Mathilde rajusta son voile qui lui dégringolait de sa coiffe. Les costumes pour leur Cérémonie d’Imprégnation n’étaient pas ce qu’il y avait de plus pratique. Ni de plus Impérien. À vrai dire, elle n’avait jamais vu pareils habits.
D’un blanc immaculé, ils consistaient en un haut moulant qui couvrait son torse et la moitié de ses bras, laissant son ventre et sa taille apparents, un pantalon de toile très large resserré aux hanches et aux chevilles, et un voile de soie légère et aux franges brodées d’or qu’une domestique épinglait à sa couronne de tresse.
Elle avait également peint des motifs rituels sur ses pieds nus, ses mains, son ventre, sa clavicule et son front. Lorsque, après la séance de maquillage, Mathilde remit ses lunettes, la servante grimaça.
— Mademoiselle, sauf votre respect, vous gâchez mon travail.
Mathilde haussa les épaules et agita ses mains couturées de cicatrices devant son nez.
— Ma peau s’en charge déjà toute seule.
Puis, elle ajouta ses pendants en or à ses oreilles et rejoignit la salle de projection du rez-de-chaussée, où les Augures attendaient les Filleuls pour partir à la Crypte des Sylphes. Arrivée dans les derniers, elle s’empressa de s’asseoir aux côtés de son équipe. Les garçons étaient accoutrés de la même manière étrange à ceci près qu’ils n’avaient pas de voile et que leur haut était une veste courte et brodée, ouverte sur les peintures dorées sur leur torse.
Aussi seyants qu’ils soient, Mathilde trouvait leurs vêtements de cérémonie saugrenus. Elle les avait imaginés plus protocolaires, plus impressionnants pour une occasion pareille. Il s’agissait tout de même de leur obtention d’un Sylphe.
Lorsqu’ils furent au complet, les Augures montèrent sur scène. Ils étaient affublés de leurs costumes chatoyants et couvrants qu’ils portaient en dehors du Collegium et leurs masques de porcelaine pendaient à leur ceinture.
Darin prit la parole.
— Vous voici enfin à la fin de cette année d’étude au Collegium. Nous voulons tout d’abord vous féliciter. Nous savons à quel point les enseignements y sont intenses, et cette fin d’année a été particulièrement… tragique.
Sa voix vacilla.
— Le départ du Chambellan est une épreuve à laquelle le Colleguim n’aurait pas pu vous préparer, mais vous avez persévéré sur les derniers jours qu’il restait avant votre Imprégnation. Nous sommes très fiers de vous.
Ce disant, son regard s’attarda tout spécialement sur le trio sans Tuteur. Mathilde serra les poings, clignant des yeux pour retenir ses larmes. Chaque mention d’Artag la replongeait dans son absence. La compassion des Augures aidait un peu, mais ne pouvait combler la plaie béante que la mort d’Artag avait laissée dans sa poitrine.
La main de Rok se posa sur la sienne. Il n’ajouta rien, mais ce contact atténua sa montée d’émotion. Ces derniers jours, le calme du géant était devenu son ancre quand le chagrin menaçait de la submerger. Il avait l’air de sentir lorsqu’elle était sur le point de craquer, et lui fournissait régulièrement le soutien dont elle avait besoin.
Darin reprit avec un ton plus solennel.
— Dans quelques instants, vous allez faire une rencontre personnelle avec les Sylphes et vous soumettre à leur jugement. Ce seront eux qui choisiront ou non de faire de vous leur hôte, et autant l’enseignement que nous vous avons transmis vous sera utile dans les années à venir, autant il nous est impossible de vous aider en cet instant spécial. Les Sylphes font loi.
Sheila hocha la tête et posa sa main sur son cœur.
— Nous n’avons qu’un seul conseil à vous donner : soyez en paix. Les Sylphes ne s’attacheront pas à un esprit instable. Pour établir une connexion, vous devez être sereins et unifiés dans votre être.
