Chapitre 8 : De pourpre et de noir...

Par Rouky

A l’apogée de la nuit, Gallant s’étonna de ne trouver personne en face de l’église. Ou bien le Vicaire avait finalement changé ses plans, ou bien il avait choisi de ne poster personne, évitant ainsi d’éveiller les soupçons des passants. Le détective contourna l’église pour trouver une entrée plus discrète, mais il ne trouva aucune autre porte. Il leva la tête, et vit une fenêtre ouverte.

Pas le choix, il devrait l’atteindre.

Il escalada la paroi, s’aidant des statues de saints et d’anges qui ornaient le mur. Il s’excusa auprès d’une quelconque entité supérieure chaque fois qu’il écrasait une représentation divine.

Enfin, il atteint la fenêtre en question, se hissant à l’intérieur de l’édifice. Le cœur battant la chamade, il descendit des escaliers qui l’emmenèrent jusqu’au centre de l’église.

Quelques cierges étaient allumés çà et là, permettant au détective de ne pas avancer à l’aveuglette dans la pénombre la plus complète. Il progressa discrètement dans le hall de l’église.

Il s’immobilisa, s’abritant derrière un parloir. Là, sous la nef, se tenait un petit groupe d’hommes. Un peu moins d’une dizaine. Plusieurs d’entre eux étaient camouflés par une capuche noire et une écharpe violette. L’un d’eux tenait entre ses mains le fameux étui. Le reste du groupe ne revêtait aucun camouflage. Mais ce qui attirait indéniablement le regard, c’était l’individu posté au milieu de ce beau monde.

De très haute taille, l’homme était vêtu d’une élégante queue-de-pie violette. Il revêtait également un large masque vénitien recouvrant tout son visage. Faisant office de cheveux, cinq bandelettes violettes retombaient vers l’avant du masque, avec pour chacune un grelot se balançant à son extrémité. Sur la grande majorité du visage était peint une mosaïque de pourpre et de noir, et un faux sourire était relevé jusqu’aux pommettes. Il y avait également deux trous à la place des yeux, mais Gallant, d’aussi loin, ne pu en déterminer leur couleur.

Fasciné par l’allure théâtral du personnage, Gallant resta obnubilé plusieurs secondes, jusqu’à ce que la voix de l’un des hommes ne retentisse. Le détective reconnut alors le ton féroce et familier de Yeux Bleus, qui était en train de crier. C’est lui qui tenait l’étui.

- Où est-il ? Nous avons le trésor, alors où est-il ?

Un homme, a priori du camp adverse car non camouflé, s’avança vers l’assassin, l’air menaçant.

- A quel prix avez-vous eu ce trésor ? L’un des nôtres est entre les mains de la police, à l’heure qu’il est. Ce n’est qu’une question de temps avant qu’il ne révèle des informations cruciales.

- Vous n’avez qu’à mieux choisir vos alliés. Ce chien était un traître.

- Non ! Rugit l’homme. Il était l’un des nôtres. Et à cause de votre incompétence, il est perdu. Tu veux parler de traître, alors pourquoi ne pas parler de ce larbin qui a volé le trésor en premier lieu ?

- Nous avons le trésor, répéta Yeux Bleus. Où est l’argent ?

Son rival ne lui répondit pas. A la place, il se tourna vers l’homme au masque vénitien.

- Monsieur le Vicaire, déclama-t-il en se courbant légèrement. Monsieur De Guise a le plus grand respect pour vous. Mais comprenez bien qu’avec tout ce raffut, il n’a pas voulu prendre le risque de se montrer. Il souhaite toujours obtenir ce trésor, soyez-en certain. Mais pas ici, pas maintenant. Le risque est bien trop grand.

Le Vicaire ne répondit pas. Il pencha la tête sur la droite, faisant tinter les grelots. L’homme du dénommé De Guise se balançait d’un pied sur l’autre, mal à l’aise.

- Monsieur, reprit-il. Vous recevrez l’argent, je vous le promets. Monsieur De Guise compte vous le remettre en main propre. Mais votre chien a laissé trop de traces derrière lui. Monsieur De Guise ne souhaite pas se retrouver en mauvaise position. Sa réputation est en jeu.

- De quoi tu m’as insulté ? S’emporta Yeux Bleus.

- De chien, rétorqua le rival. Un chien qui ne sait pas où est sa place.

