Chapitre 7 - Renouveau

Du temps, cela en demanda à Arfer. En effet, la personne ayant écrit les textes dans la bibliothèque de la grotte cachée des montagnes occidentales n’avait pas prévu que quelqu’un d’autre les lirait. Il s’agissait surtout de phrases, pour la plupart rageusement raturées mais encore lisibles. Fort heureusement pour Arfer, l’auteur avait également consacré des grimoires entiers à la simple conjugaison. Chaque page offrait un nouveau verbe, suivi de toutes ses déclinaisons. De même, des grimoires entiers contenaient des mots et leurs déclinaisons. Aucune traduction n’était jamais offerte. Arfer dut utiliser toutes ses capacités de linguiste pour en sortir du sens. Lorsque la première phrase fut traduite, les autres suivirent, lentement, mais sûrement.

Il vécut en ermite, au fond de sa grotte, ne sortant que pour aller s’approvisionner en nourriture, en papier, en encre et en plumes. Il avait réécrit tous les textes d’origine mais désormais, il en écrivait lui-même. Chaque traduction était écrite, chaque théorie également. Il inscrivit tout ce qu’il découvrait, non pour le transmettre à quiconque, mais pour être sûr de s’en souvenir.

Un jour, alors qu'il dormait dans la bibliothèque, s'étant endormi comme d'habitude sur une traduction incomplète, il eut l'impression que la pièce se remplissait brusquement d'air. C'était une sensation étrange car la pièce, naturellement, était déjà remplie d'air. Il s'éveilla et se sentit vivre pleinement. Jamais il n'avait ressenti cela. C'était un plaisir merveilleux et sublime.

- Luminis, souffla-t-il peu certain de bien prononcer le mot.

Rien ne se produisit. Il était pourtant certain que la magie extérieure existait. Il sortit, se rendit dans sa chambre et attrapa le masque magique dont il ignorait toujours l'usage. Il activa l'objet et rien ne se passa.

Déterminé, il le plaça sur son visage et l'activa à nouveau. Autour de lui, tout devint étrange. S'il le voulait, il pouvait voir à travers les murs. Depuis l'intérieur de la grotte, il pouvait voir son cheval brouter. Il sourit. Le masque fonctionnait.

Il retourna à la bibliothèque et s'assit. Pourquoi le sort ne marchait-il pas ? Avait-il mal compris la façon dont il fallait lancer les sorts ? Pourtant, il suffisait aux Mordens de prononcer le mot tout en activant son pouvoir.

- Luminis, répéta-t-il plus franchement, mais toujours pas persuadé que sa prononciation était bonne et terrifié à l’idée d’avoir mal traduit le mot et de lancer un sort plus redoutable que celui qu’il comptait tester.

Il ne se passa toujours rien. Il réfléchit et se souvint de la première phrase qu’il avait lue en arrivant : Verborum magiae secretum fides est. Il n’avait toujours pas réussi à la traduire entièrement. Il savait que le début disait « le secret de la magie verborum est » mais le mot "fides" lui échappait. C’était terriblement frustrant. Énervé, il se leva et s’exclama :

- Je suis un sorcier. Je ne vaux pas moins que les autres. Je suis tout autant capable que les anciens de réussir. Luminis.

Et la lumière fut. Éclatante, brillante, blanche, elle envahit la pièce. Elle ne semblait pas venir d’un endroit particulier, mais de partout. Le sort venait de fonctionner et Arfer fut alors à même de traduire le dernier mot : foi. Pour utiliser la magia verborum, il suffisait d’y croire. Arfer compléta le parchemin, incapable d’ôter le sourire complet barrant son visage. Il était heureux. Personne, depuis quatre siècles, n'avait fait cela. Il était le premier.

Une véritable euphorie s'empara de lui. Il ignorait comment et pourquoi la magie extérieure avait refait son apparition, et il s'en moquait. À présent, il était le maître et comptait bien reprendre le pouvoir au grand maître Morden et faire enfin régner la paix dans la terre des mages. Il sortit et respira l'air frais comme si c'était la première fois qu'il le faisait.

Le lendemain, il partit, laissant la bibliothèque et tous ses précieux ouvrages derrière lui, non sans avoir consciencieusement refermé la porte avant de partir.

Lorsqu’il s'approcha des hommes et des terres Mordens, il fut totalement abasourdi de constater que la paix régnait. Les Mordens et leurs anciens sujets travaillaient main dans la main à la reconstruction des villages. De loin, il regarda les hommes agir. Il se rendit jusqu'à la forteresse Morden où il constata que les exactions des Mordens avaient cessé. Plus aucune torture, plus aucun viol, plus de maltraitance. À présent, les Mordens prenaient soin de leur peuple.

Arfer secoua la tête. Ce monde était devenu humain, juste. Il apprit que désormais, le pays était gouverné par une magicienne, responsable du retour de la magie. Arfer lui devait la vie. Il décida de lui laisser le champ libre. Il regarda plus loin. D’autres gens avaient besoin de lui.

Après avoir traversé le Berryl, il retrouva les terres désolées qui s'y trouvaient. Les différentes tribus se battaient souvent. Nomades, ils chassaient aux mêmes endroits, luttaient pour le droit aux fruits d’un arbre.

Arfer observa ces hommes et ces femmes. Il voulait les aider, leur rendre la vie meilleure. La plupart de ces gens mourraient de maladie, de malnutrition ou de la suite de blessure avant même de voir leur enfant devenir adulte. Arfer sentait qu’il pouvait leur venir en aide.

La magia verborum n’était limitée que par trois choses : la foi du porteur était la principale. La seconde était la capacité à la parler et en cela, Arfer était gêné, ayant appris cette langue dans des livres non prévus à cet effet. La troisième limite était l’imagination du sorcier et pour cela, Arfer n’avait pas de crainte. Son imagination était sans limite. Quant à sa foi, elle était inébranlable.

Il réfléchit longuement, assemblant les mots, les phrases, faisant attention à ses conjugaisons, à ses accords et finalement, il prit une grande inspiration, activa ses pouvoirs et clama :

- Pugnae cessent et sub vexillum idem unum gentes tribusque uniant, vexillum meum, et pacibus libertatibusque veram terram unam insimul construant.

Arfer sentit, à ces mots, ses pouvoirs être déchiquetés. Il avait oublié qu’en lançant un sort trop puissant, il pourrait mourir. Or, la quantité de magie nécessaire à une telle demande était énorme mais Arfer tint bon.