Mathilde papillonna des paupières, le nez et les yeux rougissants. Ces paroles étaient celles qu’Artag leur avait répété toute l’année. Elle secoua la tête pour se reprendre. Elle ne pouvait pas se laisser aller à chaque mot qui lui rappelait son Tuteur. Son cœur ne tiendrait pas le choc.
— Voici comment se déroulera la cérémonie, continua la femme. Vous entrerez chacun votre tour et vous présenterez aux Sylphes. Ensuite, en fonction de si vous avez été choisis ou pas, l’un d’entre nous vous guidera dans l’une des deux salles qui jouxtent la Crypte, où vous attendrez que tout le monde soit passé.
— Rencontrer les Sylphes d’aussi prêt est toujours un processus coûteux en énergie, ajouta Darin, donc ne vous affolez pas si vous vous sentez faibles après les avoir approchés. Dans chaque pièce, du personnel du Collegium sera là pour vous assister et vous aider à vous remettre.
Mathilde fronça les sourcils. Ces deux salles seraient le début de la séparation entre Porteur de Sylphes et Réservistes. Les deux groupes seraient peut-être scindés aussitôt après l’Imprégnation ! Elle resserra sa prise sur la main de Rok. Elle n’était pas prête à perdre pied de nouveau dans l’inconnu, pas maintenant qu’elle avait enfin trouvé des amis.
Rok baissa discrètement la tête vers elle, une lueur inquiète dans l’œil.
— Ça va bien se passer, murmura-t-il, se méprenant sur la raison de sa nervosité. La cérémonie sera rapide.
Les coins des lèvres de Mathilde frémirent et elle acquiesça, la gorge nouée. Non, vraiment, elle ne le supporterait pas.
Les calèches couvertes furent avancées dans l’entrée du Collegium et emmenèrent les Filleuls et les Augures au Palais Impérial. Mrs Titus et une poignée de domestiques les avaient précédés pour préparer les deux salles de réception.
Il était encore très tôt et la brume de ce matin d’avril entrelaçait ses doigts cotonneux entre les troncs des arbres et les colonnes des bâtiments. Sur le chemin vers la Crypte, leur défilé étrangement costumé ne croisa personne à part quelques serviteurs indifférents à ce spectacle annuel.
Suivant le pas léger et rapide des Augures, les Filleuls murmuraient sur leurs chances d’être élu, quels Sylphes ils aimeraient obtenir. Petra adressa un regard dédaigneux à Hans lorsqu’il exprima son désir de pouvoir se changer en oiseau géant.
— Pour ça, il faudrait déjà que tu sois choisi, et un Sylphe sain d’esprit n’optera pas un poltron comme toi.
— Ne dis pas des choses pareilles, répliqua Luisa en tapotant l’épaule de Hans. Je suis sûr qu’il a ses chances !
Fineas ricana sous sa voilette.
— Si tu le penses vraiment, tu es plus bête encore qu’il n’y paraît.
Lalëy se prépara à s’interposer, mais Tycho la prit de vitesse et se plaça entre lui et la Sandéenne.
— Garde tes réflexions pour toi !
Ses yeux violets étincelèrent et Fineas battit en retraite.
— De toute façon, nous savons tous qui n’aura rien.
Les têtes se tournèrent vers l’équipe d’Artag, qui fermait la marche.
— Leur squelette ambulant est mort, renchérit le Mauve, ils ne peuvent pas être « paisibles » comme le demandent les Sylphes.
Mathilde leva à peine le nez vers lui. Elle voyait dans son visage de renard qu’il cherchait le conflit. Même Rok soupira face à sa tentative mesquine. Il voulait les irriter, leur faire perdre pied pour s’assurer qu’ils n’obtiendraient rien… Il se donnait de la peine pour rien, car il avait raison, pour une fois.
Elle ne pouvait savoir l’état d’esprit de ses coéquipiers, mais pour ce qui était du sien… Elle était loin de la paix qu’on leur recommandait. Revenir au Palais Impérial remontait dans sa mémoire des bulles de souvenirs de cette nuit fatidique. Bien que l’appel du Sylphe d’Artag l’ait plongée dans une transe, elle conservait des bribes, des visages, des mots de cette course jusqu’à la Crypte, où elle avait retrouvé sa lucidité.