Yeux Bleus fit mine de s’avancer, mais un autre homme encapuchonné le retint par le bras.

- Non, Léon. Fais pas l’idiot.

Gallant sourit. Il avait enfin une information sur l’assassin, aussi maigre soit-elle.

- Vicaire, reprit l’homme de main rivale. Monsieur De Guise vous recontactera très prochainement. Je-

Il s’arrêta de parler en voyant son interlocuteur bouger. Le Vicaire levait lentement une main vers son torse.

Gallant, qui anticipa aussitôt le geste qui allait suivre, plaqua ses mains sur ses oreilles. Les autres laquais regardèrent sans comprendre. Aussi tranquillement qu’un geste anodin, le Vicaire sortit son pistolet de son étui, visa le larbin rival, et lui tira dessus.

Le coup de feu résonna puissamment, se répercutant dans le grand vide de l’édifice. Le rival s’effondra sur le sol, un trou en plein milieu du front.

Personne dans le camp adverse ne fit mine de sortir une arme, ni pour venger leur partenaire, ni même pour se protéger. Un large sourire éclaira le visage du dénommé Léon.

Enfin, le Vicaire daigna faire entendre sa voix. Une voix qui fit frissonner Gallant tant elle était froide, dénuée de toute émotion. Une voix sourde, traînante, sifflante. Une voix que le masque étouffait en intensité. Aussitôt, Gallant pensa à un serpent. Un serpent à l’apparence humaine.

- L’Evêque, dit l’homme masqué, m’avait promis un échange avec Ambroise De Guise.

- Cet échange aura lieu, m’sieur ! Répondit un homme grand et chauve, compagnon du cadavre encore chaud. Juré ! De Guise est prêt à payer très cher pour ce trésor.

- Il devra désormais payer le double de la somme initiale.

Le larbin écarquilla les yeux, mais hocha la tête.

- Oui, très bien ! Je lui ferai passer le mot, m’sieur.

Le Vicaire rangea lentement son pistolet dans son étui, puis tourna la tête vers Léon.

Tournant ainsi le dos à Gallant, ce dernier pu distinguer des cheveux blonds cendrés à l’arrière du masque.

- La police ne va pas tarder à arriver, dit le Vicaire. Partons.

Puis il tourna les talons, prêt à sortir.

“C’est maintenant ou jamais” pensa le détective. Le Vicaire aimait visiblement qu’on le regarde, ce qui expliquait sa tenue extravagante. Gallant était presque certain que non seulement le Vicaire appréciait qu’on le remarque, mais il devait être tout aussi flatté qu’on lui parle, et il ne tirerait peut-être donc pas aussitôt le détective sorti de sa cachette... Si les suppositions de Gallant étaient bonnes, alors il pourrait gagner un peu de temps jusqu’à l’arrivée de la police. S’il se trompait, alors il serait le prochain sur la funeste liste du Vicaire.

Le détective sortit de sa cachette et avança en levant les bras bien en évidence. Il cria à plein poumons :

- Attendez !

La réaction fut instantanée. Tous les hommes se retournèrent dans un même mouvement. Ceux du Vicaire portèrent immédiatement la main à leur poignard.

Le Vicaire fut le dernier à se retourner.

Gallant avança jusqu’à une distance respectable, pour qu’il n’ait pas à crier pour se faire entendre. Reconnaissant le détective, Léon écarquilla les yeux mais ne pipa mot.

- Attendez, répéta Gallant. Le Vicaire, c’est bien cela ?

L’homme en question s’inclina exagérément.

- En personne. Mais toi, qui es-tu ?

- C’est ce satané détective ! Pesta Yeux Bleus. Celui qui n’arrête pas de nous barrer le chemin. Il faut l’éliminer tout de suite.

- Ah, c’est donc toi, reprit le Vicaire.

Il s’approcha de Gallant, sous le regard anxieux de ses larbins. Le sang du détective battait à ses tempes. Il n’avait aucun plan, si ce n’est obtenir plus d’informations et attendre l’arrivée du commissaire Barnet.

Le Vicaire s’arrêta juste devant lui, à un bras de distance. Le receleur inclina légèrement la tête pour planter son regard dans celui du détective, qui pu enfin distinguer des prunelles marron aux éclats dorés.

- Pourquoi venir te jeter dans les bras du Diable ? Demanda l’homme masqué.

- Je voulais simplement savoir, répondit Gallant en s’efforçant de contrôler les tremblements de sa voix.

