- C’est bon ! annonça Chavard’all sous la lune haute.
- Pas trop tôt, putain ! Mes jambes me font souffrir ! Et mon dos ! Je n’en peux plus, gronda Jack.
Le dragon blanc se posa à l’entrée d’une grotte spacieuse où Farhynia restait figée, le regard fixé à l’intérieur de la caverne.
- Farhynia ?
Chavard’all et Jack suivirent son regard. Corail se trouvait là. Une main sur la paroi de la grotte, elle avançait. Elle ne semblait même pas s’être rendue compte de la présence des deux dragons. Elle avança ainsi jusqu’à atteindre l’entrée. Elle se retourna, plaça l’autre main sur le mur et reprit son manège.
- Que fait-elle ? demanda Jack.
- Elle marche pour se dégourdir les jambes, indiqua Chavard’all. Comme tu viens de le découvrir, rester toute la journée sur le dos d’un dragon n’est pas exactement confortable.
- Laisse-moi descendre ! ordonna Jack.
Les jambes libérées, le dragonnier se déplia et malgré la douleur qui irradiait dans tout son corps, descendit jusqu’au sol, qu’il s’estima heureux d’atteindre en un seul morceau. Jack suivit Corail des yeux un instant avant de détailler la grotte entièrement vide en dehors d’un morceau de tissu traînant dans un coin. Jack s’approcha de ce seul élément détonnant pour reconnaître la robe bleue qu’il avait cousu à Corail.
- Elle la porte lorsqu’elle le monte, indiqua Farhynia, dont Chavard’all traduisait les propos.
- Elle déteste s’habiller et ne le fait que par obligation, précisa Jack avant de s’approcher à pas lents de Corail qui avançait toujours, une main contre le mur.
Elle passa à côté de Jack sans lui accorder la moindre attention.
- Corail ? lança Jack en suivant son pas.
Aucune réponse.
- Corail ? Farhynia est là !
Toujours aucune réponse.
- Elle ne me regarde même pas, sanglota la dragonne bleue.
- Ressens-tu ses émotions ? interrogea Chavard’all.
- Toujours le néant, un grand vide et je tombe, annonça Farhynia. C’est horrible. Mais que lui a-t-il fait ?
Jack parla à Corail, la suivant toujours, mais n’osa pas la toucher. Farhynia tenta de se placer dans le champ de vision de la sirénienne qui resta amorphe. Celle-ci venait de réaliser son quatrième tour de la grotte lorsqu’elle se détacha du mur pour venir se placer à genoux, en plein milieu de la caverne.
- Que fait-elle ? souffla Jack.
- Merde ! gronda Chavard’all. Zaroth arrive. Jack, reviens vers moi !
- Non ! Je reste avec Corail ! s’opposa Chavard’all.
- Bourrique ! s’énerva Chavard’all avant de se tourner vers l’extérieur.
Jack vit atterrir un immense dragon marron un peu plus massif que Chavard’all. Il déposa un énorme loup qu’il tenait dans la gueule.
- C’est interdit de violer l’intimité d’une grotte, rappela Zaroth.
Chavard’all avait choisi de traduire la voix de Zaroth par un son grave et sifflant, à moins que ce ne fut la colère qui ne décida pour lui. Du feu sortit de la gorge du dragon brun, faisant crier Jack de terreur. La flamme, destinée au prédateur hurlant sous la lune, répandit une bonne odeur de grillé dans la grotte.
- C’est toi qui nous rappelle à l’ordre ! s’étrangla Farhynia. Tu m’as volé ma dragonnière !
Zaroth arracha un patte au loup et la jeta. Le morceau de viande atterrit devant Corail.
- Aucune chance qu’elle mange ça ! Elle ne consomme que des produits de la mer, assura Jack.
