Chapitre 8 : Des nouvelles de Terriva

Par Cléooo

Chapitre 8 : Des nouvelles de Terriva

 

Quand j’avance dans la salle, des têtes se lèvent immédiatement vers moi. Des dizaines de lycéens, assis ou couchés sur des lits de camp, dortoir improvisé pour ce soir. Un vent de suspicion, sinon de haine, souffle vers moi.

Heureusement, Hermès m’a aperçue, lui aussi. Il se précipite à ma rencontre et je résiste à l’envie de courir vers lui. Je me contente de lever une main, comme pour le saluer. Il ralentit le pas quand il arrive à mon niveau, un soulagement visible sur le visage, puis me fait simplement signe de le suivre.

Philo, Éliott et lui se sont mis à l’écart, tout près d’une remise dans l’angle du gymnase. En sont-ils parvenus à la même conclusion qu’Éliane Cassan ? Qu’on avait sûrement voulu s’en prendre à moi ? Est-ce leur façon de me mettre en sécurité, dans l’angle stratégique d’où l’on verrait arriver l’ennemi ? Superflu. Des hommes armés sillonnent les rangées de lit. La sécurité n’a jamais été aussi haute que ce soir. Mikhaïl doit probablement être resté au lycée pour la nuit. Même si je sais que je ne peux plus me permettre d’être aussi détendue, cette pensée me rassure.

— Qu’est-ce qu’ils te voulaient ? demande Éliott d’une voix hachée. Ils ne croient quand même pas que tu as quelque chose à voir avec… avec ce qui s’est passé ?

— Bien sûr que si, ils le croient, rétorque Philo avec colère. Elle est partiellement estholaise, bien sûr que tout le monde la croit coupable !

Sa voix est montée d’une octave, je sens que la remarque s’adresse d’avantage aux lits de camp les plus proches, aux oreilles indiscrètes qui frémissent quand les mots leurs parviennent.

— Merci, Philo, mais c’est pas la peine.

Je lui adresse un petit sourire auquel il répond vaguement, toujours fulminant.

— Qu’est-ce qu’ils t’ont demandé ? interroge Philo. La directrice était avec toi ? Elle…

Je l’interromps d’une main. Je n’ai pas très envie de retracer l’interrogatoire de ce soir, ni d’attirer leur attention sur le fait qu’on a probablement voulu s’en prendre à moi. J’hésite un instant, puis je lève mon bracelet à mes lèvres.

— Éliane Cassan était bien avec moi. En fait, elle était avec moi toute la journée ; elle m’a espionnée. Elle sait donc que je n’ai rien à voir avec ce qui est arrivé à Laurie. N’est-ce pas, madame Cassan ?

Puis je laisse retomber mon bras, lasse de cette journée, lasse de cette bonne femme, et à vrai dire, lasse de cette conversation avec les garçons.

Les garçons échangent un regard. Hermès se penche vers moi :

— Donne, je vais…

— Non. J’ai rien à cacher. Plus même la recette de mes cookies, alors bon.

J’ai encore une sensation cuisante à cette idée. Moi, faisant des cookies pour un petit camarade… Oh, elle a dû rire quand ma Maeve lui a raconté ma soirée. J’essaye de ne plus y penser, observant Philo et Éliott qui affiche un petit air d’incompréhension. Je me sens à la fois amusée et apaisée par cette réaction, jusqu’à ce que j’aperçoive que les oreilles d’Hermès sont devenues écarlates.

— Quels cookies ? interroge finalement Éliott.

— J’ai fait des cookies pour Hermès.

À ces mots, le concerné devient plus rouge encore. Il n’ose pas croiser le regard de ses amis, et je ne comprends pas pourquoi. Philo change alors complètement d’attitude et éclate de rire, me plongeant dans le désarroi.

— Ça va, arrête, grommelle Hermès. C’est rien de ce genre, c’est Maeve qui lui a dit de le faire.

Philo part plus loin encore dans son fou-rire et je remarque qu’Éliott s’est également détendu, observant Hermès d’un air amusé.

— Qu’est-ce que ça peut vous faire, que j’aie fait des cookies ?

Je comprends qu’il y a quelque chose que je ne comprends pas, et ça commence vaguement à m’irriter, rouvrant le flot de mes pensées vers Éliane Cassan.

