Dans sa cabine, Jack a sa tête des mauvais jours. Il est irascible. Ça fait un mois qu’il a repris la mer avec les coordonnées qu’il a découvert sur le parchemin que lui a confié Anna et impossible de calmer cette nécessité irrésistible. Plus que d’avoir assouvi quoi que ce soit, cette femme et ses pratiques étranges, ont, au contraire, réveillé en lui un besoin encore plus difficile à maîtriser. Tout se bouscule dans sa tête et dans son corps. Les perspectives d’aller découvrir ce que peut bien être ce lieu de culte, ces initiés qui semblent vouloir parler d’Amour... un trésor à nul autre pareil... mystérieux... inimaginable... des gardiens de la jouvence éternelle. Et ce besoin impérieux de se vider les... oui, le corps a ses besoins que rien ne saurait réfréner. Tout cela lui fait bouillonner la cervelle.
Il essaie de se concentrer sur sa carte, comptant et recomptant avec son compas le nombre de lunes qu’il faudra parcourir pour arriver à destination. Il consulte aussi son compas magique qui indique frénétiquement la direction de ce qu’il désire le plus, depuis qu’ils ont appareillé. C’est agaçant ! Mais pourquoi ne va-t-on pas plus vite ?! C’est encore à des milliers de miles nautiques de là. L’endroit n’est indiqué sur aucune carte, sauf sur le parchemin d’Anna. Et le Black Pearl a seulement traversé l’atlantique. Les vents sont pourtant favorables, et aucune anicroche n’est à déplorer. Ça ne va pas encore assez vite. Il faudra bientôt faire escale, d’ailleurs. Le navire manque de tout. Plus assez de nourriture, d’eau douce, de rhum et, tout autant que lui, les esprits s’échauffent du manque de femmes. Même si certains se satisfont d’une petite branlette solitaire, voire, même de caresses masculines, rien ne vaut une douce compagnie féminine.
Soudain, comme pour tromper son besoin, Jack sort de sa cabine muni de sa longue vue. Il marche plus vite qu’il ne le voudrait. Rien ne presse et pourtant... Grimpé sur la dunette, un rapide salut à Gibbs à la barre, il déplie sa longue-vue et braque l’horizon bâbord. Rien. Que de l’eau. Il fait de même à tribord. Rien. Droit devant. Rien. Agacé, il voudrait bien pouvoir se défouler, vider ce trop plein qui lui comprime les bourses. Mais, taper sur Gibbs, comme ça, serait du plus mauvais effet. C’est un tas de cordages qui subit sa rage d’un violent coup de pied.
- Ça ne va pas, Jack ? demande Gibbs qui tient la barre.
- Toujours pas de terre et on est presque en panne de rhum, bougonne le capitaine sans avouer qu’il n’y a pas que ça qui l’impatiente.
- Ça oui, tu as raison. On va manquer de rhum dans peu de temps. Et de même pour la nourriture, aussi. Ça fait trois jours qu’on se tape le poisson séché du fond du bocal et il a un goût de rance.
- Je sais ! se désespère Jack qui serre le bastingage à s’en faire blanchir les phalanges. Moi aussi, j’en ai marre de ne bouffer que cette cochonnerie. .... Et y’a pas que ça, d’ailleurs, grommelle-t-il tout bas.
- Hein ?
- Non, rien, laisse tomber.
Impossible de se calmer. L’aiguille de son compas indique toujours, insistante et inexorable, la direction de ce qu’il désire le plus. Mais, pour l’heure, il faut songer au ravitaillement. C’est une question de survie. Il ne le sait que trop bien. Et l’horizon est toujours vide. Le sort semble se liguer contre lui pour attiser son impatience déjà très éprouvée par ce qu’il vient de vivre avec Anna. Cette femme énigmatique dont les yeux de velours lui ont fait entrevoir des perspectives bien plus vastes que lui, ne cesse de lui trotter dans la tête comme une plume qui lui chatouille les narines. Elle est agaçante et plaisante à la fois. S’il avait eu la direction des opérations, ce jour-là, il aurait aimé découvrir son corps. Ce n’était visiblement pas comme ça qu’elle l’entendait, d’ailleurs. Et c’est bien dommage. Le désir qui pousse en lui, là, maintenant, n’en est que plus impatient. Il va devoir se soulager seul. Quelle honte !...
Dégoûté, plutôt que de répondre aussitôt à ce besoin de libération, il se décide de faire le tour du stock, donc de la cambuse et des cales afin de se faire une idée de l’étendue des manques. Ainsi, plus occupé à des choses concrètes, il ne brodera pas sur son trop plein à lui, proche de la débandade.
