Assise sur une chaise, j’observe Hans en train de dormir. Après de longues hésitations, j’ai finalement décidé d’aller au centre de soin. Cette attente sans nouvelle était juste insupportable. Après avoir déposé Isis chez Liam, je suis venue directement ici. J’aurais très bien pu l’amener avec moi, mais je n’avais aucune envie qu’elle vienne. Et pourtant, je ne suis pas tranquille avec l’autre fou qui traine dans les parages. Je me fais un reproche intérieur. Elle n’est en sécurité nulle part quand est-ce que je vais enfin l’admettre. Le stress et la fatigue me font faire n’importe quoi. Vincent est à mes côtés. Je me suis à nouveau excusée pour mes propos, mais je sens bien qu’il m’en veut encore. J’ai vraiment été injuste de le traiter de la sorte. Il fait tout pour nous aider et tout ce que j’ai trouvé pour le remercier, c’est l’insulter. Il a raison de m’en vouloir. Je me passe une nouvelle fois la main sur le visage. Je me lève et me dirige vers la porte. J’ai besoin de sortir de cette pièce un moment. J’étouffe de plus en plus. Mon médecin me suit. Dehors je m’adosse au mur et ferme les yeux. Une migraine commence à pointer dans mon crâne. Je me masse les tempes. Vincent me tend un verre d’eau que j’accepte avec gratitude. J’ai la gorge si sèche.
- Va te reposer, m’invite mon ami.
Je secoue la tête.
- Je veux rester avec lui.
- Pour le moment, on ne peut faire qu’attendre.
J’avale une nouvelle gorgée d’eau puis en ignorant sa remarque je demande :
- Est-ce qu’il va survivre ?
- Aucune idée.
Le verre dans ma main se brise. C’est douloureux. Vincent qui d’habitude me reprocherait ma stupidité me prend délicatement la main. Sans geste brusque, il l’ouvre. Je croise son regard.
- Te faire du mal ne t’apportera rien. Viens, on rentre, je vais te soigner.
Nous retournons dans la chambre. Rien n’a bougé. Je regagne ma chaise. Vincent en saisit une au passage et s’installe face à moi. Avec des gestes délicats, il retire les bouts de verre. Aucun de nous parlons, mon regard s’est de nouveau posé sur Hans. Je referme les yeux. Je dois avouer que je suis complètement perdue. Je ne regrette pas de m’être opposé à Tellin, mais maintenant que c’est fait je passe mon temps à craindre une attaque de sa part. Malheureusement, j’ignore d’où elle va venir. Toutefois dans l’immédiat, j’ai un autre problème à régler. Un grognement me sort de mes pensées. Je suis tout de suite alerte. Hans revient à lui. Avant que je ne puisse faire quoi que ce soit, Vincent réaffirme sa prise sur mon poignet pour m’obliger à patienter. Je croise le regard d’Hans, mais celui-ci détourne les yeux. Lorsque mon médecin a enfin fini, je me lève et me positionne près de mon compagnon. Vincent est à ma suite pour vérifier le pouls et la tension du malade.
- Douleurs particulières ? demande-t-il.
- Pas plus que d’habitude.
- C’est déjà ça, rajoute le docteur avec un sourire crispé qui ne dupe personne.
Ses yeux passent de son patient à moi.
- Je vais vous laisser. Appelez-moi s’il y a le moindre problème.
Nous opinons en cœur, mais lorsque nous sommes seuls, nous regrettons son absence, trop embarrassés pour parler. C’est finalement Hans qui brise la glace :
- Tu m’en veux ?
Impossible de répondre. Bien sûr que je lui en veux, mais d’un autre côté, comment lui en vouloir de trouver un remède. Mon compagnon doit comprendre mon silence par une affirmation puisqu’il poursuit :
- Tu sais, Elena, je vais continuer les tests.
Le peu de salive qui me restait en bouche s’assèche. Évidemment qu’il ne va pas s’arrêter là.
- Avec ou sans ton approbation, insiste-t-il.
Je ne réponds toujours rien. Je ne parviens pas à avoir les idées claires.
- Elena ?
Je tourne les talons pour contempler la petite ouverture qui donne sur l’extérieur. Je n’y arriverais pas.
- Je ne peux pas l’accepter, Hans. Depuis six ans, je vois où mène le projet 66 et je… »
J’étouffe un sanglot.
- Je ne veux pas ça pour toi. C’est si compliqué à comprendre ?
Ces mots me brulent la gorge. A-t-il vraiment le choix ? J’entends du bruit derrière moi. Il a dû se lever. Je devrais l’obliger à se rallonger, mais je ne bouge pas. Je n’attends qu’une chose, sa réponse. Ses bras enserrent mes épaules.
- Non, mais c’est justement pour ça que je veux continuer à trouver une solution.
À l’évidence, il ne le lâchera pas l’affaire, mais ses paroles me donnent un peu de réconfort malgré tout. Il a décidé de vivre.
- Promets-moi une chose si tu vois que cela va trop loin, arrête.
Il relâche son étreinte. Un courant d’air passe. Je frissonne.