Les souvenirs de ce lieu étaient si douloureux qu’elle n’osait pas les effleurer, et elle était à présent obligée de s’y rendre à nouveau. Elle parvenait peut-être à maintenir une expression calme pour le moment, mais elle était incapable de dire comment elle réagirait en retournant à l’endroit où… l’endroit où Artag avait…
La main peinte d’or de Rok se posa sur son épaule, pesante et chaude, et interrompit les tremblements naissants de Mathilde.
— Ça va aller, répéta-t-il du bout des lèvres. Dans une heure tout au plus, ça sera fini.
Mathilde le remercia d’un sourire fantomatique. Où trouvait-il la force de la rassurer ? Appréhendait-il lui aussi la descente dans la Crypte ? Il n’en montrait aucun signe, plus droit et solide qu’une ancre. Elle avait l’impression que plus elle se laissait submerger par son deuil, plus il devenait ce socle inébranlable sur lequel elle pouvait prendre appui. On aurait dit qu’il était familier avec la mort. Elle n’avait pas osé demander.
Ils remontèrent le labyrinthe de rosiers, où bourgeonnaient les premiers boutons de fleurs, et pénétrèrent dans le mausolée. Là, Darin activa le levier de l’escalier en colimaçon et annonça l’ordre de passage. L’équipe de Lady Thiang puis Sir Malik, précéderaient à celles d’Artag et de Lady Tymphos.
Hans, la tête rentrée dans les épaules et se tordant les mains dans le dos, descendit le premier dans la Crypte à la suite de Darin. Pendant ce temps, Sheila les invita à rendre hommage aux Filleuls Porteurs de Sylphes pour qui était ce mausolée.
— Si vous avez peur de vous présenter devant les Sylphes, dit-elle à mi-voix pour éviter l’écho, mettez-vous à leur place. Rappelez-vous leurs histoires que vous avez vues en cours avec nous. Prenez-les comme exemple.
Mathilde contempla la multitude de portraits qui emplissaient les alvéoles. Elle ne pouvait penser qu’à un seul Porteur de Sylphe. Elle trouva la photographie qu’elle cherchait, fraîchement encadrée au côté de son médaillon. Elle se rapprocha du mur et scruta ce visage qui hantait ses nuits.
La face d’Artag paraissait trop sévère ainsi en noir et blanc, l’éclairage abrupt lui donnait la mine encore plus moribonde que d’habitude, comme taillé à la serpe. Et ses yeux… où étaient les couleurs mouvantes qui les rendaient si uniques ? Ils étaient gris, presque aussi vides que lorsqu’ils s’étaient éteints. Elle détestait cette photo.
— Ils auraient dû mettre un portrait.
Elle sursauta et trouva l’ombre du géant au-dessus d’elle, Galis à ses côtés. Il acquiesça, sans parvenir à lever la tête jusqu’au cadre. Rok attira doucement ses deux coéquipiers hors de vu de l’alvéole honorifique de leur Tuteur et les fit asseoir à l’écart des autres Filleuls. Il les transperça alors de son regard borgne plein d’émotion, mais aussi d’une grande détermination.
— Ce que je vais vous dire ne va pas vous plaire, murmura-t-il, mais je ne peux pas vous laisser entrer dans la Crypte comme ça. Je sais que nous n’avons pas eu le temps de faire notre deuil, et qu’il est difficile de se remettre à vivre après une perte pareil. Il ne s’est passé qu’une semaine depuis… La mort, ça fait toujours un choc.
Il serra les poings, secoua la tête, et reprit.
— Mais vous ne pouvez pas abandonner maintenant ! Artag aurait voulu qu’on tienne jusqu’au bout. Il ne nous a pas formés pour craquer au dernier moment. Tous ses cours particuliers à nous entraîner avec son Sylphe visaient ce moment !
Il les désigna tous les trois du doigt.
— À cause du choix des Sylphes, nous risquons d’être séparés. C’est peut-être la dernière fois que nous nous voyons. Faisons au moins honneur à Artag.