Au prix d’un effort incommensurable, Hermès, le teint toujours aussi soutenu, se penche vers moi.

— Tu le sais sûrement pas, parce que c’est une tradition solavienne, mais ici, quand on offre des cookies à quelqu’un… Mmh… Ça peut être interprété comme… un signe d’affection ?

Je hausse un sourcil. Philo est parvenu à se calmer, même si ses yeux sont encore humides.

— « Affection », répète-t-il, narquois. C’est un peu comme si tu lui avais déclaré ta flamme. Je te prenais pas pour une grande romantique, Solange !

D’un coup, je comprends. Oh, mais il ne leur faut pas grand-chose pour les amuser, ma parole… Je m’apprête à rétorquer, pour rabattre le caquet de Philo, quand je croise de nouveau le regard embarrassé d’Hermès. Ça coupe ma réplique. Je n’ai pas envie de dire que ça ne représentait rien pour moi, parce que ça gâcherait notre réconciliation. Et tant pis pour Éliane Cassan.

— Eh bien… J’apprécie beaucoup Hermès, alors il n’y a pas de mal. Sur ce, bonne nuit.

J’aperçois à peine leurs mines étonnées avant de me retourner sur mon lit de camp. Là, je me roule en boule sous la couette, même si je sais que je ne trouverai pas le sommeil.

 

***

 

Les jours suivants passent à la fois vite et lentement. L’école Avril Cassan est en effervescence. La sécurité a été drastiquement renforcée. Partout, on voit les hommes du gouvernement qui circulent, fouillent aléatoirement les sacs, posent des questions à toute personne qui aurait le malheur de faire un pas de travers.

Étrangement, je coupe à cette inspection. Moi, « l’estholaise ». Je suppose que la théorie d’Éliane Cassan a fait son bout de chemin. Les gens n’osent plus rien me dire, peut-être de peur qu’on les croit responsable de l’attaque. Une certaine quiétude illusoire m’enveloppe à cette idée, même si je sais que je dois rester sur mes gardes.

Tous les élèves de la classe ont été interrogé au sujet de ce qui s’est produit cette nuit-là, et plus largement tous les élèves du dortoir, mais il y a eu un focus tout spécial sur la terminale 1. Nos chambres en enfilade font de nous les principaux suspects, sans compter que la victime est l’une des nôtres. Hermès a même eu droit à un double interrogatoire, à cause des menaces que je recevais et qu’il a fait disparaître. Il m’a assuré qu’il avait tout dit à la police, mais il a refusé de me dire, à moi, ce que j’avais reçu.

« Ça n’a aucune importance », a-t-il assuré.

Je n’ai pas cherché à en savoir davantage. Je crois volontiers que ça peut ne pas être lié. En soi n’importe qui aurait pu vouloir s’en prendre à moi. Savoir quelles immondices je recevais n’aiderait pas. Et puis, je pensais que les hommes du gouvernement auraient tôt fait d’apporter des réponses.

J’avais tort. Depuis ce jour fatidique, on nous a laissé dans le flou.

Personne ne sait précisément ce qui est arrivé à Laurie, elle est toujours plongée dans le coma. Sa Maeve a évidemment été exploitée, sans succès. Hermès pense que l’agresseur a pu se déplacer avec un brouilleur portatif, car rien n’a été enregistré. Sa propre Maeve, arrivée la première sur les lieux, n’a rien vu non plus. Ses commentaires sur ces quelques secondes sont flous, elle a seulement fait état d’un corps gisant au sol. Il y a eu un crime, mais aucun coupable et aucun témoin direct. Il semblerait que Laurie était seule quand c’est arrivée, seule avec le Nebulatrex, et personne n’est capable de comprendre pourquoi la substance l’a plongée dans cet état.

Chaque nuit, j’entends son hurlement. J’ai regagné ma chambre de dortoir après qu’elle a été inspectée de fond en comble. Tout a été analysé. Il n’y avait rien, comme si un fantôme était passé par là. Au bout de quelques heures, les rares traces de Nebulatrex s’étaient estompées. Par quel biais il était arrivé là ; personne ne savait. Même pas moi.