- Pathétique ! lança Zaroth tout en mangeant comme si sa grotte ne contenait pas d’intrus. Tu laisses ton dragonnier exprimer une opinion personnelle, Chavard’all ? N’as-tu rien écouté de mes leçons ? Tu mets toute notre société en danger en agissant de la sorte.
Jack trouva que le vieux dragon exagérait. Chavard’all soufflait du chaud par les naseaux. Une flamme dansait dans la gueule de Farhynia.
- Ce n’est pas parce que vous êtes faibles que vous devez considérer que tout le monde l’est, poursuivit Zaroth qui déchiquetait méthodiquement sa proie tout en faisant cliqueter ses écailles. Ma dragonnière mange ce que je lui permets de manger et elle s’en contente très bien. Si elle ne touche pas la viande, ce n’est pas par dégoût mais parce qu’elle sait ne pas avoir le droit de se nourrir avant que je n’ai moi-même terminé.
Se disant, il avala le dernier morceau du loup puis souffla du feu sur le sol. Lavage et désinfection garantis.
Corail se jeta sur la viande, qu’elle arracha avec les dents. Jack recula d’un pas et blêmit. Il se mit à trembler de partout.
- Corail, murmura-t-il, atterré.
Zaroth se recula pour sortir de la grotte, pas gêné le moins du monde par la présence des intrus. Il se redressa sur ses pattes arrières, offrant son ventre sans protection, sa tête disparaissant au dessus de la caverne.
Ni Farhynia, ni Chavard’all n’en profitèrent pour passer à l’attaque. Jack en eut la nausée. « Les dragons ne s’attaquent pas entre eux », se souvint-il. Zaroth n’avait rien à craindre.
Il reparut et s’approcha de Corail. Jack, terrifié par l’énorme tête bien trop proche à son goût, recula en rampant sur les fesses. Zaroth ouvrit la gueule et Corail se jeta dedans, faisant crier Jack.
- Elle boit ce que je lui permets, indiqua Zaroth, traduit par Chavard’all.
De l’eau coulait de la gueule. Corail disparaissait à moitié entre les dents acérées. Seules ses fesses et ses jambes restaient en dehors. Jack n’en revint pas. Jamais il n’aurait osé agir de la sorte avec Chavard’all. Confiance, d’accord, mais pas à ce point. Aller mettre sa tête dans la gueule d’un dragon ? Et puis quoi encore ?
Alors que Corail buvait et se mouillait la tête, la gueule de Zaroth se referma sur la sirénienne jusqu’à ce que les dents du haut n’effleurent le bas du dos de la frêle créature prise au piège.
- Zaroth ! hurla Farhynia d’une voix suppliante.
- Observe au lieu de hurler, chétive femelle incapable, grogna Zaroth. Regarde comme elle ne bronche pas. Elle ne hurle pas. Elle ne supplie pas.
Jack constata que Corail continuait même à boire, comme si de rien n’était. À sa place, Jack se serait pissé dessus.
- Elle est à sa place, celle que devrait avoir tous les dragonniers. Laissez-les prendre le pouvoir et c’est toute notre société qui s’effondrera.
Jack n’eut pas la force de s’opposer. La vision d’horreur le clouait sur place. Il peinait déjà à respirer.
- Voilà comme il faut les traiter, en conclut Zaroth. Qu’a fait ton dragonnier pour mériter ton respect, hum ? Au nom de quoi serait-il ton égal ? Petite chose insignifiante que tu pourrais réduire en cendres à tout moment.
- Lâche Corail, gronda Chavard’all.
Zaroth obtempéra. Corail se redressa et retourna déguster sa viande. Comment faisait-elle pour avoir encore de l’appétit après ça ? Jack retenait difficilement une nausée.
- Tu vas répondre de ton crime devant Greenaco, siffla Chavard’all.
- Si tu y tiens, souffla Zaroth. Nous irons la voir demain.
- Non ! Maintenant ! gronda Chavard’all.