Galis échangea un regard avec Mathilde, un coin de la bouche relevé malgré lui.
— Tu te rends compte ? C’est notre géant qui se fait voix de la raison maintenant. Fait attention à qu’aucun Mauve ne t’entende, ils n’y survivraient pas.
Rok lui donna une petite tape à l’arrière de la tête.
— Je suis sérieux.
Galis soupira et passa une main dans sa frange.
— Je sais, je sais…
Le géant disait vrai, et il lui en coûtait de les raisonner ainsi. Mathilde leva une main au milieu de leur cercle.
— Promettrez-moi que vous trouverez un moyen pour que nous continuions à nous voir, même après l’Imprégnation.
Galis lui adressa un de ses sourires taquins, plus fugace que d’habitude.
— Si ça peut te rassurer.
Ils unirent leur main à la sienne et jurèrent. Alors seulement Mathilde sentit une part d’elle-même s’apaiser. Comme si elle avait retrouvé un pied d’appui dans le tourbillon de son monde. La voix de l’Augure brisa leur silence.
— Rok, mon garçon, c’est ton tour.
Le géant se leva et descendit les escaliers de pierre. Ses lèvres serrées trahissaient la pression qui pesait sur lui. Quelques minutes plus tard, Sheila invita Galis à passer dans la Crypte. Mathilde le regarda disparaître à son tour, avalé par la terre. Son visage était plus poreux à ses émotions que celui de Rok, et elle lut en lui une détermination embrumée, fragile.
Mathilde se retrouva seule, assise sur le pavé du mausolée. Les Filleuls restants formaient des petits groupes éloignés d’elle, chuchotants pour échapper à l’écho du lieu, échangeant des mots d’adieux inquiets. Elle leva la tête vers la voûte, où le diffuseur d’encens luisait d’une lueur bleutée et répandait ses volutes de fumée aromatiques au gré des souffles d’air.
Elle inspira cette odeur piquante, et les larmes lui montèrent aux yeux. Elle les laissa couler sur ses joues sans les essuyer. Devait-elle rechercher le calme qu’on lui demandait ? Rok avait raison, c’était ce qu’Artag désirait, et ce à quoi il les avait préparés. Mais voulait-elle d’un Sylphe ?
Elle sentait qu’elle n’aurait qu’à raviver les souvenirs de son violon brisé pour exciter en elle une rage digne d’éloigner tous les Sylphes d’elle. Elle pouvait provoquer leur rejet, les chasser loin d’elle en désobéissant au calme imposé. Elle pouvait refuser l’avenir qu’on lui destinait. En choisir un plus simple, sécurisé, caché. La vie de bureau qu’elle avait tant souhaité à son arrivée au Collegium, celle qui lui permettrait d’échapper à l’armée, de continuer le violon…
Sans que personne ne le sache, elle pouvait rester la petite fille fragile et sans pouvoir, dont les doigts n’étaient virtuoses que pour la musique. Vivre un morceau de son rêve.
À portée de main, oui, mais le voulait-elle vraiment ?
Lui aurait-on posé la question en début d’année, elle aurait répondu par l’affirmative, sans hésiter. Mais par sa vie et sa mort, Artag l’avait changé. Son carnet l’avait transformé. Elle devait découvrir son secret. Elle avait une mission, maintenant. Abandonner était inconcevable.
— Mathilde ?
La jeune fille sursauta et se leva précipitamment, rajustant son voile sur sa tête. Sheila lui offrit un sourire maternel.
— À ton tour ma belle.
Une main dans son dos, elle la dirigea vers les marches et la poussa gentiment en avant.
— N’aie pas peur, lui souffla-t-elle à l’oreille. Je suis sûre que les Sylphes t’aimeront.
Mathilde s’enfonça dans le noir de l’escalier, ses doigts glissant sur le mur lisse. L’air se refroidit et bientôt, la lumière des Sylphes l’accueillit dans la Crypte. Au bas des marches, Darin l’attendait et la prit par la main pour la mener vers les Sylphes. Mathilde fit un effort pour ne pas se retourner vers la statue qu’elle savait derrière elle, au pied de laquelle Artag… Non, elle n’y penserait pas. Elle serra plus fort la main de l’Augure.