 

J’essaye de me persuader que ça n’est pas mon nom qu’elle a hurlé cette nuit-là. Que ce n’est pas ma faute si elle est devenue une victime collatérale de ma présence ici.

Même si au fond, je le sais : sans moi à Avril Cassan, rien ne serait arrivé à Laurie Estevin.

 

***

 

— Flash info ? C’est au sujet de Terriva, ça vous intéresse ?

Hermès, Philo, Éliott et moi relevons la tête d’un seul mouvement. En cette fin d’automne, on profite d’une des dernières chaudes journées de l’année, assis à une table du parc, sous les feuilles des platanes qui viennent se mêler à nos devoirs. Beaucoup d’élèves font pareil. Sur une table voisine, Mikhaïl, Teiva et Fiona révisent ensemble. La normalité nous enveloppe, même si en fond, les angoisses grondent.

— Vas-y, Maeve, indique Hermès en se penchant vers elle. Résume s’il te plaît, on a pas fini nos devoirs.

Une nouvelle fois, elle a surgi de nulle part, sans attendre une invitation de la part de son propriétaire. Elle a toujours eu tendance à faire ça, mais ces jours-ci c’est encore plus flagrant. Hermès ne s’en offusque pas. Il pense que c’est un contrecoup du brouilleur qu’on a utilisé sur elle. Sa mère étudie le sujet.

— La quarantaine va enfin pouvoir être levée.

Hermès martèle des doigts la table de pierre, comme s’il attendait la suite, mais elle reste coite.

— Tu as le droit d’élaborer un peu plus… soupire-t-il finalement.

— Tu as dit de résumer.

— Maeve…

— Bon, OK ! Flash info en direct de Terriva : pour la première fois depuis plus de cinq mois, la quarantaine pourrait bien être levée, ce d’ici à quarante-huit heures. Le ministre des territoires limitrophes à la frontière s’est rendu sur place ce matin et son initiative a largement été salué par la caste politique. Évidemment, les élections approchant laissent penser que cela pourrait en fait constituer une manœuvre politique, mais…

— Recentre, Maeve. Terriva ?

Maeve cligne des yeux, surprise, puis reprend :

— Aux dernières nouvelles, Terriva aurait perdu 15% de ses habitants au cours des cinq derniers mois, le pic de 11% ayant été atteint durant le mois qui a suivi l’attaque d’Esthola. À ce jour, il est clair qu’un dérivé du Nebulatrex a été utilisé contre…

— Pause, Maeve ! la coupe immédiatement Hermès.

Mon cœur tambourine contre mes côtes, écho à l’expression affolée qui s’est peinte sur les visages de mes camarades. C’était donc une attaque au Nebulatrex qui a failli décimer Terriva ?! Un dérivé ?

— Elle a dit « Nebulatrex » … répète Hermès. Solange, c’est bien ça que… ?

J’essaye de déglutir, sans succès. Ma bouche est sèche.

— Je veux entendre la suite… Laisse-la parler.

Il hésite, m’observant fixement, puis finit par céder et se retourne pour faire signe à sa Maeve.

— … contre les habitants de la ville de Terriva, qui, pour rappel, se situe à seulement une vingtaine de kilomètres de la frontière estholaise. Le produit, extrêmement volatile, aurait été diffusé à partir des systèmes d’aération de la ville. Ce n’est pas sans rappeler la récente affaire survenue à l’école Avril Cassan. Si peu d’informations ont fuité, nous savons désormais qu’une élève a été visé par une attaque au Nebulatrex. Laurie Estevin, dix-sept ans…

— Solange ?

Je sursaute et me retourne vivement. C’est Mikhaïl. La mine sombre, il observe la Maeve d’Hermès qui s’est tu quand son propriétaire s’est lui aussi détourné d’elle.

— On peut parler ?

J’ouvre la bouche pour répondre, mais Hermès est plus vif :

— Non.

Je fronce les sourcils. Pour qui il se prend… ?

— La dernière fois que tu as parlé avec elle, elle a failli se faire tuer, enchaîne-t-il sans faire attention à moi.