Lorsqu'il ouvrit les yeux sans se souvenir s'être évanoui, il constata que des centaines de gens, pourtant de clans différents, bâtissaient des bâtiments et traçaient des routes. L'un d'eux s'avança vers lui, s'inclina puis demanda :

- Avez-vous besoin de quelque chose, seigneur Turiel ?

Arfer fut surpris d'un tel comportement. Cet homme le considérait-il vraiment comme son seigneur ? Oui, c'était logique, il avait bien précisé, dans l'incantation, que ces gens devaient se rallier sous sa bannière. Il se reprit rapidement.

- Non, merci, je peux me débrouiller seul.

- Bien, seigneur Turiel.

Comment connaît-il mon nom ? pensa Arfer. Et puis, comment sait-il que je suis son seigneur ? Comment sait-il que c'est moi ?

- Décidément, murmura Arfer Turiel, cette magie est très puissante.

Il regarda agir ses nouveaux sujets. Les milliers d'habitants, portés par l'élan du sort, agissaient main dans la main dans le bien commun. Aucune rixe, aucun combat, aucune dispute n'avait été dénombré. Arfer était aux anges. Le travail avançait bien. Les cahutes en boue furent remplacées par de vraies maisons en bois ou en pierre.

- Seigneur ? dit un homme en s'approchant d'Arfer, la tête baissée.

- Oui ? dit Arfer qui ignorait qui pouvait être cet homme.

- Nous avons quelque chose à vous montrer, annonça l'homme, toujours prosterné.

Arfer le suivit. Il sentit son cœur bondir en voyant apparaître au détour d’une colline une immense demeure en pierre. Des centaines de gens l'attendaient devant.

- Votre demeure, seigneur Turiel, si vous l'acceptez, dit l'homme.

Arfer sourit à l'homme et hocha la tête. La population hurla sa joie puis repartit au travail. L'endroit était sublime. Arfer se promena dans ce petit palais et arriva dans un jardin assez peu glorieux. Lorsqu'il vit un rosier pousser à une vitesse incroyable, il ouvrit de grands yeux et vit apparaître un petit garçon, qui, à sa vue, tomba à genoux.

- Pardonnez-moi, monseigneur, je ne vous avais pas vu, bredouilla l'enfant.

- Ce n'est rien, mon garçon, répondit Arfer. Dis-moi, c'est toi qui a fait pousser ce rosier ?

- Oui, monseigneur.

- Comment as-tu fait ?

- Je l'ignore, seigneur Turiel. Si je le souhaite, je peux faire pousser des plantes, et même faire pleuvoir, et plein d'autres choses encore, répondit le garçon.

- Je suis fier de toi, mon garçon. Tu as réussi à faire ça tout seul. Cependant, je pense qu'avec un peu d'aide, ça irait sûrement mieux.

- De l'aide ? répéta le garçon, toujours agenouillé, sans comprendre.

Arfer réfléchit. Naturellement, les êtres magiques avaient ici aussi retrouvé la vie et leurs pouvoirs. Seulement eux n'avaient pas conservé leur savoir magique au fil des ans. Ils étaient des ignorants complets.

- Que dirais-tu d'aller dans une école de magie ?

- Une école ? répéta le jeune homme. Qu'est-ce que c'est ?

- Un endroit où tu apprendrais à te servir de tes pouvoirs, et puis à lire et à écrire, aussi, répondit Arfer.

- Lire et écrire, répéta le garçon. Qu'est-ce que c'est ?

Arfer sourit. Ce garçon était digne d'appartenir aux tribus barbares de ce pays, cela ne faisait aucun doute. Ces gens ignoraient jusqu'à l'existence de l'écriture. Le garçon semblait attendre une réponse, qui ne vint pas. Arfer se contenta de lui faire signe de le suivre. Le garçon obéit en silence. Arfer regarda droit devant lui. Il ferma les yeux et lança :

- Sub oculis meis charta una apparat.

Une splendide carte dessinée sur de la peau de bête apparut dans sa main. Il la déplia et regarda.

- Dis-moi, jeune homme, sais-tu lire une carte ? demanda Arfer.

Le garçon regardait avec de gros yeux le bout de peau que son seigneur tenait dans sa main et qui venait d'apparaître par miracle.

- Tu sais faire pousser les plantes, dit Arfer, eh bien moi, je peux faire bien d'autres choses.

Le garçon sourit puis annonça :

- Je suis désolé, seigneur Turiel, mais j'ignore ce qu'est une carte.

Arfer hocha la tête. Il s'y attendait plus ou moins. Il soupira, se concentra puis lança :

- Scire volo ubi sum.

Un point apparut sur la carte. Il était en plein milieu des terres appartenant autrefois aux tribus et clans sauvages et qui étaient désormais siennes. Au nord, il pouvait lire "Royaume de Thara" et "Empire de Marthe". À l'ouest, il y avait d'abord le "Pays de Tiers" et beaucoup plus à l'ouest, les huit royaumes. Au sud, il lut "Terre des mages" à l’emplacement de son pays d’origine. À l'est de la terre des mages, de l'autre côté du ravin infranchissable se trouvaient les territoires Suunit.

La carte n'allait pas au-delà mais cela suffit à Arfer. Il fut surpris de constater que là où il se trouvait, les terres étaient nommées "Pays de Turiel" par la carte. Arfer sourit. Cela lui plut assez. Il observa à nouveau la carte. Il n'était pas très loin d'une rivière et au centre de son pays, cet emplacement serait idéal pour une école. Il hocha la tête, plia la carte puis lança :

- Ici, ça sera parfait.

- Parfait pour quoi, seigneur Turiel ? demanda l'enfant.

- Pour créer l'école de magie du pays de Turiel, répondit Arfer.

Le garçon ne répondit rien. Il se contentait d'observer son seigneur sans trop comprendre. Arfer ferma les yeux, se concentra, sentit sa foi et sa confiance en lui se raffermir. Il lui semblait être l'égal d'un dieu. Il tenait le monde dans sa main. Une euphorie s'empara de lui. Il la laissa l'envahir et souffla :

- Enormis palatus, unam scholam et milliam professorum, discipulurum et magicorum rerum recipiere capacem sit, apparat.