— Rok et Galis ont-ils… ?
L’Augure secoua la tête en plaçant un doigt sur sa bouche.
— Ne vous laissez pas distraire Mademoiselle. Concentrez-vous sur votre Imprégnation.
Elle se mordit les lèvres, et fixa les Sylphes. L’accepteraient-ils ? Leur céderait-elle ? Darin s’arrêta à un mètre du premier Cercle et lui lâcha la main.
— Avancez et ouvrez-vous à leur Appel. Surtout, ne vous forcez pas. Si vous sentez une quelconque résistance, reculer simplement.
Mathilde inspira profondément, tentant de décrisper ses poings. Les rayonnements de béatitudes des Sylphes caressaient déjà sa peau, un pas de plus et elle serait avalée par l’Appel des Élus. L’éclat doré des iris de son Tuteur passa devant ses yeux.
Elle pénétra dans le Premier Cercle.
Aussitôt, son cœur flancha devant l’avalanche d’émotion qui déferla dans son esprit. Les flammes multicolores se mirent à danser autour d’elle, effleurant sa peau et ses vêtements sans pour autant la toucher. Les oreilles remplies des battements de son cœur, Mathilde croyait les entendre murmurer, comme un chant silencieux qui bouleversait son âme. D’un coup, elle était dépouillée face à eux, toutes ses barrières intérieures s’affaissaient, elle n’était plus qu’elle-même, sans artifice.
Un être sans défense face à des esprits irradiant d’une énergie hors de ce monde.
Ils étaient tendres pourtant, presque curieux dans leur exploration. Plusieurs lévitèrent autour de sa tête, l’un glissa sur sa joue, où ses larmes avaient laissé une trace. Mathilde ferma les yeux.
Faites de moi ce qu’il vous plaît. Je suis à vous.
Les Sylphes s’écartèrent en ronde autour d’elle et leurs murmures soufflèrent sur son cœur.
Avance. Ton destin n’est pas chez nous.
Les pieds de Mathilde bougèrent tout seuls, et elle pénétra dans le Deuxième Cercle.
Les Sylphes se rassemblèrent autour d’elle, comme pour l’accueillir. Moins nombreux, ils chatoyaient avec une affection plus ardente que ceux du Cercle précédent.
Je suis à vous, répéta-t-elle au creux de son âme.
Mais la réponse fut la même.
Avance. Ton destin n’est pas parmi nous.
Et Mathilde se sentit poussée en avant… dans le Troisième Cercle.
Là, elle tomba à genoux. Après la caresse des premiers Cercles, elle lui semblait avoir plongé dans un brasier hurlant. Les Sylphes devant elles avaient la taille d’une tête humaine, et brillaient plus fort et plus intensément que tous les autres. Ils s’approchèrent d’elle avec lenteur, comme s’il y avait bien longtemps qu’un Filleul ne s’était pas présenté à eux. Leurs couleurs changeantes éblouissaient Mathilde, la transperçaient de sa lucidité. Ils la rencontraient pour la première fois, mais ils savaient qui elle avait été, qui elle était, qui elle pouvait être.
La jeune fille tendit les mains, tremblante d’émotion.
— Je suis à vous, murmura-t-elle.
Un Sylphe s’avança face à elle et se posa sur sa paume. Aussitôt, le monde autour d’elle disparut, et elle se retrouva debout dans une immensité lisse et obscure. La seule lumière était ce Sylphe, scintillant en face d’elle. Mathilde se figea. Était-ce là le choix qu’on lui avait prédit ?
Le Sylphe tourna autour d’elle plusieurs fois, avant qu’une voix éthérée émane du cœur de sa flamme.
— Veux-tu de moi ?
Mathilde sursauta. Ce n’était pas le murmure silencieux des premiers Cercles. C’était une vraie voix, de vrais mots qui résonnaient en elle. Elle hâta une réponse vacillante.