- Vous êtes bien gentils, tous les deux, qui passez vos journées à glander mais les grands travaillent. La journée a été longue, pour moi comme pour Corail. Nous avons besoin de repos et Greenaco aussi alors…
- Maintenant, Zaroth ! intervint Farhynia.
- Elle ne va pas apprécier d’être privée de sommeil, prévint Zaroth. Elle est vieille, vous le savez ? Elle a besoin de dormir.
- Maintenant, répéta Farhynia.
Zaroth soupira avant de retrousser les babines.
- Corail vient avec nous, prévint Farhynia.
Zaroth explosa de rire.
- Je ne vois pas ce qu’il y a de drôle ! s’énerva Farhynia.
- Corail vient avec vous, hum ? persifla Zaroth qui semblait s’amuser. Et tu comptes faire ça comment, ma mignonne ?
- Ne l’appelle pas comme ça ! gronda Chavard’all.
- Tu la défends ! Vous êtes adorables, tous les deux. Pitoyables, mais adorables. Dites-moi, mes mignons, comment comptez-vous l’amener vous-mêmes devant Greenaco ?
- Monte ! proposa Farhynia en proposant ses épaules à Corail.
La sirénienne continua à manger, sans s’intéresser le moins du monde à son environnement. Farhynia reprit une posture normale en dansant d’une patte à l’autre.
- Et maintenant ? lança Zaroth.
- Jack ! Elle montera avec toi. Je peux vous porter tous les deux. Elle est légère, proposa Chavard’all.
Jack observa son dragon et après la scène à laquelle il venait d’assister, ne se sentit pas de lui refuser quoi que ce soit. L’esprit vide, il prit la main de Corail pour l’amener vers Chavard’all qui proposait sa patte comme escalier vers son dos.
Corail hurla et se débattit contre Jack, lui envoyant son coude dans le nez. Enfin libre, elle replia ses bras autour de son corps et se mit à trembler.
- Je crois qu’elle ne veut pas, toussota Jack tout en essuyant le sang qui goûtait de son visage.
- Zaroth, mais qu’est-ce que tu lui as fait ? s’étrangla Farhynia alors que Corail se balançait d’arrière en avant en sanglotant.
- Moi ? s’exclama Zaroth. Elle montrait un visage calme et serein jusqu’à vous essayiez de l’amener quelque part contre son gré.
Zaroth ouvrit la gueule et l’approcha de Corail. Jack, tout près, bondit en arrière pour voir la langue du dragon marron lécher la sirénienne. L’effet fut immédiat. Corail se calma et sourit.
- Écoutez, les deux idiots, je prends votre précieuse sirénienne sur mon dos et on va voir Greenaco. Je vous promets de ne pas vous fausser compagnie et de réellement aller avec vous jusque là-bas sans causer le moindre mal à ma dragonnière.
- C’est ma dragonnière ! siffla Farhynia.
Zaroth tendit le cou et Corail grimpa pour rejoindre la place entre les épaules du mastodonte marron.
- Il semblerait que non, s’amusa Zaroth. Bon, on y va ? Je vous l’ai dit : je suis fatigué. J’aimerais dormir. Plus vite on y va, plus vite le problème sera réglé.
Jack courut pour reprendre place entre les ailes de son dragon. Ses jambes et son dos hurlèrent leur mécontentement. Il les fit taire. Il y avait plus important.
Zaroth prit la tête de la formation à une vitesse lente que les deux amoureux n’eurent aucune difficulté à suivre. Farhynia enrageait. Zaroth transpirait la sérénité, comme s’il n’avait rien à se reprocher, ce connard. Farhynia avait envie de lui sauter à la gorge. Elle se retint, serrant les dents.
Chavard’all ne quittait pas Zaroth des yeux, surveillant la tension dans ses muscles, se préparant à une course poursuite si le vieux dragon décidait de leur fausser compagnie.
