Huit ans plus tôt
Je dois vite rentrer à la maison. Si papa découvre que je suis passée par-dessus la barrière pour récupérer mon ballon, je vais me faire disputer. Je n’aime pas me faire disputer, c’est trop nul, après je pleure et mes yeux me piquent.
Il ne me reste plus qu’à faire quelques pas et je pourrais refaire mon épreuve olympique : la balançoire-volley. Je dois lancer le ballon le plus haut possible tout en faisant un aller-retour en me balançant puis le récupérer avant qu’il ne touche le sol. C’est trop difficile de faire ça, je finis toujours par envoyer le ballon de l’autre côté du jardin. J’adore inventer des épreuves olympiques, du moment qu’elles sont mélangées avec du volley-ball. J’adore ce sport, c’est mon papa qui me l’a fait découvrir. Je viens tous les soirs après l’école dans son bureau. J’adore m’y rendre et m’installer sur sa chaise en cuir, je prends toujours son téléphone et fait comme si j’avais des appels importants. Tout en prenant note des appels, je prends les tampons “Urgent” et copie et m’amuse en les utilisant.
Je vois mon jardin et ma belle maison blanche. Elle n’est pas très grande mais suffit amplement à notre famille, on n’aurait pas de place pour un nouveau membre comme me l’explique maman quand je lui demande si je peux avoir un petit frère. Nous habitons dans une petite rue où toutes les maisons se ressemblent. La structure des maisons est similaire avec tout le voisinage. Les couleurs sont aussi exactement les mêmes, c’est une des règles. C’est une petite ville calme où tout est contrôlé, jusqu’à la hauteur des haies. Une fois Madame Tamsier n’avait pas eu le temps de s’occuper de son jardin parce qu’elle avait le bras dans le plâtre à la suite d’une mauvaise chute. Elle a eu le droit à une lettre de la mairie lui disant qu’elle devait respecter le règlement et cela même ces circonstances. Mais il ne faut surtout pas le répéter, j’ai écouté la conversation d’adulte qu’il y avait entre elle et maman. Je ne suis pas censée faire ça mais ma chambre est à côté de la porte d’entrée et j’étais beaucoup trop curieuse lorsque je l’ai vu arriver avec un gâteau dans les mains.
Je ralentis le rythme lorsque j’arrive devant mon portail blanc. Je fais attention de me baisser pour ne pas laisser ma tête dépasser, je fais 1m54 ou 154 centimètres. Je suis un peu plus grande que la moyenne et je dépasse toutes les filles de ma classe de CM2. J’aide même parfois la maîtresse a attrapé des classeurs sur la dernière étagère. Madame Bonnie est très gentille même si quand elle s’énerve lorsque les autres élèves parlent trop, cela me fait un peu peur même si je ne parlais pas de mon côté. J’écoute les bruits de la rue et je m’apprête à ouvrir le portail lorsque j’entends un gémissement suivi de pleurs. Je me retourne et fronce les yeux pour distinguer nettement la maison d’en face. C’est la maison de nouveaux voisins et je ne sais pas s’ils sont gentils, ils ne sont pas venus nous dire bonjour ni ne nous ont ouverts alors que papa avait préparés des muffins à la myrtille.
Je vois un petit garçon sur les marches devant la porte. Il pleure à chaudes larmes et est recroquevillé sur lui-même. Je déteste voir les personnes pleurer, ça me fait mal à la place de mon cœur, j’ai l’impression qu’on le serre fort, trop fort. Je ne distingue pas son visage, mais juste ses cheveux bruns coupés court. Il pleure tellement fort qu’il ne m’entend pas arriver. Je me baisse pour être à la hauteur de ses yeux. Je lui donne une petite tape sur le genou pour lui signaler ma présence.
