et encore le rez-de-chaussée.
Tout le monde est évacué dans la cour. Les délégués de classe rassemblent les élèves, se mettent à nous compter. C’est Teiva qui passe dans notre rang. Il a une expression difficile à définir sur le visage.
Après un premier passage, il recommence. Ses sourcils se sont froncés.
— Qu’est-ce qu’il y a ? demande Éliott d’une petite voix.
Je ne les avais pas vu, tous les deux. Ils sont arrivés derrière nous avec Philo, mais ils regardent Teiva pour le moment.
Ce dernier se mord la lèvre.
— Il manque quelqu’un, annonce-t-il à voix basse.
— Mikhaïl, non ?
Teiva secoue la tête.
— Quelqu’un d’autre, ils ont déjà mis Mikhaïl à l’abri.
Alertée, je fais un pas pour sortir du rang et tenter de trouver l’absent. C’est là que je me rends compte qu’Hermès n’a pas lâché ma main. Bras tendu, je me penche néanmoins vers les autres. Je les compte silencieusement. Et quand je me retourne pour parler à Hermès, un électrochoc me traverse la joue. Je tombe en arrière, retenue de justesse par Éliott…
— Non mais ça va pas !
C’est la première fois que j’entends Hermès élever la voix. Il se penche et m’attrape sous les épaules pour m’aider à me relever. Éberluée, je lève une main à ma joue. Aïe. En trouvant Fiona face à moi, je comprends qu’elle vient de m’attaquer. Furibonde, elle est retenue par Teiva et Philo.
— C’est Laurie ! Il manque Laurie, qu’est-ce que tu lui as fait ! Espèce de garce, qu’est-ce que…
— Calme-toi, Fi ! intervient Teiva. De quoi tu parles ?!
— Laurie était partie la voir ! Qu’est-ce que tu lui as fait ?!
C’est à moi que s’adresse cette dernière question. Je frotte ma joue, nageant dans l’incompréhension la plus totale. Laurie voulait me voir ?
Je fronce les sourcils.
— Je lui ai rien fait, je l’ai pas vue !
— C’est ça, je vais te croire ! Pourquoi toi tu es là, et pas elle ?
Un soubresaut agite mon estomac. Je n’ai rien fait à Laurie, mais la question est en revanche pertinente. Si Laurie est partie me voir, pourquoi elle n’est pas là ?
D’instinct, je lève les yeux vers le bâtiment.
S’est-elle rendue à ma chambre ? Est-ce que c’est sa voix, qu’on a entendu… ?
Teiva fait soudainement un pas vers moi et mes poings serrent, mais Hermès s’interpose, orageux.
— Elle était avec moi ce soir. Les gardes de Mikhaïl pourront le confirmer.
Teiva ouvre des yeux ronds, puis il me jette un regard dégoûté.
— Rassurez-vous, on va tout vérifier, déclare-t-il froidement. Bougez pas pour le moment. Fi, viens avec moi.
Teiva la prend par l’épaule et la force à s’éloigner, malgré le regard farouche qu’elle me lance. D’instinct, je pense à Maeve. J’avais dit à Laurie de me contacter si besoin… L’a-t-elle fait ? Maeve était en veille. Devant mon absence de réponse, est-elle venu à ma rencontre ?
— Hermès…
Il se penche aussitôt vers mon visage.
— Ça va ? Désolé, je l’ai pas vue venir…
— Ça… ça va oui. Dis-moi, pendant que Maeve était en veille, est-ce que je reçois les messages qu’on a pu me laisser ?
Il fronce les sourcils, ses yeux allant à la rencontre des miens à une vitesse folle.
— Oui, je pense. Mais ne l’invoque pas maintenant, passe-moi plutôt ta tablette.
Je la lui confie, et en deux ou trois mouvements de doigt, il se fige.
— Elle… Tiens.
Il me tend la tablette, l’air mal à l’aise.