Le palais naquit, exacte réplique de ce qu’Arfer voyait dans son esprit. Sublime, immense et robuste, il fit sourire Arfer mais pas l'enfant qui fut plus terrorisé qu'heureux.

- Tu n'as pas à avoir peur, dit Arfer. C'est moi qui ai fait ça, et c'est pour ton bien et celui de tous les gens qui vivent ici.

Le garçon hocha la tête mais ne perdit rien de son air apeuré. Les autres personnes présentes avaient elles aussi cessé leur travail pour regarder l'immense bâtiment. Un homme s'approcha. Il souriait. Il s'inclina devant Arfer puis lança :

- C'est merveilleux, seigneur Turiel. Vous êtes un grand mage. Avec vous, nous ne manquerons jamais de rien. Si vous pouvez créer un palais de cette taille, nul doute que de petites maisons ne requièrent pas beaucoup de votre puissance.

Arfer lança un regard noir sur l'homme qui, surpris, en blêmit de terreur.

- Que voulez-vous ? siffla Arfer. Être des assistés ? Ne plus rien faire par vous-mêmes ? Vous voulez un toit ? Faites-le vous-même ! Vous voulez manger ? Semez, bêchez, labourez et moissonnez. La magie ne sert pas à vous permettre de passer votre vie à… à quoi d'ailleurs ? À ne rien faire ? Toute votre vie ? Vous allez vite vous ennuyer, croyez-moi. Allez, retournez au travail maintenant.

L'homme s'inclina et disparut, ses collègues derrière lui. L'enfant, lui, resta et interrogea :

- C'est une école, seigneur ?

Arfer s'accroupit devant l'enfant.

- Pour le moment, non, car il n'y a rien là bas.

Arfer se leva et se concentra de nouveau. Une quinzaine d'incantations plus tard, le palais était rempli de meubles et d'objets utiles en tout genre. Enfin, une dernière incantation fit se remplir les bibliothèques du palais d'une copie de tous les livres des bibliothèques des différentes forteresses de la terre des mages ainsi que la précieuse bibliothèque dans la mine. Arfer proposa à l'enfant, le premier élève de cet endroit, d'entrer. Jamais Arfer ne s'était senti aussi bien. Il était le maître du monde. Tous devaient lui témoigner respect et obéissance. Il était un dieu vivant et son pouvoir était sans limite.

- Cet endroit est plutôt sinistre, murmura l'enfant tandis qu'ils entraient dans une des plus grandes salles du palais.

- Tu as bien raison, dit Arfer. Omnes magicae res Turieli terrae palato commotae sint.

Sous les yeux ébahis de l'enfant, la salle se remplit de monde, êtres divers apparus de nulle part, arrachés à la construction de leur maison.

- Cur ubi sunt omnes gentes sciant et studere commitant, lança Arfer.

Lorsque les milliers de fourmis s'activèrent, il sourit. Il voulut parler à l'enfant mais celui-ci était parti, lui-même affecté par le sort. Arfer se sentait vraiment bien. Il pouvait faire ce qu'il voulait de tous ces gens. Ils étaient à lui, des pantins entre ses mains. Il était au contrôle et il aimait ça. Le pouvoir le rendait extatique. Il inspira l'air de la victoire et de la domination avec un plaisir non dissimulé.

Il se promena dans le palais afin de regarder ses poupées agir comme il l'avait ordonné et fut ravi de constater qu'ils étudiaient tous avec ferveur et volonté.

Le soir même, un homme vint le voir alors qu'il regardait ses sujets poser les premières pierres de la future capitale du pays qui entourerait l'école.

- Monseigneur ? dit l'homme en s'inclinant.

Arfer se retourna, un peu étonné. C'était la première fois qu'un être magique venait lui parler.

- Je vous écoute, dit Arfer.

- Voilà, monseigneur, j'ai lu une bonne partie des livres de la bibliothèque…

Il sait déjà lire, comprit Arfer. C'est vraiment formidable.

- Et plusieurs choses m'ont paru étranges, continua l'homme.

- Ah ? dit Arfer, un peu surpris. Je vous en prie, expliquez-moi vos problèmes.

- Hé bien voilà, commença le jeune homme avec ferveur. Dans les livres, il est expliqué qu'il y a deux sortes de magie : l'intérieure et l'extérieure. Que la première ne peut vivre que dans les magiciens ou certains objets créés par les ensorceleurs et que la seconde ne peut survivre que dans l'air ou dans des druides et des nécromanciens.

- Moui, en effet, et où est le problème ?

- Le problème, il est là, dit l'homme avant de se concentrer.

Lorsque l'homme rouvrit les yeux, Arfer montra qu'il ne comprenait pas. L'homme annonça :

- Je m'appelle James Beckerson, je suis magicien et je viens de mettre de la magie intérieure dans l'air. Vous ne la sentez pas ?

- Je suis un sorcier, répliqua Arfer. Je ne ressens pas la magie intérieure. Mais attendez une seconde. Magiae interioris praesentiam sentire volo.

L'incantation terminée, il vit un superbe halo blanc entourant le magicien mais également une tache blanche dans l'air. Le reste du monde, lui compris, était noir.

- Je vois, dit Arfer, rendu presque aveugle par le sort. Sortis Finis. Comment faites-vous cela ? demanda Arfer ayant retrouvé la vue.

- C'est venu tout seul, répondit James. Lorsqu'un de mes amis, Flint, a voulu ensorceler un objet et ainsi se servir de mes pouvoirs, j'ai trouvé ça tellement horrible comme sensation que j'ai préféré mettre mes pouvoirs dans l'air, autour de lui.

- Et ça a marché ? s'exclama Arfer.

- Oui. Le problème, c'est que je dois sans cesse transférer, car ma magie disparaît dès que j'arrête de transférer. C'est comme si la magie extérieure l'avalait.

Arfer hocha la tête, très surpris d'une telle révélation.

- Je crois, continua James, que les termes magie intérieure et extérieure ne conviennent pas très bien.

- Je suis d'accord avec vous, magicien, dit Arfer.

Il se souvint de sa vision en noir et blanc.

- Je propose que vos pouvoirs soient nommés magie blanche et ceux des sorciers, magie noire. Haec denominatio jam usus sit.