Lorsque je le regarde, je suis subjuguée par la tristesse qui se lit dans son regard mais surtout par la beauté de ses yeux marron. C’est comme un mélange de caramel et de Nutella, je n’ai jamais rien vu d’aussi beau. Sa lèvre inférieure tremble, il tente de se retenir de pleurer. Je n’ai pas réfléchi à ce que j’allais lui dire, c’est pour cela que mes premiers mots à son égard ne sont pas aussi matures que je le souhaitais :
- Des beaux yeux comme ça, ça ne devrait jamais pleurer.
J’ai vraiment dit à un garçon de mon âge qu’il avait des beaux yeux ? Je sens tout de suite que mon visage devient aussi rouge qu’une tomate. Je me reprends tout de suite et ajoute
- En tout cas, c’est ce que mon papa me dit toujours lorsque je me mets à pleurer. Et après il essuie mes larmes pour les faire disparaître et il me propose un gâteau. Avec un gâteau tout va mieux.
Au moins mon intervention lui a permis d’arrêter de pleurer, il ne me sourit pas entièrement mais je vois qu’il est interloqué par ma tirade.
- Pourquoi tu pleures ? Tu as mal quelque part ?
Il renifle de nouveau, sûrement pour faire remonter l’amas de morve qui se forme dans son conduit nasal. Il ne prononce aucun mot mais secoue la tête pour me dire que oui. Je suis toujours accroupie devant lui, je me sens plus grande et mature. Je rentre en courant sans me retourner. Je ne prends pas la peine de me baisser et de ne pas me faire remarquer. J’ai une mission, on a besoin de moi. Je fonce dans la salle de bain et ouvre le tiroir, avec difficulté j’atteins le placard du haut. Je suis sur la pointe des pieds et m’étends de tout mon long.
Je réussis à saisir la trousse et la tire de toutes mes forces. Sans prendre le temps de sélectionner ce dont j’ai besoin, je prends tout ce qui est à ma disposition. Je redescends les escaliers à toute vitesse et saute les dernières marches. Je pourrais être une cascadeuse sans aucun problème. Alors que je m’approche devant la porte d’entrée, je fais demi-tour et décide de prendre quelques secondes de plus pour passer dans la cuisine. Je remplis mes poches et continue ma course folle pour rejoindre l’inconnu. Une fois que je suis dehors, je me rends compte que je n’ai pas réfléchi aux conséquences de mes actes. Je n’ai pas enlevé mes chaussures, heureusement que personne ne m’a surprise.
L’enfant est toujours en pleurs et sur le porche de sa maison. Il n’a pas bougé d’un seul geste, il a même conservé sa tête levée. Ses yeux sont fixés sur moi alors que je cours le plus vite possible. Je suis complètement essoufflée lorsque j’arrive à son niveau.
- J’ai pris tout ce qu’il y avait dans la trousse de secours. Montre-moi où tu as mal.
Il me montre son genou ensanglanté. Tout en essuyant ses larmes sur son t-shirt.
- Ne bouge pas ça reste de piquer un petit peu.
Je prends la désinfectant et fais bien attention de tout faire comme lorsque j'observe mon père le faire avec ces joueurs. Je passe la plupart de mes après-midis sur le terrain et il est rare de n'avoir aucune blessure avec les joueurs de volley-ball. Entre les doigts brisés lors de la défense, les joueurs qui se foncent dedans parce qu'ils ne font pas attention à leur positionnement, des blessés j'en vois tous les jours. Il ne prononce pas une seule plainte pendant que je m'occupe de sa blessure. Alors que je lui mets un pansement Hello Kitty, je relève les yeux pour vérifier son état. Ses larmes se tarissent, il reprend un peu contenance.
- C’est bon, tu vas mieux ?
Il secoue la tête de haut en bas pour me dire qu’il va mieux. Cependant, je sens qu’il ne me dit pas tout. Il était beaucoup trop agité pour une simple blessure au genou. Je m'assois à côté de lui et ne prononce rien pendant plusieurs minutes. C’est lui qui brise le silence en premier.