J’ai cinq messages de Laurie, envoyé coup sur coup. Ça concerne le devoir. L’ultime message : « Bon, je vais venir moi-même, puisque tu as décidé de m’ignorer. Je m’en fiche si tu dors, je te préviens ! » est envoyé juste après minuit. Juste avant le hurlement.
Un frisson me parcourt l’échine. Fiona ne m’a pas attaquée sans aucune raison. Laurie a dû lui dire qu’elle allait me voir. Je passe une main sur mon front alors qu’une migraine commence à percer. Qu’est-ce qui a pu se passer ?
D’un coup, des hoquets de surprise se font entendre. Des cris, même. Électrisée, je sors du rang pour découvrir ce qui provoque les réactions, Hermès sur mes talons. Le personnel de l’école s’est mêlé aux hommes de main du gouvernement. Au milieu de la masse qu’ils constituent, juste devant la porte d’accès au dortoir, on porte un brancard. J’aperçois des boucles blondes, mais c’est tout ce que j’ai le temps de voir avant qu’Hermès ne me tire en arrière. Je lève les yeux vers lui, il est blême.
— Te fais pas remarquer, glisse-t-il à mon oreille.
Mon instinct me souffle qu’il a raison. Pas à pas, je recule. Mon cœur cogne contre ma cage thoracique. J’aperçois Fiona, sortie du rang, qui se précipite vers le brancard. Elle a beau m’avoir attaquée, mon cœur se serre devant la scène. Elle hurle, tente de s’approcher, mais deux hommes la repoussent sans ménagement. Elle tombe sur les fesses en sanglotant, se relève aussitôt et essaye une nouvelle fois de passer le barrage de muscles. Sylianna Pomaraie quitte alors le cortège et s’approche avant que les choses ne s’échauffent. Elle laisse une Fiona anéantie s’effondrer sur son épaule…. Je ne vois plus que ça. Je n’arrive même pas à suivre le brancard emportant le corps de Laurie au loin.
Puis au bout d’un moment je vois la tresse de Fiona s’agiter. Elle se redresse, une colère lisible sur le visage, puis se tourne vers les rangs d’élèves. Quand elle me repère, elle lève un bras vers moi, pointe un doigt accusateur. Sylianna Pomaraie se fige une seconde. Puis elle a une sorte de sourire, désabusé, comme s’il se produisait une chose à laquelle elle s’attendait depuis bien longtemps.
Une ultime fois, Hermès se penche à mon oreille.
— Quand ils t’interrogeront, mentionne pas Mikhaïl. Quand ils voudront savoir pourquoi on était ensemble, dis-leur qu’on est en couple. C’est mal vu, mais ce sera toujours mieux… Tu peux leur parler du reste, de moi, du nox est, mais évite de mentionner Mikhaïl, je veux pas que les services du chancelier viennent t’interroger…
Je me retourne brusquement vers lui, stupéfaite.
— Compris ? insiste-t-il.
Il a une sincère angoisse sur le visage. Je hoche la tête. Il me relâche aussitôt, et juste après, une nouvelle main s’abat sur mon bras. Aucune douceur dans ce geste. L’un des hommes en noir m’entraîne. Tout devient flou. Je n’arrive plus à penser.
***
— Nous allons à présent entrer dans le vif du sujet, mademoiselle Porteval. Quels sont vos rapports avec Laurie Estevin ?
— Quasi inexistants, je suppose.
Face à moi, Éliane Cassan est lovée dans une robe poudrée agrémentée d’un boa de plumes blanches. Elle a un sourire doux, qui retrousse encore un peu son nez. Je me demande ce qu’elle pense de tout ça… Elle a tenu à être présente lors de mon interrogatoire, mais elle n’a pas dit un mot depuis que la porte s’est refermée sur nous. Elle laisse le chef de la sécurité scolaire et le représentant de la police de Port-Céleste mener l’interrogatoire, se contente d’être le témoin de notre échange. Ils m’ont demandé de justifier ma présence à Avril Cassan, et plus largement la raison pour laquelle je « visitais » Solavie. Les archives officielles ne doivent pas leur suffire, je suppose. Un dossier très complet a pourtant été constitué afin que j’obtienne une reconnaissance de nationalité solavienne.