— Oui.
Le Sylphe frémit et se rapprocha.
— Pourquoi veux-tu de moi ?
Mathilde contempla les nuances d’or qui passèrent dans les flammes du Sylphe. Une réponse qu’elle n’avait jamais formulée dans sa tête s’articula sur ses lèvres.
— Pour trouver la vérité sur vous. Pour mon Tuteur.
Un petit rire agita le Sylphe, qui prit peu à peu une forme approchant la sienne. Bientôt, Mathilde fit face à son propre corps fait de feu multicolore. Ou plutôt elle crut qu’il s’agissait d’elle. À y mieux regarder, cette forme était habillée de plumes enflammées, et son visage n’était pas le sien.
Le Sylphe lui sourit.
— Si je te choisis, tu trouveras plus que tu ne cherches. Mais tu souffriras. Veux-tu toujours de moi ?
La réponse fusa sur ses lèvres.
— Oui.
— Alors je te choisis !
Le Sylphe rayonnant de joie grandit, grandit, grandit, jusqu’à devenir un immense oiseau de feu, emplissant l’obscurité sans fin de ses ailes gigantesques.
Mathilde ouvrit les bras et s’offrit toute entière.
*****
Lorsqu’elle revint à elle, Mathilde était portée par Darin, qui l’auscultait d’un œil fasciné.
— Comment te sens-tu ? demanda-t-il d’une voix douce.
Elle battit des paupières, cherchant des mots qui ne venaient pas. Elle se sentait inhabituellement bien. Comme si la béatitude émanant des Sylphes irradiait à présent de son être. Comme si elle avait enfin retrouvé sa moitié perdue. Entière. L’Augure observa les couleurs fleurir sur ses joues avec un sourire béat.
— Oh Mathilde ! Tu as réussi ! Tu as été choisie !
Il embrassa ses cheveux et la serra plus fort dans ses bras, dansant sur place.
— Un Sylphe du Troisième Cercle ! Enfin ! En près d’un siècle… Mathilde, tu es une perle rare ! Je savais, je savais que tu serais choisie !
Ses compliments ruisselaient sur Mathilde sans l’atteindre. Elle était tout à cette nouvelle chaleur qui s’installait en elle, la réchauffait de l’intérieur. Elle était toujours elle, mais elle n’était plus seule. Une présence affectueuse l’enveloppait dans un cocon de félicité qui lui donnait envie de dormir.
Darin, la mine épanouie, la déposa délicatement devant un mur couvert de carrés de mosaïques éparpillées et pressa une moulure ressortant d’une colonne. Les multiples morceaux de céramique s’animèrent alors, et se réorganisèrent pour former une porte. L’Augure sourit à Mathilde, une main sur son épaule.
— Bienvenue parmi les Porteurs de Sylphes.
Elle acquiesça, les jambes engourdies, et poussa les battants. Aussitôt, ses yeux plongèrent dans la salle ronde, fouillèrent les lits où deux Filleuls se reposaient. Kaleb discutait avec une infirmière. Petra enfouissait sa face dans son oreiller.
Enfin, elle les trouva.
Ils s’avançaient déjà vers elle, le visage transformé, hébété mais radieux. Ils avaient été choisis. Ils ne seraient pas séparés.
Avec un soupir de soulagement, elle se laissa tomber dans les bras de ses coéquipiers.
Tellement d'émotions! Je suis tellement soulagée qu'ils aient tous les 3 été choisis! ça permet quand même une fin positive malgré la mort d'Artag! Et ils le méritaient tellement !
J'ai beaucoup aimé ce chapitre, la force de Rok pour soutenir Mathilde qui n'a pas fait son deuil (je suis comme elle), et la tension et l'angoisse devant ce moment décisif! Bon j'ai hâte de savoir les capacités de leurs Sylphes respectifs maintenant, j'espère que tu vas pas nous faire trop attendre la suite!!!!
Une seule petite remarque:
- « L’équipe de Lady Thiang puis Sir Malik, précéderaient à celles d’Artag... » → précéderaient celles
A très vite et bravooooooo !!