- Tu ne vas pas partir ?
- Tant que tu ne m’auras pas dis ce qui cloche, non.
Je fronce les sourcils et croise les bras, je tente d’utiliser la pose que mes parents ont lorsqu’ils se montrent autoritaires et me disputent.
- Pourquoi ? Tes parents ne vont pas te chercher ? Est-ce que tu as le droit de sortir toute seule ?
- Parce que je n’aime pas voir les gens tristes et non ils ne vont pas tout de suite se rendre compte de mon absence. Mais il faudrait mieux se dépêcher si on ne veut pas se faire surprendre.
Il pousse un grand soupir. J’attends sa réponse tout en m’amusant en balançant mes jambes. Une fois que je suis fatiguée de les faire bouger, je recule et m’allonge directement sur le porche m’offrant une vue directe sur les nuages. Le ciel est splendide aujourd’hui, ma maman aime bien dire qu’il est laiteux. Je ne sais pas exactement ce que ça veut dire mais c’est assez drôle comme terme.
- Regarde ce nuage à la forme d’un oiseau lui dis-je en montrant le ciel avec ma main. Lorsqu’il bouge on pourrait penser qu’il vole vraiment même si ses ailes ne bougent pas. Attend, attend regarde là c’est un ours. Tu arrives à les voir ou pas ?
Seul le silence me répond. Je me relève rapidement me donnant un peu le tournis. Je sors les gâteaux que j’avais dans mes poches et lui tends.
- Tiens je t’ai piqué ça dans ma réserve personnelle, c’est mes préférés. Les pansements c’était pour te soigner physiquement, le chocolat c’est pour les bobos qu’il y a dans ta tête.
Je lui tape doucement la tête avec un doigt. Je reprends tout de suite la parole :
- Tu t’es disputé avec tes parents ?
Il hoche de haut en bas la tête me poussant à continuer.
- C’est à cause de ton déménagement ? Tu viens juste d’arriver ne t’inquiète pas tu vas te faire rapidement des amis. Je pourrais te présenter mes copains, mieux tu pourrais venir avec moi à la fin de l’école à l’entraînement de volley de mon papa !
Ses yeux s’illuminent d’un seul coup et je suis de nouveau frappé par la beauté de son regard. Je sens mon coeur battre plus fort comme s’il allait sortir de ma poitrine. Une seule chose me vient à l’esprit, je veux voir ces yeux tous les jours : je suis amoureuse de lui. Je cligne des yeux alors que je sens que mes joues deviennent rouges.
- Tu fais du volley-ball ?
- Un peu mon papa est le coach de l’école pour les grands. Du coup, je joue parfois avec les adultes ou je ramasse les ballons. Tu aimes le volley ?
Je triture mes doigts dans tous les sens et je commence
- Oui, j’adore ça me dit-il alors que son air triste s’accentue.
- Tu sais normalement quand on aime quelque chose on est heureux quand on en parle.
Je me lève d’un seul bond et je lui tends la main.
- Est-ce qu’un match de volley te donnerait le sourire ? J’ai un filet et des ballons dans mon jardin.
- Je n’ai pas le droit d’y jouer, mon père veut que je continue le foot même si je n’aime pas ça.
J’entends mon prénom de l’autre côté de la rue, m’indiquant que ma maman me cherche. Je jette un regard vers ma maison, mes pieds commencent à faire le chemin par eux-même. Même si j’aimerais continuer à lui parler, je sais que si je ne rentre pas rapidement, la maison va être retournée dans tous les sens et je vais sûrement être punie. Je fais un au revoir à mon voisin et me dirige vers son portail. Au dernier moment je me retourne.
- Tu veux savoir mon avis ?
Je n’attends pas sa réponse et continue avec un grand sourire.
- Tu devrais faire ce qui te plaît, si tu as envie de jouer au volley, joue au volley !