J’ai tout de même répondu à leurs interrogations, lasse, mais Éliane Cassan écoutait attentivement mes réponses.
À présent débarrassé des formalités, le policier se penche vers moi, la mine sévère. Son insigne est trop brillant pour qu’il soit honnête. Je vois dans ses mouvements fébriles à quel point il se délecte de la situation. Il se sent fort. Il tient déjà la suspecte idéale pour ce crime nocturne.
— Si vous n’êtes pas amies avec Laurie Estevin, pourquoi se serait-elle rendue dans votre chambre ?
— On travaillait sur un devoir en binôme.
— À minuit passé ? interroge-t-il, déjà triomphant.
Je jette un regard blasé vers Éliane Cassan, et pour la première fois depuis le début de l’entretien, elle a un mouvement. Elle desserre son boa, le laisse glisser sur ses avant-bras, puis s’humecte les lèvres avant de parler :
— Des élèves qui étudient tard à Avril Cassan, vous ne trouverez pas plus courant, monsieur. Posez donc les bonnes questions.
Elle a parlé d’un ton velouté, mais je vois le policier hésiter.
— Bien… C’est donc normal ?
Le chef de la scolarité hoche la tête et ma directrice se laisse retomber contre le dossier de sa chaise. Vexé peut-être, le policier se rassoit et le second homme prend la parole :
— Mademoiselle Porteval, pouvez-vous nous dire pourquoi nous avons retrouvé des traces de Nebulatrex dans votre chambre ?
Lui a parlé d’un ton beaucoup plus neutre, et pourtant, mon cœur se met à battre la chamade. Du Nebulatrex… ? Est-ce ce avec quoi on a attaqué Laurie ? Le Nebulatrex est une drogue hallucinogène extrêmement violente, conçue à Esthola il y a longtemps, perfectionnée au cours de la guerre contre Larouel. Je réfléchis à toute vitesse, mais si j’en juge au regard suspicieux qui naît chez le policier, ce n’est pas suffisamment rapide. Ou peut-être s’attendait-il à ce que je demande ce qu’est le Nebulatrex ? Avant qu’il n’intervienne, je réponds :
— Je n’en ai aucune idée. Je ne possède pas de Nebulatrex.
— Vous savez donc ce qu’est le Nebulatrex ? rétorque le policier.
Bingo.
— Oui, monsieur. Je suis cultivée.
Ou estholaise en tout cas.
Il m’adresse aussitôt un regard assassin, mais Éliane Cassan, elle, a un nouveau sourire. Je perçois comme un vague sentiment de fierté chez elle qui me déplaît, alors je détourne les yeux.
Pendant quelques secondes, le policier et le chef de la sécurité échangent à voix basse pour que je ne les entende pas. J’ai comme l’impression qu’ils cherchent nouvel angle d’attaque, alors je les devance :
— Est-ce… Comment va-t-elle… Est-ce qu’elle est… ?
Je n’ose prononcer le nom de Laurie. Son hurlement perce encore mes tympans à cette heure.
— Mal. Très mal, répond le chef de la sécurité du même ton neutre. Sa vie est en jeu à l’heure où nous parlons.
Je déglutis péniblement.
— Non… Non, ce n’est pas possible. Le Nebulatrex n’est pas mortel, comment pourrait-elle être en danger de mort ?
— C’est à vous de nous le dire ! m’assène le policier.
— Je…
Eh bien, l’angle est plus obtus que je ne l’aurais imaginé. Finie la suspicion, on passe directement à l’accusation… ? J’essaye de réfléchir à un moyen de me dépêtrer de cette situation quand on frappe à la porte. Le chef de la sécurité se lève et va entrouvrir la porte. Puis il fait signe au policier de le suivre, qui se lève à son tour et me jette un regard froid avant de s’excuser auprès d’Éliane Cassan pour le dérangement.