Farhynia ne quittait pas Corail des yeux. Si Zaroth décidait de s’en débarrasser, elle plongerait et la rattraperait avant qu’elle ne touche le sol. Elle ne doutait pas un instant en être capable.
Rien de tout cela ne fut nécessaire. Zaroth se posa en douceur dans la zone centrale des réunions lunaires, devant la grotte où dormait Greenaco. Cette caverne, très spacieuse, au centre d’un immense cratère, était le lieu de vie de la cheffe des dragons, lui évitant des déplacements épuisants mais lui interdisant aussi la tranquillité.
Zaroth poussa un rugissement rauque, de faible fréquence, que Farhynia ne lui avait jamais entendu. Greenaco apparut, la tête lourde et les pattes traînantes. Qu’ils l’aient réveillée était une évidence. Farhynia s’en voulut. Empêcher ainsi la vieille dragonne de se reposer était mal. En même temps, Zaroth était responsable. C’était lui qui avait mal agi !
- Ils ont violé l’intimité de ma grotte, annonça Zaroth.
- Comment oses-tu ! s’étrangla Farhynia qui n’en revenait pas de son toupet.
C’était lui le méchant ! Pas eux !
- Il a volé ma dragonnière ! l’accusa Farhynia en désignant Corail, toujours sur le dos de Zaroth.
- Hum… marmonna Greenaco avant de se tourner vers le dragon marron. Cela fait trois lunes, Zaroth. Tu avais dit que tu arriverais à créer un lien complet avec la sirénienne en une lune. Où en es-tu ?
Farhynia s’en figea de stupeur. Elle arrêta même de respirer puis s’écria :
- Tu le savais ! Tu… lui as permis de faire ça !
- Les temps sont durs, Farhynia, marmonna Greenaco qui semblait sur le point de s’écrouler de fatigue. Zaroth ? Vas-tu y arriver, oui ou non ?
- Non, admit Zaroth.
Venait-il vraiment d’admettre son impuissance ? Farhynia n’en revenait pas. Zaroth, cet être supérieur, hautain et méprisant venait-il d’accepter avoir échoué ?
- Rends-lui sa dragonnière, murmura Greenaco.
Corail se leva et, telle une automate, descendit du dos de Zaroth pour s’arrêter juste devant lui et regarder autour d’elle en tremblant.
- Elle ne sait pas ce qu’elle doit faire, précisa Zaroth. Je ne l’ai jamais libérée ailleurs que dans ma grotte personnelle. Je vais lâcher le lien. Quand je le ferai, il y a de fortes chances qu’elle s’écroule.
- Jack ! Va t’en occuper, ordonna Chavard’all.
Le dragonnier descendit et boitilla jusqu’à Corail. Zaroth, qui décidément faisait preuve d’une compassion très inhabituelle chez lui, attendit que Jack atteigne Corail pour couper le lien et en effet, la sirénienne tomba dans ses bras.
- Elle respire, annonça Jack, mais elle ne répond pas à mes appels.
- Comment as-tu pu le laisser s’en prendre à ma dragonnière ? accusa Farhynia en regardant Greenaco.
- Notre société est sur le point de s’écrouler, répondit Zaroth alors que Greenaco soupirait. Vous nous faites l’honneur de votre présence à chaque réunion lunaire. Vous êtes idiots, d’accord, mais pas au point que ça vous ait échappé, tout de même !
- Comme si tes actes avaient le moindre rapport avec les événements actuels ! siffla Farhynia. Tu ne cherches qu’à te venger, tout ça parce que j’en ai choisi un autre que toi ?
- Zaroth ? lança Greenaco.
- Aurais-tu omis de lui préciser que tu me désires ? cracha Farhynia.
- Tu es extrêmement désirable, je ne le nie pas, admit Zaroth.
Chavard’all souffla du chaud par les naseaux.
- Mais si tu penses que tout ça n’est que le résultat d’une jalousie mal placée, tu te trompes, poursuivit Zaroth.