- Savoir quoi ?

- Ce trésor valait-il vraiment tous ces morts ? Un de vos hommes de main, un vieillard sans-abri, une gamine innocente... Est-ce que cela en valait sincèrement la peine ?

- Une gamine ? Répéta le Vicaire.

Son masque ne permettait pas d’analyser ses émotions, mais Gallant crut déceler de la surprise dans sa voix.

- Oui, confirma le détective. Une enfant dont le seul tort a été de surprendre une conversation. Votre Léon l’a assassiné pour cela.

En entendant son nom, Yeux Bleus fulmina.

- Espèce d’enfoiré ! Tu en sais beaucoup trop, je vais te tuer, toi et ton ami ! Je vous tuerai comme j’ai tué cette crevarde !

Le Vicaire leva une main, faisant taire son larbin. Il continuait d’observer le détective. Quelques secondes passèrent avant qu’il ne s’exclame :

- Oh, pardon, j’étais censé exprimer un quelconque regret ? Est-ce cela que tu attends de moi, l’ami ? Des excuses ?

- Non. Je pense bien avoir compris que vous n’êtes qu’un monstre dénué d’émotions.

- C’est là que tu te trompes, détective. Je suis tout ce qu’il y a de plus humain, comme toi. Je suis né, j’ai grandi, et je vis. Parce que j’ai commis des actes que tu ne parviens pas à comprendre, tu me traites de monstre. Une façon bien commune de m’éloigner du genre humain. Peut-être parce que tu crois l’être humain incapable d’autant d’immondices ?

Il émit un petit rire.

- Si tu me considères comme un monstre, alors, que le Diable m’en soit témoin, j’affirme que cette terre est peuplée de monstres.

- Monsieur, intervint Léon. Cet homme ne cherche qu’à gagner du temps. La police va arriver d’une minute à l’autre. Nous devons-

Il s’arrêta.

On entendit des sirènes s’approcher. La panique s’empara des laquais de De Guise, tandis que ceux du Vicaire patientèrent calmement, attendant les ordres.

Léon rejoignit son chef, jetant au passage un regard noir sur le détective.

- Laissez-moi l’achever, monsieur, et partons d’ici immédiatement.

Le cœur de Gallant battait la chamade.

Les prunelles marron du Vicaire se plissèrent, puis il secoua la tête, ses grelots tintant une nouvelle fois.

- Non. Ne le tue pas. Cette petite chose me plaît bien.

- Mais, monsieur ! Il en sait beaucoup trop !

Le Vicaire tourna la tête vers son subalterne, le réduisant au silence. Puis il reprit en chuchotant :

- Offre les larbins de De Guise aux mains de la police. Cela lui apprendra la lâcheté. Il n’y a rien qui me désappointe plus que le changement de dernière minute. Nous, nous partons. Laissons cette petite chose en vie, elle m’amuse.

- Monsieur ? Dit simplement son laquais.

- Tu m’as bien entendu. Allons-y.

Léon jeta un regard interloqué au Vicaire. Il se tourna ensuite vers ses hommes, et fit quelques gestes de sa main libre, que Gallant ne parvint pas à déchiffrer. Aussitôt, les soldats du Vicaire sortirent chacun un pistolet, et les pointèrent sur les hommes adverses.

- Que faîtes-vous ?! S’écria l’homme chauve de tout à l’heure.

- Mon devoir de citoyen, répondit le Vicaire en passant à côté de Gallant.

Le détective ne tenta rien. Qu’aurait-il pu faire ? Lever la main sur l’homme masqué ? Léon aurait aussitôt fait de le descendre. Non, le détective se contenta de laisser passer son ennemi.

- A bientôt, petit homme, murmura le Vicaire en s’éloignant à l’arrière de l’église.

Gallant s’empourpra. Il n’avait rien de petit ! C’est le Vicaire qui était anormalement grand...

Les soldats de l’homme masqué talonnèrent leur chef, leur arme toujours pointée sur leurs adversaires, les forçant à rester devant l’entrée principale, là où la police était en train d’enfoncer la porte.

Quelques instants plus tard, le commissaire Barnet entra avec plusieurs agents, encerclant et désarmants les hommes de De Guise. Le Vicaire et les siens avaient disparus par derrière. L’on apprit plus tard qu’un tunnel secret avait été creusé sous l’autel principal, reliant l’église jusqu’à l’extérieur de la ville.

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