Nous nous retrouvons toutes les deux, seules dans la pièce mal éclairée. Presque malgré moi, je cherche son regard. Je le trouve facilement. Elle m’adresse un autre sourire.
— Je suis innocente. Je ne lui ai rien fait.
Éliane Cassan penche la tête sur le côté, puis elle vient s’accouder sur le bureau qui me sépare d’elle.
— Je te crois, Solange.
— Vous… Vous me croyez ?
— Je te crois, affirme-t-elle. Donne simplement les bonnes réponses. Ce n’est pas si différent d’un examen, si ?
— Mais… Mais il a déjà décidé que j’étais coupable, non ?
J’ignore pourquoi elle me dit qu’elle me croit, mais en cet instant, il me semble que je ne peux me raccrocher qu’à elle. Les bonnes réponses, elle les connaît probablement. Cette directrice pas forcément appréciée, sœur d’une prof’ qui me hait profondément au seul motif de mes origines… Je ne doute pas que Sylianna Pomaraie aurait déjà suggéré la prison à mon sujet. Pourtant, j’ai le sentiment qu’Éliane Cassan veut m’aider. Je ne devrais pas me laisser berner par la douceur apparente qu’elle montre, mais j’en ai tout de même un peu envie.
— Ils ont besoin d’un coupable, murmure-t-elle. Qui pourrait être coupable, à ton avis ?
— Je n’en sais rien ! Tout le monde, n’importe qui ! Absolument n’importe qui du lycée… Ou même de l’université, on circule facilement à Avril Cassan ! Toute l’école est suspecte !
Oui… Oui, n’importe qui aurait pu le faire.
S’attaquer à Laurie.
S’attaquer à Laurie… ?
Et si… ?
— Je vois que tu y viens, murmure Éliane Cassan qui détaille mon expression. Ma question suivante sera donc : mais pourquoi aurait-on voulu s’en prendre à Laurie Estevin ?
— Elle n’était pas visée…
Je suis prise d’un haut-le-cœur alors que je réalise pleinement.
— C’était moi… C’était ma chambre !
Encore un sourire. C’est sa façon de guider le jeu, de montrer que j’ai compris. Ce que je peux être bête… Comment ai-je pu penser un seul instant que c’était à Laurie qu’on ait voulu s’en prendre ? Je m’empâte ici. Je sais que je devrais être sur mes gardes. Je sais que rien n’est acquis et que le chemin sera encore long. Qu’est-ce qui m’a pris, de croire que je n’étais pas visée ?
C’est à ce moment que le policier refait son entrée, seul cette fois. Je détache péniblement le regard de ma directrice, l’esprit embrumé par le million d’hypothèse qui me viennent à présent.
— Reprenons, si vous le voulez bien, lance le policier d’une voix forte. Mademoiselle Porteval, pourriez-vous me dire pourquoi votre assistance Maeve était coupée ce soir, jusqu’à l’heure du crime ?
Je cligne des yeux puis ouvre la bouche pour répondre…
— Elle était avec Herston Mestre, indique Éliane Cassan à ma place.