James hocha la tête, s'inclina bien bas puis s'éloigna pour reprendre ses études. Arfer réfléchit longuement. On lui avait toujours parlé de magie intérieure et extérieure comme des entités incapables de survivre dans un autre environnement que le leur. Apprendre qu'il pouvait en être autrement l'amenait à vouloir en savoir plus. Dès que son peuple serait prêt, il leur demanderait de faire des recherches magiques. Qui sait ? Peut-être seraient-ils en mesure de faire des découvertes qui changeraient la face du monde !

 

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Pendant que le groupe quittait les terres nécromanciennes, Decklan demanda :

- Maintenant, que fait-on ?

- Je vais retourner à la citadelle des mages et réfléchir.

- Réfléchir à quoi ? interrogea Ketall. Qu’est-ce que tu as appris de si important qui nécessitait que tu risques ainsi ta vie !

- J’ai appris qu’aucune des factions magiques n’est responsable de la disparition de la magie. J’ai appris que les magiciens, les Mordens et les druides avaient tenté d’aider le peuple. Celui-ci a rejeté les druides, qui se sentent délaissés. J’ai appris que les voyants s’en voulaient d’avoir mal interprété leur vision. J’ai appris que les ensorceleurs avaient tenté une expérience, qui s’est soldée par un échec mais…

- Nous avons réussi, intervint Djumbé. Nous nous en voulons d’avoir dû ensorceler des magiciens, mais ça n’enlève rien à notre victoire. Les assistants nous ont attaqués alors nous n’avons pas été en mesure de renouveler l’expérience, mais nous avons réussi ! Le cobaye a bien été téléporté.

- Téléporté ? répéta Sakku, soudain très intéressé par la conversation.

- Les ensorceleurs ont tenté de téléporter l’un des leurs, expliqua Elna à Sakku, qui n’avait jamais entendu l’histoire.

- Pas l’un des nôtres, précisa Djumbé. Un assistant.

- Quoi ? s’exclama Elna. Vous ne me l’aviez jamais dit.

- Il s’était porté volontaire. Les assistants pensaient encore à ce moment-là que les magiciens étaient là de leur plein gré.

- Vous avez possédé des magiciens pour tenter une téléportation ? comprit Sakku qui affichait une moue dégoûtée.

- Nous avons réussi, insista Djumbé. L’assistant a bien disparu, seulement…

- Seulement quoi ? interrogea Sakku.

- Apparemment, il aurait dû revenir et ne l’a pas… commença Elna avant de s’interrompre.

Elle voyait sur le visage de Sakku que lui aussi venait de comprendre et l’horreur se peignait sur son visage.

- Ça expliquerait tout, chuchota Sakku. La même langue, les mêmes relations entre les peuples, les mêmes façons de vivre et de penser.

- Qu’est-ce qui expliquerait tout ? s’énerva Djumbé.

- Désolé, maître ensorceleur, vos ancêtres n’ont pas réussi à téléporter l’assistant, annonça gravement Elna.

- Bien sûr que si ! s’écria Djumbé. Il a disparu !

- Il n’a pas changé de lieu… mais d’époque. Laissez-moi deviner : vous aviez donné un objet magique à l’assistant, un objet qui devait lui permettre de revenir. Une pierre ? proposa Elna.

- Comment le savez-vous ? s’exclama Djumbé. C’est un secret parmi les ensorceleurs !

- Parce que quand il est arrivé, Sakku se morfondait parce qu’il avait perdu sa pierre magique, finit Elna tandis que Sakku se figeait, trop choqué pour parler.

- Alors Sakku serait cet assistant ? lança Claire d’une voix douce et étonnée. Tu veux dire qu’il viendrait du passé ?

- Les ensorceleurs ont accompli un miracle, dit Elna. Ils ont fait voyager Sakku dans le temps. C’est incroyable !

- Et une pierre magique était censée lui permettre de revenir ? souffla Decklan. Cette pierre devait probablement fonctionner seule, comme mon gant. Mais pourquoi n’a-t-elle pas fonctionné ?

- Elle était faite pour téléporter son porteur, rappela Elna, pas pour le faire voyager dans le temps.

- Pas tout à fait, précisa Djumbé. La pierre devait se souvenir de son point de départ et de son point d’arrivée. D’un simple contact, on se retrouvait projeté au point le plus loin.

- Croyez-vous qu’elle aurait fonctionné, même à travers le temps ? s’enquit Elna.

- Je n’en sais rien, avoua Djumbé. Ça change beaucoup de choses. Il faudrait que nous étudiions le phénomène. Si Sakku est venu avec la pierre, elle doit toujours être ici.

- Elle est au fond du lac à côté de notre forteresse, annonça Decklan. Bon courage pour aller la chercher.

- Avec les pouvoirs d’une magicienne, ça sera aisément faisable, répliqua Djumbé. Il faudra qu’Elna apprenne à lancer le sort correspondant, mais ça ne devrait plus tarder. En attendant, je vais rejoindre mon peuple. Je dois leur transmettre ces informations. Revenez avec la pierre au plus vite et ne la touchez surtout pas. On ne sait jamais.

- Avant que vous partiez, j’ai besoin de vous pour une dernière chose, suzerain, annonça Elna.

Djumbé lui lança un regard interrogateur.

- Je voudrais que vous contrôliez mes pouvoirs.

- Quoi ? s’exclama Claire. Jamais de la vie !

- Les livres permettant de m’apprendre à utiliser mes sorts sont dans la bibliothèque des mages, annonça Elna.

- Et alors ? répliqua Claire.

- La bibliothèque se trouve en haut d’une aiguille de plusieurs centaines de pas de haut impossible à escalader. Pour l’atteindre, il faut savoir voler…

Djumbé comprit. Elna sentit ses pouvoirs lui échapper. La sensation était horrible. Elle avait besoin de ses pouvoirs. Leur séparation lui donnait envie de pleurer. Elle s’éleva à un pas du sol avant de redescendre et Djumbé relâcha son emprise.

- Cela devrait suffire, annonça Djumbé alors que Decklan lui lançait un regard noir.

L’ensorceleur n’avait rien tenté contre la magicienne, alors qu’elle venait de lui offrir un moment parfait pour agir. Elna s’éloigna pour s’essayer au vol tandis que Djumbé se préparait à partir. Decklan le rejoignit.

- Pourquoi n’avoir rien fait ? rugit Decklan. Elle s’offrait à toi.