- Vraiment ? s’écria Farhynia. Tu es sûre que ta petite démonstration de pouvoir sur Corail n’avait pas juste comme objectif de me montrer ta puissance dans l’espoir de me séduire ?
- Ai-je réussi ? lança-t-il en riant.
- Tu aurais dû me le dire, gronda Greenaco avant de soupirer de nouveau.
- Va te faire foutre ! cracha Farhynia en même temps.
- Nous sommes désolés de vous empêcher de dormir, cliqueta Chavard’all.
- Je n’apprécie pas qu’il soit présent, marmonna Greenaco en désignant de son museau le compagnon de Farhynia.
Le dragon blanc à pointes noires se hérissa à ces mots. En quoi sa présence était-elle un problème ? Pourquoi lui en particulier ?
- Je pense qu’on peut lui faire confiance, ma tendre amie, répondit Zaroth. Son dragonnier est amoureux de la sirénienne.
- Quel rapport entre les sentiments de Jack pour Corail et la confiance que vous pourriez me porter ? cracha Chavard’all, agacé.
- Que tu les appelles par leurs prénoms prouve ta faiblesse, cingla Zaroth. Le problème, poursuivit-il sans laisser le dragon blanc répondre, est que tu es loin d’être le seul dans ce cas. N’avez-vous rien retiré de votre présence aux réunions lunaires ?
- C’est la merde, résuma Farhynia. La moitié d’entre nous souhaitent ouvrir la discussion avec les siréniens. L’autre campent sur notre honneur et refusent tout mouvement en ce sens.
- Soit, mais lesquels parmi nous veulent quoi ? interrogea Zaroth.
Elle avait l’impression de se retrouver élève devant un professeur. Il la jaugeait. Farhynia plongea dans sa mémoire. Sans trop savoir pourquoi, elle voulait le rendre fier en donnant la bonne réponse.
- Ceux qui sont du côté des humains se sont placés à gauche de Greenaco, se remémora Farhynia. Les autres à droite.
- Tu es à ma droite et Chavard’all à gauche, murmura Greenaco. Certes en face, mais tout le monde s’accorde à penser que c’est parce que vous êtes en couple. Il n’empêche que votre union est observée de près. Comment allez-vous surmonter cette dissension ? Chacun se le demande. Votre couple est vu comme une version miniature de notre avenir.
Farhynia frémit. Elle ne se savait pas porter un tel poids sur les épaules.
- Pour l’instant, si vous représentez vraiment notre avenir, alors notre société va vers une génération d’égoïstes qui ne pensent qu’à baiser, indiqua Zaroth.
- Comment oses-tu ? s’écria Farhynia.
- Parce que c’est faux, peut-être ? répliqua Zaroth. Que faites-vous pendant que notre société s’écroule ? Vous m’en voulez parce que j’ai essayé de trouver une solution ? Parce que je me suis investi pendant que vous préfériez vous envoyer en l’air, dans tous les sens du terme…
Les écailles de Farhynia foncèrent tandis que Chavard’all regardait le sol avec insistance.
- Ça, faut admettre que vous passez quand même beaucoup de temps à ça, intervint Jack, à qui Chavard’all traduisait tous les échanges via le lien.
- Faible, murmura Zaroth d’un soupir las. Non seulement il se permet d’intervenir dans la conversation des grands, mais en plus, il ne te soutient même pas. C’est ça, notre avenir ? finit-il en se tournant vers Greenaco.
La dragonne verte se coucha sur le sol et ferma les yeux.
- Explique-leur, ordonna-t-elle, prouvant ainsi qu’elle ne dormait pas mais se reposait simplement.
- Les dragons à gauche sont tous protecteurs ou l’ont été. Aucun de ceux à droite n’ont jamais porté d’humain sur le dos, indiqua Zaroth.
Farhynia comprit qu’elle n’aurait pas pu trouver cela elle-même. Trop jeune, elle ignorait qui parmi les siens avait déjà été protecteur.