— Je ne vous ai pas demandé…
— C’est le fils de Polly Mestre, qui a adapté les Maeve au format d’Avril Cassan, le coupe-t-elle. Il connaît toutes les commandes et a le droit de les utiliser, contrairement à Solange ici présente. C’est son petit ami, à moins que je ne me fourvoie. Ils étaient ensemble à l’heure fatidique. Ça vous vaudra une punition, d’ailleurs, nous ne sommes pas dans un camp de vacances ici. Quant à une raison pour laquelle Solange aurait voulu s’en prendre à Laurie, je n’en vois aucune. Pas plus tard que ce matin, elle offrait de réaliser un devoir en binôme avec elle, après que Laurie est arrivée dernière au classement de leur dernier test, lui valant un second malus en un mois. Solange est première au classement depuis son arrivée, ainsi, elle garantissait à Laurie de ne pas recevoir un nouveau malus. Quant aux accusations des autres élèves portées sur Solange, vous ne douterez pas que le fait qu’elle nous arrive de Ludvina a mis le feu aux poudres, au vu du climat actuel. La question que j’aimerais vous entendre poser, à présent, monsieur, c’est de savoir qui aurait bien pu vouloir s’en prendre à Solange. Car il me parait fort probable, étant donné le lieu du crime, qu’on a en fait voulu s’en prendre à elle.
Je suis abasourdie. Je suis abasourdie par le ton claquant d’Éliane Cassan, par son calme, par sa logique et même parce qu’elle a révélé le mensonge que j’avais promis à Hermès de proférer. C’est presque trop parfait. Comme si… Comme si Éliane Cassan s’était trouvée avec moi, durant tous ces jours, ou a minima durant ces dernières heures…
D’un geste à demi-conscient, je caresse mon bracelet. Elle se tourne lentement vers moi, et je lis son regard. Elle sait. Bien sûr, qu’elle sait, parce qu’elle a accès à tout, tout le temps… ! Si pour elle je n’ai rien à cacher, c’est parce qu’elle m’a espionnée. Je suis à deux doigts de me lever mais elle me devance. Elle contourne le bureau, vient poser ses mains sur mes épaules. Son boa me frôle la joue quand elle se penche vers le général.
— Qu’en pensez-vous, monsieur ?
Il entrouvre la bouche, mais je vois qu’elle l’a mouché. Sa main martèle le bureau d’un geste nerveux. Puis finalement, il se mord la lèvre. À regret, il plonge son regard dans le mien.
— Est-que… Mademoiselle Porteval, avez-vous reçu des menaces depuis votre arrivée ici ?
Me reviennent en mémoire les déjections et autres joyeusetés. Des farces adolescentes, de prime abord. Ai-je donc à ce point voulu me convaincre que j’étais en sécurité à Avril Cassan ?
— Oui. J’en ai reçu.
— Savez-vous qui vous les a adressées ? Sous quelle forme sont-elles venues ?
Je n’ai pas du tout envie de partager ça avec ce policier, mais les doigts d’Éliane Cassan s’enfoncent dans mes épaules, m’enjoignant à répondre :
— J’ignore de la part de qui. J’ai reçu des colis devant ma porte de dortoir. Des déjections, des poupées à mon effigie… Ce genre-là. La plupart du temps, je n’ai pas vu ce qu’on m’envoyait.
— Comment ça, vous n’avez pas vu ? Vous avez jeté ces colis sans les vérifier ?
— Je… Non. Hermès… Herston, il le faisait pour moi. Il sait peut-être ce qu’il y avait dedans, mais moi pas.
Je me tais. J’aurais dû demander à Hermès ce que contenaient les paquets. Mais aurait-il seulement voulu répondre ? Le boa frôle de nouveau ma joue et je me tourne pour découvrir le visage d’Éliane Cassan tout près du mien.
— Solange est épuisée, monsieur. Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, je vais la laisser rejoindre les autres lycéens. Ils sont au gymnase, je vais t’accompagner là-bas. On a aménagé un camp pour la nuit, afin de laisser place aux investigations dans l’ensemble du dortoir. Et les cours sont annulés pour vous, demain. Ainsi, monsieur, si vous avez d’autres questions, vous pourrez revenir. Espérons néanmoins que Laurie se réveille très vite et puisse vous apporter les réponses nécessaires.
Le policier acquiesce lentement, sourcils froncés. Il est contrarié de la tournure que prend son enquête. Une solavienne agressée par une estholaise, c’est sans doute une affaire plus facile à résoudre, moins de suspects en tout cas. Revêche, il nous fait signe de partir, et je ne lui laisse aucune chance de changer d’avis. Je quitte la pièce à grands pas, la directrice sur les talons.