- Je pense au monde, répondit Djumbé posément. Si Elna doit effectivement rendre sa magie au monde, ça n’est pas en étant notre prisonnière qu’elle le fera. N’as-tu pas envie de pouvoir te servir de tes objets magiques tout le temps, partout, et pas seulement grâce à la magicienne. Ne veux-tu pas devenir vivant ?

- Qu’est-ce que vous y gagnerez ? La réapparition de la magie ne changera en rien votre vie. Sans Elna, les ensorceleurs resteront des morts-vivants.

- Une magicienne seule n’est pas un grand bénéfice. Seule une poignée d’ensorceleurs pourra en profiter et quand elle mourra, nous n’aurons plus rien. Je parie sur l’avenir. Je parie sur elle. J’ai appris à la connaître et j’ai foi en Elna. Elle veut créer un monde plus juste.

- C’est une gamine naïve et insouciante.

- Je veux y croire, annonça gravement Djumbé. Maintenant, excuse-moi, je dois y aller.

Djumbé fit ses adieux aux membres du groupe puis talonna sa monture. Il disparut à un virage.

- Qu’allez-vous faire, seigneur Beir ? interrogea Ketall. Vous venez de perdre votre plus grand allié ici.

- Je ne sais pas encore, avoua Decklan. Pour le moment, j’escorte la magicienne jusqu’à la citadelle. Je prendrai une décision en route.

- Faites-le-moi savoir quand vous aurez choisi. Et vous, druide ?

- Je souhaite continuer à voyager avec vous, annonça le druide. Je voudrais être le témoin de la renaissance de la magie dans le monde, si cela ne vous dérange pas.

- Pas du tout, vous êtes le bienvenu à la citadelle des mages, annonça Ketall qui savait qu’Elna ne lui refuserait pas l’hospitalité.

Le groupe prit le départ. Pendant le trajet, Sakku resta seul, morose. Le soir, Elna le suivit à la rivière où il était allé se laver avec Claire. Elle fit du bruit de manière à les prévenir de son arrivée et les trouva en sous-vêtement en train de se nettoyer. Ils avaient un air sérieux.

- Je comprends que la vérité puisse être difficile pour vous, commença Elna.

- Tu ne comprends pas, intervint Claire. Ce n’est pas le fait d’avoir été projeté dans l’avenir qui trouble Sakku.

Elna montra qu’elle ne comprenait pas.

- Il vient d’apprendre que Taïmy, son magicien, son frère, son protégé, mais également tous les autres magiciens avaient été ensorcelés et il ne s’en n’était pas rendu compte. Il a failli à son devoir.

- Deux fois, murmura Sakku. D’abord en ne préservant pas l’intégrité de Taïmy, et ensuite en ne revenant pas comme prévu. Si j’étais revenu, ils auraient tous pu changer d’époque et être sauvés !

- Non, dit Elna. Si tu étais revenu et que tu les avais ramenés, qui dit que la quantité de magie aurait été suffisante pour sauver le monde ? Je te rappelle que l’énergie des magiciens a été nécessaire ! Le sort n’aurait peut-être pas eu le même effet. Le monde aurait été détruit et son avenir avec lui. Aucun de nous ne serait là aujourd’hui.

Sakku plissa les yeux. Il semblait réfléchir à la remarque d’Elna.

- Je trouve ça étrange, murmura Claire.

- Quoi donc ? s’enquit Elna.

- Que Sakku soit arrivé pile au moment où notre monde voit renaître une magicienne. Je trouve la coïncidence… troublante.

Elna réfléchit. Ce fut Decklan, dont nul ne savait depuis combien de temps il était là, qui proposa :

- Ce n’est peut-être pas une coïncidence. Le sort des ensorceleurs avait probablement besoin de magie pour s’ancrer. Il s’est déplacé sur la ligne du temps, jusqu’à trouver un moment où il pourrait s’attacher. Elna était prisonnière depuis plusieurs mois quand Sakku est arrivé. Son pouvoir s’était déjà bien amélioré. Il a du être suffisant pour accueillir l’arrivée de Sakku.

- Je me souviens avoir cru mourir un jour… un peu avant que Sakku n’arrive dans les geôles, compta Elna. Ma magie a été extirpée de moi d’un coup. Ça a été violent, inattendu, soudain et très douloureux. J’ai réellement cru mourir. C’est passé très près !

- Je suis désolé, murmura Sakku. Encore une raison de m’en vouloir.

- Non, vous ne devez pas. Ce n’est en aucun cas votre faute ! assura Elna. Ça explique pourquoi la pierre n’a pas fonctionné. Vous avez essayé de la saisir quelques secondes seulement après votre arrivée. J’étais vidée. Elle n’avait plus la magie nécessaire à son fonctionnement.

- Vous voulez dire qu’elle pourrait fonctionner maintenant ? interrogea Sakku.

- En me volant mes pouvoirs, oui, peut-être. Mais encore une fois, il est hors de question de retourner là-bas ! s’écria Elna en voyant l’espoir sur le visage de Sakku.

- Mais je reviendrais à l’exact moment où je suis parti ! chouina Sakku. Je pourrais ramener Taïmy ! Lui épargner une mort horrible !

- Et risquer que le monde ne survive pas par manque de magie ? C’est hors de question. On ne peut pas prendre ce risque. Cette pierre sera étudiée par les ensorceleurs mais nul ne devra jamais la toucher.

Sakku se retourna et Elna rentra au camp. Le jeune homme allait devoir intégrer la nouvelle et faire ses adieux à son magicien. Cela prendrait du temps, mais un jour, le poids de la culpabilité diminuerait et il pourrait de nouveau vivre sans honte en son cœur.

 

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Lorsque les habitants de la citadelle virent arriver Ketall avec Elna, une grande fête fut préparée. Claire découvrit l’endroit avec le souffle coupé. Sakku était surpris. Cette citadelle ne ressemblait pas à la sienne. Détruite par le sort d’Astrid Astralius, elle avait dû être reconstruite. Seule l’aiguille subsistait et Elna y avait disparu dès son arrivée, pour ne reparaître que le soir, pour la fête.

- Alors ? Des choses intéressantes ? interrogea Ketall.

- Énormément ! dit joyeusement Elna. Je sais lancer des dizaines de sorts ! C’est merveilleux.

Ketall montra qu’il attendait autre chose. Elna perdit son sourire. Ketall sut que ses espoirs étaient morts. Elle prit Ketall à part et chuchota :

- Je n’ai rien trouvé. J’ai cherché, je vous assure mais il n’y a rien. Ça ne veut pas dire que c’est impossible.