- Tous les dragons désireux de respecter l’accord passé avec les humains ont crée un lien avec l’un d’eux ? s’étrangla Chavard’all.
- Tu penses que… murmura Farhynia en se ratatinant.
- Les humains nous infectent, annonça Zaroth.
Jack frémit. Chavard’all continuait à lui traduire l’échange, mais pour combien de temps ?
- Ils sont une maladie, poursuivit Zaroth. Parce que les nôtres sont trop faibles pour les dominer, ils les laissent pourrir leur âme.
- Tu t’es toujours placé à gauche, rappela Farhynia.
- Et je cherche un moyen de communication viable entre les siréniens et nous, la contra Zaroth. Greenaco, j’ai échoué mais j’ignore si c’est à cause de la nature sirénienne de la dragonnière de Farhynia ou parce qu’elle était déjà liée. Me permets-tu d’essayer avec un autre sirénien ?
- Nous avons choisi la dragonnière de Farhynia parce que c’est la seule sirénienne à sortir de l’eau, rappela Greenaco sans ouvrir les yeux. Comment comptes-tu t’en procurer un autre ?
- Je chercherai. Cette cause me tient à cœur, tu le sais. Je serai patient. L’un d’eux finira bien par commettre une erreur. Je vais peut-être suivre un baleinier humain. Les siréniens interviennent souvent pour libérer les orques attaquées.
- J’approuve, annonça Greenaco.
Elle releva péniblement la tête. Ses paupières se soulevèrent à moitié. Son regard se posa sur Zaroth.
- Prends soin de toi.
- Toujours, ma tendre amie, répondit Zaroth.
Il caressa Chavard’all et Farhynia du regard puis s’envola. Un ronflement en provenance de Greenaco prouva qu’elle s’était endormie sur place, sans même prendre la peine de retourner à l’intérieur de sa caverne.
- Sommes-nous vraiment des enfants égoïstes ? demanda Farhynia.
- J’avoue être empli de honte, répondit Chavard’all. Tu t’en étais rendue compte, toi, que tout le monde nous regardait ? Que nous étions un exemple à imiter ?
- La dragonne qui porte une sirénienne. Le dragon qui porte un humain. À bien y réfléchir, c’était couru d’avance.
- Chavard’all ? murmura Greenaco.
- Oh pardon ! Nous vous empêchons de dormir ! s’excusa le dragon blanc à pointes noires.
- Zaroth va être occupé. De plus, il n’est plus protecteur, rappela Greenaco. Tu t’es bien vanté d’avoir réussi à créer un lien avec ton dragonnier en moins d’une lune ?
- Euh, oui, admit Chavard’all, surpris qu’elle revienne là-dessus.
- Va à l’école et prend en charge les cours de lien. Peut-être que t’investir un peu te permettra de faire disparaître ta honte. Il serait temps que vous deveniez des adultes, non ? gronda Greenaco, toujours allongée les yeux clos.
- Moi ? Professeur de lien ? s’exclama Chavard’all. Mais… Je…
Il recula, sa queue frappa un rocher qui partit s’écraser un peu plus loin.
- Je ne suis pas… Zaroth… Je n’ai pas sa force, son charisme, bafouilla Chavard’all.
- Tu as tout ce qu’il faut, où il faut, répliqua Greenaco dont les cliquetis devenaient de plus en plus difficiles à percevoir.
- Pourquoi ? demanda Farhynia. Pourquoi continuer à créer des liens entre humains et dragons s’ils nous contaminent ?
Greenaco se remit à ronfler.
- Je le ferai, annonça Chavard’all. Demain, à l’aube, j’irai au terrain d’entraînement et les choses vont changer !
Farhynia ne lui avait jamais entendu prendre un ton aussi résolu.
- Greenaco a raison. Zaroth a raison. Je suis adulte. Je dois agir en temps que tel et prendre mes responsabilités. J’irai former les futurs protecteurs.