Que voilà un raccourci facile. Bien sûr, le hasard fait que l’agression de Laurie est survenue le jour même où j’ai parlé avec Mikhaïl, mais quand même, ça ne justifie pas a colère qui fait vibrer la voix de Hermès. Pourquoi est-il à ce point en colère ? Je doute sincèrement que ce soit Mikhaïl qui a tenté de me tuer. Soupçonne-t-il un membre de son fan club ?

— Je crois pas t’avoir demandé ton avis, remarque Mikhaïl.

— Je te le donne quand même.

— Est-ce qu’on veut mon avis à moi, peut-être ? dis-je alors en lançant un regard éloquent à Hermès.

Il ne se débine pas pour autant :

— C’est un sac à problèmes, ce mec. Laisse tomber, Solange. Sérieusement.

— Je peux aussi parler ici, si tu préfères, Solange.

La voix de Mikhaïl est glaciale. Un spasme agite mes doigts. Je ne veux pas que les trois autres voient ça, alors je me lève.

— Solange…

— C’est bon. On restera à vue.

Je croise le regard de Mikhaïl et il hoche la tête, puis fait demi-tour pour s’éloigner de quelque pas.

— Solange, m’interpelle Philo avant que je parte à mon tour. Hermès a raison, Mikhaïl est… Il est particulier. Même s’il est populaire et tout, faut pas que…

— Qu’est-ce que tu crois, Philo ? Que je veux lui parler parce qu’il est populaire ?

Il secoue la tête, agacé. Je vois qu’il s’apprête à répliquer, mais Éliott se montre plus rapide :

— Il m’en a fait voir des vertes et des pas mures, intervient-il d’une petite voix.

J’attarde mon regard sur lui et mon cœur se serre un peu. Hermès m’a raconté, à mi-mot, qu’au collège, Éliott en avait pris pour son grade. C’est là que Philo et lui l’ont pris sous leur aile, excédés du comportement des autres.

— T’inquiète, Éliott. Si j’ai besoin d’aide, je te ferai signe.

J’ajoute un sourire sincère, pour qu’il ne pense pas que je me moque de lui, ce à quoi il répond timidement. Puis sans contempler les mines coléreuses des deux autres, je pars rejoindre Mikhaïl, assis un peu plus loin.

Quand je m’assois face à lui, il adresse un signe de la main à mes trois camarades, qui regardent dans notre direction.

— T’es obligé de faire ça ?

— Ouais, ça m’amuse de les voir me fixer comme ça. Tu m’as vite remplacé, Solange.

— Remplacé ?

— J’espérais qu’on redeviendrait proches.

Je hausse un sourcil sarcastique.

— L’a-t-on jamais été ?

— Oui… Un peu quand même, non ? demande-t-il, l’air blessé.

— Qu’est-ce que tu veux ? J’ai rien fait à Laurie.

— Je m’en doute. C’était trop lâche pour que ça vienne de toi. Quand je t’imagine tout détruire, je visualise quelque chose de beaucoup plus classe.

Je ne réponds pas, et après un moment de silence, il a un petit rire.

— Je blague. Fais pas cette tête.

— Qu’est-ce que tu veux, Mikhaïl ?

— Discuter. Comme au bon vieux temps.

— Tu mens. Dis-moi ce que tu veux.

Il soupire.

— Au sujet de Terriva, qu’est-ce que tu en penses ?

— Ah… Tu veux le point de vue de « l’estholaise » sur la situation ?

— Pas de ça entre nous, s’il te plaît. Je te considère pas comme ça, tu le sais.

— Je le sais ?

Je suis surprise. Je ne sais rien de Mikhaïl, au fond. J’ai connu un petit garçon, il y a bien longtemps. Oui, on a pris des goûters ensemble, oui, on a joué dans les rues de Ludvina, oui, on était inséparables. Mais c’était il y a très très très longtemps…

Il plonge son regard dans le mien et sa mine devient tout à fait sérieuse.

— Arrête de traîner avec eux. Pour un temps. Assieds-toi avec moi en classe. Tu pourras bénéficier de la protection que j’ai, comme ça.

— C’est un ordre ?

— Une demande. Un conseil. Pas tout à fait un ordre, mais je te le préconise. C’était sûrement pas ton but, de t’attacher à des boulets, si ? Comment tu vas réussir ce que tu es venue faire ici avec eux sur le dos ?