- Il faut me rendre à l’évidence. Un mage ne peut pas être l’auteur d’une prophétie. Ce monde ne regagnera jamais sa magie perdue.

Ketall s’éloigna, penaud. Elna était triste. Elle se promit de continuer à chercher. Cependant, elle le savait, elle avait beaucoup d’autres choses à faire. Le temps allait lui manquer.

Elna se dirigea vers Claire et Sakku qui dégustaient une cuisse de poulet à deux, en profitant pour s’embrasser à chaque bouchée. La scène fit sourire Elna avant de l’attrister. Son amour à elle serait à jamais inaccessible. Elle avait menti à Ketall. Elle n’avait appris aucun nouveau sort. Elle avait passé toute la journée à chercher un moyen de rendre la magie au monde… un moyen de rendre Decklan réceptif à ses sentiments, en vain.

Elna vit le druide. Adossé à un arbre, il était la seule personne de la grande salle à manger à ne pas sourire. Un mort-vivant. Elna s’approcha de lui.

- Sauriez-vous où se trouve le seigneur Beir ? interrogea-t-elle.

- Il a disparu peu de temps après notre arrivée ici. J’ignore où il se trouve, annonça le druide en transperçant Elna des yeux.

- Quoi ? dit Elna, gênée.

- Ne devriez-vous pas être en train de tenter de rendre sa magie au monde, au lieu de vous empiffrer et de chercher votre amoureux ?

- Mon amoureux ? répéta Elna, horrifiée.

- Tout le monde s’en est rendu compte, fit remarquer le druide. Je suis mort émotionnellement, pas aveugle aux émotions des gens qui m’entourent.

- Est-ce que Decklan s’en est rendu compte ? murmura Elna.

- Évidemment, mais il s’en moque. Savoir que quelqu’un nous aime ne nous apporte strictement rien, fit remarquer le druide.

Elna s’éloigna, les larmes aux yeux. Elle devait à tout prix rendre sa magie au monde. Seulement voilà, elle ignorait totalement comment s’y prendre. Elle s’éloigna de la fête. La musique, les rires, la joie, tout cela lui donnait la nausée.

- Elna ?

La jeune femme sursauta. Elle se croyait seule dans ce couloir, tout le monde étant à la fête. Elle frémit en constatant que Decklan était là.

- J’ai réfléchi, annonça Decklan. Je ne chercherai plus à vous nuire. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, sachez que les Mordens vous soutiendront. Je parlerai au grand maître. Je m’en irai demain faire mon rapport.

Elna en eut les larmes aux yeux. Elle ne voulait pas qu’il parte. Elle ne pouvait pas le retenir non plus. Incapable de parler, elle se contenta de hocher la tête.

- Je suis navré pour vous, assura Decklan d’une voix neutre et vide de toute émotion. Je sais que vous m’aimez, mais c’est un sentiment que je ne comprends pas et que je ne pourrai jamais partager.

- Vous pourrez, à condition que…

Elna ne put finir sa phrase. D’un hoquet, elle sentit sa magie lui être arrachée. La sensation d’être éloignée de ses pouvoirs lui déchirait le cœur. Lorsqu’elle était Ar’shyia, ça lui faisait mal physiquement. Désormais, la douleur était mentale. À choisir, elle préférait la première solution. Une brûlure, elle pouvait gérer. La sensation d’isolement, de rejet, de solitude lorsque sa jumelle s’éloignait d’elle était insupportable.

- Elna, qu’est-ce que tu as ? s’inquiéta Decklan.

- On me prend ma magie, beaucoup de magie, bafouilla Elna.

Elle avait du mal à tenir debout tandis que la magie quittait son corps. Decklan la retint au moment où elle allait tomber et l’allongea.

- C’est le druide ! s’exclama-t-il. C’est forcément lui !

Decklan s’engouffra dans l’escalier proche, laissant Elna seule. Pendant plusieurs longues secondes, la magie continua à disparaître puis la sensation cessa et Elna retrouva avec bonheur sa jumelle, affaiblie, mais intacte et bien présente.

Un homme apparut dans l’escalier mais ça n’était pas Decklan. Au départ, Elna supposa que c’était un assistant, envoyé par Decklan pour prendre soin d’elle. C’est alors qu’elle remarqua son gant. C’était un Morden. Comment était-il entré ?

L’homme s’approcha et s’accroupit devant la magicienne. Il était jeune. Les cheveux noirs, les yeux noirs, le teint halé, Elna le reconnut et elle n’en revint pas. C’était le Morden qui s’était enfui de la prison alors qu’il allait être torturé par les siens. Était-il un allié ? Dans ses yeux, Elna ne lut aucun sentiment. Il était mort, comme tous les autres Mordens.

- Dans quelques instants, la magie reviendra sur ce monde, annonça le jeune homme. Vous devrez dire que vous l’avez fait.

- Quoi ? répondit Elna trop affaiblie pour ajouter autre chose.

L’homme se releva et disparut au bout du couloir. Decklan apparut deux clignements d’œil plus tard.

- Ce n’était pas le druide, annonça Decklan.

- C’est fini, lui apprit Elna. Ce qui m’a pris ma magie a cessé.

Decklan aida Elna à se relever. L’homme mystérieux apparut au bout du couloir. Il la regarda, la suppliant des yeux.

- Mais je sais désormais comment rendre sa magie au monde, mentit Elna.

Decklan n’en revint pas. L’homme au bout du couloir hocha la tête. Il leva sa main droite. Trois doigts étaient levés. Il en baissa un, puis un autre pour finalement fermer le poing. Elna ferma les yeux en espérant bien imiter quelqu’un lançant un sort. Un baiser lui fit ouvrir les yeux. Decklan l’embrassait et à travers lui, elle pouvait ressentir tout son amour. Le Morden était redevenu vivant. La magie était revenue.

- Merci, de tout mon cœur, dit Decklan en mettant fin au baiser.

Elna jeta un œil au bout du couloir. Il était vide. Elle se reconcentra sur Decklan et l’embrassa à son tour. Peu importait pourquoi ou comment la magie était revenue. Elle était là. C’était tout ce qui comptait. Quant au jeune homme, qu’il aille en paix. Ne venait-il pas de permettre la renaissance du monde sans rien demander en échange ?

Elna entendit son nom retentir un peu partout autour d’elle.