Je n’ai pas envie de lui parler. Pas du tout. Mais je m’arrête quand même quand nous sommes à mi-chemin, car il me faut être certaine.
— Vous m’avez espionnée.
Éliane Cassan a un petit rire.
— Seulement cette dernière journée, admet-elle. J’ai accès au Maeve en cas de question de sécurité publique, tu te rappelles ? C’était écrit sur ton contrat d’admission. Ta Maeve n’a fait que me relater ce qu’elle savait de ta journée.
Elle ne montre aucun remord. Et je suppose que je lui dois, malgré tout, une fière chandelle.
Je me remets en marche, incapable de la remercier parce qu’en même temps, je me sens violée dans mon intimité. Elle doit tout savoir. Savoir que j’ai parlé à Mikhaïl, même si elle ne saura rien de notre conversation, et elle doit être au courant que j’ai passé ma soirée à faire des cookies pour Hermès. Je me sens ridicule.
Quand elle s’arrête devant le gymnase pour me laisser y pénétrer, je ne lui souhaite pas bonne nuit.
Double chapitre ce jour donc. Intéressant tout cela. Effectivement, ça paraissait évident que Laurie n'était pas celle visée. N'en déplaise au général. J'ai d'ailleurs tiqué sur "général" nous sommes dans une société, ou du moins un secteur, supervisé par le militaire et non le civil... Rien d'étonnant mais c'est un point important.
Plus je pense à Hermès et plus il me fait penser au grand frère du héro dans Delios, peut être une simple coïncidence mais au fond j'espère qu'il ne terminera pas de la même façon. Bref je lirais la suite
Beaucoup d'interrogations sur cette directrice et ses intentions, les apparences sont parfois trompeuses et encore davantage sur Mikhaïl... La mise en garde de Hermès m'interpelle...
Au plaisir de te lire, comme toujours
Merci de tes retours, à bientôt :)
"La voix qui s’est écriée au fond du couloir" devrait plutôt être "La voix qui s'écrie au fond du couloir" (concordance des temps). Cette phrase me fait tiquer, je crois qu'elle pourrait être plus efficace en étant plus courte.
" J’aurais dû demander à Hermès ce que contenait les paquets." --> contenaient
Je ne suis pas revenu au chapitre précédent pour voir, mais j'ai un bug de temps qui apparaît. Il me semble que Maeve ne m'a pas semblée éteinte assez longtemps pour qu'une personne laisse 5 messages et se sente ignorée. Si certains messages sont arrivés pendant qu'elle faisait les cookies, ça pourrait expliquer (et mériterait d'être suggéré). Sinon, il pourrait être important de revoir le chapitre précédent et vérifier si les éléments suggérant le temps qui passe avec les Maeve éteinte est suffisamment suggéré.
Je remarque que tu utilises souvent "a un sourire" au lieu de "sourit". Ça alourdit légèrement le texte et pourrait être facilement contourné. C'est aussi présent dans les autres chapitres.
Un détail sur lequel je m'interroge. Laurie semble avoir accédé à l'intérieur de la chambre de Solange (Hermès également, d'ailleurs, au précédent chapitre). Les portes des quartiers personnels ne sont pas verrouillées/verrouillables? Cela rend toute mise en scène liée à un crime très facile à réaliser, mais garantit également que les étudiants les plus dissipés se fassent des coups pendables. Les "cadeaux" auraient pu se trouver directement dans la chambre de Solange.