J’ai l’impression de prendre une douche glacée. Je sais que Mikhaïl prêche le faux pour savoir le vrai, qu’il tâtonne. Mais il me soupçonne vraiment de quelque chose et j’ai du mal à ne rien laisser paraître.

— Ce sont mes amis… je suppose.

— Alors ce serait regrettable s’il leur arrivait quelque chose… Et avant que tu me le demandes : oui, c’est une menace.

Il a un rictus déplaisant et je serre un peu le poing. Mon bracelet tinte contre la table, j’y jette un œil avant de répondre.

— Et t’as pas peur de dire ça alors que nos bracelets sont activés et qu’on recherche justement qui me menace ?

— Oh, Solange… Je suis le fils du chancelier.

Il a un nouveau sourire, amusé cette fois, et se lève.

— J’ai tous les droits, ajoute-t-il avec un clin d’œil.

Puis il repart, me laissant seule à ma table.

 

***

 

Dix ans plus tôt.

 

 — Tu es sûre qu’on a le droit ?

— Oh, Mikhaïl… Je suis la fille de l’ambassadeur.

Je lui adresse un sourire.

— J’ai tous les droits !

Mikhaïl a un petit rire, puis il fiche sa main dans la mienne. Je le traîne alors derrière moi en direction de notre cible, le bureau de tata Béa.

Tant que papa et maman sont occupés avec le papa de Mikhaïl, on dort chez elle. C’est la maison à côté, et ils sont tous déjà venus nous dire bonne nuit, mais ce soir, tata Béa s’est absentée. On commence donc à tout fouiller, parce qu’on joue aux agents secrets. On est tous les deux des agents doubles, on travaille ensemble. C’est devenu notre jeu préféré, on fait ça tous les jours. Ça tombe bien parce que sur le bureau de tata Béa, il y a toujours plein de messages mystérieux. J’adore enquêter. Mikhaïl aussi, ça lui plaît bien, alors nous y voilà.

— Elle ferme pas à clé ? demande-t-il d’une petite voix, impressionné par la lourde porte qui condamne l’accès à notre enquête.

— Si, mais regarde…

Je sors la clé de ma poche. Je suis une super espionne, et même si tata Béa la change chaque mois de place, je la trouve à chaque fois. Le plus dur, c’est de craquer la combinaison du coffre dans lequel elle la cache. Mais comme je disais, je suis une super espionne !

— C’était dans un coffre. Et la combinaison, c’est le code qu’on a trouvé hier !

Mikhaïl ouvre des yeux ronds, là encore subjugué, par nos talents communs. Grâce à lui ce mois-ci, j’ai trouvé plus vite. Ça avait rapport avec une fête solavienne, le solstice, ça correspond à la date où il doit rentrer chez lui.

J’insère la clé dans la porte, sans un bruit. Puis on referme derrière nous.

— On va pas se faire gronder si on nous trouve ? demande Mikhaïl, hésitant.

— Si, mais quand on est des espions, il y a des risques !

Mikhaïl hoche la tête devant mon air solennel, même s’il ne peut s’empêcher de jeter des coups d’œil frénétiques vers la porte.

— Sois pas une poule mouillée, Mikhaïl. Tu voulais bien jouer aux espions, non ?

— Je suis pas une poule mouillée ! rétorque-t-il immédiatement. Qu’est-ce qu’on cherche ?

— Je sais pas. Tata Béa travaille avec papa au Palais des Douces, alors il doit y avoir plein de choses intéressantes, non ?

Et sans lui laisser le temps de continuer, je grimpe sur la chaise qui fait face au bureau de tata Béa. Mikhaïl monte à son tour, tout contre moi pour ne pas tomber.

— Alors… Programme du Chancelier pour son séjour à Ludvina…

— Je l’ai aussi, ça, lance-t-il aussitôt. C’est pas trop top secret.

Je renifle, méprisante.

— Bon, bon. Alors que dis-tu de ça ? « Les Oiseaux »… avec une date… C’est dans deux jours ! Ah ah ! On dirait pas un nom de code, ça ?! Genre une réunion secrète ou quoi ?

— Si, on dirait… Tu crois que ta tata est une espionne comme nous ?