- Apparemment, tu es réclamée, dit le Morden en souriant.

Un vrai sourire, celui de la joie, de l’amusement et pas de la perversion. Elna en eut les larmes aux yeux.

- Allons faire plaisir à tes fans, dit Decklan. Je ne vais pas te garder que pour moi. Ça serait égoïste.

- Et si moi, dit-elle en lui attrapant le bras, j’ai envie de n’être qu’avec toi ?

- On a toute la vie pour ça, répliqua Decklan. Viens maintenant.

Il l’entraîna et Elna se laissa faire. Decklan ne venait-il pas de dire qu’il comptait passer toute sa vie avec elle ?

- Nous recevons des pigeons de partout ! s’exclama Ketall en voyant apparaître la magicienne. Les voyants nous disent qu’ils ont vu renaître leurs pouvoirs. Ils voient des milliers de choses. Il leur faudra un moment pour tout classer. Les druides sont en transe.

Elna se tourna vers le druide présent dans la salle. Il était assis en tailleur, son corps se balançant d’avant en arrière, comme bercé par un vent invisible.

- Les nécromanciens ont quitté leur sanctuaire. Ils retournent vers le peuple, bien décidés à profiter de chaque mort. Mais surtout, les Mordens sont en émoi. Ils viennent brusquement d’ouvrir les yeux sur leurs atrocités.

- J’y vais, maintenant, dit Decklan. Faites-moi seller un cheval.

- Non ! s’exclama Elna en lui prenant la main.

- Je reviendrai le plus vite possible, promit Decklan en la forçant à lui lâcher la main.

Le Morden s’éloigna et disparut. Elna sentit de nouveau les larmes lui monter.

- Il reviendra, assura Ketall. Son peuple a besoin de lui mais il reviendra.

- Il a intérêt, dit Elna en transformant son chagrin en colère. Sinon, j’irai le chercher moi-même et il n’aimera pas ça !

Ketall sourit.

- Au fait, merci, souffla Ketall. Merci d’avoir rendu sa magie au monde.

Elna hocha la tête. Elle allait devoir porter ce mensonge toute sa vie mais ça n’importait pas. Après tout, la magie était revenue. Des milliers de gens allaient enfin avoir le droit de vivre. Les druides pourraient recommencer à rendre fertiles des terres arides, offrant au peuple de meilleures conditions de vie. Les voyants prévoiraient les catastrophes. Les Mordens continueraient à être le bras armé du pays, mais plus son tortionnaire. Tout allait rentrer dans l’ordre.

 

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Pendant une lune, Elna apprit à se servir de la magie. Claire participa à tous ses entraînements, sous le regard attendri mais ferme de Sakku, qui poussait les deux jeunes femmes au maximum de leurs capacités.

Sakku avait reçu la bénédiction de Ketall pour former Claire. Depuis, elle s’entraînait à l’épée tous les jours puis rejoignait sa sœur. Elle regardait son entraînement à la magie sans rien y comprendre mais Sakku répétait que sa présence était essentielle. Claire ne le contredisait pas. Après tout, c’était lui, l’expert. Le seul à avoir effectivement vécu avec un vrai magicien.

Decklan tint sa promesse et revint rapidement à la citadelle. Le retour de la magie avait bouleversé les habitudes des Mordens. Un nouveau grand maître avait été nommé et quasiment tous les lieutenants avaient été changés.

Les Mordens avaient eu pour mission, en plus de protéger leurs frontières, ce qu’ils n’avaient jamais cessé de faire, de répandre la nouvelle au peuple : la magie était revenue et avec elle, la justice. Les Mordens ne seraient plus ces démons tyranniques mais ils continueraient à faire respecter l’ordre et la loi. Les vols, viols et meurtres ne resteraient pas impunis mais les rapts d’enfants et l’esclavage étaient abolis.

Elna passait toutes ses nuits avec le Morden. Contrairement à Sakku et Claire, ils n’avaient pas encore franchi le cap, se contentant de se caresser et de s’embrasser. Ils voulaient prendre leur temps. Après tout, Decklan n’était vivant que depuis peu. Il devait s’habituer à ses nouveaux sentiments.

Un jour, Elna alla voir Sakku.

- J’ai beaucoup appris ces derniers temps.

Sakku hocha la tête.

- Mon rôle n’est pas de rester enfermée à la citadelle tout le temps, continua-t-elle.

- Si, en tant qu’archimage, tu dois rester ici, répondit-il.

- Naturellement que je suis l’archimage, puisque je suis la seule magicienne. Mais normalement, les magiciens ne se contentent pas de rester enfermés dans leur citadelle.

- Certes non, admit Sakku. Il y en a toujours deux ou trois chez les ensorceleurs, quelques uns chez les voyants, et les autres en vadrouille un peu partout. Ces derniers reçoivent les visions des voyants que leurs collègues à Praedy leur envoyent par télépathie et les transmettent aux personnes concernées. De plus, ceux sur le terrain recherchent les Ar’shyia et les assistants. Seuls l’archimage et les professeurs de magie restent à la citadelle.

- Je ne peux donc pas rester ici. J’ai beaucoup d’autres tâches à remplir.

- Tu ne peux pas, à toi toute seule, faire le travail de plusieurs mages.

- Évidemment, mais ça n’est pas non plus en restant là que je trouverai des Ar’shyia, fit remarquer Elna. De plus, j’aimerais rencontrer de nouveau les chefs des différentes factions, maintenant que la magie est revenue. Je veux voir comment ils s’adaptent à leur nouvelle vie, en commençant par les Mordens. Je veux m’assurer qu’ils ne commettent plus d’exactions et que l’esclavage et les tortures gratuites ont bien cessé.

- Rassure-moi, tu ne comptes pas t’enfuir toute seule, cette fois ?

- Bien sûr que non, répondit Elna en souriant. Claire m’accompagne, ainsi que Decklan.

- Je viens aussi.

- Ça, je m’en serai doutée, murmura Elna.

 

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Le lendemain, tout le monde était prêt. Elna, sur sa jument. Decklan, à sa droite, sur un hongre brun. Ils se tenaient la main. Ketall tenait par la bride deux chevaux désespérément vides.

- Où sont-ils ? maugréa Elna pour la vingtième fois.

- On discutait entre assistants, dit Sakku en arrivant dans la cour. C'est interdit ? Et puis, les magiciens sont censés être patients !