À ce stade, Hermès devient également suspect. Ses motivations ne sont pas claires, il a eu les cadeaux entre les mains à plusieurs reprises (et en a peut-être déposé certains lui-même). Il n'hésite pas à travailler avec Fiona malgré une certaine inimitié apparente. Il a accédé aux quartiers de Solange dans les heures précédents la découverte du Nébulex. Il n'a rien pu faire lui-même à Laurie, mais pourrait être complice (ne serait-ce qu'en étaint la cause de l'absence de Solange). Les éléments sont peut-être présents par hasard ou pour lancer le lecteur sur une fausse piste, mais ils sont là et suggérent
Dans ce chapitre, la directrice se présente comme une séductrice. Cet effet est perd de son impact parce que le général n'a aucune réaction à son manège et que Solange ne remarque rien au sujet de cette absence de réaction. Il pourrait avaler convulsivement en laissant son regard descendre le long du boa, ou Solange pourrait se demander comment il fait pour garder les yeux rivés dans les siens quand la directrice fait tout pour qu'il s'en écarte et descendent un peu plus bas. Quelques mots suffiraient; ceux-ci sont les miens, mais les tiens seraient tout aussi bons.
Le général est peut-être un peu trop haut gradé pour se livrer à un interrogatoire dans une enquête de meurtre. Un enquêteur policier (ou de la police militaire, si le régime implique que la sécurité est assurée par l'armée) pourrait être plus approprié.
Un autre chapitre qui pose plus de questions que le nombre auquel il répond. Pas de cliffhanger cette fois-ci, ce qui est très bien (parce que ça évite d'en abuser:P)
Je suis obligé d'abréger sans avoir énoncé autant de positif que je le voudrais;. Ce chapitre est très bon. Les personnages sont bien distincts. Le général est impersonnel et c'est un bon choix pour un personnage remplissant son rôle. Je dois filer, à bientôt!
Alors, concernant le temps qui passe, tu as raison, ça ne dure pas plus de vingt minutes ! En vérité, j'imaginais une Laurie qui envoie messages sur messages, genre un peu capricieuse si on ne lui répond pas dans les trente secondes. Mais je ne l'ai pas du tout inséré, alors que j'aurais pu préciser que les messages avaient tous été envoyé à la suite les uns des autres. Parce que rappelons que Solange n'est pas supposée éteindre sa Maeve, et donc que les messages sont censé être immédiatement délivré à la destinataire.
Je note pour les sourires. Je vais essayer de passer sur le verbe, qui ne me vient pas spontanément, je reconnais :)
Pour la chambre, tu as raison, Laurie y a accès. En fait les élèves sont censés fermer leurs portes à clé, ce que Solange ne fait pas nécessairement. Avril Cassan est un lieu sûr (en théorie), elle est au dortoir avec ses petits camarades qu'elle ne croit pas dangereux, elle se moque d'ailleurs un peu des menaces qu'elle a reçu. En tout cas, c'est verrouillable, et je reviens sur le sujet un peu plus tard.
Sur la directrice ! Je la voulais plus élégante et sûre d'elle que séductrice. Est-ce l'effet boa ? Je réfléchirai au sujet.
Quant au général, comme les faits se sont produits à Avril Cassan, un peu la prunelle de Port-Céleste, c'est un haut-placé qui se rend sur les lieux. Mais peut-être que comme c'est une agression et pas un assassinat, je pourrais déléguer à un subalterne.
Merci en tout cas pour tous tes retours, ils sont tops ! Tes analyses me poussent à la réflexion, c'est parfait. À bientôt :)
"Pour la première fois depuis le début de l’entretien, Éliane Cassan a un mouvement. Elle desserre son boa, le laisse glisser sur ses avant-bras, puis s’humecte les lèvres avant de parler :"
Bon, je suis un homme, alors je sais: si une femme porte un boa, le desserre et le laisse glisser sur ses bras, mon regard descend avec le boa. Et je ne crois pas avoir besoin de préciser ce qui se trouve entre les deux bras. Si elle s'humecte les lèvres ensuite, mes yeux remonteront sûrement, mais pas nécessairement avec moins d'attention. Pour réduire l'effet "séduction", il y a plusieurs moyens. Souligner l'inconscience d'un geste, ou une réaction de l'homme présent dans la pièce qui trouve une réponse cassante (une phrase, le geste de ramener le boa en place, un regard cassant). Peut-être qu'une femme regarderait cette scène avec des yeux différents des miens. Cela dit, c'est à partir de ce passage spécifique que je me suis dit "Ah, en fait, la directrice joue la séductrice". Une fois que ce concept est installé, d'autres élément viennent le confirmer (même s'ils ont d'autres interprétations possibles).