— Maman dit toujours que tata Béa est super intelligente, alors sûrement ! Parce qu’il faut être sacrément intelligent pour…

Je m’arrête dans ma phrase, parce que mon cœur s’est mis à battre très vite. Au dehors, j’ai entendu un bruit.

— Mince… Elle arrive !

Mikhaïl me lance un regard paniqué. Je repose les papiers à l’emplacement exact où ils se trouvaient et on descend à toute allure du bureau. On a à peine mis les pieds au sol que la poignée s’abaisse. Je pousse Mikhaïl contre le bois du fond sans ménagement et on se blottit l’un contre l’autre.

Des pieds apparaissent devant la porte et Mikhaïl et moi, on échange un sourire. On est bien cachés je crois, elle ne nous verra pas à moins de se pencher pour regarder directement sous le bureau. Mais alors que j’observe les yeux rieurs de Mikhaïl, un grand fracas retentit, et son expression change du tout au tout.

Un cri de rage déchire l’espace, puis on balaye le bureau au-dessus de nous, le faisant trembler sous l’assaut. Qui ça peut bien être… ?

— Merde. Merde, merde, meeerde !

Mikhaïl attrape ma main et je la serre dans la mienne. C’est bien tata Béa, mais je n’ai jamais vu tata Béa autant en colère. Elle frappe dans les meubles, renverse la chaise d’un coup de pied, lâche encore deux ou trois « merde », puis finalement s’appuie contre le bureau. Je le devine à ses jambes penchées vers l’avant. Je suis tétanisée. Jamais elle ne jure, d’habitude. Mikhaïl, comme moi, est aussi silencieux qu’une tombe.

Pendant de longues minutes, tata Béa reste au-dessus du bureau. Aux tapotements que je perçois à travers le bois, je devine qu’elle est sur sa tablette. J’ai l’impression qu’elle sanglote, sa respiration est lourde. Je n’ose sortir pour le vérifier. Finalement, d’un pas traînant, elle quitte la pièce.

Nous restons longtemps dans le noir avant de trouver le courage de quitter notre cachette.

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Anna.lyse
Posté le 13/06/2025
Hello Cléooo,

J'ai trouvé le passage avec les cookies touchant et léger. J'aime décidément beaucoup le personnage d'Hermès.
Celui de Mikhaïl est intriguant. Je ne parviens pas à le jauger, on dirait que l'enfant est plutôt mignon et gentil voir obéissant à Solange qui enfant semble aimer mener la barque. Par contre l'ado de 17 ans semble très différent. Quelque chose de plus sombre. Je me demande ce qui a pu lui arriver.
Le flash back est très bien pensé, d'autant plus que tu reprends en clin d'œil sur les phrases de Mikhaïl. Il nourrit nos interrogations sur ce qui a pu se passer à cette époque. Tata béa ne semble pas y être étrangère en tout cas. Chouette avancement dans le présent tout comme dans le passé. Cela donné l'impression de suivre deux arcs temporels parallèlement...
Au plaisir comme toujours.
Cléooo
Posté le 15/06/2025
Coucou Anna.lyse ! Mais tu as fait une avancée fulgurante dans l'histoire :O
Hermès est mon côté léger à l'histoire là où Mikhaïl est une sorte d'élément perturbateur xD Il y a en effet une différence entre son lui enfant et son lui adolescent, mais tu es déjà arrivée à la partie qui l'a vu changer ^^
Anna.lyse
Posté le 15/06/2025
:) effectivement, c'est dire à quel point j'ai trouvé la lecture inintéressante... ;) J'adore ta façon d'écrire comme tu l'auras compris. Moi qui ne lit jamais d'histoire avec des adolescents (sauf autre monde), je fais abstraction de ce fait parce que l'écriture, l'histoire de fond et les personnages sont vraiment intéressants.
MrOriendo
Posté le 06/06/2025
Hello Cleo !

Je suis de plus en plus intrigué par le personnage de Tata Béa, on dirait bien qu'elle a des choses à cacher... Très sympa en tout cas, ce flashback !
Par contre, Mikhaïl semble virer carrément jaloux et possessif. Peut-être est-ce l'effet "je suis le fils du chancelier donc personne ne me refuse jamais rien". Pour autant, je ne pense pas qu'il soit responsable des menaces contre Solange ou de l'agression de Laurie, ce serait trop simple.