- Je suis encore en apprentissage, répliqua Elna. Il faut croire que j'ai raté cette leçon.

Ils rirent puis partirent vers la forteresse Morden. Le soir, après le dîner, Elna s’assit à côté de Sakku alors qu’il montait la garde.

- De ton temps, il y avait une centaine de magiciens, c’est ça ?

- Non, il n’y en a jamais eu autant en même temps, lui apprit Sakku. Il y en avait rarement plus de quarante.

- Je trouve ça peu. Il y a des milliers de Mordens.

- Des centaines de milliers, la corrigea Sakku. La plupart sont sur les frontières ouest et sud. Ils nous protègent des invasions des ours des montagnes et des chacals des sables.

Elna ne cacha pas sa surprise. Des Mordens, luttant contre des animaux ? La vision avait de quoi surprendre.

- Ce ne sont pas réellement des ours et des chacals, précisa Sakku. Ce sont les surnoms des habitants de la montagne et du désert.

Elna soupira. Elle avait encore beaucoup à apprendre. Ces derniers temps, elle s’était concentrée sur l’apprentissage de la magie, délaissant complètement la géopolitique du pays.

- Comment peut-il y avoir autant de Mordens et si peu de magiciens ? Il me semble que les voyants, les druides, les ensorceleurs et les nécromanciens sont également très nombreux. Qu’est-ce qui explique le faible nombre de mages ?

- Le don de la magie intérieure n’est pas héréditaire, contrairement aux autres, expliqua Sakku.

- Donc, mes enfants ne seront pas des magiciens.

- Jamais un magicien n’en a engendré un autre, lui révéla Sakku.

- Est-ce que ça signifie qu’ils seront forcément des Mordens, comme Decklan ?

- Non, pas forcément. Ils pourront aussi n’avoir aucune magie… Si les deux parents sont du même groupe magique, les enfants ont le don. C’est vrai pour tous, sauf pour les magiciens. Si on mixe, en revanche, le résultat est imprévisible.

- Il y avait donc une trentaine de mages vivant en même temps, commença à compter Elna. Si on considère qu’un mage vit assez pour être grand-père, ça fait un nouvel Ar’shyia tous les deux ans environ. Vu mon âge, il doit y avoir plus d’une dizaine d’Ar’shyia dans le monde en ce moment même. Je croyais que les Ar’shyia étaient rares.

- Ton calcul serait bon si les magiciens vivaient ce temps-là, répondit Sakku.

- Que veux-tu dire ?

- La magie offre de nombreuses possibilités, comme celle de conserver la jeunesse d’un corps plus longtemps. Les magiciens, à mon époque, vivaient assez pour voir leur petits-enfants devenir grands-parents.

- Admettons. Un Ar’shyia tous les six ans ? proposa Elna.

- Statistiquement parlant, oui, mais rien ne prouve qu’il y ait effectivement autant d’Ar’shyias. Tu es peut-être la première… et la seule. C’est totalement aléatoire.

- Mais alors, s’exclama Elna, Claire mourra bien avant moi. Devrais-je prendre un nouvel assistant ?

- Non. Elle vivra autant que toi.

- Cela signifie-t-il qu’elle meurt si je meurs ? s’écria Elna, horrifiée.

- Bien sûr que non. Simplement, si tu venais à décéder, elle vivrait une vie normale par la suite, sans allongement magique.

Elna soupira d’aise. Elle avait eu très peur, l’espace d’un moment.

Le lendemain, ils arrivaient en vue de l'imposant bâtiment. En voyant l'immense lac qui se découpait dans le lointain, Sakku s'arrêta, se tourna vers Elna, qui s'était également arrêtée, et proposa :

- Tu vas pouvoir essayer de retrouver ma pierre.

- C’est fait depuis longtemps. Les ensorceleurs l’étudient depuis plusieurs lunes.

- Tu as réussi à la récupérer depuis la citadelle des mages ? s’étonna Sakku.

- Elle a bien réussi à rendre la magie au monde, répliqua Decklan. Elle n’est peut-être pas une si mauvaise magicienne que ça, en fin de compte.

Elna préféra ne rien dire. Le sort pour retrouver la pierre n’avait pratiquement pas nécessité d’énergie, malgré la distance, car elle savait quoi chercher et où. De plus, elle connaissait les lieux pour y être déjà allée. En son fort intérieur, elle savait que Sakku avait raison : elle ne serait jamais une grande magicienne.

Dans la soirée, ils entraient dans la forteresse Morden. Elna y croisa des serviteurs, nombreux, mais aucun esclave. Lorsqu'ils arrivèrent dans la salle principale, le grand maître se leva puis s'agenouilla devant Elna d’un geste souple et fluide. Seul un léger pincement de ses lèvres dénota son agacement d’être commandé par une femme aussi jeune issue du monde paysan.

- Magicienne, soyez la bienvenue en ce lieu, annonça le grand maître d’une voix qui ne laissait rien transparaître de son irritation.

Elna ne savait que faire. Decklan fit bouger sa main de haut en bas, paume vers le haut.

- Relevez-vous, dit Elna. Merci de cet accueil.

- Comme vous pouvez le constater, tout a été mis en place pour aider notre peuple. Si vous le désirez, je vous mènerai personnellement au village le plus proche afin que vous puissiez vous en rendre compte par vous-même.

- Grand maître, intervint Decklan, si vous le permettez, j'aimerais m'en occuper personnellement.

Le grand maître soupira d'aise.

- J'apprécierais, en effet. J'ai déjà beaucoup à faire. Si la magicienne le permet, j'accepte que vous lui montriez vous-même nos progrès.

Elna acquiesça. Decklan s'inclina respectueusement devant le grand maître et le groupe quitta la salle. Le Morden fit visiter la forteresse au groupe. Decklan, très professionnel, expliquait en détail les améliorations effectuées ainsi que les nouvelles lois régissant la vie du peuple et des Mordens. Elna fut impressionnée. La joie de vivre avait remplacé la douleur et les tortures.

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Honey41
Posté le 08/10/2023
vu qu'ils visitent la cité des Morden, je me demande ce qu'est devenu Ewin ? est-il devenu Lieutenant comme il voulait ?
quel résultat va donner cette visite ?
Nathalie
Posté le 08/10/2023
On reviendra sur Ewin plus tard et tu auras ta réponse. Bonne lecture !
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