En effet, le stock est maigre. Une barrique de rhum, un sac de farine grouillant de vers, un fond de bocal de poisson séché et un autre de viande séchée tout aussi habités chacun que la farine. De l’eau douce ? Autant dire qu’il n’y en a quasiment plus. Elle est croupie, en tous cas. Tout juste quelques litres au fond d’un tonneau. L’affaire est plus que préoccupante. Nourrir une trentaine de marins avec ça... Dans l’entrepont, il saisit un groupe de matelots affalés dans des hamacs.
- Vous tous ! Au travail, leur crie-t-il. Prenez de quoi pêcher à la ligne. Il nous faut du poisson frais. Allez, remuez-vous !
Ils s’exécutent prestement et sans discuter. Pêcher est une perspective bien plus alléchante que cet horrible brouet de farine d’orge et de viande grouillante de vers que leur sert le cuistot, ces derniers jours. Il a beau mariner l’ensemble dans le rhum pour aseptiser le tout, ça a franchement du mal à passer. De plus, certains matelots sont malades. Dysenterie, crise de foie, gale, scorbut, les joyeusetés des voyages au long court sont légion. Celui qui fait office de médecin à bord fait ce qu’il peut. Mais, il manque lui aussi de matière première.
Revenu à sa cabine, Jack se met à tourner comme un lion en cage. Il débouche une bouteille de rhum, la porte à ses lèvres et boit quelques grosses gorgées nerveusement. Puis, il regarde le niveau de la bouteille et se dit qu’il n’est pas raisonnable de la siffler trop vite par les temps qui courent. Et cette énergie qui lui met les sens en ébullition !...
- Tant pis, se dit-il au bord du renoncement, un moment de honte est vite passé. C’est de ta faute, Anna !
Et puis, dans l’intimité de sa cabine, il n’est pas si difficile de se laisser aller à cette humiliante besogne dans un voyage au long court tel que celui-ci. Il s’assoit au bord du lit et défait son pantalon. Il empoigne nerveusement son membre déjà turgescent et s’emploie à l’agiter et le caresser, espérant profiter d’un peu de plaisir sur le chemin de la libération. Devant ses yeux défilent des visages de femmes prenant du plaisir. Dans ses oreilles, il entend des soupirs d’orgasme. Dans sa chair, il ressent les tensions du désir. Plus il l’agite, plus la tension est intenable. Il le sent frémir sous ses doigts et se remplir des fluides de vie. Expulser ce foutre qui l’empoisonne... Sa respiration se fait saccadée et il ouvre la bouche, aspirant l’air d’un râle sourd. Les visages d’Anna et de Lizzie se confondent, alors dans une seule vision. Ces femmes qu’il n’aura jamais possédées... leur visages aux yeux fermés de plaisir... leurs corps cambrés. Son désir ultra tendu, à cette vision, d’une dernière pression sur son chibre, il éjacule son trop plein et son impuissance. Insatisfaction et libération se mêlent à son dernier soupir de soulagement. Il s’essuie et reste un moment ainsi ; assis au bord du lit, calé sur ses mains à plat derrière lui, la mine déconfite et le corps au repos. Les yeux ailleurs, il ne peut s’empêcher de constater combien il est difficile de maîtriser son corps et ses besoins. Il n’y a pas si longtemps, il a failli mourir de faim et de soif sous un soleil de plomb. Il a hurlé et prié qu’on lui rende son corps, ne pouvant imaginer vivre sans lui. Aujourd’hui, après des semaines de navigation, les manques et les souffrances sont légion. Et, là, il n’est pas tout seul à être dans le même cas. C’est à chaque fois pareil. Il devrait en avoir l’habitude. Pourtant, c’est comme ça. Ce corps de souffrances et de plaisirs mêlés, de dépendance sexuelle, ainsi doit-il s’en accommoder seul. Désespérément seul.
Bon ! Assez ri ! Maintenant, il serait temps que dame Calypso veuille bien faire accélérer les choses et redonner le moral à ses troupes et à lui-même, pendant qu’on y est. Il reboutonne son pantalon et sort de sa cabine pour voir où en sont ses pêcheurs improvisés. Quatre ou cinq poissons de bonne taille gisent dans une corbeille d’osier.
- Persévérez, les amis ! les encourage-t-il. C’est toujours mieux que rien. Mais si tout le monde en veut au moins une bouchée, il en faudra bien plus encore.