Ce qui se passe avec le général, c'est qu'il n'est normalement pas au fait des techniques d'interrogatoire et d'enquête. Peut-être que c'est différent dans ton univers, je n'ai présentement pas les moyens de le savoir. Cela dit, le général pourrait être présent au même titre que la directrice, comme observateur pendant qu'un enquêteur (expert en interrogatoires) pose les questions. Sa présence, justifiée par l'importance de l'école, et celle d'un professionnel pour la tâche à accomplir.
Un élément que j'ai raté à la première lecture : Fiona "à moitié retenue" par deux hommes. Elle vient de frapper Solange. Peut-être veux-tu dire qu'elle se débat intensément pour atteindre à nouveau Solange et que Philo et Teiva sont insuffisants pour la retenir (auquel cas, elle devrait avancer); peut-être veux-tu dire qu'elle est déjà calmée et qu'il n'ont qu'une main sur elle pour être prêts à intervenir au besoin; peut-être veux-tu dire qu'ils la retiennent sans grande conviction. Peut-être que la formulation n'est pas non plus ce qui est le plus en cause; en disant qu'ils la retiennent à moitié, tu le dis sans le montrer. S'ils la retiennent et qu'elle tire un bras pour allonger une nouvelle claque (qui ne se rend pas à la cible), est tirée vers l'arrière et tente d'allonger un coup de pied, tu le montres. C'est beaucoup plus efficace pour l'immersion.et le lecteur aime comprendre la situation sans se la faire dire.
Eh bien, quel suspense et quel rythme dans ce chapitre !
Je l'ai dévoré d'une traite sans le voir passer. On peut dire qu'on entre dans le vif du sujet ! C'est vraiment malin d'utiliser le prétexte du devoir pour que Laurie soit amenée à rencontrer Solange et se fasse attaquer à sa place. On se pose plein de questions à la fin de ce chapitre, comment a-t-elle exactement été agressée, est-ce simplement l'effet de la drogue ou a-t-elle subi quelque chose de plus grave, ce que laissent supposer ses cris ? De quelle manière la drogue lui a-t-elle été administrée ? Qui peut en vouloir à ce point à Solange ? Et quel rapport y a-t-il entre cette affaire et le fils du chancelier ? Pourquoi Hermes lui a-t-il conseillé de ne pas mentionner Mikhail pendant son interrogatoire ?
Damn, j'ai envie de connaître la suite !
Une petite remarque, il y a deux coquilles qui m'ont sauté aux yeux pendant ma lecture :
"Le boa frôle de nouveau ma joue et je me tourne pour découvrir le visage d’Éliane Cassan tout près du bien.
— Solange est épuisée, Général. Si vous n’y voyait pas d’inconvénient..."
--> tout près du mien, et "si vous n'y voyez"
Au plaisir,
Ori'
Eh bien maintenant qu'elles sont écartées du récit, je dois dire que ça me saute aux yeux aussi :O C'est fou comme l'esprit peut faire abstraction de certains détails xD Merci, je corrige ça tout de suite !
Contente que tu aies envie de savoir la suite, ça me motive ! J'en suis à quelques chapitres plus loin, sur un très gros morceau qui devrait répondre à pas mal de questions ^^ J'essaye de garder quelques chapitres d'avance pour si je dois faire des retouches, parce que des fois je pars sur toute autre chose que j'avais prévu !
À bientôt, et merci pour ton retour ! :)