- J’essayerais, se contente-t-il de déclarer.
Je fais volte-face et m’empresse de le rattraper. Je m’agrippe à son dos et enfouis mon visage dans son vêtement.
- Je sais que tu as horreur de ça mais pardon.
La culpabilité me ronge tellement. Hans ne réagit pas. Pas un geste, pas un mot. De nouveau, je regrette mes paroles. Mon compagnon s’écarte pour se mettre face à moi.
- Pourquoi t’excuses-tu ? finit-il par demander.
Plusieurs phrases se forment dans mon esprit, mais je n’en émets aucune, car j’ai l’impression que ce n’est pas ce qu’il veut entendre.
- Alors ? insiste-t-il.
Je perçois une pointe d’irritation dans son ton. Après un court silence, il reprend la parole :
- Si tu ne trouves pas la réponse toi-même, c’est qu’il n’y en a tout simplement pas. Quand cesseras-tu cette manie de demander pardon à tout bout de champ ?
- Pardon, m’excusé-je malgré moi.
Hans soupire puis se redirige vers son lit pour s’y assoir.
- J’ai besoin d’être seul, Elena. Laisse-moi.
- Tu es sûr ? demandé-je hésitante.
- Oui.
Il relève la tête pour croiser mon regard.
- Ne fais pas cette tête. Essaye de comprendre, me supplie-t-il presque.
Comprendre quoi ? Que je dois accepter qu’il se tue à petit feu et que je le regarde faire sans broncher ! Je ravale ma remarque. Je finis par opiner et lorsque je reprends la parole, je souris.
- Repose-toi. Tu veux que je revienne ce soir ?
- Demain ira très bien.
Je m’oblige à paraitre détendue, mais à l’intérieur de moi, c’est la confusion la plus totale.
- C’est toi qui vois, déclaré-je toujours en souriant.
Hans pour sa part me fixe grave. Il sait que je mens très mal, mais il ne fait rien pour me contredire. J’ai beau me convaincre du contraire. Je suis déçue. Je me retiens de me rapprocher de lui et me dirige à la place vers la sortie. Je lui fais un dernier signe de main puis quitte la pièce. Vincent attend adosser au mur. Il ne bouge pas à mon arrivée, mais demande :
- Ça va ?
- Je crois qu’il va un peu mieux.
- Je parlais de toi.
- Bien… bien sûr, bégayé-je prise de court par se remarque.
Il se redresse pour ensuite se rapprocher de moi. Il lève le bras et plaque sa main sur mon front.
- Tu fais vraiment peine à voir.
Je m’écarte.
- C’est la fatigue rien de plus.
- Voir Hans dans cet état te rappelle de mauvais souvenirs ?
Je pose mes doigts à l’endroit où se trouvait sa paume.
- Tu nous as écoutés ?
Ma question sonne comme un reproche.
- Inutile, je sais pourquoi tu es contre ces tests.
Je serre les paupières.
- C’est tellement égoïste de ma part.
- Et en quoi cela serait mal ?
J’écarquille les yeux de surprise.
- Je ne te suis plus là.
- Écoute Elena. Toi et Hans êtes deux personnes complètement différentes. C’est normal d’avoir des opinions parfois opposées. Et puis en quoi, ce serait mal de désirer le bien de quelqu’un ? Tu aimes Hans et il t’aime. Je crois qu’en cherchant un antidote, il souhaite tout simplement te prouver qu’il veut rester à tes côtés.
Un bref sourire apparait sur mes lèvres pour disparaitre aussitôt.
- Nous savons tous les trois comment finissent les cobayes.
- Il ne finira pas comme eux.
Je ricane.
- Tu sais ce qu’il m’a fait promettre ? S’il perdait le contrôle comme les prototypes ratés, je devrais mettre fin à ses jours. Je suis persuadée que vos tests risquent d’aggraver le processus et que je me retrouve de nouveau les mains couvertes de sang.
Cette vérité me fait mal. Qu’est-ce que je crains le plus ? Tuer l’homme que j’aime ou m’enfoncer un peu plus dans le crime ? Je reporte pleinement mon attention sur Vincent.
- Alors je te le demande à toi puisque Hans ne m’écoutera pas. Stoppe tes tests sur lui.
Vincent me dépasse pour se placer face à la porte que je viens de traverser.
- Tu sais bien que je ne peux pas. De plus, ce n’est pas à toi de décider pour lui. Tu devrais le comprendre mieux que quiconque.
Il pose sa main sur la poignée de porte de la chambre d’Hans. Juste avant d’entrer, il me dit :
- Je suis désolé, Elena, mais je te promets de tout faire pour que tes craintes ne se réalisent pas.
- Ce n’est pas suffisant.
- Il faudra pourtant t’en contenter, conclut-il avant de me laisser seul dans le couloir.
Autre chose qui me gene un peu : Elena s'excuse aupres de Vincent (et elle fait bien) pour ses propos mais pas pour le fait qu'elle l'a frappe, ce qui va quand meme tres loin. J'imagine presque que dans l'etat de stress ou elle est, elle ne s'en souvient pas. En tout cas, il tient bon, et il a raison.