Puis, il rejoint le gaillard d’arrière et maître Gibbs, toujours à la barre.
- C’est le calme plat, capitaine, lui dit son quartier-maître. C’est ennuyeux !
- Ennuyeux ? C’est bien plus qu’ennuyeux, réplique Jack, agacé, c’est carrément mortel !
Puis, après un silence :
- Tu veux que je te remplace ? Ça me changerait les idées d’avoir un truc à faire...
- Comme tu veux, Jack. Ça me va.
- Va rejoindre les pêcheurs et aide-les à tirer le plus possible de poisson. Nous avons tous faim.
- D’accord, Jack. Je veux bien.
Il se retrouve ainsi, seul, son Black Pearl entre les mains, fixant de nouveau son regard sur l’horizon. C’est bien la seule chose qui puisse être plaisante dans cette foutue traversée. L’atlantique est un océan difficile. Pourtant, il l’a déjà connu moins retors. C’est tellement plus facile de défouler son impatience sur les éléments ! Ainsi, posté à sa place préférée, maîtrisant sa perle noire comme la croupe d’une femme, Jack se sent le maître du monde, même le ventre creux et sa semence versée en vain. Il ne vendrait sa place pour rien au monde.Quelques jours plus tard, la terre tant désirée est en vue. Sous les hourras et embrassades de ses matelots, Jack, un demi-sourire éclairant son visage, retrouve enfin quelques belles perspectives. Sans tergiverser, il file droit devant, et jette l’ancre dans une baie qui, par chance, semble être le déversoir d’une petite rivière. Là, les pirates trouvent de quoi se réapprovisionner et faire bombance de fruits frais et sauvages, de quelques gibiers, de racines et d’herbes fraîches. L’endroit est vide d’humains. Il faudra donc se serrer la ceinture question alcool, jusqu’à la prochaine escale. Tout le monde a retrouvé le moral. Le cuistot peut enfin s’amuser et manger redevient un plaisir. Une fois rechargé d’un maximum de ce que peut offrir l’endroit, il reste à caboter quelques temps jusqu’à Gibraltar et entamer la traversée de la méditerranée. Cela, seul Jack le sait. Le secret de leur destination n’étant toujours connu que de lui seul. L’esprit enfin libéré des affres de la faim et de la soif, Jack et ses matelots peuvent enfin s’adonner à une navigation efficace sur une mer forte et ventée.
Gibraltar.
La porte de la Méditerranée. Un lieu propice aux bonnes rapines et approvisionnements de toutes sortes. On remplit les cales et les ventres. Les pirates reprennent le sourire et le mors aux dents. Jack aussi. Ils font de courtes escales. A peine le temps même de se soulager dans les bras d’une fille de joie. La mer est capricieuse, les entrées aux ports périlleuses. Dans le port d’Ajaccio, en Corse, ils sont même renvoyés vers le large par la garde Bonapartiste en faction. Surpris dans les réserves des soldats, les pirates se sont un peu trop servis aux yeux des Français. Malgré leurs répliques, et quelques corps sans vie laissés sur place, ils défendent sévèrement ce que les pirates n’ont pas réussi à emporter. Le Black Pearl reprend donc la mer à toute vitesse louvoyant pour éviter les tirs de canons du fort. Mais, il a désormais tout pour faire bombance. Les pirates ont même réussi à trouver quelques petits tonneaux de rhum, de vin et d’autres de bière. L’aubaine ! Le cuistot va pouvoir leur faire le fameux salmigondis. La veine ! Viande de tortue, poisson, porc, poulet, bœuf salé, jambon, canard et pigeon. Les viandes sont rôties et coupées en morceaux. On les fait mariner dans du vin épicé auquel on ajoute du chou, des anchois, du hareng salé, des mangues, des œufs durs, des cœurs de palmiers, des oignons, des olives, des raisins, et tout condiment disponible. On assaisonne ensuite d'ail, de sel, de poivre, de moutarde, d'huile, de vinaigre, et l'on sert le tout avec de la bière et du rhum. Si ce n’est pas un plat qui tient au corps, ça !
Ainsi, Jack et son équipage, tirent des bords allègrement, toujours vers l’Est, appréciant de faire trois repas pantagruéliques tous les jours. Plusieurs semaines passent ainsi, à faire bombance, toutes voiles dehors. A la barre, le capitaine aux dreadlocks consulte encore son compas magique. La flèche tournoie très vite et se fixe. Cette fois, elle change de direction. Après avoir navigué au sud, longeant la botte italienne, tiré des bords, longtemps, jusqu’à la mer Egée, tout en remontant vers le nord, le Black Pearl est en vue d’une petite île haut perchée et plutôt étroite. Le compas frémi droit devant. C’est ici.