- Pour que davantage encore d’entre nous soient contaminés ? pleura Farhynia.
- Monte, ordonna Chavard’all à Jack. Farhynia, attrape Corail avec ta patte. Je sais que ça n’est pas terrible mais c’est tout ce que nous avons pour le moment. Je vais sur la côte chercher du poisson et des coquillages pour Corail. Amène-la à la cascade. Je t’y rejoins. Elle appréciera sûrement une petite baignade.
Farhynia observa son compagnon. Voilà qu’il lui donnait des ordres maintenant ! Elle ronronna, telle une chatte en chaleur.
- Tu es craquant quand tu parles comme ça ! admit-elle.
- On continuera à baiser, promit-il, mais moins.
Farhynia acquiesça.
- Ce n’est ni le lieu, ni le moment, ni les bonnes circonstances, termina Chavard’all avant de s’envoler, Jack s’étant installé entre ses épaules.
Farhynia saisit délicatement Corail, allongée sur le sol, inconsciente. La sirénienne ne réagit pas lorsque Farhynia la déposa dans l’eau. Corail se contenta de flotter entre deux eaux.
Chavard’all se posa peu après et Jack descendit. Il entra dans l’eau froide sans sourciller et remonta Corail. Elle resta inanimée.
- Elle respire mais comment lui faire manger les morceaux de poisson ? maugréa Jack. Corail ? Corail ? Elle ne réagit pas.
- Retournons à la grotte. Nous sommes tous épuisés, ordonna Chavard’all.
Corail fit de nouveau le trajet dans la patte de Farhynia, poids mort sans réaction.
- Est-ce que ça vous dérange si je dors avec Corail sous l’aile de Farhynia ? demanda Jack. Après tout, Farhynia dort sous ton aile, Chavard’all alors techniquement, je dors aussi sous ton aile.
- Accordé, répondit le dragon blanc.
Ils se placèrent dans la position souhaitée après que Jack ait avalé le poisson et les coquillages, gentiment cuits par une douce flamme soufflée par Chavard’all.
- On se croirait sous l’eau, commenta Jack alors qu’il enlaçait Corail sous l’aile de Farhynia. C’est impressionnant.
- Tu préfères sortir ? demanda Farhynia dont Chavard’all transmettait la demande via le lien. Je comprendrais. Après tout, tu n’es…
- Je reste avec Corail, la coupa Jack. Elle a besoin de nous, de nous tous.
Les deux dragons acquiescèrent. Tous s’endormirent inquiets.
Outre cela, les termes du problème qui préoccupe la société dragon sont clairement posés, et une nouvelle fois les conséquences potentiellement négatives d'une situation apparemment positive sont évoquées.
Mais l'on comprend aussi à demi mots que les dragons disposeraient d'une faculté autrement redoutable qui aurait à voir avec la télépathie et/ou l'hypnose.
L'agréable - et le remarquable - est que pratiquement tout est exposé par le biais de dialogues très vivants.
Tout d'abord parce que j'ai essayé au maximum d'utiliser du show don't tell (le fait de ne pas dire "Il est pédant" mais que les lecteurs et lectrices le ressentent d'eux-même) et cela a visiblement fonctionné.
Ensuite parce que vous avez aimé mes dialogues, que j'essaye de rendre cohérents et vivants. Là aussi, je suis contente que ça fonctionne.
Zaroth utilise des techniques de manipulation bien connues (privation de liberté, restriction de la nourriture, du sommeil...). Qu'il soit doué dans cet "art" ne prouve pas que "les dragons" aient un don d'hypnose. Zaroth sait comment "mater" quelqu'un, c'est tout. J'ai montré lé début et je n'ai pas voulu développer parce que ça ne me semblait pas servir le roman. On a compris ce dont il est capable et montrer les techniques ne me semblait pas nécessaire, d'où l'ellipse.
Bonne lecture !