Au plaisir,
Ori'
Cléooo
Posté le 06/06/2025
Hello MrOriendo ! Ravie de te revoir :)
Mikhaïl est très particulier dans ma tête, mais il s'est encore assez peu montré jusqu'ici, je pense. Je serai curieuse de recueillir ton avis dessus plus tard :)
Quant à tata Béa, je préfère pour le moment ne rien dire du tout pour ne pas révéler de choses qui ne devraient pas être déjà révélées !
Merci de ton retour :)
James Baker
Posté le 02/06/2025
Bonjour Cléooo!

"sillonnent entre les rangées de lits" --> "sillonnent les rangées de lits" suffit; on se doute bien qu'ils ne marchent pas sur les lits.

"Mon bracelet teinte contre la table, j’y jette un œil avant de répondre." c'est "tinte"; teinte, c'est pour les couleurs.

Je parlais de flashbacks qui tendaient à ralentir le rythme; celui-là n'a pas du tout cet effet. Il est bien écrit et bien placé.

Un exercice que je te suggères lors de la relecture de tes chapitres : essaies de multiplier les données sensorielles, principalement les odeurs et les textures. Le son et la vue sont toujours présents, mais les deux autres manquent parfois à l'appel (alors qu'ils contribuent plus à l'immersion). Ce trait est fréquent, pas seulement chez toi. Dans le cas présent, la raison pour laquelle je le mentionne, c'est que je pense certaines odeur très facile à glisser dans ce texte : quelles sont les chances pour que le fils du chancelier ne porte aucune eau de cologne? Que sentira un dortoir mixte fraîchement assemblé pour l'occasion? Les lits de camp entreposés sans être aérés depuis des années, les draps fraîchement lessivés... et flûte, Eliott a mangé des fèves au lard ce soir. Le tissu javelisé des draps sera rèche au toucher, sans parler de la couverture raide et râpeuse. Les autres étudiants sont pour l'instant des éléments de décor dépersonnalisés pour la plupart. Ils pourraient être présents dans le parc (audeur fraîche des feuilles d'automnes, une boule verte tombe d'un noyer, Philo la ramasse et la brise pour en extraire la noix...), bruissement de feuilles mortes, un membre du personnel d'entretien râcle les dernières feuilles tombées, une planche du banc s'affaisse un peu plus que les autres sous son poids...

Je brosse ici un tableau de possibilités. Ces éléments sont presque toujours insuffisants lors de mon premier jet et je les corrige à ma première relecture (et également lors des suivantes, la première relecture m'est rarement suffisante).

Je ne sais pas si j'aurai le temps de lire un autre chapitre aujourd'hui, mais j'essaierai tout à l'heure! À bientôt!
Cléooo
Posté le 03/06/2025
Coucou James !

Aïe, je m'en veux de toutes ces petites fautes. J'essayerai de vérifier mon texte un peu plus attentivement avant de poster les prochains chapitres :)

Contente que le flashback t'ait plu. Comme je disais, ils parsèment cette histoire et leur but n'est pas de décorer l'histoire, mais d'en faire partie intégrante. Après, des fois ça peut quand même être bancale.

J'aime aussi multiplier les données sensorielles ! Notamment olfactive, mais je reconnais que je n'en ai pas abusé dans ce roman. Les exemples que tu proposes sont intéressants, je serai plus attentive à tout ça lors de mes réécritures.
James Baker
Posté le 03/06/2025
Comment puis-je modifier un commentaire que j'ai publié? Le mot "audeur" me pique la rétine...
Cléooo
Posté le 03/06/2025
Tu ne peux pas :/ C'est un peu pénible, mais malheureusement on ne peut modifier / supprimer un commentaire. Ou alors tu supprimes carrément ton compte, mais ça me semble un peu drastique !
Tqt pas, une faute de frappe, ça arrive ^^
James Baker
Posté le 04/06/2025
C pot lé fôtes de frap ki mdérange, je veu pot klé gen sach que je sé pot écrir haudeurent.
Cléooo
Posté le 04/06/2025
Aïe, là, ça fait mal xD
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