Mais, il est hors de question de partager ce secret avec qui que ce soit.
- Ce trésor-là, je le veux pour moi tout seul, se dit Jack en lui-même. Je ne partagerai aucune éternité avec cette bande de bras cassés. Non, non ! C’est rien que pour moi. Pour moi tout seul.
Et, sûr et certain de sa décision, il oblique la barre, cap à l’ouest, espérant trouver à quelques encablures une terre accueillante pour y débarquer tout son petit monde, ni vu, ni connu. Par chance, une large bande de terre s’étend à l’horizon à une journée de l’île. A l’approche d’une grande baie bordée d’une immense falaise de grès blanc sur laquelle est perché un village fait de maisons toutes blanches au toit de tuiles ocres, Jack fait descendre les chaloupes à la mer. Empressés d’atterrir et de prendre du bon temps, les matelots ne se font pas prier lorsque leur capitaine les dispense de fignoler l’ancrage et le cargage des voiles. Et, à dessein, il fait mine de se charger des derniers réglages jusqu’à ce que le dernier fieffé pirate soit embarqué en partance pour la terre ferme. Là, Jack se fait discret, et, sur la pointe des bottes, il se glisse de mât en mât jusqu’à la proue pour tirer sur la chaîne de l’ancre et la remonter sans trop faire de bruit. Et lorsque les chaloupes ont atteint la plage, il largue la grand voile et manœuvre la barre pour faire demi-tour. Certes, naviguer seul sur un grand navire comme le Black Pearl n’est pas aisé, mais qui ne risque rien n’a rien. Il se contente de tendre et fixer les voiles non carguées et de filer vent arrière sous les yeux et les bras agités de ses matelots abandonnés.
- Ne vous en faites pas, leur adresse-t-il d’un geste de salut en les regardant gesticuler au loin, dès que j’ai mon trésor, je reviens vous chercher !
Sans regret et déterminé, il fixe désormais d’un sourire en coin et les yeux brillants sa destination : la Fontaine de Jouvence.
ça doit être difficile de pêcher quand un aussi gros et grand bateau file, ils ont des filets ?
"Viande de tortue, poisson, porc, poulet, bœuf salé, jambon, canard et pigeon. Les viandes sont rôties et coupées en morceaux. On les fait mariner dans du vin épicé auquel on ajoute du chou, des anchois, du hareng salé, des mangues, des œufs durs, des cœurs de palmiers, des oignons, des olives, des raisins, et tout condiment disponible. On assaisonne ensuite d'ail, de sel, de poivre, de moutarde, d'huile, de vinaigre, et l'on sert le tout avec de la bière et du rhum. "
Voilà qu'il y a un passage qui donne faim :p
Quel fieffé chameau il se tire tout seul lol m'étonne même pas.
Pêcher sur un tel navire n'est pas si compiqué, tu sais. Tout dépend la vitesse du vent, et par vent arrière avec 3 à 4 noeuds de vent, c'est tout à fait faisable. Ces navires étaient lourds et pas aussi maniables que les fondeurs des mers d'aujourd'hui. Donc, rassure-toi, ils ont pu pêcher à la ligne sans problème.
Héhé... tu aimerais goûter au salmigondi, hein ?! Bah moi aussi, figures toi ! Sauf que la tortue va être difficile à trouver...
Un fieffé chameau... loool, j'aime bien, ça lui va bien, je trouve.
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Je déplore juste la longueur de certains paragraphes. Je pense qu'ils auraient été plus agréables à lire en étant un peu mieux aérés.<br />
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Sinon, j'ai bien rigolé quand Jack a mis les voiles sans ses marins pour aller chercher son trésor tout seul ! <br />
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Enjoy, Spilou ^_-
J'ai remarqué que cette mise en page nuisait à la longeur de certains passages.Je vais tâcher d'y remédier.
Ça fait envie, le salmigondi, hein ?! Lol ... Moi aussi, j'aurais envie d'en faire, un jour. Sauf que pour trouver de la viande de tortue sous nos latitudes.... sniff ! En tous cas, je suis contente que ce chapitre, un des plus aventureux de tous, t'aies permis de raccrocher tout de même un peu à l'histoire. D'ailleurs, je me suis demandée si simplement l'univers pirate ne t'étais pas plutôt indifférent, ce qui aurait expliqué ton manque d'intérêt du départ...